COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
15e Chambre A
ARRÊT AU FOND
DU 28 MARS 2014
N° 2014/251
Rôle N° 13/23217
[F] [W]
S.C.I. LMP
C/
M. LE SECRETAIRE GREFFIER EN CHEF
Société CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL ALPES PROVENCE
Grosse délivrée
le :
à : la SCP BOISSONNET ROUSSEAU
Me Karine DABOT
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Juge de l'Exécution du Tribunal de Grande Instance d'AIX-EN- PROVENCE en date du 04 Novembre 2013 enregistré au répertoire général sous le n° 12/7068.
APPELANTS
Monsieur [F] [W] Mandataire judiciaire désigné dans le cadre de la procédure de sauvegarde de la société LMP, demeurant [Adresse 2]
représenté par la SCP BOISSONNET ROUSSEAU, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, plaidant par Me Georges COURTOIS, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
S.C.I. LMP agissant poursuites et diligences de son représentant légal en exercice, demeurant [Adresse 3]
représentée par la SCP BOISSONNET ROUSSEAU, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, plaidant par Me Georges COURTOIS, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
INTIMES
CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL ALPES PROVENCE représentée par son représentant légal domicilié audit siège ès qualités, demeurant [Adresse 1]
représentée et plaidant par Me Karine DABOT de la SELARL NORDJURIS, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
M. LE SECRETAIRE GREFFIER EN CHEF, demeurant Tribunal de Grande Instance - 40, Boulevard Carnot - 13100 AIX EN PROVENCE
pour dénonce
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 05 Février 2014 en audience publique. Conformément à l'article 785 du Code de Procédure Civile, Monsieur Olivier COLENO, Président, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Monsieur Olivier COLENO, Président (rédacteur)
Monsieur Christian COUCHET, Conseiller
Madame Françoise BEL, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : M. Alain VERNOINE.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 28 Mars 2014
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 28 Mars 2014,
Signé par Monsieur Olivier COLENO, Président et M. Alain VERNOINE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
FAITS ET PROCÉDURE
Par le jugement d'orientation dont appel du 4 novembre 2013, le juge de l'exécution du tribunal de grande instance d'Aix-en-Provence a ordonné la vente forcée de l'immeuble saisi par la CAISSE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL ALPES PROVENCE au préjudice de la SCI LMP pour recouvrement d'une créance de 1.083.064,30 €, après avoir :
-rejeté la demande de nullité du commandement, signifié à la bonne personne morale, la transformation d'une société en une société d'une autre forme n'entraînant pas création d'une personne morale nouvelle, ce que confirme la conservation du numéro d'immatriculation,
-rejeté l'exception de prescription, considérant que le prêt est devenu exigible le 9 novembre 2004, que la prescription qui est décennale n'est pas acquise, que la créance soit commerciale ou civile, que la prescription n'est pas quinquennale car il ne s'agit pas d'un prêt soumis au code de la consommation,
-rejeté le moyen tiré d'une prescription des intérêts, dont le principe est admis par le créancier, mais qui n'entraîne pas nullité du commandement conformément aux dispositions de l'article R321-3 mais seulement modification du montant de la créance et de son décompte,
-rejeté la demande de nullité du prêt, en l'occurrence souscrit dans le cadre d'une procédure de mandat ad hoc ordonnée par le président du tribunal de commerce, de sorte qu'il n'y a pas défaut d'intérêt de la société LMP à cet acte ni nullité car il n'apparaît pas contraire à l'intérêt social.
