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06/05/2014 | FRANCE | N°12/10692

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 14e chambre, 06 mai 2014, 12/10692


COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE

14e Chambre



ARRÊT AU FOND

DU 06 MAI 2014



N°2014/400



Rôle N° 12/10692







Société ARKEMA FRANCE





C/



[J] [N]

FIVA Fonds d'Indemnisation des Victimes de l'Amiante

CPAM DES ALPES DE HAUTE PROVENCE



MNC - MISSION NATIONALE DE CONTROLE ET D'AUDIT DES ORGANISMES DE SECURITE SOCIALE







Grosse délivrée le :

à :





Me Alain RIBET de la SCP AGUERA ET ASSOCIES,

avocat au barreau de LYON



Me Julie ANDREU, avocat au barreau de MARSEILLE



Me Anne CHIARELLA, avocat au barreau d'ALPES DE HAUTE PROVENCE







Copie certifiée conforme délivrée aux parties le  :





Décision déférée à la...

COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE

14e Chambre

ARRÊT AU FOND

DU 06 MAI 2014

N°2014/400

Rôle N° 12/10692

Société ARKEMA FRANCE

C/

[J] [N]

FIVA Fonds d'Indemnisation des Victimes de l'Amiante

CPAM DES ALPES DE HAUTE PROVENCE

MNC - MISSION NATIONALE DE CONTROLE ET D'AUDIT DES ORGANISMES DE SECURITE SOCIALE

Grosse délivrée le :

à :

Me Alain RIBET de la SCP AGUERA ET ASSOCIES, avocat au barreau de LYON

Me Julie ANDREU, avocat au barreau de MARSEILLE

Me Anne CHIARELLA, avocat au barreau d'ALPES DE HAUTE PROVENCE

Copie certifiée conforme délivrée aux parties le  :

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale d'ALPES DE HAUTE PROVENCE en date du 22 Mai 2012,enregistré au répertoire général sous le n° 20900188.

APPELANTE

Société ARKEMA FRANCE, prise en son établissement de [Adresse 4], prise en la personne de son représentant légal en exercice, demeurant [Adresse 2]

représentée par Me Alain RIBET de la SCP AGUERA ET ASSOCIES, avocat au barreau de LYON,

INTIMES

Monsieur [J] [N], demeurant [Adresse 5]

représenté par Me Julie ANDREU, avocat au barreau de MARSEILLE

FIVA Fonds d'Indemnisation des Victimes de l'Amiante, demeurant [Adresse 6]

non comparant

CPAM DES ALPES DE HAUTE PROVENCE, demeurant [Adresse 1]

représenté par Me Anne CHIARELLA, avocat au barreau d'ALPES DE HAUTE PROVENCE

PARTIE(S) INTERVENANTE(S)

MNC - MISSION NATIONALE DE CONTROLE ET D'AUDIT DES ORGANISMES DE SECURITE SOCIALE, demeurant [Adresse 3]

non comparant

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 18 Mars 2014, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Bernadette AUGE, Présidente, et Madame Florence DELORD, Conseiller, chargés d'instruire l'affaire.

La Présidente a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame Bernadette AUGE, Présidente

Madame Florence DELORD, Conseiller

Monsieur Jean-Luc CABAUSSEL, Conseiller

Greffier lors des débats : Françoise PARADIS-DEISS.

Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 25 Mars 2014

ARRÊT

Réputé contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 25 Mars 2014

Signé par Madame Bernadette AUGE, Présidente et Monsieur Kamel BENKHIRA, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCÉDURE - PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Monsieur [J] [N] a travaillé au service de la société ELF ATOCHEM devenue ATOFINA puis ARKEMA du 15 octobre 1955 au 30 avril 1992, comme ouvrier de fabrication puis aide chimiste laboratoire, aide chimiste et enfin contrôleur laboratoire.

Il a fait une déclaration de maladie professionnelle sur la base d'un certificat médical initial du 2 juin 2008 constatant des plaques pleurales fibro-hyalines très importantes.

