La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

14/02/2014 | FRANCE | N°12/18341

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 18e chambre b, 14 février 2014, 12/18341


COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE

18e Chambre B



ARRÊT AU FOND

DU 14 FEVRIER 2014



N° 2014/366













Rôle N° 12/18341





CGEA IDF OUEST ([Localité 4] - YVELINES - HAUTS DE SEINE)





C/





SELAFA MJA



[Z] [K]





























Grosse délivrée

le :

à :

Me Josette PIQUET, avocat au barreau de TOULON

<

br>
Me Arnaud CLERC, avocat au barreau de PARIS



Me Julie ANDREU, avocat au barreau de MARSEILLE





Copie certifiée conforme délivrée aux parties le :





Décision déférée à la Cour :



Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de TOULON - section IN - en date du 31 Juillet 2012, enregistré ...

COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE

18e Chambre B

ARRÊT AU FOND

DU 14 FEVRIER 2014

N° 2014/366

Rôle N° 12/18341

CGEA IDF OUEST ([Localité 4] - YVELINES - HAUTS DE SEINE)

C/

SELAFA MJA

[Z] [K]

Grosse délivrée

le :

à :

Me Josette PIQUET, avocat au barreau de TOULON

Me Arnaud CLERC, avocat au barreau de PARIS

Me Julie ANDREU, avocat au barreau de MARSEILLE

Copie certifiée conforme délivrée aux parties le :

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de TOULON - section IN - en date du 31 Juillet 2012, enregistré au répertoire général sous le n° 10/1469.

APPELANTE

CGEA IDF OUEST ([Localité 4] - YVELINES - HAUTS DE SEINE), demeurant [Adresse 2]

représentée par Me Josette PIQUET, avocat au barreau de TOULON

INTIMES

SELAFA MJA, prise en la personne de Me [T] [X] mandataire liquidateur de la SA CHANTIERS DU NORD ET DE LA MEDITERRANEE, demeurant [Adresse 1]

représentée par Me Arnaud CLERC, avocat au barreau de PARIS substitué par Me Charlotte CASTETS, avocat au barreau de PARIS

Monsieur [Z] [K],

demeurant [Adresse 3]

comparant en personne, assisté de Me Julie ANDREU, avocat au barreau de MARSEILLE substitué par Me Cécile LABRUNIE, avocat au barreau de PARIS

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 13 Décembre 2013 en audience publique devant la Cour composée de :

Monsieur Guénael LE GALLO, Conseiller faisant fonction de Président

Madame Christine LORENZINI, Conseiller

Madame Françoise GILLY-ESCOFFIER, Conseiller

qui en ont délibéré

Greffier lors des débats : Mme Priscille LAYE.

Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 14 Février 2014.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 14 Février 2014.

Signé par Monsieur Guénael LE GALLO, Conseiller faisant fonction de Président et Madame Fabienne MICHEL, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Faits et procédure :

Monsieur [Z] [K] a été employé par la société CONSTRUCTIONS NAVALES INDUSTRIELLES DE LA MÉDITERRANÉE (CNIM)-Division Navale, devenue SA CHANTIERS DU NORD ET DE LA MÉDITERRANÉE ( NORMED), sur le site de [Localité 3] en qualité d'agent technique d'approvisionnement du 20 janvier 1975 au 15 mai 1985.

Anciennement dénommée Société de Participations et de Constructions Navales (SPCN), société constituée le 25 octobre 1982 en vue du regroupement des branches navales des trois sociétés suivantes : Chantiers de France [Localité 1] (FD), Chantiers Navals de [Localité 2] (CNC), Constructions navales industrielles de la Méditerranée (CNIM), la SA CHANTIER DU NORD ET DE MÉDITERRANÉE ( NORMED) a été créée le 24 décembre 1982. Cette société a été placée en redressement judiciaire par jugement du Tribunal de Commerce de PARIS en date du 30 juin 1986 puis en liquidation judiciaire par jugement du 27 février 1989, désignant successivement Maître [E] puis, à compter du 10 juin 2003, la SELAFA MJA, en la personne de Maître [X], en qualité de mandataire liquidateur .

