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13/02/2014 | FRANCE | N°13/05023

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 4e chambre a, 13 février 2014, 13/05023


COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE

4e chambre A



ARRÊT AU FOND

DU 13 FÉVRIER 2014



N° 2014/70













Rôle N° 13/05023







SOCIÉTÉ D'ARMATURES MANNA ET THIRION





C/



[S] [I]





















Grosse délivrée

le :

à :

SCP BADIE

SCP ERMENEUX

















Décision déférée à la Cour

:



Jugement du tribunal de grande instance d'Aix-en-Provence en date du 17 janvier 2013 enregistré au répertoire général sous le n° 11/04548.





APPELANTE



LA SOCIÉTÉ D'ARMATURES MANNA ET THIRION

dont le siège est [Adresse 2]

[Localité 4]



représentée par la SCP BADIE SIMON-THIBAUD JUSTON, avocats au barreau d'AIX-EN-PROVENCE...

COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE

4e chambre A

ARRÊT AU FOND

DU 13 FÉVRIER 2014

N° 2014/70

Rôle N° 13/05023

SOCIÉTÉ D'ARMATURES MANNA ET THIRION

C/

[S] [I]

Grosse délivrée

le :

à :

SCP BADIE

SCP ERMENEUX

Décision déférée à la Cour :

Jugement du tribunal de grande instance d'Aix-en-Provence en date du 17 janvier 2013 enregistré au répertoire général sous le n° 11/04548.

APPELANTE

LA SOCIÉTÉ D'ARMATURES MANNA ET THIRION

dont le siège est [Adresse 2]

[Localité 4]

représentée par la SCP BADIE SIMON-THIBAUD JUSTON, avocats au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, plaidant par Me Pascal-Yves BRIN, avocat au barreau de MARSEILLE

INTIMÉ

Monsieur [S] [I]

né le [Date naissance 1] 1944 à [Localité 3] (12)

demeurant [Adresse 1]

représenté par la SCP ERMENEUX-CHAMPLY - LEVAIQUE, avocats au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, plaidant par Me Martial VIRY, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 16 janvier 2014 en audience publique. Conformément à l'article 785 du code de procédure civile, Monsieur Torregrosa, président, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.

La Cour était composée de :

Monsieur Georges TORREGROSA, président

Madame Anne DAMPFHOFFER, conseiller

Madame Sylvaine ARFINENGO, conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Madame Sylvie MASSOT.

Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 13 février 2014

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 13 février 2014,

Signé par Monsieur Georges TORREGROSA, président et Madame Sylvie MASSOT, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

Les faits , la procédure et les prétentions :

M. [I] est propriétaire d'une parcelle de terrain bâtie situé sur la commune de [Localité 4], au lieu-dit [Localité 2] ouest, depuis octobre 1986.

La société d'armatures [C] et [A] est propriétaire d'une parcelle voisine, acquise en 97, sur laquelle elle a fait édifier, en 1998 puis en 2004, divers bâtiments pour l'exercice de son activité de travail mécanique des métaux et alliages, soumis à déclaration.

M. [I] estime subir des troubles anormaux du voisinage, et a assigné la SAMT selon exploit en date du 1er juillet 2011, où il réclamait une somme de 100'000 € en réparation de son préjudice moral et de jouissance paisible de sa propriété, une somme de 210'000 € en réparation de son préjudice lié à la dépréciation de sa propriété et la somme de 108'000 euros au titre de la perte de revenus locatifs .

Les parties ont conclu et par jugement contradictoire en date du 17 janvier 2013, le tribunal de grande instance d'Aix-en-Provence a condamné la SAMT à payer une somme de 35'000 € au demandeur en réparation de son préjudice, outre 2000 € au titre des frais inéquitablement exposés.

La SAMT a relevé appel de façon régulière et non contestée le 18 mars 2013. Il sera fait application de l'article 455 du code de procédure civile.

