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13/06/2014 | FRANCE | N°12/12365

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 18e chambre b, 13 juin 2014, 12/12365


COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE

18e Chambre B



ARRÊT AU FOND

DU 13 JUIN 2014



N° 2014/1367



Rôle N° 12/12365





[F] [S]



C/



SA SOCIETE INDUSTRIELLE TRAFIC MARITIME (INTRAMAR)



SA SOCIETE COOPERATIVE DE MANUTENTION (SOCOMA)



M° [V], Liquidateur judiciaire de la SA UNION PHOCEENNE D'ACCONAGE (UPA)



AGS - CGEA DE [Localité 1] - UNEDIC AGS - DELEGATION REGIONALE SUD-EST



GRAND PORT MARITIME DE [1]



BUREAU CENTRAL DE LA

MAIN D'OEUVRE



CAISSE DE COMPENSATION DES CONGES PAYES DU PERSONNEL DES ENTREPRISES DE MANUTENTION



[X] [I]





Grosse délivrée

le :

à :



Me Cyril MICHEL

Me Frédéric MARCOUYEUX

Me Michel FRUC...

COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE

18e Chambre B

ARRÊT AU FOND

DU 13 JUIN 2014

N° 2014/1367

Rôle N° 12/12365

[F] [S]

C/

SA SOCIETE INDUSTRIELLE TRAFIC MARITIME (INTRAMAR)

SA SOCIETE COOPERATIVE DE MANUTENTION (SOCOMA)

M° [V], Liquidateur judiciaire de la SA UNION PHOCEENNE D'ACCONAGE (UPA)

AGS - CGEA DE [Localité 1] - UNEDIC AGS - DELEGATION REGIONALE SUD-EST

GRAND PORT MARITIME DE [1]

BUREAU CENTRAL DE LA MAIN D'OEUVRE

CAISSE DE COMPENSATION DES CONGES PAYES DU PERSONNEL DES ENTREPRISES DE MANUTENTION

[X] [I]

Grosse délivrée

le :

à :

Me Cyril MICHEL

Me Frédéric MARCOUYEUX

Me Michel FRUCTUS

Me Arnaud CLERC

Me Nicolas FALQUE

Me Eric SEMELAIGNE

Copie certifiée conforme délivrée aux parties le :

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Conseil de prud'hommes - Formation de départage de MARSEILLE - section C - en date du 21 Juin 2012, enregistré au répertoire général sous le n° 09/1525.

APPELANT

Monsieur [F] [S],

demeurant [Adresse 6]

comparant en personne,

assisté de Me Cyril MICHEL, avocat au barreau de MARSEILLE

INTIMES

SA SOCIETE INDUSTRIELLE TRAFIC MARITIME (INTRAMAR), demeurant [Adresse 2]

représentée par Me Frédéric MARCOUYEUX, avocat au barreau de MARSEILLE

SA SOCIETE COOPERATIVE DE MANUTENTION (SOCOMA), demeurant [Adresse 9]

représentée par Me Frédéric MARCOUYEUX, avocat au barreau de MARSEILLE

M° [V], Liquidateur judiciaire de la Société UNION PHOCEENNE D'ACCONAGE (UPA), demeurant [Adresse 5]

représentée par Me Frédéric MARCOUYEUX, avocat au barreau de MARSEILLE

AGS - CGEA DE [Localité 1] - UNEDIC AGS - DELEGATION REGIONALE SUD-EST, demeurant [Adresse 8]

représenté par Me Michel FRUCTUS substitué par Me Colette AIMINO-MORIN, avocats au barreau de MARSEILLE et par Me Arnaud CLERC substitué par Me Guillaume TEBOUL, avocats au barreau de PARIS

GRAND PORT MARITIME DE [1],

demeurant [Adresse 3]

représentée par Me Nicolas FALQUE, avocat au barreau de MARSEILLE

BUREAU CENTRAL DE LA MAIN D'OEUVRE,

demeurant [Adresse 1]

représentée par Me Nicolas FALQUE, avocat au barreau de MARSEILLE

CAISSE DE COMPENSATION DES CONGES PAYES DU PERSONNEL DES ENTREPRISES DE MANUTENTION, demeurant [Adresse 7]

représentée par Me Frédéric MARCOUYEUX, avocat au barreau de MARSEILLE

Monsieur [X] [I], en qualité de liquidateur sociétaire de la société SOMOTRANS., demeurant [Adresse 4]

représenté par Me Eric SEMELAIGNE, avocat au barreau de MARSEILLE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 21 Mars 2014 en audience publique devant la Cour composée de :

Monsieur Guénael LE GALLO, Conseiller faisant fonction de Président

Madame Christine LORENZINI, Conseiller

Madame Françoise GILLY-ESCOFFIER, Conseiller

qui en ont délibéré

Greffier lors des débats : Mme Priscille LAYE.

Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 13 Juin 2014.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 13 Juin 2014.

Signé par Monsieur Guénael LE GALLO, Conseiller faisant fonction de Président et Madame Fabienne MICHEL, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS DES PARTIES

Par requête reçue le 24 avril 2009, Monsieur [F] [S] a saisi le conseil de prud'hommes de Marseille d'une demande en réparation de préjudices liés à son exposition à l'amiante, en tant qu'ouvrier docker professionnel pour le compte de diverses entreprises de manutention sur le port de [2], à l'encontre de : la société SOMOTRANS, représentée par son liquidateur Me [I], la société Union Phocéenne d'Acconage (U.P.A.), représentée par son liquidateur Me [V], le C.G.E.A. AGS de [1], la Caisse de Compensation des Congés payés du Personnel des Entreprises de Manutention de [Localité 1] et le Port Autonome de [1].

Par acte du 8 juin 2010, le liquidateur de la société SOMOTRANS a fait assigner le Bureau Central de la Main d'Oeuvre en intervention forcée.

Le Port de [1] a été classé, par arrêté du 7 juillet 2000 modifié, sur la liste des ports susceptibles d'ouvrir droit à l'allocation de cessation anticipée des travailleurs de l'amiante en faveur des ouvriers dockers professionnels et personnels portuaires assurant la manutention (de 1957 à 1993).

Par jugement de départage en date du 21 juin 2012, mentionnant dans son chapeau et/ou dans l'exposé du litige : - en qualité de défendeurs : la Caisse de Compensation des Congés Payés du Personnel des Entreprises de Manutention du Port de [Localité 1], pour elle-même et aux droits du Service Auxiliaire de la Manutention (S.A.M.), la société INTRAMAR, la société Union Phocéenne d'Acconage (U.P.A.) représentée par Me [V], liquidateur judiciaire, la société SOMOTRANS représentée par Me [I], mandataire ad hoc et liquidateur sociétaire, et le Grand Port Maritime de [1], établissement public, - en qualité d'intervenant forcé : le Bureau Central de la Main d'Oeuvre (B.C.M.O.), - et en qualité d'intervenant volontaire : le CGEA gestionnaire de l'AGS du Sud-Est, le conseil de prud'hommes :

- s'est déclaré incompétent pour connaître des demandes dirigées à l'encontre de la C.C.C.P. et a renvoyé le demandeur à se pourvoir, le cas échéant, devant le Tribunal de Grande Instance de [1] ;

- a rejeté les exceptions d'incompétence au profit du Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale et du FIVA ;

- a déclaré l'intervention forcée du Bureau Central de la Main d'Oeuvre recevable, mais non fondée, et a mis celui-ci hors de cause ;

- a constaté le désistement du demandeur à l'encontre du Grand Port Autonome de [1], a déclaré ce désistement parfait et a dit qu'il mettait fin à l'instance ;

- a débouté Monsieur [S] de toutes ses demandes ;

- a rejeté toutes les autres demandes comme étant injustifiées ou infondées ;

- a dit n'y avoir lieu à faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au profit des défenderesses mises hors de cause ;

- a condamné le demandeur aux dépens.

Monsieur [S] a interjeté appel de cette décision le 4 juillet 2012.

' L'appelant a fait déposer et soutenir oralement à l'audience des conclusions écrites, communes à l'ensemble des affaires du rôle, dans lesquelles, confirmant son désistement à l'égard du Grand Port Maritime de [1] et déclarant se désister également à l'égard de la Caisse de Compensation des Congés Payés du Personnel des Entreprises de Manutention de [Localité 1], il demande à la cour d'infirmer le jugement déféré, de déclarer les sociétés SOMOTRANS et U.P.A. solidairement responsables de son préjudice d'anxiété, de fixer sa créance au passif de la liquidation de chacune d'elles aux sommes de 15.000 € à titre de dommages et intérêts et de 1.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile, et de déclarer l'arrêt à intervenir opposable au CGEA.