Elle a été inscrite sur la liste des établissements susceptibles d'ouvrir droit au dispositif de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante ( ACAATA) par arrêté du 7 juillet 2000.

Le 5 novembre 2010, Monsieur [Z] [K] a saisi le Conseil de Prud'hommes de TOULON pour réclamer la réparation de son préjudice économique, subsidiairement de son préjudice résultant du bouleversement dans ses conditions d'existence et de son préjudice d'anxiété, subis du fait de son exposition à l'amiante.

Le CGEA - AGS de l'Ile de France Ouest a été appelé en la cause.

Par jugement du 31 juillet 2012 , le Conseil de Prud'hommes de TOULON a :

- fixé la créance du salarié au passif de la liquidation judiciaire de la SA NORMED à la somme de 10 000 € à titre de dommages et intérêts pour préjudice d'anxiété,

- débouté le salarié du surplus de ses demandes,

- dit que le CGEA - AGS devait sa garantie dans les conditions et limites prévues par le code du travail.

Le CGEA-AGS a relevé appel de cette décision le 3 octobre 2012.

Prétentions et moyens des parties :

Aux termes de leurs écritures déposées et soutenues oralement à l'audience, communes aux instances inscrites au rôle, Maître [X] ès qualités et le CGEA demandent à la cour, à titre principal, d'infirmer le jugement entrepris et de :

- déclarer irrecevables les actions des salariés ayant bénéficié de l'ACAATA sur le fondement de l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998, en ce qu'elles tendent en réalité à contester le montant de l'allocation ;

- déclarer les actions irrecevables en raison de l'irrévocabilité de l'état des créances établi sous le régime de la loi de 1985, non contesté en temps utile ;

- déclarer irrecevables les actions des requérants dont les contrats de travail ont été rompus avant le 21 décembre 1982 ( date de l'Assemblée Générale de la SPCN approuvant le traité d'apport partiel d'actif du 3 novembre 1982), et qui n'ont donc jamais été salariés de la NORMED ;

- déclarer irrecevables les actions des salariés dont les contrats de travail ont été transférés à la société CNL ou à la société CNIM postérieurement à la NORMED ;

- déclarer prescrites les demandes concernant les contrats de travail rompus depuis plus de trente ans avant la saisine de la juridiction prud'homale.

Ils concluent subsidiairement :

- au débouté, faute pour les demandeurs de rapporter la preuve d'un préjudice d'anxiété personnel, direct, certain et légitime, d'un manquement de l'employeur aux règles alors applicables, et d'un lien de causalité entre la faute et le préjudice ;

- à l'absence d'opposabilité à l'AGS des créances nées postérieurement à l'ouverture de la procédure collective, à la réduction des dommages et intérêts susceptibles d'être alloués et à l'application des dispositions du code du travail fixant les règles et limites de la garantie légale.

Par conclusions écrites déposées et plaidées à l'audience, communes à l'ensemble des affaires inscrites au rôle, soutenant pour l'essentiel que la NORMED a manqué à son obligation de sécurité de résultat, en omettant d'effectuer des prélèvements atmosphériques, de mettre en place des mesures de protection collective et individuelle efficaces et de l'informer des risques encourus, que le dommage ne lui a été révélé qu'avec la loi du 23 décembre 1998, qu'il est donc fondé, conformément à l'article 1147 du Code civil, à réclamer à la NORMED l'indemnisation de son préjudice d'anxiété qui correspond à l'inquiétude permanente face de la forte probabilité de développer à tout moment une maladie grave, incluant le bouleversement dans ses conditions d'existence qui en découle nécessairement, que l'AGS doit garantir sa créance, née antérieurement à l'ouverture de la procédure collective, puisque son fait générateur réside dans la faute de l'employeur au cours de l'exécution du contrat de travail, Monsieur [Z] [K], qui ne maintient pas en cause d'appel ses autres réclamations, demande à la Cour de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a reconnu l'existence de son préjudice d'anxiété, mais de réévaluer sa créance à la somme de 30.000€ à titre de dommages et intérêts, comprenant à la fois l'inquiétude permanente et le bouleversement dans ses conditions d'existence, et de déclarer l'arrêt opposable au CGEA.

Pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, il convient de se référer à leurs écritures oralement soutenues à l'audience.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur les fins de non recevoir :

Sur l'irrecevabilité tirée de l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 :

L'article 41 de la loi n° 98 - 1194 du 23 décembre 1998 créant un dispositif spécifique destiné à compenser la perte d'espérance de vie que peuvent connaître des salariés en raison de leur exposition à l'amiante, prévoit le versement aux salariés ou anciens salariés d'une allocation de cessation anticipée d'activité (ACAATA) sous réserve qu'ils cessent toute activité professionnelle, lorsqu'ils remplissent certaines conditions .

Il résulte de ces dispositions que le salarié qui a demandé le bénéfice de cette allocation n'est pas recevable à obtenir de l'employeur fautif, sur le fondement des règles de la responsabilité civile, réparation d'une perte de revenus résultant de la mise en oeuvre du dispositif légal.

Monsieur [Z] [K] est toutefois recevable à réclamer réparation d'un préjudice spécifique d'anxiété, lequel n'est pas de nature économique mais résulte d'un état d'inquiétude permanente face au risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'amiante et n'est donc pas indemnisé au titre de l'ACAATA.

Sur l'irrecevabilité tirée du caractère irrévocable de l'état des créances :

Il résulte de l'article L.625-125 al.2 ancien du Code de Commerce que le salarié dont la créance ne figure pas en tout ou partie sur le relevé établi par le représentant des créanciers peut saisir à peine de forclusion le Conseil de Prud'hommes dans un délai de deux mois à compter de l'accomplissement de la mesure de publicité prévue à l'alinéa précédent .

Toutefois, l'action du salarié, qui saisit la juridiction prud'homale d'une demande en réparation d'un préjudice d'anxiété résultant de son exposition au risque de l'amiante créé par son affectation dans un établissement figurant sur une liste établie par arrêté pris en exécution de l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 et révélé postérieurement à l'établissement du relevé des créances salariales, est distincte de celle ouverte par ces dispositions, de sorte que le caractère irrévocable de l'état des créances ne peut lui être opposé.

Cette fin de non recevoir, nouvelle en cause d'appel, sera rejetée.

Sur la prescription :

En application des dispositions de l'article 2262 du code civil, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, et 2224 du même code, la prescription d'une action ne court qu'à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'établir.

En l'espèce, quelle que soit la date de rupture de son contrat de travail, faute d'un quelconque élément permettant de considérer qu'il a été informé des risques auxquels son travail pouvait l'exposer, le salarié est fondé à soutenir que le fait générateur de son préjudice, à supposer celui-ci établi, ne lui a été révélé qu'à compter de la loi du 23 décembre 1998 et de la publication de l'arrêté du 7 juillet 2000 pris en application de l'article 41 de cette loi, classant les CONSTRUCTIONS NAVALES INDUSTRIELLES DE LA MÉDITERRANÉE (CNIM) et la NORMED parmi les établissements ouvrant droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité.

Dès lors qu'elle a été introduite avant le 18 juin 2013, soit dans le délai de cinq ans suivant la date de publication de la loi du 17 juin 2008 relative à la prescription, l'action n'est pas prescrite et le jugement sera confirmé de ce chef.

Sur le fond :

Sur le préjudice d'anxiété :

En application des dispositions des articles 1134 et 1147 du code civil et L.4121-1 du Code du Travail, l'employeur est tenu envers le salarié d'une obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les maladies professionnelles contractées par le salarié du fait des produits fabriqués ou utilisés par l'entreprise .

Contrairement à l'argumentation soutenue par le liquidateur et l'AGS, cette obligation ne résulte pas de l'ancien article L.230-2 du code du travail issu de la loi n° 91-1414 du 31 décembre 1991, mais du contrat de travail.

Du reste, l'ancien article 233-1 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à cette loi, disposait déjà que les établissements et locaux industriels devaient être aménagés de manière à garantir la sécurité des travailleurs.

Au surplus, bien avant le décret du 17 août 1977 relatif aux mesures particulières d'hygiène applicables dans les établissements où le personnel est exposé à l'action des poussières d'amiante, la loi du 12 juin 1893 concernant l'hygiène et la sécurité des travailleurs dans les établissements industriels avait fait obligation à ces établissements de présenter les conditions d'hygiène et de salubrité nécessaires à la santé du personnel, et le décret d'application du 11 mars 1894 imposait notamment que 'les locaux soient largement aérés... évacués au dessus de l'atelier au fur et à mesure de leur production avec une ventilation aspirante énergique... et que l'air des ateliers soit renouvelé de façon à rester dans l'état de pureté nécessaire à la santé des ouvriers.'.

En l'espèce, il résulte du certificat de travail établi le 15 mai 1985 par la NORMED que Monsieur [Z] [K] a travaillé sur le site de la NORMED à [Localité 3] en qualité d'agent technique d'approvisionnement du 20 janvier 1975 au 15 mai 1985.

Les sociétés FORGES ET CHANTIERS DE LA MÉDITERRANÉE (FCM) / CONSTRUCTIONS NAVALES INDUSTRIELLES (CNIM) / CHANTIERS NAVALS DE [Localité 2] (CNC) / CHANTIERS DU NORD ET DE LA MÉDITERRANÉE (NORMED) ont été classées parmi les établissements susceptibles d'ouvrir droit à la cessation anticipée d'activité des salariés de l'amiante, établissements mentionnés à l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998, figurant sur la liste établie par l'arrêté du 7 juillet 2000 .

Cependant, le poste occupé par Monsieur [Z] [K] n'est pas l'un de ceux visés à l'arrêté.

Pour établir son exposition au risque et la réalité de son préjudice d'anxiété, le salarié, qui soutient que, postérieurement à 1977 et jusqu'à la liquidation judiciaire, le chantier naval a poursuivi son activité de construction et de réparation navale, secteur utilisant massivement de l'amiante, notamment en raison de son fort pouvoir isolant, produit plus particulièrement aux débats :

- les attestations de Monsieur [Z] [R] et de Monsieur [O] [I], salariés de la NORMED, selon lesquelles Monsieur [Z] [K] se rendait à bord des navires et dans les ateliers pour les besoins de son métier

- diverses attestations de salariés précisant qu'ils ignoraient le caractère dangereux de l'amiante, faute d'information, alors qu'ils travaillaient en permanence dans les poussières d'amiante,

- un compte rendu du CHSCT du 31 janvier 1973 dont il ressort que les soudeurs utilisaient de la toile d'amiante,

- un courrier du 9 octobre 1981 de la section syndicale CGT menuiserie Bord et Ateliers des CNIM et adressé au directeur de la société sur la persistance de présence d'amiante dans les panneaux utilisés dans la construction du paquebot 1432 ainsi que l'absence de mise en pratique des dispositions du décret loi de 1977,

- une note de service du 27 mars 1981 quant aux bénéficiaires des 'bons de douche', au nombre desquels les personnels travaillant sur de l'amiante, complétée par une note du 29 septembre 1983 rappelant l'application de cette note de 1981.

Ces éléments ne sont toutefois pas suffisants à établir que Monsieur [Z] [K] a été exposé de façon habituelle aux poussières d'amiante, ni qu'il se trouve de par le fait de l'employeur dans un état d'inquiétude permanente face au risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'amiante.

Monsieur [Z] [K] sera dès lors débouté de toutes ses demandes et le jugement entrepris sera infirmé au fond.

Sur les dépens :

Chaque partie conservera la charge de ses propres frais et dépens.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, contradictoirement, en matière prud'homale, par mise à disposition au Greffe,

INFIRME partiellement le jugement déféré.

STATUANT DE NOUVEAU sur le tout :

DÉCLARE l'action recevable.

DÉBOUTE Monsieur [Z] [K] de ses demandes.

DIT que chaque partie conservera la charge de ses propres dépens.

LE GREFFIER.LE PRÉSIDENT.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : 18e chambre b
Numéro d'arrêt : 12/18341
Date de la décision : 14/02/2014

Références :

Cour d'appel d'Aix-en-Provence B8, arrêt n°12/18341 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2014-02-14;12.18341 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award