L'appelante a conclu de façon récapitulative le 2 octobre 2013 et demande à la cour d'infirmer le jugement et de débouter M. [I] de toutes ses demandes.

Ce dernier n'a pas été et n'est pas personnellement victime des désordres phoniques allégués. Il a subi aucun préjudice esthétique.

Reconventionnellement, une somme de 30'000 euros est réclamée pour procédure abusive, outre 5000 € au titre des frais inéquitablement exposés.

M. [I], intimé, a conclu le deux août 2013 et demande à la cour de confirmer sur le principe de la responsabilité pour troubles anormaux du voisinage, et de réformer sur le quantum.

Statuant à nouveau, la cour condamnera l'appelante à lui payer une somme de 100'000 € en réparation de son préjudice consécutif aux troubles de jouissance arrêtés au premier août 2013, une somme de 129'600 € en réparation du préjudice lié à la dépréciation de sa propriété, et une somme de 5000 € au titre des frais inéquitablement exposés.

L'ordonnance de clôture est en date du 6 janvier 2014.

Sur ce :

Attendu que le droit pour un propriétaire de jouir de son bien de la manière la plus absolue, sur le fondement de l'article 544 Code civil, est limité par l'obligation qu'il a de ne causer à ses voisins aucun dommage dépassant les inconvénients normaux du voisinage, le trouble anormal du voisinage devant être apprécié in concreto en fonction de l'environnement dans lequel il se produit, de son intensité et de sa durée, même en l'absence de toute infraction aux réglementations applicables en matière d'urbanisme ou d'installations classées ;

attendu qu'il convient de reprendre logiquement chaque catégorie de troubles invoqués par M. [I] ;

Sur les nuisances sonores :

Attendu que l'appelante rappelle elle-même que son premier permis de construire autorisait en 1997 des bureaux et un atelier destiné au façonnage et à l'assemblage de certains aciers, mais que son développement a impliqué en juin 2004 la construction d'un local industriel de 1321 m², autorisé selon permis en date du 21 juin ;

attendu qu'il est conclu expressément que malgré les précautions prises, dont un mur de clôture antibruit autorisé implicitement par la mairie le 17 juillet 2007, il a été révélé par la DRIRE des « écarts » par rapport à la réglementation phonique, le 4 mars 2008 ;

Attendu que l'appelante indique avoir fait réaliser une étude complète par l'APAVE le 26 mars 2008, étude régulièrement communiquée, dont il résulte de façon dénuée d'ambiguïté :

- « il existe une gêne acoustique de voisinage engendrée par les activités de SAMT. la gêne est plus importante côté ouest, point deux et trois, elle est due aux machines (M.E.P, Bartec), aux ponts, aux camions mais aussi beaucoup aux bruits de choc métallique (chute de pièces') très nets. La radio de fort niveau côté Bartec a été coupée dès le début de nos mesures. » ;

- La société ne fonctionnant pas la nuit, ni le dimanche et les jours fériés, il n'a pas été réalisé de mesures en période nocturne ;

Attendu qu'il suffit de lire le plan indiquant les emplacements des points de mesure pour constater que le point un est celui le plus rapproché du lot de M. [I], avec une émergence par rapport au niveau sonore initial de 6,8 dB, par rapport aux cinq autorisés ; que l'émergence en point deux et trois est de 15,8 dB et 11,2 dB, toujours par rapport à 5 dB admis ;

Attendu qu'ainsi, il ne peut être sérieusement contesté que de 2004 à 2008, le dépassement de l'émergence réglementaire est acquis, pendant les heures de travail, l'argumentation selon laquelle elle est plus forte côté ouest ne permettant en aucune manière d'affirmer de façon péremptoire qu'il n'y avait aucune émergence dommageable pour le lot de l'intimé, sauf à occulter les pièces versées à son dossier sur ce volet par ce dernier et qui seront examinées infra ;