Vu la remise faite au greffe le 17 décembre 2013 de l'assignation à jour fixe délivrée en vertu de l'autorisation présidentielle donnée par ordonnance du 4 décembre 2013 sur une requête déposée le même jour après déclaration d'appel du 2 décembre 2013,
Vu les dernières conclusions déposées le 4 février 2014 par M°[W] et la SCI LMP tendant à la réformation du jugement et demandant à la Cour de juger qu'en l'état de la mise sous sauvegarde du GFR LMP, le Crédit Agricole ne pouvait poursuivre la procédure de saisie immobilière, de surseoir à statuer dans l'attente de connaître le sort réservé à la déclaration de créance du Crédit Agricole dans le cadre de la procédure de sauvegarde, de déclarer nul le commandement et tous les actes subséquents en l'absence de force exécutoire du prêt et les actes ayant été signifiés à une SCI LMP qui n'existe pas et n'est pas propriétaire d'un immeuble, de juger que la créance du Crédit Agricole est prescrite, que des intérêts réclamés sont atteints par la prescription quinquennale, que la somme réclamée ne peut excéder 787.734,86 €, que la créance est contraire à l'intérêt social de LMP et doit être jugée nulle, que le bien saisi a fait l'objet d'un bail rural de 29 ans, très subsidiairement de l'autoriser à procéder à la vente amiable dans le délai d'un an,
soutenant notamment :
que la copie du prêt versée aux débats n'est pas revêtue de la formule exécutoire et que les signatures et paraphes n'y figurent pas, que ce moyen n'est pas nouveau puisque la nullité du commandement a été demandée avant l'audience d'orientation,
qu'à compter du 1er août 2011 ainsi qu'il ressort de l'extrait du registre du commerce, la SCI LMP est devenue groupement foncier rural GFR, relevant comme tel d'une protection particulière et engendrant des droits pour des tiers tels que fermier et SAFER,
que la cause du prêt est une restructuration de sociétés dans le cadre d'une procédure de mandat ad hoc ordonnée par le président du tribunal de commerce, qu'il s'agit d'un acte commercial souscrit entre commerçants soumis à la prescription décennale, que le Crédit Agricole devait donc engager son action fondée sur le seul protocole du 11 juin 2001 avant le 11 juin 2011, subsidiairement le 9 novembre 2011 s'il fallait compter à partir de l'acte notarié dont la prescription est celle de la nature de la créance, et les poursuites ayant été engagées par commandement délivré le 11 septembre 2012, et ce même par application de la loi du 17 juin 2008,
que si le prêt n'est pas de nature commerciale, alors c'est l'article L137-2 du code de la consommation et la prescription biennale qui doit recevoir application,
que le commandement dont le décompte fait apparaître des intérêts depuis 2004, atteints par la prescription quinquennale, est nul,
que le prêt consenti à une SCI pour renflouer deux sociétés commerciales n'entrait pas dans son objet et était contraire à son intérêt social,
qu'un bail rural à long terme a été consenti par acte du 3 janvier 2013 pour prendre effet à compter du 1er janvier 2000,
Vu les dernières conclusions déposées le 4 février 2014 par la CAISSE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL ALPES PROVENCE tendant au rejet de l'ensemble des demandes des appelants et à la confirmation du jugement dont appel sauf en ce qu'il a ordonné la vente aux enchères, en l'état de la procédure de sauvegarde ouverte depuis le jugement d'orientation et demandant à la Cour d'annuler le bail rural conclu pour une durée de 29 ans en fraude de l'article R321-15 du code des procédures civiles d'exécution postérieurement à la délivrance du commandement et au bénéfice d'une associée,
soutenant notamment :
que la copie exécutoire est produite, laquelle de façon normale ne contient pas les signatures et paraphes, que le commandement a été délivré à la personne morale concernée qui reste la même malgré son changement de forme et aucun grief n'étant démontré,