La Caisse Primaire d'Assurance Maladie des Bouches du Rhône a reconnu le caractère professionnel de la maladie le 10 octobre 2008 et lui a attribué une rente d'incapacité de 40%.

Monsieur [N] a demandé à la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de mettre en oeuvre la procédure de conciliation par courrier reçu le 31 décembre 2008 puis, en l'absence de conciliation il a saisi le 8 juin 2009 le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale des Alpes de Haute Provence afin de faire reconnaître la faute inexcusable de la société ARKEMA.

Par jugement en date du 22 mai 2012 le Tribunal a :

- déclaré recevable et non prescrite l'action de Monsieur [N],

- dDit que la maladie professionnelle dont est atteint Monsieur [N] [J] est la conséquence d'une faute inexcusable de son employeur la Société ARKEMA,

- ordonné la majoration de la rente attribuée à Monsieur [N] [J] à son taux maximum, celle-ci devra suivre l'évolution de son taux d'IPP,

- dit que la majoration maximum de la rente suivra en conséquence le taux d'IPP en cas d'aggravation de l'état de santé de la victime,

- fixé comme suit l'indemnisation des préjudices personnels de Monsieur [N] :

* préjudice de souffrance : 30.000 euros

* préjudice moral : 45.000 euros

* préjudice d'agrément : 30.000 euros,

- dit que la Caisse Primaire d'Assurance Maladie des Alpes de Haute Provence fera l'avance de ces sommes,

- déclaré la décision de prise en charge de la pathologie de Monsieur [N] au titre de la législation professionnelle opposable à la société ARKEMA,

- constaté que les conséquences financières afférentes à la maladie de Monsieur [N] ont été inscrites au compte spécial par décision de la CRAM du Sud-Est reçue par la société ARKEMA le 19 janvier 2009,

- dit que la Caisse Primaire d'Assurance Maladie des Alpes de Haute Provence conserve l'action récursoire prévue par les articles L.452-1 et suivant du Code de la Sécurité Sociale,

- condamné la société ARKEMA à rembourser à la Caisse Primaire d'Assurance Maladie des Alpes de Haute Provence les indemnités allouées à Monsieur [N],

- condamné la société ARKEMA à payer à Monsieur [N] la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile,

- ordonné l'exécution provisoire du jugement.

La société ARKEMA FRANCE a relevé appel de cette décision dont elle demande la réformation le 12 juin 2012.

Par des moyens qui seront examinés dans le corps du présent arrêt, elle expose que la réglementation relative à l'amiante a évolué et que c'est seulement en 1996 que l'amiante a été interdite ; qu'il appartient au salarié de rapporter la preuve de l'exposition au risque lorsqu'il était son employé ; qu'elle ne pouvait avoir conscience du risque alors que la Médecine du Travail et les services de l'Etat n'ont jamais attiré son attention et qu'enfin, les attestations produites par Monsieur [N] sont insuffisantes pour établir la faute inexcusable.

Elle fait valoir que l'inscription au compte spécial implique une mutualisation des dépenses afférentes à la maladie professionnelle de sorte que les conséquences financières de la faute inexcusable seront supportées par ce compte.

A titre subsidiaire, elle soutient l'inopposabilité de la décision de prise en charge de la pathologie au titre de la législation professionnelle en raison de la prescription de la demande de prise en charge de la maladie au titre de la législation professionnelle qui aurait dû avoir pour conséquence le refus de prise en charge. Elle fait valoir ensuite que l'absence d'examen tomodensitométrique doit avoir pour conséquence l'inopposabilité à l'employeur de la prise en charge de la pathologie.

Sur les indemnisations, elle fait valoir que Monsieur [N] ne justifie pas que les souffrances physiques et morales qu'il invoque ne sont pas déjà réparées par le rente qu'il perçoit, qu'en ce qui concerne le préjudice d'agrément, il n'est pas justifié et qu'en conséquence l'intimé doit être débouté de toutes ses demandes.