Attendu que la réalité d'un problème de respect de la réglementation est évidente, puisque l'appelante reconnaît elle-même avoir fait l'objet d'une mise en demeure par le préfet en date du cinq août 2008, pour réaliser les dispositions techniques retenues pour remédier aux nuisances sonores générées par le fonctionnement des installations ;

Attendu que l'appelante indique ensuite avoir été diligente et avoir effectué les travaux préconisés , se prévalant d'un rapport IGETEC d'octobre 2010, d'un courrier de la préfecture en date du 16 novembre 2009, ainsi que du 1er février 2011 faisant état de ce qu'il « apparaît à ce jour que votre installation respecte les seuils en matière de bruit » ;

Attendu que la réalité est plus complexe, puisque le courrier du 16 novembre 2009 de la préfecture décrit les mesures effectuées qui ont donné satisfaction et n'ont pas révélé d'émergence, à partir de trois points de contrôle et avec des vérifications opérées le matin et l'après-midi, l'atelier étant en fonctionnement, et entre 12 et 13:00, l'atelier étant à l'arrêt ;

Attendu que de façon quelque peu inattendue, le représentant du préfet, tout en reconnaissant le respect des prescriptions en matière de bruit et la mise en conformité par rapport à la mise en demeure, a précisé que les mesures n'avaient pas vocation à être réalisées « de façon inopinée », et qu'il était important de noter qu'en matière de bruit, un grand nombre de paramètres vienne en nuancer la perception, dont :

- la production de l'entreprise et donc le bruit qu'elle est susceptible de générer peut différer dans le temps en fonction de la production ;

- l'implantation géographique des habitations des différents plaignants par rapport à l'atelier est un critère important, il varie considérablement d'un voisin à l'autre ;

- les conditions climatiques sont un aspect non négligeable sur la perception du bruit et la justesse des mesures ;

Attendu que le représentant du préfet a conclu enfin à la difficulté résultant la matière de la cohabitation d'une zone dédiée à des activités susceptibles de générer du bruit, même en deçà des seuils réglementaires, et d'une zone pavillonnaire ;

Attendu que l'on conviendra de l'importance des précisions ainsi exposées par une autorité

dont l'avis manifestement pondéré et nuancé est en réalité corroboré par l'étude en date du 23 juillet 2012 que verse l'intimé aux débats, qui émane elle aussi de l'APAVE et qui n'est pas autrement commentée par l'appelant ;

Attendu que cette étude, dont rien ne permet de contester le sérieux, a été réalisée de façon inopinée, selon une norme parfaitement précisée, avec précision des intervalles de mesures retenus pour le bruit ambiant en période d'activité, et pour le bruit résiduel après l'activité ou en milieu de journée ;

Attendu qu'il est essentiel de noter que le point de mesure était voisin de la terrasse de M. [I], et non pas en bordure de la parcelle SAMT, ce qui est plutôt favorable à cette société qui aurait pu se plaindre juste titre de mesures effectuées au plus près de son terrain ;

Attendu que les non-conformités relevées en matière d'émergence sont patentes en termes d'analyse par demi heure (page sept), et peuvent se résumer par des émergences de 12 à sept (9,5 sur la période complète), alors que l'admission ne peut dépasser 5 dB ;

Attendu que le rapport a donc conclu à l'irrespect de l'arrêté du 23 janvier 1997, avec des émergences non conformes dans 60 % des cas, avec pour certaines demi-heures des valeurs d'émergence élevée dépassant largement les valeurs limites fixées par l'arrêté précité ;

Attendu qu'il ne saurait donc être considéré, d'un point de vue réglementaire, que l'appelant puisse valablement soutenir que M. [I] n'a jamais été personnellement affecté par des nuisances sonores, et que la société a pris toutes dispositions pour réduire au maximum les bruits normaux résultant de son activité ;

Attendu que la cour rappelle en toute hypothèse que le respect de la réglementation, nullement démontré en l'espèce bien au contraire, ne suffit pas à exclure la possibilité de troubles anormaux du voisinage, la cour restant à cet égard tenue d'examiner in concreto les pièces de M. [I], dont ses attestations dont force est de constater qu'elles ne sont ni commentées , ni a fortiori contestées par l'appelante ;

Attendu qu'à cet égard, l'interview du gérant de la société appelante, dans le journal le régional daté du 14 au 20 avril 2010, n'est pas commenté dont il résulte que l'atelier litigieux travaille quelque 800 t d'acier en moyenne par mois, ce qui ne saurait à l'évidence se faire sans bruits générés par le transport des aciers, leur entreposage, leur manipulation par grue ou par pont, leur découpe et leurs soudures, le tout dans un immense atelier dont les photos produites démontrent qu'il fonctionne portes grandes ouvertes sur le devant ;

Et attendu que topographiquement, la terrasse de M. [I] est située en contre haut du grand atelier, dont la distance par rapport à la limite de propriété de l'intimé est d'environ 15 m, ce qui ne fait qu'ajouter à la portée probatoire des attestations fournies qui sont en substance les suivantes :

- attestation [U] : « bruit infernal de la journée de fer qui claque, des ponts roulants qui grincent et des voitures qui se garent, des portes qui claquent, des radios qui hurlent. Quand on s'installe sur la terrasse, le bruit de la ferraille et du pont roulant nous gâche tous les moments qu'on pourrait passer ensemble... » ;

- Attestation [J] : « bruit quasi permanent des trois ponts roulants (grincements), torsion de la ferraille, bruit de la ferraille qui tombe une fois sectionnée, conversation entre ouvriers, ces derniers de par le bruit des machines n'ont pas d'autre alternative que de hausser le ton, la voix pour se faire entendre et comprendre ce qui nuit encore plus à l'environnement » ;

- Attestation [T] : « c'était un endroit magnifique, très calme, avec une superbe vue sur l'étang, maintenant il y a beaucoup de bruit toute la journée » ;

- Attestation [X] : « petit à petit, une construction a fini par devenir un hangar plus grand qu'un terrain de foot, des bruits de ferraillage, des gens qui hurlent, des allées et venues obsédantes de véhicules ont remplacé le calme bucolique des années 2000 ... Plus de sieste, plus de fenêtres ouvertes, vigilance absolue pour circuler dans le quartier, le paradis devenu un enfer » ;

- Attestation [X] [V] : « en l'espace de 10 ans, le lieu s'est transformé en une zone industrielle bruyante et inesthétique. Un endroit paisible donnant sur l'étang de Berre, on est passé petit à petit à une usine de ferraille agressive pour les yeux et les oreilles..; D'un endroit calme on est passé à une circulation de véhicules incommodants » ;

- Attestation [M] [H] : « au fur et à mesure de mes visites entre 2000 et 2008, d'un espace généreux et calme on est passé à un espace fermé par des murs démesurés et incompréhensibles. L'usine s'est développée produisant des bruits métalliques insupportables avec des cris d'employés s'interpellant sans cesse, des allées et venues de véhicules ont créé une animation agressive. Le tout est devenu tellement stressant que j'ai renoncé à rendre visite à ma fille... » ;

- Attestation [G] [W] : « en premier lieu le bruit : mieux vaut ne pas venir en semaine car le niveau de bruit peut être invivable, on entend comme un énorme marteau-piqueur qui casserait des cailloux résistants sans s'arrêter. Il vaut mieux alors rester à l'intérieur de la maison. Il est impossible de profiter du jardin, de la terrasse et de la vue sur l'étang... » ;

Attendu que la cour a pris soin de privilégier les attestations de tiers, qui même s'il s'agit d'amis ou de la mère de la compagne de M. [I], ne sont pas commentées ni contestées,

l'intimé versant au surplus une attestation fort détaillée de sa compagne Mme [M], qui ne fait que préciser les troubles sonores subis pendant les cinq jours ouvrables de la semaine et qui résulte à la fois de la manipulation des aciers, de la nécessité pour les ouvriers de coordonner leur activité en hurlant à cause du bruit des ponts et de la ferraille , le tout à mettre en perspective avec l'importance des volumes traités ;

Attendu que dans le contexte ci-dessus repris par le représentant du préfet dans le courrier précité, de cohabitation d'une zone pavillonnaire et d'une zone artisanale de ce type, la cour estime que l'intimé démontre l'existence d'un trouble anormal du voisinage à tout le moins depuis 2004, date de l'agrandissement et de la construction du grand hangar, qui résulte des nuisances sonores que la mise en demeure préfectorale n'a pas réussi à juguler ;

Attendu que la cour rappelle enfin, ce qui constitue une transition avec la discussion sur le cadre de vie, que le trouble est d'autant plus établi qu'il oblige M. [I] à ne profiter pleinement de sa terrasse qu'en période d'inactivité de l'entreprise, alors qu'il bénéficiait depuis son arrivée en 86, largement antérieurement à l'implantation de la société, de l'agrément procuré par le calme de son jardin et de sa terrasse, avec vue sur la végétation et sur l'étang ;

Sur les troubles anormaux liés à l'altération du paysage et du calme environnant :

Attendu qu'il est difficilement contestable que l'environnement a constitué un des facteurs ayant amené M. [I] à acquérir sa parcelle, située à proximité de bois classés et disposant d'une vue sur l'étang, le tout dans une zone à vocation à l'évidence d'habitat individuel (zone UD) , et au bout d'une impasse à trafic nécessairement réduit puisque ne desservant à son extrémité que la parcelle de l'intimé ;

Attendu que la société SAMT rétorque à juste titre qu'elle n'est pas responsable de l'implantation d'une zone industrielle à proximité du terrain de l'intimé, seule la commune qui possédait auparavant la parcelle consacrée maintenant au ferraillage ayant fait ce choix d'urbanisme ;

Mais attendu qu'il convient de rappeler un élément juridique pour le moins étonnant mais qui n'est pas contesté, à savoir que le permis de construire de 2004 a été annulé par la cour d'appel administrative de Marseille le 12 février 2009, avec non admission du pourvoi par le conseil d'État le 22 mars 2010 ;

Attendu que force est de constater que l'exploitation actuelle de l'atelier de 1248 m² repose donc sur un permis de construire annulé , avec la précision que cette annulation a été motivée pour deux raisons, à savoir l'absence de justification dans la demande du permis de construire d'une autorisation pour l'activité déclarée, impliquant une puissance électrique supérieure à 50 kW, et d'autre part l'erreur manifeste d'appréciation du maire ayant délivré un permis pour un toit en bac acier blanc et bleu, alors que le plan d'occupation des sols imposait une couverture par des matériaux de coloris terre cuite ou d'autre couleur ne tranchant pas sur le contexte et ne présentant aucune brillance ;

Attendu que si l'appelante estime qu'il s'agit là de motifs purement formels, et poursuit d'ailleurs son exploitation sans être aucunement inquiétée au vu du dossier , il est significatif de relever que précisément M.[I] se plaint de la brillance du toit, que ce soit au soleil ou par reflet des lumières des installations de la parcelle au cours de la nuit ;

Attendu que ce point important étant relevé, la cour adopte les motifs pertinents du premier juge sur ce volet qui a tenu compte de l'implantation des ateliers en contrebas de la parcelle [I], qui est de nature à limiter la nuisance, mais aussi de la construction d'un mur antibruit de 2 m de hauteur décrit par l'appelante comme de nature à remédier aux nuisances sonores, ce qui est manifestement erroné au vu du rapport de l'APAVE ci-dessus précité ;

