COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
14e Chambre
ARRÊT AU FOND
DU 28 MAI 2014
N°2014/470
Rôle N° 12/24106
[G] [L]
C/
LA CARSAT SUD EST
L'URSSAF DES BOUCHES DU RHONE
ARS Provence - Alpes - Côte d'Azur (anciennement DRASS)
Grosse délivrée
le :
à :
Me Jean-louis BOISNEAULT, avocat au barreau de MARSEILLE
M. [F] [X] [J] (Inspecteur du Contentieux) en vertu d'un pouvoir spécial
Copie certifiée conforme délivrée aux parties le :
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de BOUCHES DU RHONE en date du 21 Novembre 2012,enregistré au répertoire général sous le n° 21105971.
APPELANT
Monsieur [G] [L], demeurant [Adresse 1]
représenté par Me Antoine LOUNIS, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
INTIMEES
LA CARSAT SUD EST, demeurant [Adresse 3]
représentée par Me Jean-louis BOISNEAULT, avocat au barreau de MARSEILLE
L'URSSAF DES BOUCHES DU RHONE, demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Jean-louis BOISNEAULT, avocat au barreau de MARSEILLE
PARTIE INTERVENANTE
ARS Provence - Alpes - Côte d'Azur (anciennement DRASS), demeurant [Adresse 4]
non comparant
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 16 Avril 2014, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Bernadette AUGE, Président, chargée d'instruire l'affaire, et Monsieur Jean-Luc CABAUSSEL, Conseiller .
Le Président a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Madame Bernadette AUGE, Président
Madame Florence DELORD, Conseiller
Monsieur Jean-Luc CABAUSSEL, Conseiller
Greffier lors des débats : Monsieur Kamel BENKHIRA.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 28 Mai 2014
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 28 Mai 2014
Signé par Madame Bernadette AUGE, Président et Monsieur Kamel BENKHIRA, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
M.[L] qui avait bénéficié de droits à la retraite pour « longue carrière », dans le cadre de la loi du 21 août 2003 (dite loi Fillon) sur la foi de deux témoignages sur l'honneur relatifs à une activité salariée durant les vacances scolaires d'été de 1965 et 1966 dans un restaurant marseillais qui avait cessé d'exister, s'est vu notifier par l'URSSAF l'annulation de ces rachats et par la CARSAT une demande de remboursement des prestations versées, après une enquête des agents de la CARSAT qui avait mis en doute la valeur des témoignages et avaient conclu à une fraude de M.[L].
Les commissions de recours amiable de la CARSAT et de l'URSSAF l'ont débouté de ses recours par décisions des 3 mars et 29 juillet 2011.
Il a saisi le Tribunal des Affaires de sécurité sociale des Bouches du Rhône d'un recours contre ces décisions.
Par jugement du 21 novembre 2012 le Tribunal des Affaires de sécurité sociale des Bouches du Rhône a joint les deux instances, a dit que c'était à tort que l'URSSAF avait annulé la régularisation de la période du 15 juin au 31 août 1966 a débouté M.[L] de ses demandes et l'a condamné à rembourser à la CARSAT la somme de 37000,01 euros et à payer à chaque défenderesse la somme de 300 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Il a fait appel de ce jugement.
Par ses dernières conclusions développées à l'audience de plaidoirie du 16 avril 2014, M.[L] a demandé à la Cour d'infirmer le jugement en ce qu'il a été condamné à rembourser la somme de 37000,01 euros et la somme de 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, de le confirmer en ce qu'il a dit que c'est à tort que l' URSSAF avait annulé l'opération de régularisation des cotisations pour la période du 15 juin au 31 août 1966, d'annuler les décisions de la CARSAT et de l' URSSAF confirmées par les décisions de leurs commissions de recours amiable des 3 mars et 29 juillet 2011, d'enjoindre à l'URSSAF et à la CARSAT de le rétablir dans ses droits à la retraite « longue carrière » sous astreinte 100 euros par jour de retard à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, et de condamner solidairement les intimées à lui payer la somme de 5000 euros à titre de dommages-intérêts et la somme de 2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par leurs dernières conclusions du 10 avril 2014 développées à l'audience, la CARSAT et l'URSSAF ont demandé à la Cour de confirmer le jugement sauf concernant la période de juin à août 1966, de débouter l'appelant de ses demandes et de le condamner au remboursement de la somme indue de 37000,01 euros outre la somme de 2500 euros à chacune au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
L'ARS régulièrement avisée n'a pas comparu.