Monsieur [N] expose sur la reconnaissance de la faute inexcusable que son activité au sein de l'entreprise ARKEMA FRANCE du 15 octobre 1955 au 30 avril 1992 l'a amené de façon habituelle à travailler dans un environnement chargé d'amiante.

Il prétend que le type d'activité de la société ARKEMA FRANCE et la taille de l'entreprise ne pouvaient la laisser ignorer les risques découlant de l'utilisation massive de l'amiante pour le calorifugeage et les vêtements de protection.

Il fait en outre observer que la société n'a pris aucune mesure suffisante pour préserver la santé de ses salariés.

Il demande la confirmation de la décision dans toutes ses dispositions. Il réclame également la condamnation de la société ARKEMA FRANCE à payer la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

La Caisse Primaire d'Assurance Maladie des Alpes de Haute Provence s'en rapporte sur l'existence de la faute inexcusable et demande la confirmation du jugement pour le surplus. Elle précise que la majoration de rente doit être récupérée auprès de l'employeur de même que toutes les sommes qu'elle aura été amenée à verser à la victime.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et des moyens des parties, il y a lieu de se référer aux écritures de celles-ci reprises oralement à l'audience.

La MNC, régulièrement avisée ne comparaît pas.

Le Fonds d'Indemnisation des Victimes de l'Amiante régulièrement convoqué ne comparaît pas.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Attendu que les éléments constants relatifs aux faits en cause sont les suivants :

- [J] [N] né le [Date naissance 1] 1932 a été employé par la société ARKEMA FRANCE du 15 octobre 1955 au 30 avril 1992 en qualité d'ouvrier de fabrication puis d'aide chimiste laboratoire, d'aide chimiste et enfin de contrôleur laboratoire,

- l'activité de la société ARKEMA FRANCE relève de la nomenclature des industries chimiques,

- le 16 juin 2008, à l'âge de 76 ans, [J] [N] a fait une déclaration de maladie professionnelle en visant la pathologie inscrite au tableau n° 30 caractérisée par des plaques pleurales mises en évidence par une première constatation médicale en date du 2 juin 2008,

- la maladie a été reconnue et prise en charge à titre professionnel le 10 octobre 2008, le taux d'IPP a été fixé à 40% ;

Attendu que la société appelante qui ne conteste pas le caractère professionnel de la pathologie de Monsieur [N] mais l'opposabilité de la reconnaissance par la caisse de ce caractère professionnel invoque à titre principal l'absence de faute inexcusable à l'origine de la maladie du salarié ;

Sur la faute inexcusable

Attendu que l'employeur est tenu en vertu du contrat de travail le liant à son salarié d'une obligation de sécurité de résultat en ce qui concerne la santé et la sécurité de ses salariés du fait des produits fabriqués ou utilisés par l'entreprise ou de l'activité de celle-ci ;

Que le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver ;

Qu'il importe de rappeler que pour faire retenir la faute inexcusable de l'employeur, le salarié doit nécessairement établir de manière circonstanciée d'une part l'imputabilité de la maladie à son activité au sein de l'entreprise et donc qualifier l'exposition au risque et d'autre part la réalité de la conscience du danger auquel l'employeur exposait ses salariés ;

Attendu que le premier juge a parfaitement analysé les éléments produits concernant l'exposition au risque amiante, l'absence de protections suffisantes et la conscience du danger qu'aurait dû avoir l'employeur afin de retenir la faute inexcusable de ce dernier ;