Il fait principalement valoir qu'il a travaillé en qualité d'ouvrier docker sur le port de [2], pour le compte et sous la subordination de diverses entreprises de manutention (les acconiers), du 1er juin 1970 au 29 avril 1993 ; qu'il était soumis au statut prévu par la loi du 6 septembre 1947 modifiée et codifiée en 1978 sous les articles L. 511-2 et suivants du code des ports Maritimes, antérieur à la loi du 9 juin 1992 ; qu'il a bénéficié d'un congé conversion du 29 avril 1993 au 26 mars 2002 ; qu'il a été attributaire de l'ACAATA à partir du 1er avril 2004 ; que la juridiction prud'homale est compétente pour statuer sur sa réclamation ; que l'employeur est tenu à une obligation de sécurité de résultat ; que parmi les acconiers ayant réalisé la majorité des déchargements d'amiante figurent notamment les sociétés SOMOTRANS et U.P.A., qui sont mentionnées sur la liste établie par la direction générale du port de [1] dans une lettre adressée au ministère de l'équipement et des transports le 21 décembre 1999 ; que la preuve de l'existence de ses relations contractuelles avec ces sociétés résulte des bulletins de salaire et/ou des attestations versées aux débats ; que la cour pourra ordonner si nécessaire aux dites sociétés de produire les D.A.D.S. depuis 1977 ; qu'il a été mis en contact avec l'amiante sans protection efficace, en méconnaissance de la législation applicable (loi du 12 juin 1893 concernant l'hygiène et la sécurité des travailleurs dans les établissements industriels, décret du 10 juillet 1913 modifié le 13 décembre 1948, le 6 mars 1961 et le 15 novembre 1973, décret de 1977) ; que l'indemnisation du préjudice d'anxiété est ouverte à tout salarié ayant travaillé dans l'un des établissements mentionnés à l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 et figurant sur une liste établie par arrêté ministériel, pendant une période où étaient fabriqués ou traités l'amiante ou des matériaux contenant de l'amiante ; qu'il n'existe aucune corrélation entre la durée d'exposition et la probabilité de développer une pathologie, en sorte que le préjudice d'anxiété doit être indemnisé de manière forfaitaire et équivalente pour l'ensemble des demandeurs ; que la prescription n'a pas couru tant que son droit ne lui a pas été révélé et que la publication de l'arrêté du 7 juillet 2000 ayant classé le Port de [1] comme 'établissement amiante' a été le premier élément générateur de son anxiété ; que sa créance est née avant l'ouverture des procédures collectives à l'encontre des sociétés SOMOTRANS et U.P.A., qu'elle n'avait pas à figurer sur le relevé des créances en raison de sa nature indemnitaire et que la forclusion prévue par l'article 123 de la loi du 25 janvier 1985 ne peut lui être opposée.

' Aux termes de ses conclusions déposées et soutenues oralement à l'audience, communes à l'ensemble des affaires inscrites au rôle, déclarant représenter la société SOMOTRANS en qualité de liquidateur sociétaire, Monsieur [X] [I] demande à la cour, à titre liminaire, de :

- se déclarer incompétente rationae materiae au profit du Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale des Bouches-du-Rhône ;

- dire bien fondée et justifiée la mise en cause du B.C.M.O. de [1], venant aux droits des B.C.M.O. de [4] et de [3], dès lors que ceux-ci ont exercé les prérogatives d'employeurs à l'égard des dockers pendant la période 1957-1993 visée dans l'arrêté du 7 juillet 2000 ;

- mettre la société SOMOTRANS hors de cause, d'une part en ce qu'elle n'a pas revêtu la qualité d'employeur du demandeur pendant la période d'exposition potentielle à l'amiante, l'employeur étant l'un des deux B.C.M.O., et d'autre part, en raison de sa dissolution du fait du fait de la cession totale de ses actifs, puis de la clôture subséquente de la procédure collective dont elle a fait l'objet.

Il observe à ce sujet que, faute pour la société SOMOTRANS d'avoir été l'employeur du demandeur, celui-ci ne pourrait invoquer à son encontre qu'une créance étrangère au contrat de travail, laquelle aurait dû alors faire l'objet d'une déclaration entre les mains du représentant des créanciers, et que si la cour considère toutefois qu'elle a bien été l'employeur, la demande en réparation devrait être présentée au CGEA-AGS de [Localité 1].

Subsidiairement sur le fond, Monsieur [I] ès qualités demande de confirmer le jugement entrepris, de dire et juger que le demandeur ne démontre pas avoir travaillé régulièrement pour SOMOTRANS, ni que cette société a commis une faute, ni qu'il a subi un préjudice, d'écarter la solidarité de même que la responsabilité in solidum entre les sociétés manutentionnaires, et en conséquence, de débouter l'intéressé de ses prétentions.