MOTIFS DE LA DECISION
I- Sur les demandes d'annulation
L'appelant considère que les décisions de l' URSSAF et de la Caisse sont illégales car elles n'étaient pas motivées, ne respectaient ni le principe du contradictoire ni le principe de l'intangibilité des pensions, Les intimées contestent les arguments de l'appelant.
Concernant le défaut de motivation allégué, la Cour constate que c'est par une lettre de l' URSSAF datée du 19 octobre 2009 que M.[L] a été informé de l' « examen des dossiers de régularisation de cotisations arriérées par rachat et par reconstitution de carrières » de la période 2004 à 2007 et de la vérification des témoignages transmis pour constituer les dossiers.
Il est précisé « Les résultats de nos contrôles complémentaires pourraient nous amener à annuler la régularisation effectuée et à revoir vos droits à la retraite axcquis. ».
Suivait ensuite le rappel des sanctions pénales (article 313-1 du code pénal) et administratives des fausses déclarations (article L 417-17 du code de la sécurité sociale).
Ainsi, lorsque l'enquête de la Caisse a débuté, M.[L] était parfaitement informé du cadre dans lequel l'enquête administrative se déroulait et les éventuelles sanctions encourues.
M.[L] a été entendu par un agent assermenté de la Caisse.
Par lettres du 29 octobre 2010, les deux organismes ont informé M.[L] de leur doute sur la fiabilité des données et pièces versées à l'appui de ses demandes de régularisation et il leur a répondu par lettre du 2 novembre 2010 dont les termes prouvent qu'il avait parfaitement compris le sens puisqu'il évoque même à nouveau le brouillon du texte qu'il avait rédigé à l'intention de ses futurs témoins et qu'il avait malencontreusement laissé dans son dossier transmis à la Caisse à l'époque, ce dont il s'était excusé devant l'enquêteur.
Par lettre recommandée avec avis de réception du 5 novembre 2010, l' URSSAF a notifié à M.[L] l'annulation de la régularisation de cotisations arriérées pour les années 1965 et 1966, après lui avoir rappelé les vérifications complémentaires (« Vous avez été interrogé ainsi que vos témoins d'abord par écrit puis lors d'un entretien avec un agent assermenté. ») et la conclusion qui en avait été tirée (« A l'issue de ces vérifications, il apparaît que la fiabilité des données et des pièces versées à l'appui de votre demande de régularisation doit être remise en cause. »).
Par lettre datée du 10 décembre 2010 la CARSAT a informé M.[L] qu'à la suite des investigations complémentaires menées dans son dossier, elle avait reçu de l' URSSAF une notification d'annulation des périodes rachetées (1965-1966), et lui a notifié la sanction qui en résultait, à savoir l'annulation des trimestres reportés à sa carrière, et la perte qui s'en suivait de ses droits à retraite anticipée pour carrière longue.
M.[L] ne pouvait donc ignorer le lien de causalité entre les décisions prises par l'URSSAF puis par la CARSAT et l'audition de ses témoins, ni valablement soutenir l'absence de motivation de ces décisions.
Par ailleurs, la décision de la commission de recours amiable de l'Urssaf est motivée puisqu'elle indique qu'elle maintient l'annulation du rachat des cotisations car « l'analyse du dossier fait apparaître une incohérence des témoignages et une rétractation du témoin », de même que la décision de la commission de recours amiable de la Caisse qui tire les conséquences de la décision de l'Urssaf et rappelle les dispositions de l'article III du décret du 26 décembre 2000 relatif à la fraude.
La Cour écarte ce moyen.
Concernant le principe du contradictoire, la Cour rappelle que les enquêtes faites par des agents assermentés de la Caisse (dont les procès-verbaux font foi jusqu'à preuve contraire comme le prévoit l'article L 114-10 du code de la sécurité sociale), sont des procédures administratives non contentieuses qui ne sont pas soumises aux principes habituels que doivent respecter les procès contentieux.
Il en va de même devant les commission de recours amiable, la procédure du recours étant gracieuse.
Enfin, les témoins et M.[L] lui-même s'étant présentés librement et ayant été entendus sans contrainte par l'agent enquêteur, l'appelant ne peut reprocher des manquements au respect des droits de la défense.
M.[L] a été entendu dans le cadre d'une enquête portant sur la véracité des témoignages versés à l'appui des demandes de rachats de cotisations et son audition a porté sur les conditions dans lesquelles il avait recueilli ces témoignages puisqu'il a lui-même été amené à s'expliquer sur la présence d'un texte rédigé de sa main à l'intention de ses témoins.
Par la suite, il a reçu copie de son audition (lettre de transmission du 3 décembre 2010).
Il a donc été entendu avant la prise de la décision d'annulation.