Attendu que M. [I] , en butte aux nuisances sonores qui constituent incontestablement un trouble anormal du voisinage, est donc confronté à la vision, à tout le moins depuis le bas de sa parcelle, d'un toit brillant couronnant un édifice de plus de 1000 m², construit à cause de ce toit sur la base d'un permis annulé, d'une grue permanente de plus de 36 m de hauteur (confère permis de construire du 16 mars 2009) et d'un mur en parpaings gris de 2 m de hauteur censé remédier aux nuisances sonores, alors que sur le terrain il constitue d'abord la limite d'un parking situé entre la clôture de M. [I] et le décaissement de la colline ayant permis la construction du grand hangar (le permis de construire précité évoque un mur de soutènement) avant même d'évoquer l'environnement industriel manifestement peu maîtrisé visible depuis, chez lui et consistant en des dépôts de pneus usagés, de plastique, de petites ferrailles et autres rebuts, la cour relevant entre autres que des employés n'ont pas hésité en pleine période estivale à allumer un feu de palettes , nécessitant l'intervention lourde des pompiers ;

Attendu que même en faisant la part de l'inexistence d'un droit immuable à la vue, et même en rejetant les effets de comportements ponctuels ou inadaptés, il n'en demeure pas moins que l'irrespect de la réglementation en matière de permis de construire est patente, et qu'elle se traduit in concreto par un trouble , dépassant le seuil de la normalité , à l'environnement dont M.[I] bénéficiait, même si cette atteinte est partielle selon l'endroit où l'on se trouve sous sa parcelle, rappel étant fait en revanche de la perception des nuisances sonores sur les lieux de vie quotidiens dont la terrasse ;

qu'il est donc pour le moins artificiel de raisonner en cloisonnant les nuisances, alors qu'il s'agit d'un contexte global où le bruit, la vue limitée par le mur de parpaings et la vue plongeante sur le toit du grand hangar et sur la grue constituent autant de rappels difficilement dissociables de l'environnement devenu en réalité quasiment industriel , avant même d'aborder les problèmes de circulation et de stationnement ;

Sur les troubles liés à la circulation et au stationnement :

Attendu qu'il convient de remarquer en liminaire que l'appelante se borne sur ce volet à invoquer la nécessaire prudence imposée par le code de la route en matière de circulation sur la voie publique, et ne commente donc pas les diverses pièces versées par l'intimé au soutien de son argumentation sur ce volet, ni ne les conteste a fortiori ;

Attendu qu'au-delà de ses attestations, M. [I] verse aux débats diverse photos dont il résulte à l'évidence qu'il est confronté non seulement à la circulation dans le chemin direct d'accès à son portail de camions de plusieurs tonnes transportant des ferrailles mais aussi à la gêne que constitue leur empattement égal à la largeur de la route, pour son accès et ses sorties directes, avec nécessité pour eux de manoeuvrer à l'abord immédiat de son portail ;

que la cour ne considère pas que cette gêne ait un caractère ponctuel, puisque il a été motivé supra sur l'importance de l'activité, et que des photos sont produites de camionnettes avec le sigle S.A.M.T garées sur la voie publique juste devant la parcelle [I] , ainsi qu'une photo d'un camion de livraison avec hayon descendu , manifestement à l'arrêt et bouchant l'accès chez M. [I] ;

Attendu que si la SAMT n'est pas responsable du sous dimensionnement évident de la voirie, alors qu'elle était suffisante à desservir le lot [I] avant 1997, il n'en demeure pas moins que la démonstration est faite d'un trafic spécifique de poids-lourds et de camionnettes généré par l'activité de cette société, et qui de fait constitue un trouble anormal du voisinage par les difficultés d'accès et de sortie récurrentes que subit la parcelle [I] , alors que la voie publique est par définition destinée à assurer une circulation fluide, sauf obstructions pouvant avoir un caractère normal, ce que la cour n'estime pas en l'espèce au vu des photos et des attestations produites ;

