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25/09/2014 | FRANCE | N°13/01409

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 10e chambre, 25 septembre 2014, 13/01409


COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE

10e Chambre



ARRÊT AU FOND

DU 25 SEPTEMBRE 2014



N° 2014/429













Rôle N° 13/01409







[P] [H]

Compagnie AXA WINTERTHUR





C/



[W] [L]

[U] [L]

[A] [L]





















Grosse délivrée

le :

à :

Me Libéras

Me Ermeneux
















>Décision déférée à la Cour :



Jugement du Tribunal de Grande Instance de DIGNE en date du 28 Novembre 2012 enregistré au répertoire général sous le n° 11/00204.





APPELANTS



Monsieur [P] [H], demeurant [Adresse 2]

représenté par Me Pierre LIBERAS, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, assisté de Me Fabrice PRADON, avocat au barreau de PARI...

COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE

10e Chambre

ARRÊT AU FOND

DU 25 SEPTEMBRE 2014

N° 2014/429

Rôle N° 13/01409

[P] [H]

Compagnie AXA WINTERTHUR

C/

[W] [L]

[U] [L]

[A] [L]

Grosse délivrée

le :

à :

Me Libéras

Me Ermeneux

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal de Grande Instance de DIGNE en date du 28 Novembre 2012 enregistré au répertoire général sous le n° 11/00204.

APPELANTS

Monsieur [P] [H], demeurant [Adresse 2]

représenté par Me Pierre LIBERAS, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, assisté de Me Fabrice PRADON, avocat au barreau de PARIS

Compagnie AXA WINTERTHUR venant aux droits de la compagnie UAP, Général Guisan - Strasse 40 - 8401 WINTERTHUR

représenté par Me Pierre LIBERAS, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, assisté de Me Fabrice PRADON, avocat au barreau de PARIS

INTIMES

Madame [W] [L], demeurant [Adresse 1]

représentée par Me Agnès ERMENEUX-CHAMPLY de la SCP ERMENEUX-LEVAIQUE-ARNAUD & ASSOCIES, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE,

assistée de Me Klaus WOESTE, avocat au barreau de PARIS

Mademoiselle [U] [L], demeurant [Adresse 1]

représentée par Me Agnès ERMENEUX-CHAMPLY de la SCP ERMENEUX-LEVAIQUE-ARNAUD & ASSOCIES, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE,

assistée de Me Klaus WOESTE, avocat au barreau de PARIS

Monsieur [A] [L], demeurant [Adresse 1]

représenté par Me Agnès ERMENEUX-CHAMPLY de la SCP ERMENEUX-LEVAIQUE-ARNAUD & ASSOCIES, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE,

assisté de Me Klaus WOESTE, avocat au barreau de PARIS

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 21 Mai 2014 en audience publique. Conformément à l'article 785 du Code de Procédure Civile, Mme Jacqueline FAURE, Conseiller, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.

La Cour était composée de :

Madame Christiane BELIERES, Présidente

Mme Jacqueline FAURE, Conseiller

Madame Lise LEROY-GISSINGER, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Madame Geneviève JAUFFRES.

Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 03 Juillet 2014. Le 03 Juillet 2014 le délibéré a été prorogé au 17 Juillet 2014, puis au 11 Septembre 2014. Le 11 Septembre 2014 le délibéré a été prorogé au 25 Septembre 2014.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 25 Septembre 2014,

Signé par Madame Christiane BELIERES, Présidente et Madame Geneviève JAUFFRES, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

Exposé du litige :

Le 14 avril 2006, M. [D] [L] a été victime d'un accident mortel alors qu'il pilotait son planeur, qui s'est écrasé à quelques mètres de la cime [Localité 2], sur le territoire de la commune de la [Localité 5] (04).

M. [T], désigné en qualité d'expert par ordonnance du juge des référés du 6 février 2009 afin de rechercher les causes de l'accident, a déposé son rapport en date du 21 janvier 2010.

Par actes en date des 31 janvier 2012 et 22 février 2012, Mme [W] [L], Mlle [U] [L] et M. [A] [L] ont assigné M. [P] [H] et son assureur Axa Winterthur venant aux droits de l'UAP, devant le tribunal de grande instance de Digne les Bains, aux fins de voir consacrer la responsabilité de M. [H] sur le fondement des articles 1382, 1383 et 1384 du code civil et pour obtenir l'indemnisation de leurs préjudices.