La Cour déboute l'appelant de ses demandes d'annulation des décisions de l'URSSAF et de la CARSAT.
II - Sur le principe de l'intangibilité des pensions et la prescription biennale
L'appelant soutient que la Caisse n'était pas recevable à lui réclamer le remboursement de pensions versées selon le principe de l'intangibilité des pensions, au surplus s'agissant de pensions versées depuis plus de deux ans.
Selon le principe de l'intangibilité des pensions, les bases de calcul des pensions liquidées ne peuvent plus être remises en cause après l'expiration des délais de recours contentieux, il n'est pas applicable en cas de fraude, ainsi que le prévoit l'article R 351-10 du code de la sécurité sociale.
La prescription biennale prévue par l'article L 355-3 du code de la sécurité sociale n'est pas applicable à l'action intentée par un organisme payeur en recouvrement de prestations indûment versées en cas de fraude ou de fausse déclaration.
Il convient donc de rechercher si le caractère frauduleux des demandes de rachat de cotisations est établi.
III - Sur le caractère frauduleux du rachat de cotisations
M.[L] avait prétendu avoir travaillé avec les deux témoins dont il fournissait les attestations, Madame [P] et M.[T] entre le 15 juin et le 31 août 1966, puis entre le 15 juin et le 31 août 1966.
Or l'enquête effectuée par la Caisse a permis de constater que :
1) - M.[T] n'a jamais travaillé avec M.[L] dans le restaurant « Le Village ».Il a déclaré avoir effectué une tournée durant un seul été dans la région PACA « dans les années 60 », alors qu'il vivait à [Localité 2] et exerçait la profession de VRP, et il s'est souvenu avoir vu M.[L], le fils d'un ami, travailler au restaurant où il déjeunait, sans toutefois se souvenir de la période exacte.Il a déclaré avoir mentionné la période que lui indiquait M.[L], et n'avoir rédigé qu'une seule attestation (qu'il a datée) et non deux.
2) - Madame [V] (divorcée [P]) était en stage de coiffeuse-coloriste à [Localité 1] à partir de 1965 et elle déjeunait au restaurant « Le Village ».Elle a déclaré avoir connu M.[L] en 1966 uniquement, l'avoir vu travailler entre le 15 juin et le 31 août 1966, et avoir travaillé également avec lui dans le restaurant mais uniquement pendant les week-end du mois d'août 1966. Elle n'a pas su dire s'il travaillait à temps plein ou s'il était déclaré.Elle a contesté avoir rédigé la deuxième attestation qui n'était pas de sa main.
Il résulte de cette enquête que M.[L] a fourni à l'appui de ses deux demandes de rachat de cotisations un témoignage dont il a dicté les termes à une personne qui n'a pas pu confirmer avec certitude la période exacte sur laquelle portait son témoignage (M.[T]) et a rédigé deux fausses attestations (M.[T] et Mme [P]), dont l'une au nom d'un témoin qui avait déjà valablement attesté pour lui mais qui n'a pas pu confirmer un emploi à temps plein (Mme [V]-[P]).
La Cour considère que les attestations ayant servi à constituer les deux dossiers de rachat de cotisations sont douteuses et qu'elles n'ont aucune valeur probatoire quant aux conditions permettant de justifier les demandes ainsi obtenues.
La fraude commise par M.[L] pour obtenir la reconnaissance de droits à une retraite anticipée, à laquelle il ne pouvait pas prétendre, justifie les décisions d'annulation et de restitution des indus, prises respectivement par l'URSSAF et par la CARSAT.
*******
En conséquences de cette fraude, la Cour déclare infondés les moyens tirés du non respect du principe de l'intangibilité des pensions et de la prescription biennale de la demande de remboursement des indus.
La Cour confirme le jugement en ce qu'il a dit que c'était à tort que l'URSSAF avait annulé la régularisation de la période du 15 juin au 31 août 1966 et valide cette annulation.
La Cour le confirme pour le surplus, et fait droit aux demandes des intimées.
PAR CES MOTIFS
La Cour statuant en matière de sécurité sociale,
Infirme le jugement du Tribunal des Affaires de sécurité sociale des Bouches du Rhône
en date du 21 novembre 2012, en ce qu'il a dit que c'était à tort que l'URSSAF avait annulé la régularisation de la période du 15 juin au 31 août 1966,
Le confirme pour le surplus,
Et statuant à nouveau:
Valide l'annulation par l'URSSAF de la régularisation concernant la période du 15 juin au 31 août 1966,
Et y ajoutant:
Condamne M.[L] à payer à chaque intimée, CARSAT et URSSAF, la somme de 2500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRESIDENT