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23/05/2014 | FRANCE | N°13/02907

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 18e chambre b, 23 mai 2014, 13/02907


COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE

18e Chambre B



ARRÊT AU FOND

DU 23 MAI 2014



N° 2014/1142













Rôle N° 13/02907





CGEA [Localité 2]



C/



[V] [O] [L]



SELAFA MJA,

























Grosse délivrée

le :

à :

Me Josette PIQUET, avocat au barreau de TOULON



Me Julie ANDREU, avocat au barreau de MARSEILLE


r>Me Arnaud CLERC, avocat au barreau de PARIS







Copie certifiée conforme délivrée aux parties le :





Décision déférée à la Cour :



Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de TOULON - section I - en date du 31 Juillet 2012, enregistré au répertoire général sous le n° 11/0056.



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COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE

18e Chambre B

ARRÊT AU FOND

DU 23 MAI 2014

N° 2014/1142

Rôle N° 13/02907

CGEA [Localité 2]

C/

[V] [O] [L]

SELAFA MJA,

Grosse délivrée

le :

à :

Me Josette PIQUET, avocat au barreau de TOULON

Me Julie ANDREU, avocat au barreau de MARSEILLE

Me Arnaud CLERC, avocat au barreau de PARIS

Copie certifiée conforme délivrée aux parties le :

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de TOULON - section I - en date du 31 Juillet 2012, enregistré au répertoire général sous le n° 11/0056.

APPELANTE

CGEA [Localité 2],

demeurant [Adresse 2]

représenté par Me Josette PIQUET, avocat au barreau de TOULON

INTIMES

Monsieur [V] [O] [L],

demeurant [Adresse 3]

représenté par Me Julie ANDREU, avocat au barreau de MARSEILLE substitué par Me Capucine DARCQ, avocat au barreau de MARSEILLE

SELAFA MJA, prise en la personne de Me [Z] [I] mandataire liquidateur de la SA CHANTIERS DU NORD ET DE LA MEDITERRANNEE, demeurant [Adresse 1]

représentée par Me Arnaud CLERC, avocat au barreau de PARIS substitué par Me Pierre CAPPE DE BAILLON, avocat au barreau de PARIS

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 28 Février 2014 en audience publique devant la Cour composée de :

Monsieur Guénael LE GALLO, Conseiller faisant fonction de Président

Madame Christine LORENZINI, Conseiller

Madame Françoise GILLY-ESCOFFIER, Conseiller

qui en ont délibéré

Greffier lors des débats : Madame Elise RAYSSEGUIER.

Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 23 Mai 2014.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 23 Mai 2014.

Signé par Monsieur Guénael LE GALLO, Conseiller faisant fonction de Président et Madame Fabienne MICHEL, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Faits et procédure :

Monsieur [V] [L] a été employé en qualité de soudeur neutre par la branche navale de la société CONSTRUCTIONS NAVALES INDUSTRIELLES DE LA MÉDITERRANÉE (CNIM), devenue SA CHANTIERS DU NORD ET DE LA MÉDITERRANÉE ( NORMED), sur le site de [Localité 3] du 2 mai 1967 au 31 août 1988 .

Anciennement dénommée Société de Participations et de Constructions Navales (SPCN), société constituée le 25 octobre 1982 en vue du regroupement des branches navales des trois sociétés suivantes : Chantiers de France Dunkerque (FD), Chantiers Navals de La Ciotat (CNC), Constructions navales industrielles de la Méditerranée (CNIM), la SA CHANTIERS DU NORD ET DE LA MÉDITERRANÉE ( NORMED) a été créée le 24 décembre 1982 .Cette société a été placée en redressement judiciaire par jugement du Tribunal de Commerce de PARIS en date du 30 juin 1986 puis en liquidation judiciaire par jugement du 27 février 1989, désignant successivement Maître GIRARD puis, à compter du 10 juin 2003, la SELAFA MJA, en la personne de Maître [I], en qualité de mandataire liquidateur .

Elle a été inscrite sur la liste des établissements susceptibles d'ouvrir droit au dispositif de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante ( ACAATA) par arrêté du 7 juillet 2000.

Le 21 janvier 2011, Monsieur [L] a saisi le Conseil de Prud'hommes de TOULON pour réclamer la réparation du préjudice d'anxiété subi du fait de son exposition à l'amiante.

Le CGEA - AGS de l'[Localité 2] a été appelé en la cause .

Par jugement en date du 31 juillet 2012 , le Conseil de Prud'hommes de TOULON a :

- fixé la créance du salarié au passif de la liquidation de la SA NORMED à la somme de 10000€ de dommages et intérêts pour préjudice d'anxiété,

- dit le jugement opposable à l'AGS dans les limites de sa garantie légale,

- dit que les dépens seraient fixés au passif de la procédure collective,

- ordonné exécution provisoire de la décision pour 5000€ .

Le CGEA [Localité 2] a relevé appel de cette décision le 12 février 2013, le jugement ayant été notifié par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 4 février 2013 .

Prétentions et moyens des parties :

Aux termes de leurs écritures déposées et soutenues oralement à l'audience, communes aux instances inscrites au rôle, Maître [I] ès qualités et le CGEA demandent à la cour, à titre principal, d'infirmer le jugement entrepris et de :

- se déclarer incompétente au profit du Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de BOULOGNE SUR MER en ce qui concerne les salariés ayant bénéficié de l'ACAATA ;

- déclarer irrecevables les actions des salariés ayant bénéficié de l'ACAATA sur le fondement de l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 ;

- déclarer les actions irrecevables en raison de l'irrévocabilité de l'état des créances établi sous le régime de la loi de 1985, non contesté en temps utile ;

- renvoyer à mieux se pourvoir les requérants dont les contrats de travail ont été rompus avant le 21 décembre 1982 ( date de l'Assemblée Générale de la SPCN approuvant le traité d'apport partiel d'actif du 3 novembre 1982), et qui n'ont donc jamais été salariés de la NORMED ;

- déclarer irrecevables les actions des salariés dont les contrats de travail ont été transférés à la société CNL ou à la société CNIM postérieurement à la NORMED ;

- déclarer prescrites les demandes concernant les contrats de travail rompus depuis plus de trente ans avant la saisine de la juridiction prud'homale.

Ils concluent subsidiairement :

- au débouté des prétentions, aux motifs d'une part, que les demandeurs ne rapportent pas la preuve d'un préjudice d'anxiété personnel, direct, certain et légitime, d'un manquement de l'employeur aux règles alors applicables, et d'un lien de causalité entre la faute et le préjudice, et d'autre part, que l'article 1150 du code civil limite l'indemnisation en matière contractuelle au seul dommage prévisible,

- à l'absence d'opposabilité à l'AGS des créances nées postérieurement à l'ouverture de la procédure collective, à la réduction des dommages et intérêts susceptibles d'être alloués et à l'application des dispositions du code du travail fixant les règles et limites de la garantie légale.

Par conclusions écrites déposées et plaidées à l'audience, communes à l'ensemble des affaires inscrites au rôle, soutenant pour l'essentiel que la NORMED a manqué à son obligation de sécurité de résultat, en omettant d'effectuer des prélèvements atmosphériques, de mettre en place des mesures de protection collective et individuelle efficaces et de l'informer des risques encourus, que le dommage ne lui a été révélé qu'avec la loi du 23 décembre 1998, qu'il est donc fondé, conformément à l'article 1147 du Code civil, à réclamer à la NORMED l'indemnisation de son préjudice d'anxiété qui correspond à l'inquiétude permanente face de la forte probabilité de développer à tout moment une maladie grave, incluant le bouleversement dans ses conditions d'existence qui en découle nécessairement, que l'AGS doit garantir sa créance, née antérieurement à l'ouverture de la procédure collective, puisque que son fait générateur réside dans la faute de l'employeur au cours de l'exécution du contrat de travail, Monsieur [L] demande à la Cour de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a reconnu l'existence de son préjudice d'anxiété, mais de réévaluer sa créance à la somme de 30.000€ à titre de dommages et intérêts, comprenant à la fois l'inquiétude permanente et le bouleversement dans ses conditions d'existence, de déclarer l'arrêt opposable au CGEA et de condamner ce dernier, partie appelante, au paiement de la somme de 2000€ au titre des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile .

Pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, il convient de se référer à leurs écritures oralement soutenues à l'audience.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur l'exception d'incompétence :

Aux termes de l'article L.1411-1 du Code du Travail, le Conseil de Prud'hommes est compétent pour connaître des différends qui peuvent s'élever à l'occasion de tout contrat de travail soumis aux dispositions de ce code entre les employeurs, ou leurs représentants, et les salariés qu'ils emploient .

En l'espèce, que Monsieur [L] ait ou non bénéficié du dispositif prévu par l'article 41 de la loi n°98-1194 du 23 décembre 1998, ce qui ne résulte pas du dossier, dès lors que sa demande en réparation d'un préjudice d'anxiété lié à son exposition à l'amiante est fondée sur l'inexécution par l'employeur de son obligation de sécurité de résultat dérivant du contrat de travail et que ni son droit au bénéfice du dispositif susvisé, ni le montant de l'allocation de cessation anticipée d'activité, ne sont contestés, le jugement sera confirmé sur la compétence de la juridiction prud'homale .

Sur les fins de non recevoir :

Sur l'irrecevabilité tirée de l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 :

L'article 41 de la loi n° 98 - 1194 du 23 décembre 1998 créant un dispositif spécifique destiné à compenser la perte d'espérance de vie que peuvent connaître des salariés en raison de leur exposition à l'amiante, prévoit le versement aux salariés ou anciens salariés d'une allocation de cessation anticipée d'activité (ACAATA) sous réserve qu'ils cessent toute activité professionnelle, lorsqu'ils remplissent certaines conditions .

Il résulte de ces dispositions que le salarié qui a demandé le bénéfice de cette allocation n'est pas fondé à obtenir de l'employeur fautif, sur le fondement des règles de la responsabilité civile, réparation d'une perte de revenus résultant de la mise en oeuvre du dispositif légal .

Monsieur [L], dont il n'est pas établi par les pièces figurant au dossier de la Cour qu'il ait été bénéficiaire de ce dispositif, est toutefois recevable à réclamer réparation d'un préjudice spécifique d'anxiété, lequel n'est pas de nature économique mais résulte d'un état d'inquiétude permanente face au risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'amiante et n'est donc pas indemnisé au titre de l'ACAATA .

La décision sera confirmée en ce sens .

Sur l'irrecevabilité tirée du caractère irrévocable de l'état des créances :

Il résulte de l'article L.625-125 al.2 ancien du Code de Commerce que le salarié dont la créance ne figure pas en tout ou partie sur le relevé établi par le représentant des créanciers peut saisir à peine de forclusion le Conseil de Prud'hommes dans un délai de deux mois à compter de l'accomplissement de la mesure de publicité prévue à l'alinéa précédent .

Toutefois, l'action du salarié, qui saisit la juridiction prud'homale d'une demande en réparation d'un préjudice d'anxiété résultant de son exposition au risque de l'amiante créé par son affectation dans un établissement figurant sur une liste établie par arrêté pris en exécution de l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 et révélé postérieurement à l'établissement du relevé des créances salariales, est distincte de celle ouverte par ces dispositions, de sorte que le caractère irrévocable de l'état des créances ne peut lui être opposé.

Cette fin de non recevoir, nouvelle en cause d'appel, sera rejetée.

Sur la prescription :

En application des dispositions de l'article 2262 du code civil, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, et 2224 du même code, la prescription d'une action ne court qu'à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'établir .

En l'espèce, quelle que soit la date de rupture de son contrat de travail, faute d'un quelconque élément permettant de considérer qu'il a été informé des risques auxquels son travail pouvait l'exposer, le salarié est fondé à soutenir que le fait générateur de son préjudice, à supposer celui-ci établi, ne lui a été révélé qu'à compter de la loi du 23 décembre 1998 et de la publication de l'arrêté du 7 juillet 2000 pris en application de l'article 41 de cette loi, classant les CONSTRUCTIONS NAVALES INDUSTRIELLES DE LA MÉDITERRANÉE (CNIM) et la NORMED parmi les établissements ouvrant droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité.

Dès lors qu'elle a été introduite avant le 18 juin 2013, soit dans le délai de cinq ans suivant la date de publication de la loi du 17 juin 2008 relative à la prescription, l'action n'est pas prescrite et le jugement sera confirmé de ce chef.

Sur le fond :

Sur le préjudice d'anxiété :

En application des dispositions des articles 1134 et 1147 du code civil et L.4121-1 du Code du Travail, l'employeur est tenu envers le salarié d'une obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les maladies professionnelles contractées par le salarié du fait des produits fabriqués ou utilisés par l'entreprise .

Contrairement à l'argumentation soutenue par le liquidateur et l'AGS, cette obligation ne résulte pas de l'ancien article L.230-2 du code du travail issu de la loi n° 91-1414 du 31 décembre 1991, mais du contrat de travail et le dommage allégué n'était pas imprévisible lors de la conclusion de ce contrat.

Du reste, l'ancien article 233-1 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à cette loi, disposait déjà que les établissements et locaux industriels devaient être aménagés de manière à garantir la sécurité des travailleurs.

Au surplus, bien avant le décret du 17 août 1977 relatif aux mesures particulières d'hygiène applicables dans les établissements où le personnel est exposé à l'action des poussières d'amiante, la loi du 12 juin 1893 concernant l'hygiène et la sécurité des travailleurs dans les établissements industriels avait fait obligation à ces établissements de présenter les conditions d'hygiène et de salubrité nécessaires à la santé du personnel, et le décret d'application du 11 mars 1894 imposait notamment que 'les locaux soient largement aérés... évacués au dessus de l'atelier au fur et à mesure de leur production avec une ventilation aspirante énergique... et que l'air des ateliers soit renouvelé de façon à rester dans l'état de pureté nécessaire à la santé des ouvriers.'.

En l'espèce, il résulte des pièces produites que Monsieur [L] a travaillé sur le site de la NORMED à [Localité 3] du 2 mai 1967 au 31 août 1988 au poste de soudeur neutre .

Les sociétés FORGES ET CHANTIERS DE LA MÉDITERRANÉE (FCM) / CONSTRUCTIONS NAVALES INDUSTRIELLES (CNIM) / CHANTIERS DU NORD ET DE LA MÉDITERRANÉE (NORMED) ont été classées parmi les établissements susceptibles d'ouvrir droit à la cessation anticipée d'activité des salariés de l'amiante, établissements mentionnés à l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998, figurant sur la liste établie par l'arrêté du 7 juillet 2000 .

Le poste occupé par Monsieur [L] est l'un de ceux visés à l'arrêté.

Pour confirmer son exposition au risque, le salarié, qui soutient que, postérieurement à 1977 et jusqu'à la liquidation judiciaire, le chantier naval a poursuivi son activité de construction et de réparation navale, secteur utilisant massivement de l'amiante, notamment en raison de son fort pouvoir isolant, produit plus particulièrement aux débats :

-- diverses attestations de salariés précisant qu'ils ignoraient le caractère dangereux de l'amiante, faute d'information, alors qu'ils travaillaient en permanence dans les poussières d'amiante,

- un compte rendu du CHSCT du 31 janvier 1973 dont il ressort que les soudeurs utilisaient de la toile d'amiante,

- un courrier du 9 octobre 1981 de la section syndicale CGT menuiserie Bord et Ateliers des CNIM et adressé au directeur de la société sur la persistance de présence d'amiante dans les panneaux utilisés dans la construction du paquebot 1432 ainsi que l'absence de mise en pratique des dispositions du décret loi de 1977,

- un extrait d'un document non daté sur l'utilisation à bord des navires marchands de câbles contenant de l'amiante imprégnée de silicone,

- diverses photographies sur la présence d'amiante à bord ainsi que sur le masque de soudeur de Monsieur [F],

- une note de service du 27 mars 1981 quant aux bénéficiaires des 'bons de douche', au nombre desquels les personnels travaillant sur de l'amiante, complétée par une note du 29 septembre 1983 rappelant l'application de cette note de 1981 .

En conséquence, le salarié démontre qu'il a été exposé au risque de développer une pathologie liée à l'amiante et qu'il se trouve - de par le fait de l'employeur - dans un état d'inquiétude permanente face au risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'amiante, qu'il se soumette ou non à des contrôles et examens médicaux réguliers.

Pour s'exonérer de sa responsabilité, et soutenant que toutes les mesures de protection nécessaires ont été prises, que l'amiante n'était plus utilisée sur le site de [Localité 3] depuis 1977 et se prévalant de l'absence d'alerte de la part des diverses administrations ou organismes extérieurs à l'entreprise ainsi que des instances représentatives du personnel, du fait qu'aucun Procès-verbal n'a été dressé par l'inspection du travail ni par la CRAM ou la médecine du travail et que la loi du 12 juin 1893 ne fait pas reposer sur l'employeur une règle quelconque dont l'irrespect entraînerait une faute, d'autant que l'Etat a fait preuve de carence dans la prévention des risques liés à l'exposition aux poussières d'amiante, ce pour quoi il a été condamné en 2004 par le Conseil d'Etat, le liquidateur et l'AGS invoquent :

- l'autorité de la chose jugé d'un arrêt du 15 novembre 2005 de la Chambre Criminelle de la Cour de Cassation faisant état, selon eux, du respect des règles de sécurité sur le site de [Localité 1] de la NORMED, laquelle appliquerait les mêmes règles sur l'ensemble de ses sites ; cependant, cet arrêt ne concerne pas la NORMED, mais une autre société, SOLLAC DUNKERQUE, en sorte que l'autorité de la chose jugé ne peut être retenue, étant observé que cet arrêt rapporte les déclarations du médecin salarié des Chantier de France Dunkerque selon lesquelles, entre 1977 et 1984, la direction était tout à fait disposée à faire le maximum en matière de sécurité et utilisait les dernières innovations permettant de limiter les dangers de l'amiante ; en outre, dans son communiqué relatif à cet arrêt, la cour de Cassation indique que : la Chambre criminelle n'a porté aucune appréciation sur la valeur des charges réunies contre les mis en examen, son contrôle, dans la présente affaire, se limitant à rechercher si les parties civiles se trouvaient dans l'un des cas énumérées à l'article 575 du Code de procédure pénale permettant aux parties civiles de se pourvoir seules contre un arrêt de la chambre de l'instruction, en l'absence de recours du ministère public,- des extraits de bilans des chantiers navals de [Localité 3] de 1980, 1981 et 1982, mentionnant tant les investissement de l'employeur dans différents équipements destinés à l'élimination et à l'évacuation de poussières diverses, que les investissements immobiliers réalisés afin d'améliorer les conditions de travail, l'hygiène et la sécurité, en particulier dans le domaine de la ventilation des locaux ;

- le fait qu'au cours des réunions des comités d'hygiène et de sécurité, aucun membre ne mentionne une absence de ventilation ou de prélèvements atmosphériques, bien que parfaitement informé de la législation de 1977, ce dont il n'est pas non plus rapporté la preuve,

- un document de lecture de la CGT de septembre 1982, destiné à l'ensemble de ses adhérents permettant selon l'employeur et l'AGS de retenir que les membres du personnel au CHSCT et à la Commission des conditions de travail étaient avertis et formés et qu'aucune difficulté n'a jamais été évoquée du fait des poussières d'amiante, ce qui laisserait présumer du caractère efficace des protections mises en oeuvre par l'employeur; cependant ce document formule plusieurs recommandations en matière de conditions de travail et invite ses adhérents à veiller notamment à l'hygiène atmosphérique (toxicité des produits, nature des poussières, situations de confinement...) ;