Par jugement du 28 novembre 2012, le tribunal, retenant que le rapprochement opéré par M. [H] a obligé M. [L] à une man'uvre d'évitement, a :

- condamné solidairement M. [P] [H] et son assureur à payer à :

1. Mme [W] [L] les sommes de :

21'000 € au titre du préjudice moral,

767'363,24 €au titre du préjudice économique,

65'172,94 € au titre du préjudice matériel

2. Mlle [U] [L], les sommes de :

15'000 € au titre du préjudice moral,

12'862,35 € au titre du préjudice économique,

3. M. [A] [L],

15'000 € au titre du préjudice moral,

78'336,20 € au titre du préjudice économique,

- condamné solidairement M. [P] [H] et son assureur à payer aux consorts [L] la somme de 3 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonné l'exécution provisoire,

- condamné M. [P] [H] et son assureur aux dépens.

Par acte en date du 22 janvier 2013, dont la régularité et la recevabilité ne sont pas contestées, M. [P] [H] et Axa Winterthur ont interjeté appel général de cette décision.

Prétentions et moyens des parties :

Par conclusions en date du 18 avril 2013, M. [H] et son assureur demandent à la cour, au visa de l'article 1384 alinéa 1er du Code civil, de :

Au principal,

- infirmer le jugement et débouter les consorts [L] de l'ensemble de leurs demandes,

- les condamner à leur payer la somme de 10'000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi que les entiers dépens,

Subsidiairement,

- fixer le préjudice moral de Mme [W] [L] à la somme de 18'000 € et celui de chacun de ses enfants majeurs à la somme de 12'000 €,

- fixer le préjudice économique comme suit :

. Mme [W] [L] : 423'382,62 €

. [A] [L] : 34'861,25 €

. [U] [L] : 4 215 €,

- débouter les consorts [L] du surplus de leurs demandes.

Les appelants, soulignant que le tribunal n'a pas précisé à quelle disposition légale ou réglementaire M. [H] aurait contrevenu, contestent les conclusions de l'expert, auquel ils reprochent de n'avoir pas tenu compte des réserves de M. [H] sur son croquis des trajectoires et de se fonder sur de simples hypothèses, élaborées 3 ans après les faits à partir du témoignage d'un randonneur.

Ils précisent que le planeur de M. [H] s'est toujours trouvé en dessous de celui de M. [L], sans le gêner dans ses évolutions, et que l'accident est dû à la trop faible vitesse de la victime, attestée par le décrochage et le départ 'en vrille' décrits par les témoignages recueillis après l'accident.

Par conclusions du 17 juin 2013, les consorts [L] demandent à la cour, au visa des articles 1382, 1383 et 1384 du Code civil, L 124-1 du code des assurances, D 135-5 à D 131-7 et 3.1.1,3.3.1.1,3.3.2.2 et 3.3.2.3 de l'annexe I chapitre II du code de l'aviation civile et L 6113-1 du code des transports, de :

- les recevoir et dire bien fondés en leurs demandes,

- confirmer le jugement,

- débouter M. [H] et la société Axa Winterthur de l'intégralité de leurs demandes,

- condamner solidairement M. [H] et la société Axa Winterthur à leur payer la somme de 10'000 € au titre l'article 700 du code de procédure civile,

- les condamner solidairement aux entiers dépens.

Invoquant les conclusions de l'expert judiciaire, les intimés observent que l'enquête de gendarmerie est incomplète et que l'existence d'une faute civile est indépendante d'une infraction pénale.

Ils soutiennent que la responsabilité de M. [H] est acquise aussi bien en sa qualité de gardien de l'avion instrument du dommage puisqu'il s'est rapproché du planeur de M. [L], dans son secteur arrière, en étant plus rapide, que par sa faute, puisqu'il n'a pas respecté les distances de sécurité (article 3.3.1.1. de l'Annexe I Chapitre III de l'article D 131-7 du code de l'aviation civile), ni les règles de priorité (article 3.3.2.3. du même texte).

Ils font valoir que le témoignage de M. [Z], qui a vu le planeur de M. [H] plus proche de lui que celui de M. [L], ne contredit pas celui de M. [X].