.../...

Il fait valoir que l'exposition à l'amiante, lorsqu'elle constitue une maladie professionnelle, est indemnisée par la sécurité sociale, et à défaut par l'ACAATA ; que si le port de [1] a été classé comme 'port amiante', la situation des dockers doit être distinguée de celle des salariés ayant travaillé dans un établissement nommément identifié et inscrit sur une liste établie par arrêté, ce qui n'est pas le cas de la société SOMOTRANS ; que le demandeur ne prouve pas que cette société lui ait demandé de manipuler des produits amiantés, ni même qu'elle ait réalisé la manutention de tels produits, ni en conséquence qu'elle l'ait exposé à l'amiante ; que les attestations versées aux débats, établies longtemps après les faits, par des proches ou par d'autres dockers demandeurs, en termes quasiment identiques, à partir d'un modèle préétabli produit de manière probablement fortuite dans l'un des dossiers, et qui ne mentionnent aucune date de début ni de fin de contrat, ni ne rapportent aucun fait précis, sont dépourvues de force probante ; que la société SOMOTRANS n'était pas tenue de conserver les DADS, qu'elle est dans l'incapacité de produire ces documents, et que les salariés renversent la charge de la preuve en demandant d'ordonner cette production si nécessaire, alors même qu'il leur appartient de produire leurs bulletins de paie afin de prouver une activité régulière pour le compte de cette société ; qu'à supposer même qu'une exposition à l'amiante du fait de la société SOMOTRANS soit démontrée, elle n'aurait pu être en tout état de cause que très marginale et irrégulière et n'aurait pu intervenir qu'en plein air ou dans un espace très aéré, ce qui limiterait ou exclurait le risque de contamination ; que le demandeur ne précise d'ailleurs pas les moyens de protection dont il aurait dû bénéficier ; qu'il ne démontre pas que la société SOMOTRANS ait été consciente du danger, ni qu'elle ait enfreint la réglementation alors applicable ; que le risque a été évoqué pour la première fois lors de la réunion du CHSCT du Port Autonome de [1], tenue le 22 décembre 1999 ; que le préjudice invoqué est donc purement éventuel, que le lien de causalité avec une faute imputable à SOMOTRANS n'est pas établi, et qu'au surplus le demandeur ne justifie d'aucun suivi médical.

A titre infiniment subsidiaire, Monsieur [I] ès qualités demande d'apprécier le préjudice réellement subi par le demandeur et imputable à la société SOMOTRANS, d'écarter la solidarité et la responsabilité in solidum entre les sociétés manutentionnaires, de rejeter toute indemnisation forfaitaire, d'ordonner une expertise et de dire et juger que le CGEA AGS devra garantir toute condamnation susceptible d'être prononcée à l'encontre de la société SOMOTRANS.

Enfin, il demande reconventionnellement de condamner Monsieur [S] à lui payer la somme de 1.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre au paiement des dépens.

' Dans ses conclusions déposées et soutenues oralement à l'audience, communes aux autres affaires inscrites au rôle, au motif que l'anxiété alléguée est une pathologie trouvant son origine dans l'exercice des fonctions de docker, la société U.P.A. soulève in limine litis l'incompétence rationae materiae de la juridiction prud'homale et demande de renvoyer les salariés à mieux se pourvoir devant le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale des Bouches-du-Rhône, en application des articles L. 451-1 et L. 452-1 à L. 452-5 du code de la sécurité sociale et L. 1411-4 al. 2 du code du travail, et au visa de la décision du Conseil Constitutionnel n° 2010-8 QPC du 18 juin 2010, le cas échéant après qu'ils aient sollicité la reconnaissance du caractère professionnel de leur pathologie auprès du service compétent, à savoir la caisse d'assurance maladie.