Attendu qu'en effet, les trois attestations de salariés ayant travaillé avec Monsieur [N] à l'usine de Saint Auban démontrent la manipulation de l'amiante ; que Monsieur [L] qui a travaillé avec l'intimé de 1955 à 1958 a indiqué ' nombre d'appareils et tuyauteries avaient besoin d'être calorifugés par nos soins avec des matériaux amiantés' ; que Monsieur [S] qui a travaillé avec Monsieur [N] dans l'atelier des produits chlorés organiques indique que l'intimé était 'amené à monter et démonter régulièrement des colonnes à distiller, des ballons de chauffe ; tout le matériel utilisé était systématiquement habillé d'amiante et de ce fait, il calorifugeait et décalorifugeait en permanence lors des essais qu'il effectuait. Bandelettes fines, plus larges, plaques amiante, étuves en amiante, on baignait en permanence dans l'amiante' ; que le contenu de cette attestation est confirmé par celle délivrée par Monsieur [K] qui concerne la période où Monsieur [N] était agent contrôleur de laboratoire ;

Attendu que le représentant de l'employeur au cours de l'enquête diligentée par la Caisse a mentionné l'amiante au nombre des produits utilisés et a indiqué : 'au cours de son activité professionnelle exposition potentielle mais non avérée au risque amiante de 1955 à 1982' puis a précisé ' Arkema a utilisé comme moyens de protection ( isolants thermiques) des produits pouvant contenir de l'amiante' ;

Attendu que le chef d'établissement de l'usine de [Localité 1] a délivré à Monsieur [N] une attestation d'exposition à l'amiante au sein de cette unité ; que l'appelante indique dans ses écritures prises devant la Cour qu'elle 'ne conteste pas qu'aient été utilisés sur le site de [Localité 1] des matériaux d'isolation et des équipements de protection contenant de l'amiante' ;

Attendu que les pièces produites aux débats par l'employeur démontrent que postérieurement au départ de Monsieur [N], l'amiante était encore présente, même si elle était progressivement éliminée, sur le site de Saint Auban et notamment dans les locaux où travaillait l'intimé ;

Attendu que le site de [Localité 1] a été inscrit le 30 octobre 2007 sur la liste des établissements ouvrant droit à l'ACAATA ;

Attendu que l'exposition habituelle de Monsieur [N] à l'amiante est parfaitement établie ;

Attendu qu'il convient de rappeler que depuis la loi du 12 juin 1893, les employeurs devaient respecter les prescriptions de sécurité prévenant l'inhalation des poussières ; que ce texte a été suivi d'autres tels les décrets du 10 mars 1894, du 11 juillet 1903, du 20 novembre 1904, du 26 novembre 1912, du 18 Juillet 1913, du 13 décembre 1948, du 6 mars 1961, les articles R. 232-10 et suivants du code du travail et le décret du 17 août 1977, rédigés en termes suffisamment généraux pour s'appliquer à tous les salariés exposés à l'inhalation de poussières d'amiante par manipulation ou traitement d'objets susceptibles d'être à l'origine d'émission de fibres d'amiante ;

Que le danger encouru par les salariés travaillant au contact de produits revêtus d'amiante était clairement divulgué avec l'inscription en 1945 des maladies pulmonaires consécutives à l'inhalation de cette fibre ;

Attendu que tout employeur dont le personnel se trouvait au contact de l'amiante devait avoir conscience des risques encourus ; que cette conscience du danger n'était pas propre aux seuls fabricants et transformateurs de l'amiante mais s'étendait à tous les secteurs ayant recours à cette fibre et particulièrement aux secteurs industriels où l'amiante était largement utilisée pour l'isolation et les tenues de protection ; que de même, comme le démontrent les attestations produites aux débats, l'amiante était utilisée chez ARKEMA comme isolant thermique ; que selon ces attestations Monsieur [N] manipulait ces protections et isolants dans le cadre de son activité professionnelle ;

Attendu que Monsieur [N] a effectué son travail au sein de la société ARKEMA FRANCE jusqu'en 1992 alors qu'existait déjà une législation précise sur l'inhalation des poussières et qu'à compter de 1977, cette législation visait tout particulièrement les fibres d'amiante ; que compte tenu de ses activités, de son organisation et de son importance, cette société qui disposait de services de recherche, de services juridiques et médicaux devait nécessairement connaître la nature des matériaux qu'elle utilisait dans le cadre de son activité et avoir conscience de la nocivité des matériaux à base d'amiante ; qu'elle devait prendre les mesures nécessaires efficaces pour préserver la santé de ses salariés ;

Attendu que tant l'intimé que Monsieur [S] font état de l'absence d'informations sur le risque et de protections contre les poussières d'amiante ;

Attendu que la société appelante soutient qu'avant 1977 l'absence de mesures prises par l'Etat ainsi que de mises en demeure par la Médecine du Travail excluent la violation manifeste de la règle d'hygiène et de sécurité alors en vigueur ; que postérieurement à 1977, elle a mené une politique d'élimination de l'amiante ;

Attendu que l'employeur est redevable, dans ses rapports avec ses salariés, d'une obligation de sécurité et ne peut s'en exonérer en mettant en avant l'éventuelle responsabilité par inertie de l'Etat dont le défaut de réglementation spécifique avant certaines périodes ne dispense pas l'employeur de son obligation générale ;

Attendu qu'enfin, il apparaît des pièces produites par l'employeur que l'élimination de l'amiante a nécessité plusieurs années d'intervention et que pendant cette période, pour contredire les attestations faisant état de l'absence de protection, il n'est produit aucun élément ;

Attendu que c'est donc à juste titre que le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale, par des motifs pertinents que la cour adopte, a retenu que l'employeur a manqué à son obligation de sécurité de résultat et n'a nullement mis en 'uvre les mesures nécessaires pour préserver ses salariés des risques liés à l'inhalation de poussières et de fibres d'amiante ;

Sur l'opposabilité à l'employeur de la procédure de prise en charge de la maladie professionnelle

Attendu que la société ARKEMA FRANCE fait valoir plusieurs moyens à l'appui de sa demande d'inopposabilité de la décision de reconnaissance de la maladie professionnelle ; qu'elle soutient en premier lieu la prescription de l'action en reconnaissance du caractère professionnel de la pathologie et en second lieu l'absence d'examen tomodensitométrique ;

Attendu que l'employeur fait grief au jugement de dire non prescrite la déclaration de maladie professionnelle et de confirmer la décision de prise en charge au titre de la législation professionnelle de la pathologie dont est atteint [J] [N] alors que le point de départ du délai de prescription biennale en matière de maladie professionnelle correspond à la date à laquelle la victime est informée du lien possible entre sa maladie et une activité professionnelle et qu'en l'espèce, la première constatation médicale de la maladie a été effectuée en 1980 comme le mentionne le certificat médical initial du 2 juin 2008 et qu'un certificat du 6 février 1990 fait état de plaques pleurales très probablement en rapport avec une exposition aux fibres d'amiante ;

Attendu que s'il résulte des articles L. 461-1 et L. 431-2 du code de la sécurité sociale que l'action en reconnaissance du caractère professionnel d'une maladie peut être engagée dans le délai de deux ans qui suit la date à laquelle la victime ou ses ayants droit ont été informés par un certificat médical du lien possible entre la maladie et l'activité professionnelle, encore faut-il que ce certificat médical fasse apparaître ce lien ;

Attendu qu'en l'espèce, aucune des parties ne produit un certificat médical datée de 1980 de sorte que son contenu ne peut être analysé et que cette date simplement mentionnée sur le certificat médical initial du 2 juin 2008 ne peut constituer le point de départ du délai de prescription ; que par ailleurs, si le certificat médical du 6 février 1990 mentionne ' Je soussigné certifie que Monsieur [J] [N] présente sur la radiographie pulmonaire des plaques pleurales très probablement en rapport avec une exposition aux fibres d'amiante' aucune relation entre cette exposition et l'activité professionnelle n'est clairement établie par ce document ;

Attendu que le premier certificat médical établissant le lien entre la maladie et l'activité professionnelle est le certificat médical initial ' accident du travail / maladie professionnelle ' du 2 juin 2008 ;

Qu'en conséquence, la demande de reconnaissance du caractère professionnel de la maladie effectuée le 16 juin 2008 n'était pas atteinte pas la prescription ; que ce moyen ne permet donc pas de déclarer inopposable la prise en charge de la pathologie au titre de la législation professionnelle par la Caisse Primaire d'Assurance Maladie des Alpes de Haute Provence après enquête administrative ;

Attendu qu'en ce qui concerne l'absence d'examen tomodensitométrique, il résulte des conclusions du colloque médico- administratif du 29 septembre 2008 sur la base duquel la caisse a pris en charge la pathologie que la maladie professionnelle retenue est 'plaques pleurales code 030ABJ920" ;

Attendu que le tableau n°30 B désigne la maladie comme étant des ' plaques calcifiées ou non péricardiques ou pleurales, unilatérales ou bilatérales, lorsqu'elles sont confirmées par un examen tomodensitométrique' ; que cet examen constitue un élément de diagnostic sur lequel les médecins doivent se fonder pour conclure à l'existence de la maladie professionnelle nommément désignée dans le tableau, et non un élément constitutif de la maladie ; qu'il n'a pas à être communiqué à l'employeur ;

Attendu que par ailleurs, le scanner thoracique est mentionné à la désignation de la maladie comme un examen destiné à confirmer l'existence des plaques ; qu'il permet en effet d'identifier celles-ci sans risque de confusion et plus sûrement que ne peut le faire une simple radiographie de sorte qu'il est mentionné au tableau 30 B puisqu'il permet un diagnostic sûr ;

Attendu que cependant, en l'espèce, Monsieur [N] chez qui les médecins soupçonnaient un mésothéliome a subi le 11 octobre 2007, non seulement une thoracoscopie mais également une thoracotomie à savoir une intervention chirurgicale permettant d'avoir accès aux organes internes ; qu'à l'issue de cette intervention, le chirurgien a indiqué dans son protocole opératoire 'on complète donc l'intervention par une thoracotomie. Décollement total du poumon, il existe donc de nombreuses plaques fibro-hyalines' ;

Attendu que le colloque médico-administratif mis en place au cours de l'enquête a retenu que les conditions médicales du tableau étaient remplies en mentionnant comme document ayant permis de fixer la date de première constatation médicale le protocole opératoire du 11 octobre 2007 ; que le médecin conseil a donc considéré que le diagnostic de la maladie avait été fait par le chirurgien qui avait au cours de l'intervention examiné directement l'appareil respiratoire de Monsieur [N] ;

Attendu qu'en conséquence le diagnostic de la maladie professionnelle inscrite au tableau n°30 B a pu être établi sans qu'il soit nécessaire de recourir à cet autre élément de diagnostic que constitue l'examen tomodensitométrique ;

Attendu que sera confirmée l'opposabilité de la reconnaissance du caractère professionnel de la pathologie à l'employeur qui devra rembourser à la caisse la majoration de la rente et les sommes dont celle-ci aura fait l'avance ; qu'en effet, même si les conséquences financières de la maladie professionnelle ont été inscrites au compte spécial, la caisse conserve une action récursoire contre l'employeur dont la faute inexcusable a été retenue ; qu'en l'espèce, la société ARKEMA par lettre recommandée avec accusé de réception du 22 octobre 2008 a demandé à la CRAM du Sud-Est l'inscription au compte spécial des dépenses afférentes à la prise en charge de la maladie professionnelle de Monsieur [N] sur le fondement du 4° de l'article 2 de l'arrêté du 16 octobre 1995 soit l'exposition au risque successivement chez plusieurs employeurs ; que le 16 janvier 2009, cet organisme l'a informée de l'inscription au compte spécial sur le fondement de l'article 2 de ce texte ;

Sur l'indemnisation

Attendu que la faute inexcusable de l'employeur ayant été retenue, la majoration de la rente à son taux maximum sera confirmée ; qu'elle sera versée directement à Monsieur [N] et récupérée auprès de l'employeur ;