- un document manuscrit sous forme de 'question-réponse ' du CHS en date du 23 février 1982, dans lequel les représentants du personnel indiquent que l'aspiration ( soudeurs) marche en permanence, ce qui démontrerait - selon l'employeur et l'AGS - que la NORMED avait acquis du matériel d'aspiration et de ventilation et en avait assuré l'effectivité et le bon fonctionnement constant, en outre, la lecture de ces deux documents ne permet pas de savoir quel établissement de la NORMED est concerné,

- un compte-rendu d'analyses établi par la CRAM du Sud-Est le 28 juillet 1981, indiquant que la navinite utilisé sur les chantiers de la CNIM à [Localité 3] contenait un taux d'amiante inférieur à 2% et préconisant les mesures de prévention à respecter (aspiration des poussières, protection des voies respiratoires des salariés par la fourniture de masques) ;

- la lettre adressée par le directeur du personnel de la CNIM à la commission d'amélioration des conditions de travail dépendant du comité d'entreprise, datée du 22 octobre 1981, dans lequel il est indiqué que 'ce résultat ne signifie pas que de l'amiante entre dans la composition de la navinite', mais 'seulement que le dosage précis n'a pas été effectué', 'qu'en tout état de cause, la présence éventuelle d'amiante est inférieure à la proportion limite au-delà de laquelle des conditions particulières d'utilisation sont imposées', qu'une nouvelle analyse effectuée par un autre laboratoire a révélé que les panneaux utilisés ne contenaient pas d'amiante, mais de la silice cristalline nécessitant le port de masques anti-poussières et rappelant sa décision de ne plus utiliser d'amiante ainsi que le port obligatoire du masque anti-poussières,

- un courrier de la CPAM du Var, daté du17 janvier 1985, indiquant que les mesures de prévention ne s'imposaient plus puisque l'amiante n'était plus utilisée sur ce site, mais que les salariés qui avaient été antérieurement exposés au risque et qui étaient encore présents dans l'entreprise pouvaient bénéficier d'une surveillance complémentaire par le Médecin du Travail;

- le fait qu'en mars 1977, le service en charge des travaux de calorifugeage précise que celui des tuyaux vapeur ne ' se fait plus par de l'isolamiante depuis le ( navire) 1414 mais avec du silicate de calcium, et que le 11 octobre 1978, le Procès-verbal du CHS mentionne que le bureau d'étude doit se prononcer pour le remplacement de l'amiante ' au niveau de l'isolation des colliers de fixation des tuyaux,

- des extraits des procès-verbaux des réunions du C.H.S. de la CNIM établissement de La Seyne-sur-Mer, tenues le 30 mars 1977 et le 11 octobre 1978, évoquant la possibilité de remplacer l'amiante par d'autres produits et les études réalisées à cette fin, étant précisé que, lors de la première réunion, le Dr [S], qui avait préconisé de mouiller la toile d'amiante avant de la découper dans le but d'éviter la projection de fibres d'amiante, en sus du port du masque, s'est entendu répondre : 'les gens emploient la laine d'amiante, ils ne peuvent donc pas la mouiller';

- le rapport 1977 de ce C.H.S., daté du 29 mars 1978, énumérant les diverses actions entreprises en matière de protection individuelle et collective (port de masques filtrants, amélioration de la ventilation et de l'aspiration des poussières...), et mentionnant au titre des risques de maladies professionnelles : 'usinage en atelier et découpage à bord de panneaux incombustibles à base d'amiante (marinite). Les personnes effectuant de tels travaux sont placées sous la surveillance du Médecin d'Usine, qui pratique les examens prescrits par le Décret du 13 juin 1969" ;

- le rapport 1978 indiquant que l'activité du C.H.S au cours de l'année avait porté notamment sur la ventilation et l'aspiration des poussières et fumées, que de nombreux équipements de protection individuelle avaient été distribués et que des actions collectives de prévention avaient été entreprises, mais ne comportant aucune précision en matière de protection spécifique contre l'amiante et ne faisant aucunement référence au risque d'inhalation de poussières ou de fibres d'amiante mais uniquement de poussières de fer ou de bois,

- un extrait d'un document de travail d'avril 2005, intitulé : 'les entrepreneurs héroïques de l'économie dunkerquoise', rédigé par Madame [P], concernant les entreprises de [Localité 1], n'apportant aucun élément utile à la présente instance, s'agissant de considérations générales et historiques .