Subsidiairement sur le fond, la société U.P.A. demande de confirmer le jugement déféré, de débouter les salariés de leurs prétentions et de les condamner à payer la somme de 500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile, aux motifs qu'ils ont eu de multiples employeurs et qu'ils ne justifient pas avoir travaillé pour son compte ou alors à de très rares occasions ; que les attestations produites ont été établies pour les besoins de la cause, par des dockers qui sont eux-mêmes parties au procès, qu'elles relatent des faits anciens de plus de trente ans et sont contredites par les bulletins de paie versés aux débats ; que les demandeurs ne démontrent pas avoir été exposés à l'amiante de son fait, ni qu'elle a commis une faute, ni qu'il existe un lien de causalité entre cette prétendue faute et le préjudice allégué ; qu'elle justifie d'un cas de force majeure exonératoire de responsabilité, en ce qu'elle n'était nullement renseignée sur le risque auquel elle pouvait exposer ses salariés alors qu'elle s'était entourée de l'ensemble des institutions ayant pour mission de l'alerter ; qu'elle avait l'obligation réglementaire de manutentionner les navires, et qu'en tout état de cause, aucune mesure utile ne pouvait être prise en l'état d'un travail en plein air et de l'absence de moyen utile de protection individuelle à l'époque des faits ; qu'en ce qui le concerne plus particulièrement, Monsieur [S] ne justifie pas de l'absence de comportement à risque (tabagisme...), élément pourtant déterminant pour établir un lien entre prétendue anxiété et prétendue faute de l'employeur ; qu'aujourd'hui âgé de 66 ans, il se rapproche de l'espérance de vie moyenne de sa catégorie socioprofessionnelle ; qu'en outre, n'étant pas malade à ce jour, il ne peut pas prétendre à un préjudice d'anxiété d'une telle ampleur, sachant qu'il n'a plus travaillé comme docker depuis 1993 ;

qu'il n'est plus donc exposé à l'amiante depuis 21 ans, qu'aucun signe ne montre que son état de santé se dégrade suite à une prétendue exposition à l'amiante  et que la preuve de la réalité du préjudice, de son étendue et d'un lien de causalité avec la faute alléguée n'est pas rapportée.

A titre infiniment subsidiaire, la société U.P.A. soutient que le préjudice d'anxiété allégué n'est pas indemnisable ni justifié et qu'il n'existe en l'espèce aucune obligation solidaire ou in solidum.

' Le CGEA Délégation Régionale du Sud-Est a fait développer oralement à l'audience des conclusions écrites, communes à l'ensemble des affaires du rôle, aux termes desquelles il demande à la cour, à titre liminaire, de :

- de se déclarer incompétente au profit du Tribunal des Affaires de sécurité sociale, seul compétent pour statuer sur les demandes des salariés bénéficiaires de l'ACAATA, qui tendent à contester le montant de l'allocation ;

- déclarer les demandes des autres salariés irrecevables au motif qu'elles doivent être portées devant le fonds spécifique créé par l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998.

- prononcer sa mise hors de cause concernant la société SOMOTRANS pour laquelle sa garantie ne peut intervenir, dès lors qu'après avoir été placée en redressement judiciaire par jugement du 18 avril 1996 et suite à la cession de ses actifs, cette société a fait l'objet d'un jugement de clôture des opérations de la procédure, prononcé le 21 novembre 2007, suivi d'un procès-verbal de décision de l'actionnaire unique en date du 14 décembre 2007, désignant Me [X] [I] en qualité de 'liquidateur sociétaire' ;

- prononcer sa mise hors de cause concernant la société U.P.A., qui n'a pas employé les dockers demandeurs avant 1993, l'employeur étant alors le B.C.M.O. auquel ils se présentaient quotidiennement pour être affectés sur des missions de manutention portuaire ;

- prononcer sa mise hors de cause en ce qu'aucun élément ne permet d'établir pour quelle(s) société(s) certains demandeurs ont travaillé, ni pendant quelles périodes ;

- prononcer sa mise hors de cause pour toutes les demandes à l'encontre des sociétés INTRAMAR et SOCOMA, qui sont in bonis ;

- déclarer irrecevables les demandes de condamnation solidaire à l'encontre de sociétés dont l'une est en liquidation judiciaire.

Sur le fond, le CGEA demande de débouter le salarié aux motifs qu'il ne rapporte pas la preuve de l'existence d'un préjudice d'anxiété, lequel ne résulte pas du dispositif légal ni d'une simple relation de travail avec les sociétés concernées, mais du fait d'avoir travaillé dans un des établissements mentionnés à l'article 41 de la loi de 1988 et figurant sur une liste établie par arrêté ministériel pendant une période où y étaient fabriqués ou traités l'amiante ou des matériaux contenant de l'amiante, et qu'il ne justifie pas avoir subi des contrôles et examens médicaux réguliers ; que l'obligation de sécurité de résultat n'était pas applicable à l'époque des faits, puisqu'elle découle de dispositions de la loi n° 91-1414 du 31 décembre 1991, aujourd'hui codifiées à l'article L. 4121-1 du code du travail ; que l'adhésion à l'ACAATA n'implique pas la faute de l'employeur ; que le Conseil d'Etat a reconnu la responsabilité de l'Etat pour ses carences dans la prévention des risques liés à l'exposition des travailleurs aux poussières d'amiante ; que le salarié ne démontre pas avoir été personnellement victime d'une violation des dispositions d'hygiène et de sécurité alors en vigueur, ni ne prouve l'existence d'un lien de causalité direct entre une telle faute et le préjudice allégué.

Subsidiairement, le CGEA demande de dire et juger qu'en application de l'article L. 3253-8 du code du travail, la créance ne lui est pas opposable comme étant née postérieurement à l'ouverture de la procédure collective.

À titre encore plus subsidiaire, il demande de réduire le montant des dommages et intérêts à de plus justes proportions et de faire application des dispositions du code du travail concernant la mise en oeuvre et le plafonnement de sa garantie, laquelle ne couvre pas l'astreinte ni les frais irrépétibles.

' Aux termes de leurs écritures plaidées à l'audience, faisant valoir qu'elles n'étaient pas parties en première instance et que le préalable obligatoire de conciliation n'a pas eu lieu, les sociétés INTRAMAR et SOCOMA demandent à la cour :

- in limine litis, de se déclarer incompétente rationae materiae au profit du Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale des Bouches-du-Rhône et de déclarer l'appel irrecevable en application de l'article 547 du code de procédure civile ;

- à titre subsidiaire sur le fond, par des motifs semblables à ceux développés par la société U.P.A., de débouter les demandeurs de l'ensemble de leurs prétentions et de les condamner à payer une indemnité de 500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

' Dans ses conclusions écrites soutenues oralement à l'audience, observant qu'il n'a jamais été l'employeur de Monsieur [S], comme celui-ci l'a d'ailleurs admis, le Grand Port Maritime de [1] demande de lui donner acte en tant que de besoin de ce qu'il accepte sans réserve le désistement du demandeur.

' Par l'intermédiaire de son conseil à la barre, la Caisse de Compensation des Congés Payés du Personnel des Entreprises de Manutention déclare également accepter en tant que de besoin le désistement d'instance et d'action du salarié.

' Aux termes de ses écritures développées à la barre, le Bureau Central de la Main d'Oeuvre demande :

- au principal, de constater qu'il n'a pas la personnalité juridique et ne peut donc faire l'objet d'aucune condamnation, et en conséquence, d'inviter Monsieur [I] ès qualités à mieux se pourvoir ;

- subsidiairement, de constater l'absence de tentative de conciliation obligatoire à son encontre, de dire et juger que l'action de Monsieur [I] ès qualités est irrecevable et en toute hypothèse infondée, puisqu'il n'a jamais eu la qualité d'employeur, et en tout état de cause, de condamner ce dernier à lui payer la somme de 10.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

MOTIFS DE L'ARRÊT

- sur l'exception d'incompétence

Selon l'article L.1411-1 du Code du Travail, le Conseil de Prud'hommes est compétent pour connaître des différends qui peuvent s'élever à l'occasion de tout contrat de travail soumis aux dispositions de ce code entre les employeurs ou leurs représentants, et les salariés qu'ils emploient.

En l'espèce, dès lors que le préjudice spécifique d'anxiété lié à l'exposition à l'amiante ne constitue pas une maladie professionnelle, que la demande en réparation de ce préjudice est fondée sur l'inexécution par l'employeur de son obligation de sécurité de résultat dérivant du contrat de travail, et que ni le droit au bénéfice du dispositif prévu par l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998, ni le montant de l'allocation de cessation anticipée d'activité, dont Monsieur [S] a été attributaire à compter du 1er avril 2002, ne sont contestés, la juridiction prud'homale est compétente et le jugement sera confirmé à ce titre.

- sur le désistement à l'égard du Grand Port Maritime de [1] et de la Caisse de Compensation des Congés Payés du Personnel des Entreprises de Manutention

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a constaté le désistement de Monsieur [S] à l'égard du Grand Port Maritime de [1] et dit ce désistement parfait.

Il sera en outre donné acte à l'intéressé de ce qu'il se désiste en appel de ses demandes à l'encontre de la Caisse de Compensation des Congés Payés du Personnel des Entreprises de Manutention et ce désistement sera également déclaré parfait.