Motifs :

. Les textes applicables :

En application de l'article L 141-1 du code de l'aviation civile devenu article L 6131-1 du code des transports par ordonnance n° 2010-1307, en cas de dommage causé par un aéronef en évolution à un autre aéronef en évolution la responsabilité du pilote et de l'exploitant de l'appareil est réglée conformément aux dispositions du code civil.

En vertu des articles 1382 et 1383 du code civil, chacun est responsable du dommage qu'il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence, tandis que l'article 1384 alinéa 1er du même code dispose qu'on est responsable du fait des choses, instrument du dommage, que l'on a sous sa garde.

Par ailleurs, l'annexe I Chapitre III du code de l'aviation civile, modifié par arrêté du 3 mars 2006, énonce :

article 3.1.1. : un aéronef n'est pas conduit d'une façon négligente ou imprudente pouvant entraîner un risque pour la vie ou les biens des tiers.

article 3.2.1. **(au lieu de 3.3.1.1. cité par les intimés) : un aéronef n'évolue pas à une distance d'un autre aéronef telle qu'il puisse en résulter un risque de collision.

article 3.2.2.3. **(au lieu de 3.3.2.2.) : lorsque deux aéronefs se trouvant à peu près au même niveau suivent des routes convergentes, celui qui voit l'autre à sa droite s'en écarte.

article 3.2.2.4. **(au lieu de 3.3.2.3.) : un aéronef dépassant est un aéronef qui s'approche d'un autre aéronef par l'arrière suivant une trajectoire formant un angle de moins de 70 ° avec le plan de symétrie de ce dernier, c'est à dire dans une position telle, par rapport à l'autre aéronef, que, de nuit, il serait dans l'impossibilité de voir l'un quelconque des feux de position gauche ou droit. Au moment où un aéronef en dépasse un autre, ce dernier a la priorité de passage et l'aéronef dépassant, qu'il soit en montée, en descente ou en palier, s'écarte de la trajectoire de l'autre aéronef en obliquant vers la droite. Aucune modification ultérieure des positions relatives des deux aéronefs ne dispense l'aéronef dépassant de cette obligation jusqu'à ce qu'il ait entièrement dépassé et distancé l'autre aéronef.

. Les données de l'enquête, des témoignages et de l'expertise :

a. L'enquête :

Aux termes du procès-verbal en date du 14 avril 2006, établi par la gendarmerie de haute montagne des Alpes de Haute Provence, le lieu dit [Localité 2] comporte deux falaises successives entrecoupées d'un jardin suspendu composé de pierriers et de buis.

L'épave du planeur, de marque Dirk Glaser type DG 600 à monomoteur, immatriculé D-KOBD, a été retrouvée au pied de la falaise la plus haute, retenue par les buis du jardin suspendu à 1 430 mètres d'altitude, en contrebas du point d'impact. Un vêtement accroché à la paroi 70 mètres au dessus et quelques débris visibles laissent penser que le planeur a chuté le long de la paroi.

L'appareil est renversé sur le dos dans la pente, l'avant vers le bas, complètement enfoncé. Il n'y a plus de verrière. À l'arrière, la queue est brisée mais encore solidaire de sa carcasse.

Le parachute de secours de la victime est attaché sur son dos, déployé en torche, il ne paraît pas avoir été gonflé.

La brigade de gendarmerie des transports aériens (BGTA) a établi un procès-verbal de transport en date du 1er juillet 2006, dont il en ressort que :

Les conditions météorologiques ne sont pas en cause et que les secouristes présents sur le site le 14/04/2006 à 16 heures décrivent un temps clair et ensoleillé, précisant qu'il faisait chaud et qu'il n'y avait pas de vent.

Le pilote a décollé au moteur de la plate-forme de [Localité 4] (05) le 14/04/2006 à 14 heures 24. Suite au briefing météo du matin, il semblait intéressé par le circuit conseillé [Localité 3]-[Localité 1]. L'accident a eu lieu au départ du circuit, après 30 mn de vol environ.

M. [L], breveté en Allemagne en 1976, était titulaire d'une licence planeur en cours de validité. Il totalisait 2 757 heures 25 mn de vol en planeur, dont 925 heures 43 mn sur le planeur accidenté. La veille il avait effectué avec cet appareil un long circuit de 11heures 36, à haute altitude. Habitué du secteur et du vol en montagne, il volait depuis 15 ans environ une à deux fois par an depuis la plate-forme de [Localité 6] (05).

En conclusion, aucune infraction à la réglementation n'ayant été relevée, 2 hypothèses sont retenues :

- soit M. [L] a été surpris de la proximité de M. [H] dans son secteur de vol. Dans une manoeuvre d'éloignement, il vire à droite, vers la vallée, mais trop proche du relief, il ne peut éviter la crête et s'écrase au sommet de la montagne,

- soit M. [L] évoluait à une faible vitesse, en limite de décrochage. Son planeur, qui a décroché, est parti en vrilles, mais à une hauteur trop faible pour qu'il puisse le récupérer.

Entendu par la BGTA le 16/04/2006, M. [H] a indiqué :

'J'ai volé 130 heures en simple et double commande... je vole sur la région depuis 2 ans... Le temps n'étais pas excellent pour le vol à voile... au niveau des thermiques. On ne voit pas où se trouvent les masses thermiques qui nous portent, puisqu'on ne voit pas les nuages. On doit alors suivre la ligne des crêtes... on se dirige vers les pentes où on pense trouver des vents thermiques porteurs... Le vent était dynamique, cela cisaillait les thermiques. C'était turbulent. Il faut alors avoir une vitesse assez importante car vous montez et vous descendez tout le temps...

J'ai vu le planeur allemand accidenté qui amorçait une spirale à droite.

J'étais en dessous de lui. Je devais bien être à 200-300 mètres de lui. Je l'ai vu entamer sa spirale à droite, le nez en l'air... je vais le suivre pour pouvoir profiter de ce thermique porteur. Mais alors que je le suivais j'ai vu que ma vitesse était de 90 km/heure et je me rapprochais toujours de lui. Je me suis dit la vitesse est trop faible... on aurait dû être à 110-120 km/heure. Et moi aussi je n'avais pas assez de vitesse pour bien passer la crête. Quand je l'ai vu effectuer sa spirale et monter je me suis dit c'est bon je vais faire comme lui. Pour ça je me suis écarté côté sud, côté vallée pour le laisser finir son évolution et passer.

J'ai toujours été plus bas que lui... en dessous de lui. Quand j'ai piqué, j'ai pu passer la crête sans problème. Je ne peux vous dire mon altitude mais on était bien au dessus de la crête. Lorsque j'ai eu fini de passer la crête j'ai regardé dehors. Le planeur devait toujours se trouver au dessus de moi, sur ma droite. Il était dans mon angle droit, dans le segment entre le nez et l'aile droite de mon planeur. A ce moment là, la crête passée, je suis en légère inclinaison pour garder un oeil sur l'autre planeur. J'ai dépassé la crête. Le planeur était au niveau de mon aile droite, encore de l'autre côté de la crête. Là j'ai porté mon regard sur lui et je l'ai vu décrocher et partir en vrilles sur la droite, sa droite et ma droite...

Lorsque je me trouvais là haut avec l'autre planeur le vent était à 10-15 noeuds. Cela allait, mais le problème c'était ces cisaillements qui rendaient difficile la maîtrise de l'appareil en vol de pente.'

b. Les témoignages :

- M. [R] [B], instructeur planeur et ami de la victime, entendu par les enquêteurs le 16 avril 2006, rapporte que malgré un vol à haute altitude d'environ 12 heures, effectué la veille avec deux autres pilotes et lui-même, M. [L] était en forme pour voler.

- Entendu par la BGTA le 15/04/2006, M. [X], randonneur arrivé vers 14 heures 45 au niveau de la crête [Localité 2], à 1 551 mètres, avec deux amis allemands, notamment M. [Z] qui faisait des photos quelques mètres plus bas, a déclaré :

'Face à nous, direction Sud, nous avions la vallée, en point de mire le terrain de l'aérodrome de la [Localité 5].. Nous avons vu arriver 2 planeurs de la vallée... [J] ([Z]) les a pris en photos...