Les éléments produits par l'employeur ne démontrent pas qu'il a pris toutes les mesures nécessaires sur le site de [Localité 3] pendant l'ensemble de la période contractuelle, notamment celles prévues par le décret du 17 août 1977 ( prélèvements atmosphériques périodiques, port des équipements individuels de protection, vérification des installations et des appareils de protection collective, information individuelle du salarié, absence de contre-indication et surveillance médicale) ni ne révèlent l'existence d'une cause étrangère non imputable à l'employeur et ne sont pas de nature à l'exonérer de sa responsabilité.

Le salarié est donc fondé à réclamer l'indemnisation de son préjudice d'anxiété, lequel est par nature unique et indivisible .

S'agissant de l'étendue de la période couverte, il convient de se reporter aux dispositions du traité d'apport partiel d'actif conclu le 3 novembre 1982 entre la société CNIM et la société SPCN (devenue la NORMED) en son article 11, lequel prévoit que la SPCN reprendra d'une manière générale et sans recours contre la société apporteuse, les obligations contractées par cette dernière ou acceptées par elle, en application des contrats de travail ou de conventions collectives, dans les conditions prévues aux articles L 122-12 et L.132-7 du Code du Travail, et concernant le personnel employé dans l'activité apportée (...), la NORMED est tenue d'indemniser l'ensemble de la période travaillée, le contrat de travail de Monsieur [L] lui ayant été transféré à la date de prise d'effet du dit traité

Compte tenu des circonstances de l'espèce, ( fonctions occupées, durée d'exposition au risque, attestations de son fils et d'une amie), le jugement sera confirmé tant sur le principe de la créance du salarié au titre du préjudice d'anxiété que sur son montant lequel a été exactement évalué .

Sur la garantie de l'AGS :

En application des dispositions des articles L.3253-6 et L. 3253-8 du Code du Travail, l'AGS couvre les sommes dues aux salariés à la date du jugement d'ouverture de toute procédure de redressement ou de liquidation judiciaire .

Le droit pour la victime d'obtenir réparation du préjudice subi existe dès que le dommage est causé . En conséquence, même révélée postérieurement, dès lors qu'elle a pour origine un manquement de l'employeur à ses obligations contractuelles et qu'ainsi, son fait générateur est antérieur à la procédure collective, la créance du salarié au titre de la réparation de son préjudice d'anxiété est garantie par l'AGS, quelle que soit la date de rupture du contrat de travail, l'obligation d'indemnisation étant incluse dans le passif de la société.

Le jugement sera confirmé .

Sur l'article 700 du Code de Procédure Civile et les dépens :

La demande au titre des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile dirigée par le salarié contre le CGEA sera rejetée .

Comme ceux de première instance, les dépens d'appel seront inscrits en frais privilégiés de liquidation judiciaire .

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, en matière prud'homale, par arrêt contradictoire, par mise à disposition au Greffe le vingt-trois mai deux mille quatorze,

REÇOIT les appels,

REJETTE la fin de non recevoir nouvelle en appel et DÉCLARE l'action recevable,

CONFIRME le jugement entrepris,

y ajoutant,

REJETTE la demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,

DIT que les dépens de l'instance seront inscrits en frais privilégiés de la procédure collective.

LE GREFFIER.LE PRÉSIDENT.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : 18e chambre b
Numéro d'arrêt : 13/02907
Date de la décision : 23/05/2014

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2014-05-23;13.02907 ?
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