- sur la mise hors de cause des sociétés INTRAMAR et SOCOMA

Les sociétés INTRAMAR et SOCOMA, qui n'étaient pas parties en première instance et ne font l'objet d'aucune demande, seront mises hors de cause.

- sur la recevabilité de l'action contre SOMOTRANS

La personnalité morale de la société subsiste aussi longtemps que les droits et obligations à caractère social ne sont pas liquidés et la société SOMOTRANS est représentée à l'instance par son liquidateur sociétaire.

Dès lors par ailleurs que les ouvriers dockers étaient unis aux entreprises d'acconage (environ 80 sur le port de [1], entre 1957 et 1993, selon l'attestation établie le 15 juin 2010 par le Syndicat des Entrepreneurs de Manutention Portuaire), par un lien de subordination, en sorte que celles-ci étaient donc bien leurs employeurs, à la différence du B.C.M.O., organisme paritaire dépourvu de la personnalité juridique, et que la créance invoquée trouve son origine dans l'exécution d'un contrat de travail dont l'existence résulte des bulletins de paie versés aux débats, le jugement sera confirmé en ce qu'il a reçu l'action de Monsieur [S] contre cette société.

- sur la recevabilité de l'intervention forcée du Bureau Central de la Maison d'Oeuvre

Le B.C.M.O. n'ayant pas la personnalité juridique, son intervention forcée sur assignation délivrée par le liquidateur de la société SOMOTRANS, et la demande formée par cette société en vue de lui voir reconnaître la qualité d'employeur, seront déclarées irrecevables en application de l'article 32 du code de procédure civile.

Le jugement sera ainsi réformé.

- sur le fond

En application des dispositions des articles 1134 et 1147 du code civil et L.4121-1 du code du travail, l'employeur est tenu envers le salarié d'une obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les maladies professionnelles contractées du fait des produits fabriqués ou utilisés par l'entreprise.

Cette obligation ne résulte pas de l'ancien article L. 230-2 du code du travail issu de la loi n° 91-1414 du 31 décembre 1991, mais du contrat de travail.

Au demeurant, l'ancien article 233-1 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à cette loi, disposait déjà que les établissements et locaux industriels devaient être aménagés de manière à garantir la sécurité des travailleurs.

En l'espèce, Monsieur [S] communique essentiellement au soutien de sa demande :

- 2 certificats de travail établis par la Caisse de Compensation des Congés Payés du Personnel des Entreprises de Manutention des Ports de [1], le 15 mars 2004 et 13 juillet 2004, dont il résulte qu'il a été inscrit en qualité d'ouvrier docker professionnel intermittent le 1er mai 1970, radié le 29 avril 1993, et en congé conversion jusqu'au 26 mars 2002 ;

- 13 bulletins de salaire dont il résulte qu'il a travaillé pour la société SOMOTRANS (code 015) : 1 jour en avril 1989, 1 jour en mai 1989, 3 jours en avril 1991, 4 jours en mai 1991, 7 jours en juillet 1991, 1 jour en août 1991 et 4 jours en septembre 1991 ; et pour la société U.P.A. (code 028) : 2 jours en mars 1991, 1 jour en avril 1991 et 1 jour en mai 1991 ;

- les attestations établies par Messieurs [T] [O], le 24 octobre 2008, [R] [D], le 4 novembre 2008, et [A] [P], le 12 novembre 2008, certifiant, brièvement et en termes quasiment identiques, avoir travaillé avec lui comme dockers, dans les entreprises U.P.A., INTRAMAR, SOMOTRANS et EUROMA (1 et 3), U.P.A., SOMOTRANS, INTRAMAR (2), 'dans les années des périodes de 1970 à 1993" (1), pendant 'les années 1978 à 1986" (2), ou 'dans les années 1970 à 1988" (3), sans plus de précision sur leurs périodes d'emploi communes chez SOMOTRANS et U.P.A., et avoir manipulé des sacs d'amiante sans aucune protection (gants, masque, combinaison), ni information sur les dangers encourus, étant observé que la société SOMOTRANS verse aux débats une 'attestation de témoignage' comportant deux modèles préétablis, sur laquelle son nom figure parmi d'autres entreprises de manutention (U.P.A., INTRAMAR, STIM, EUROMA), en indiquant, sans être contredite, que cette pièce (n° 22) a été produite, de manière probablement fortuite, dans le dossier d'un autre demandeur, de sorte que ces témoignages imprécis, dont la crédibilité est ainsi entachée, sont dépourvus de valeur probante ;

- la lettre du Directeur Général du Port de [1] au Ministère de l'Equipement, des Transports et du Logement, datée du 21 décembre 1999, et la fiche annexe relative à l'activité de chargement ou déchargement d'amiante entre 1966 et 1993, mentionnant notamment :

'(...) Entreprises concernées : L'ancienneté des périodes concernées ne permet pas de déterminer les acconiers ayant participé à ces opérations, nombre de professionnels pouvant intervenir sans qu'aucun soit spécialisé dans ce type de trafic. Par ailleurs, le paysage de la manutention a notablement évolué et certaines entreprises ont disparu de notre environnement ou fusionné avec d'autres.