Le planeur allemand est arrivé dans notre dos, soit du Nord. Le planeur suisse est arrivé de la vallée par notre gauche, soit de l'Est. J'ai vu le planeur allemand entamer un virage devant nous mais à une hauteur plus importante que nous... le virage de l'Allemand était en cours quand j'ai vu le planeur suisse arriver dans notre champ de vision, à proximité de l'Allemand. Quand les 2 planeurs se sont croisés, j'estime qu'ils devaient être à environ 50 mètres au-dessus de nous et à 100 mètres devant nous mais il est difficile d'évaluer les distances entre le sol et leur évolution en l'air. Cela s'est passé toutefois très près du sommet. Je ne peux pas dire non plus si le Suisse était au même niveau, ou plus bas ou plus haut que l'Allemand.

Le Suisse est arrivé sur le côté droit du planeur allemand. Il est arrivé très près du planeur allemand à moins de 5 mètres. J'ai pensé qu'ils allaient se percuter. En fait si chacun poursuivait sa trajectoire, ils auraient dû se percuter. Leurs trajectoires étaient perpendiculaires. Le Suisse volait parallèle à la montagne. L'Allemand a effectué un virage donc la boucle se faisait face à la pente. Quand le Suisse est arrivé très proche de l'Allemand, ce dernier avait fini sa boucle et se retrouvait en ligne droite. À ce moment face à la montagne, soit il voulait continuer tout droit et passer la montagne, soit il voulait effectuer une autre ascendance...

Quand les 2 planeurs se sont croisés, le Suisse était en perte d'altitude a priori, en tout cas j'ai bien vu qu'il avait le nez baissé...

Dès que les 2 planeurs se sont croisés, une fois que le Suisse avait dépassé l'Allemand de sa droite vers la gauche, l'Allemand a fait une rotation sur lui-même : il s'est retrouvé la tête en bas. Il est ensuite parti en vrilles vers la vallée au Sud. Il y a eu 2 ou 3 vrilles, en 3 ou 4 secondes à peine avant qu'il ne percute la crête avec le nez. Nous avons vu l'impact. Il était pratiquement à la verticale...

À aucun moment je n'ai pensé qu'il allait s'écraser, j'ai même pensé qu'il faisait des acrobaties quant il est parti en vrilles. Je ne pensais pas qu'il était aussi proche de la montagne.'

En réponse aux questions de l'expert, le 10 août 2009 (annexe 5 du rapport), M. [X] déclare 'le planeur allemand est arrivé face à nous, de la direction Sud, nous avions la vallée en face. Il était un peu plus haut et venait vers moi. Je ne peux pas dire s'il montait ou s'il descendait. J'étais en discussion avec Mme [Z] tout en regardant le planeur allemand qui venait vers nous, quand j'ai vu entrer dans mon champ de vision par la gauche le planeur suisse. Celui-ci en légère descente, est passé devant le planeur allemand.

Au moment où la queue du planeur suisse est passée devant l'aile gauche du planeur allemand, celui-ci a basculé sur l'aile droite et je l'ai vu faire un tour et demi. J'ai vu le planeur suisse partir vers la droite sans y porter plus d'attention.'

- M. [N] [O], pilote de planeur, entendu par la BGTA le 22 avril 2006, indique qu'à 15 heures, il spiralait sur le secteur [Localité 2] à environ 1850 mètres et qu'il a vu l'évolution des deux planeurs en cause en dessous de lui.

Il signale que M. [L] spiralait à 1 700 mètres environ et que M. [H] se dirigeait vers lui, sans pouvoir préciser s'ils volaient tous deux à la même altitude et si la trajectoire de M. [H] pouvait être dangereuse pour celle de M. [L]. Il a vu M. [L] prendre une inclinaison accentuée vers la droite, décrocher puis partir en vrilles.

- M. [Z], ressortissant allemand, non entendu par les enquêteurs de la BGTA, s'est exprimé devant l'expert avec l'assistance d'une interprète, le 10 août 2009.

Il déclare 'le planeur suisse venait de l'Est au même niveau. Au moment où il passe devant moi, l'autre planeur (allemand) est à deux heures, en virage à droite, en spirale. Je ne me souviens pas du cap.'

Le planeur allemand venait du Nord. J'ai pris une photo de lui au Sud en virage à droite. [Il] était en léger virage, puis il a pris la direction vers moi. Il était très près...