que la prescription n'est pas encourue, la créance n'étant devenue exigible que le 9 novembre 2004 après une période de différé de 36 mois courant à compter de l'acte notarié du 9 novembre 2001 qui a réalisé le prêt, de sorte qu'elle pouvait agir jusqu'au 9 novembre 2014, la nature commerciale ou non de l'engagement étant donc indifférente, que l'acte ne relève pas de services fournis aux consommateurs relevant du code de la consommation, que la prescription quinquennale acquise des intérêts -d'où résulte la créance mentionnée de 1.083.064,30 €- n'a pas pour effet de faire encourir la nullité du commandement ainsi qu'il résulte de l'article R321-3 du code des procédures civiles d'exécution, que les contestations élevées à raison de prétendues erreurs dans le montant du capital et quant au calcul des intérêts sont irrecevables comme nouvelles de même que celle concernant un bail, que l'acte contracté sous le contrôle d'un mandataire de justice ne saurait être jugé contraire à l'intérêt social de la SCI, que la demande de sursis n'est pas fondée alors que le juge commissaire attend justement l'arrêt de la Cour, qu'elle ne s'oppose pas à la demande d'autorisation de vente amiable mais dans un délai de 6 mois,
MOTIFS DE LA DÉCISION
Attendu que le Crédit Agricole produit l'original de la copie exécutoire de l'acte notarié de prêt comportant la formule exécutoire ;
qu'aucune des feuilles n'est en effet revêtue du paraphe du notaire, et qu'elles ne reproduisent pas les paraphes et signatures de la minute ;
mais attendu que toutes les feuilles sont reliées par un procédé empêchant toute substitution ou addition, en l'occurrence par leur insertion dans une chemise cartonnée rivetée en deux points et leur assemblage par un papier collant spécial bleu, traversant par une fente la totalité des pages numérotées et récapitulées, et dont l'intégrité est constatable, dit « procédé ASSEMBLACT RC » selon la mention portée en dernière page ;
qu'en vertu des dispositions applicables le 9 novembre 2001 du décret n°71-941 du 26 novembre 1971, article 15, le paraphe du notaire n'est alors pas requis ;
que le moyen n'est pas fondé ;
Attendu que le premier juge a exactement rejeté le moyen tiré d'un vice de la signification à la société LMP tiré de son changement de forme ;
que le GFR est une société civile formée en vue de rassembler et gérer des immeubles à usage agricole et forestier (L322-22 du code rural), et que les particularités qui sont attachées à son caractère agricole ne s'opposent pas à la saisie immobilière ;
qu'au reste, les appelants n'invoquent aucune disposition précise au soutien de leur moyen qui est inopérant ;
Attendu, sur la prescription, que le titre exécutoire dont se prévaut le Crédit Agricole est l'acte notarié du 9 novembre 2006, dont le protocole d'accord plus ample du 11 juin 2001 n'était que préparatoire et dont il ne constitue qu'une application particulière ;
que le Crédit Agricole est fondé à soutenir que la prescription ne commence à courir qu'à compter de la date d'exigibilité de la créance, en l'occurrence après un différé de trois ans, c'est-à-dire le 9 novembre 2004, ce dont il suit qu'au jour où le commandement a été délivré les 4 et 11 septembre 2012, il s'était concrètement écoulé moins de huit ans, en sorte que quelle que soit la nature civile ou commerciale de la créance, la prescription ne s'était pas accomplie, ce qu'a exactement retenu le premier juge ;
Attendu que le protocole d'accord a défini l'opération dont il trace les contours comme un plan global de restructuration des prêts qu'il consent de manière habituelle, pour le financement de leurs besoins d'exploitation, à un ensemble de huit sociétés, dont cinq commerciales en la forme et trois civiles 'uvrant, selon ce que révèlent quelques rares indices et à défaut de plus d'explications, dans le domaine immobilier et la construction, et ce, à la suite d'une importante crise de trésorerie apparue dans le courant de l'année 1999 consécutivement à une accumulation de difficultés qui ont affecté le niveau d'activité et précipité le désengagement d'un établissement de crédit (le CEPME), le tout dans le cadre d'une procédure de mandat ad hoc ordonnée par le président du tribunal de commerce ;