Attendu qu'en ce qui concerne les préjudices complémentaires, la société appelante soutient que Monsieur [N] étant retraité au moment de l'apparition de sa pathologie, son affection n'a entraîné aucune perte de gains et qu'il doit être débouté de ses demandes indemnitaires au titre des souffrances physiques et morales endurées ; que de même elle fait valoir qu'aucun élément n'est versé à l'appui de la demande formée au titre du préjudice d'agrément et elle en demande le rejet ;

Attendu que sur ce dernier point, il convient de rappeler que le préjudice d'agrément est constitué par l'impossibilité ou la difficulté pour la victime de continuer à pratiquer une activité spécifique sportive ou de loisirs antérieure à la maladie professionnelle ; qu'en l'espèce, il résulte des attestations produites aux débats que Monsieur [N] avait pour activités de loisir la pêche, la marche et le jardinage et que depuis l'apparition de sa maladie, il a cessé de les pratiquer ; que l'indemnisation de ce poste de ce préjudice est justifiée ; que cependant, eu égard à l'âge de la victime et à l'absence d'informations sur l'le degré de pratique de ces activités, le montant de l'indemnisation tel que fixé par le premier juge est excessif et sera ramené à 20.000 euros ;

Attendu qu'en ce qui concerne les souffrances physiques et morales, elles peuvent être réparées lorsqu'elles ne sont pas déjà indemnisées au titre du déficit fonctionnel permanent ;

Attendu qu'en l'espèce, Monsieur [N] fait état de douleurs thoraciques et d'une insuffisance respiratoire ; que le rapport médical d'évaluation du taux d'incapacité permanente permet de mettre en évidence que les plaques pleurales et un syndrome restrictif ont été pris en compte pour la fixation de ce taux de sorte que l'insuffisance respiratoire est déjà réparée par la rente majorée ; que cependant les douleurs thoraciques liées à la thoracotomie ne sont pas mentionnées dans les séquelles retenues alors qu'elles sont toujours présentes au moment de l'examen de Monsieur [N] par le médecin conseil de sorte que leur indemnisation est justifiée ; que par ailleurs, les attestations produites font état d'un renfermement de la victime sur elle-même ; qu'en outre, Monsieur [N] en 2007 a fait l'objet d'une intervention chirurgicale pour suspicion de mésothéliome ce qui a inévitablement engendré une angoisse qui se poursuit à chaque examen qu'il a dû subir depuis la reconnaissance de sa maladie professionnelle, le taux de son incapacité soit 40% étant exceptionnel pour des plaques pleurales et caractérisant un état physique dégradé à l'origine d'inquiétudes quant à son évolution ; que rien dans le rapport d'évaluation du taux d'incapacité ne démontre une prise en compte pour cette évaluation d'une conséquence psychique de la maladie ; que l'indemnisation des souffrance morales est justifiée ; que cependant l'indemnisation des souffrances physiques et morales sera ramenée à la somme de 50.000 euros ;

Attendu que la société ARKEMA sera condamnée au paiement de la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;

Attendu que la procédure devant les juridictions de la sécurité sociale est gratuite et sans frais conformément aux dispositions de l'article R 144-6 du Code de la Sécurité Sociale et qu'il n'y a donc pas lieu de statuer sur les dépens.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement, contradictoirement, en matière de sécurité sociale,

Confirme le jugement entrepris sauf en ce qui concerne le montant des indemnisations,

Et statuant à nouveau de ce chef,

Fixe à 20.000 euros l'indemnisation du préjudice d'agrément et à 50.000 euros l'indemnisation des souffrances physiques et morales,

Déboute la société ARKEMA de toutes ses autres demandes,

Condamne la société ARKEMA à payer à [J] [N] la somme de 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile,

Dit n'y avoir lieu à statuer sur les dépens.

LE GREFFIERLE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : 14e chambre
Numéro d'arrêt : 12/10692
Date de la décision : 06/05/2014

Références :

Cour d'appel d'Aix-en-Provence 14, arrêt n°12/10692 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2014-05-06;12.10692 ?
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