Après consultation des archives du Port, une liste non exhaustive des entreprises ayant pu opérer des trafics d'amiante a été établi : - Société Industrielle de Trafic Maritime (INTRAMAR) - Union Phocéenne d'Acconage (UPA) - Société Moderne de Transbordements (SOMOTRANS) - Société MANUCAR - Etablissements MAIFFREDY - Société CARFOS.

Nombre de dockers concernés encore en activité : Les personnels exécutant les manutentions travaillent aussi bien à bord des navires qu'à l'air libre et les marchandises sont conditionnées sous des formes variables. Vu la multiplicité des chantiers et le caractère intermittent et journalier du personnel affecté, il n'est pas possible d'établir avec certitude quels ouvriers (intermittents, complémentaires, permanents) ont été exposés au produit en cause, avec quelle fréquence et pendant quelle durée (...)', étant observé que les tableaux relatifs aux modes de conditionnent indiquent : 'vrac' en 1973 et 1974, 'autres conditionnements' de 1966 à 1990"et 'conteneurs' à partir de 1991 ;

- les témoignages de Madame [K], assurant avoir été informée, en tant que taxatrice intérimaire employée par la société SOMOTRANS, du 21/01/1980 au 11/03/1981, que cette société 'manipulait de l'amiante en grande quantité', que ce produit était 'bien entendu déchargé par les dockers' et qu'il arrivait 'soit en sac, soit en vrac dans une poussière quasi-permanente', et de Monsieur [G] déclarant, en qualité d'ancien chef d'équipe et contremaître au service des sociétés INTRAMAR et SOMOTRANS, de 1956 à 1988, qu'il inhalait des poussières d'amiante lors des opérations de déchargement d'amiante en vrac ou en sacs (de jute ou en papier), sans protection particulière, comme les dockers qu'il dirigeait (sans citer aucun nom), du fait que ces sacs se déchiraient et que la poussière était ensuite balayée pour être mise en benne.

Si Monsieur [S] prouve par ailleurs que les ouvriers dockers étaient unis aux entreprises d'acconage par un lien de subordination et que celles-ci étaient donc bien leurs employeurs, il n'en demeure pas moins que les témoignages et autres pièces qu'il verse aux débats ne suffisent pas à faire la preuve qu'il a travaillé de manière régulière pour les sociétés SOMOTRANS et/ou U.P.A., ni qu'il a été exposé habituellement à l'amiante du fait de l'une ou l'autre de ces sociétés pendant la période visée dans l'arrêté.

En conséquence et sans qu'il soit nécessaire d'ordonner les productions sollicitées, le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il l'a débouté de sa demande formée à l'encontre desdites sociétés.

- sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens

Les demandes sur ce fondement seront rejetées et Monsieur [S], qui succombe, supportera les entiers dépens.

Ces dispositions du jugement seront également infirmées.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, contradictoirement, en matière prud'homale, par mise à disposition au greffe,

Reçoit l'appel,

Réforme partiellement le jugement déféré,

Statuant de nouveau sur la recevabilité de l'intervention forcée du Bureau Central de la Main d'Oeuvre et y ajoutant,

Donne acte à Monsieur [S] de ce qu'il se désiste en appel de ses demandes à l'encontre de la Caisse de Congés Payés du Personnel des Entreprises de Manutention de [1],

Met hors de cause les sociétés SOCOMA et INTRAMAR,

Déclare l'intervention forcée du B.C.M.O. et la demande formée par la société SOMOTRANS à son encontre irrecevables,

Confirme le jugement pour le surplus,

Rejette les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne Monsieur [S] aux entiers dépens.

LE GREFFIER. LE PRÉSIDENT.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : 18e chambre b
Numéro d'arrêt : 12/12365
Date de la décision : 13/06/2014

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2014-06-13;12.12365 ?
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