qu'il s'ensuit que le prêt ne s'inscrit manifestement pas dans les crédits relevant du code de la consommation, ce que l'acte exclut du reste expressément par la mention en page 4 : « prêts hors loi Scrivener » ;
Attendu, sur la prescription des intérêts, que la banque en a admis l'effet et a présenté un nouveau décompte mettant en évidence des intérêts au taux majoré courant du 4 septembre 2007 au 4 septembre 2012 (pièce 7) dont le caractère suffisamment explicite, rapproché du précédent (pièce 6) est vainement discuté dès lors que, comme précisé par la banque dans ses écritures, le principal comporte des intérêts qui sont capitalisés en vertu d'une clause du prêt, ce qui n'est pas contesté ;
Attendu qu'il n'y a pas matière à surseoir à statuer, la juridiction de l'exécution ayant été valablement saisie jusqu'à la clôture des débats et le jugement d'orientation ici confirmé ayant pu mentionner la créance retenue ;
Attendu, sur la nullité du prêt comme contraire à l'intérêt social, qu'il résulte de la description ci-dessus esquissée du protocole d'accord du 11 juin 2001 que le prêt s'insère dans une opération d'ensemble complexe mettant en cause 8 sociétés dont trois civiles dont, faute d'en décrire précisément les tenants et aboutissants au-delà de l'expression purement schématique ou d'apparence qui en est donnée, et alors que l'opération se faisait dans le cadre d'un mandat ad hoc ordonné par le président du tribunal de commerce, la société LMP ne démontre pas qu'elle aurait généré pour elle, sans contrepartie, un engagement contraire à l'intérêt social de la société qui devrait par suite être jugé nul;
Attendu que les demandes afférentes à un bail rural à long terme consenti par acte du 3 janvier 2013 pour prendre effet à compter du 1er janvier 2000, sont d'office irrecevables devant la Cour faute d'avoir été formées avant l'audience d'orientation ;
Attendu que par jugement du 22 octobre 2013, le tribunal de grande instance d'Aix-en-Provence a ouvert une procédure de sauvegarde à l'égard de la société civile LMP ;
qu'il résulte des dispositions d'ordre public de l'article L622-21 paragraphe II du code de commerce que le jugement d'ouverture arrête ou interdit toute procédure d'exécution de la part des créanciers dont la créance n'est pas née régulièrement après le jugement d'ouverture pour les besoins du déroulement de la procédure tant sur les meubles que sur les immeubles ;
qu'il s'ensuit que le jugement est réformé en ce qu'il a ordonné la vente forcée de l'immeuble, et que la suspension de la saisie doit être ordonnée ;
que la demande d'autorisation de vente amiable est donc prématurée ;
Attendu qu'il suit de l'ensemble de ces motifs que le jugement dont appel est confirmé, sauf en ce qu'il a ordonné la vente forcée ;
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Infirme le jugement dont appel, mais seulement en ce qu'il a ordonné la vente forcée de l'immeuble saisi et, statuant à nouveau sur le chef infirmé,
Vu le jugement du tribunal de grande instance d'Aix-en-Provence du 22 octobre 2013 ordonnant l'ouverture d'une procédure de sauvegarde à l'égard de la société civile LMP ;
Vu l'article L622-21 paragraphe II du code de commerce ;
Ordonne la suspension de la procédure de saisie immobilière engagée à l'encontre de la société LMP ;
Confirme le jugement pour le surplus et déboute M°[W] et la SCI LMP de leurs autres demandes;
Y ajoutant,
Déclare les parties irrecevables en leurs demandes afférentes au bail rural conclu le 3 janvier 2013 ;
Renvoie le dossier de la procédure au juge de l'exécution du tribunal de grande instance d'Aix-en-Provence pour la suite de la procédure ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile,
Rejette les demandes;
Déboute les parties de leurs demandes autres ou plus amples;
Condamne M°[W] es-qualité et la société LMP aux dépens qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
LE GREFFIER, LE PRESIDENT,