Après avoir pris en photo le planeur allemand, je me suis tourné vers la gauche et j'ai vu le planeur suisse qui venait de l'Est. Puis je suis revenu vers le planeur allemand et j'ai perdu de vue le planeur suisse. Le planeur suisse est entré dans mon champ de vision par la gauche. Quand je vois les deux planeurs, ils sont encore en vol tous les deux, le planeur suisse est plus près de moi que le planeur allemand.

Je ne peux pas dire que j'ai vu le planeur suisse croiser la route du planeur allemand.'

c. L'expertise :

L'expert expose, au préalable, que le planeur utilise les forces créées par l'écoulement de l'air autour de lui, notamment la portance, opposée au poids, s'exerçant de bas en haut et requérant une certaine vitesse. La vitesse créée en descente, utilise le poids comme traction, laquelle équilibre la traînée (force de résistance aérodynamique).

L'art du vol à voile consiste donc à évoluer dans des masses d'air ascendantes pour monter par rapport au sol. Les ascendantes sont thermiques lorsqu'elles résultent d'échanges thermiques entre couches d'air de différentes températures ou orographiques lorsqu'elles sont dues au relief.

Le pilote qui souhaite augmenter sa vitesse n'a donc d'autre solution que d'augmenter son angle de descente.

En dessous d'une vitesse minimale, le planeur décroche et part en vrille.

Dans le corps de son rapport (p26/62), l'expert précise que 2 hypothèses sont à envisager :

1) le croisement du planeur de [H] provoque une perturbation dans l'écoulement aérodynamique à proximité du planeur de [L], due à la traînée de sillage, se traduisant par une augmentation d'incidence sur l'aile droite et en conséquence son décrochage.

Cette hypothèse est peu probable, compte tenu du faible niveau d'énergie de l'écoulement aérodynamique autour d'un planeur et donc de sa capacité à créer des turbulences dans l'environnement proche.

2) une manoeuvre réflexe d'évitement de la part de M. [L] apercevant très tardivement le planeur de M. [H].

En conclusion, il estime que la trajectoire du planeur de M. [H] a interféré avec la trajectoire circulaire dite 'spirale' du planeur de M. [L] ; que le planeur piloté par M. [H] a croisé celui de M. [L] à faible distance et légèrement sous celui-ci, contribuant à créer une situation conflictuelle de collision ; que la perte de contrôle fatale à M. [L] a très probablement été le résultat d'une manoeuvre d'évitement par la droite, par un virage serré entraînant la mise en vrille du planeur et que la responsabilité de M. [H] dans la genèse de la situation dangereuse est réelle.

En ce sens il explique notamment que :

- le croquis des trajectoires établi par M. [H] n'est pas vraisemblable puisqu'il rend compte d'une vitesse trop élevée ; s'il se rapprochait du planeur de M. [L], c'est qu'il était en réalité sur une trajectoire convergente,

- il imagine mal M. [L], pilote expérimenté, voler à quelques km/h seulement au dessus de la vitesse de décrochage, c'est à dire dans le buffeting (vibrations) surtout en spirale et en turbulence. Il considère donc beaucoup plus vraisemblable qu'il ait volé à une vitesse de 95 à 100 km/h

- les photos prises par M. [Z] éclairent sur l'angle d'inclinaison des deux planeurs et leur trajectoire. Pour un angle d'inclinaison estimé à 26° et pour 95 km/heure, le calcul donne un rayon de virage de 146 mètres, soit une augmentation de 70 % par rapport au croquis de M. [H],

- les deux randonneurs décrivent des trajectoires convergentes, M. [H] venant de la droite de M. [L], à l'intérieur de la trajectoire en virage de ce dernier, alors qu'au contraire, M. [H] décrit sa propre trajectoire toujours à l'extérieur de celle de M. [L],

- M. [X] a vu les deux appareils se croiser alors qu'ils étaient très proches.

. La responsabilité :

Il ne peut être tiré aucune conséquence de l'absence d'échelle du croquis des trajectoires établi par M. [H] à la main, à la demande de l'expert plus de 3 ans après les faits, d'après ses souvenirs, sans l'assurance d'une parfaite exactitude des distances des avions entre eux et par rapport au relief.

Il ne peut davantage être considéré que le schéma global présenté par M. [H] est contraire à la réalité et opter pour une trajectoire 'plus vraisemblable', au seul vu de calculs fondés sur un angle d'inclinaison de 26° évalué d'après photographie et d'un rayon de virage de 85 mètres 'environ' dont le mode d'identification n'est pas détaillé, conduisant à une vitesse de 73 km/heure inférieure au seuil de décrochage (81 km/heure).

Cette trajectoire, plus vraisemblable, fondée sur des données partielles et approximatives, n'est pas confirmée par les témoignages recueillis qui demeurent incertains sur le niveau des deux planeurs l'un par rapport à l'autre, tandis que M. [H] soutient s'être toujours trouvé sous le planeur allemand, à 200-300 mètres environ.

Ainsi, M.[O], pilotant lui-même un planeur à plus haute altitude (1 850 mètres) que celle de deux planeurs en cause, a pu voir M. [L] spiraler à 1 700 mètres environ et M. [H] se dirigeait vers lui, sans qu'il lui soit possible de préciser s'ils volaient tous deux à la même altitude et si la trajectoire de M. [H] pouvait être dangereuse pour celle de M. [L].

De même M. [X], pourtant très clair sur le rapprochement des deux planeurs qu'il estime à 5 mètres, indique qu'il ne peut préciser 'si le Suisse était au même niveau ou plus bas ou plus haut que l'Allemand', alors qu'il se trouvait lui-même en dessous des deux avions et que cette position inférieure ne lui offrait pas une vision complète et réelle de la situation.

Ce témoin a d'ailleurs lui-même reconnu les faiblesses de sa perception à deux reprises. Après avoir situé les 2 planeurs 'à environ 50 mètres au-dessus de nous et à 100 mètres devant nous', il nuance ses propos, en précisant 'mais il est difficile d'évaluer les distances entre le sol et leur évolution en l'air'. De même, évoquant sa surprise lors de la chute du planeur, il ajoute 'je ne pensais pas qu'il était aussi proche de la montagne'.

Dans le même sens, il sera remarqué que M. [Z], qui se trouvait un peu plus bas que son ami, n'a pas vu les deux avions se croiser, alors qu'il les observait pourtant au même moment.

En définitive, les trajectoires des deux planeurs n'ayant pu être reconstituées avec certitude, il n'est pas démontré que les deux appareils se sont trouvés, du fait de M. [H], à une distance telle qu'il puisse en résulter un risque de collision, ni que l'appelant a commis une infraction aux règles de dépassement ou de priorité susvisées, en lien avec l'accident.

En l'absence de faute démontrée à la charge de M. [H], sa responsabilité ne peut être retenue sur le fondement de l'article 1382 du code civil.

De même, et alors que les deux avions ne sont pas entrés en contact, les consorts [L] ne rapportent pas la preuve qui leur incombe, de ce que le planeur de M. [H] a été, ne fut-ce que pour partie, l'instrument du dommage, en obligeant M. [L], qui ne l'aurait pas vu auparavant, à entreprendre un manoeuvre d'évitement.

En conséquence, la responsabilité de M. [H] ne peut davantage être retenue sur le fondement de l'article 1384 alinéa 1er du même code.

Le jugement déféré sera en conséquence infirmé en toutes ses dispositions.

Les consorts [L] qui succombent à l'instance, supporteront la charge des entiers dépens de première instance et d'appel, sans pouvoir prétendre à l'application de l'article 700 du code de procédure civile.

L'équité ne commande pas l'application de l'article 700 du code de procédure civile au profit de M. [H] et de son assureur.

Décision :

La cour,

- Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

- Déboute Mme [W] [L], Mlle [U] [L] et M. [A] [L] de leurs demandes en déclaration de responsabilité et en indemnisation ;

- Condamne Mme [W] [L], Mlle [U] [L] et M. [A] [L] aux entiers dépens de première instance et d'appel, dont le recouvrement aura lieu dans les conditions prescrites par l'article 699 du code de procédure civile.

- Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile au profit de l'une ou l'autre des parties en première instance et en appel.

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : 10e chambre
Numéro d'arrêt : 13/01409
Date de la décision : 25/09/2014

Références :

Cour d'appel d'Aix-en-Provence 10, arrêt n°13/01409 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2014-09-25;13.01409 ?
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