Attendu que le problème du parking n'est que le corollaire de ce problème de circulation, la SAMT ne contestant pas que ses employés se garent sur un parking non sécurisé ni fermé situé sur la parcelle AS[Localité 1] qui lui appartient, et bordée d'une part par la clôture de M. [I] et d'autre part par le mur en parpaings qualifié d'antibruit de 2 m de hauteur ;

qu'il n'est pas contesté que ce parking constitue un lieu bruyant aussi bien en période d'activité qu'en période nocturne ou de fin de semaine, la SAMT ne pouvant ignorer qu'il est utilisé par ses employés et que sa non fermeture l'expose à toutes les utilisations, y compris les plus bruyantes, hors périodes d'activité ou au cours de la nuit ;

que par ailleurs, la SAMT n'a prévu aucune possibilité de retournement sur les parcelles lui appartenant, rien ne permettant donc de suppléer le sous dimensionnement de la voirie publique par rapport au trafic qu'elle génère, ce qui oblige notamment les poids-lourds de livraison à reculer jusqu'au rond-point antérieur, et ne fait qu'aggraver la situation en termes de sécurité et de lenteur des manoeuvres qui majorent les difficultés d'accès et de sortie de la parcelle [I] ;

Attendu que la cour estime en réalité que les pièces produites démontrent que l'activité générée par la SAMT répercute sur la voie publique des nuisances dont elle doit répondre dès lors qu'elles ont un caractère anormal, sans pouvoir se défausser sur le sous dimensionnement de la voie publique , dès lors que les aménagements prévus en la matière à l'intérieur de sa parcelle se révèlent sur ce volet manifestement insuffisants ;

Sur la réparation des préjudices :

Attendu que M. [I] invoque d'abord un trouble de jouissance sur la période arrêtée au premier août 2013, la cour ayant motivé sur l'existence d'un trouble anormal de voisinage depuis à tout le moins le permis de construire accordé en 2004 ;

Attendu que l'intimé verse aux débats une étude immobilière qui a été soumise au débat contradictoire et qui n'est pas commentée , avec photos de sa parcelle et de l'intérieur de son bien qui atteint 150 m² utiles pondérés, pour une valeur que l'expert a estimée à 405'000 € ,

avant déduction de 129'000 € due aux nuisances ;

Attendu que même si la plus grande prudence s'impose s'agissant de ces estimations, les travaux de cet expert démontrent à tout le moins l'excellent état d'entretien de la maison et du jardin, pour une valeur maximale de 405'000 € et minimale oscillant entre 330 et 360'000 €, si l'on considère par hypothèse que la déduction opérée de 129'000 est trop généreuse ;

Et attendu que dans tous les cas de figure, une valeur locative mensuelle de 1000 €, avant toute réduction due aux nuisances, est tout à fait admissible et raisonnable, puisque correspondant à un rapport brut locatif de trois à 5 %, selon l'estimation globale du bien retenue ;

Attendu que s'agissant d'un préjudice de jouissance subi à tout le moins pendant les périodes d'activité des cinq jours ouvrables de la semaine pour ce qui concerne les nuisances sonores, et les difficultés de circulation, mais de façon permanente pour l'atteinte visuelle sur laquelle il a été motivé supra, la cour estime que depuis juin 2004, le préjudice subi peut-être évalué à 45'000 €, soit environ 40 % de la valeur locative ;

Attendu que l'intimé évoque ensuite une perte de la valeur vénale de son bien, et fonde sa demande sur l'étude dont la cour s'est servie ci-dessus pour évaluer la valeur locative ;

Attendu que la société appelante se borne à conclure que ce préjudice d'une part n'est pas démontré et d'autre part n'est pas la conséquence de ses agissements ;

Mais attendu qu'en l'espèce, la pérennité de l'exploitation de l'entreprise et l'absence de toute solution ou de toute proposition raisonnable de nature à normaliser à terme les troubles anormaux subis grèvent de façon certaine et réelle la valeur d'une parcelle achetée 230'000 fr. (35'000 € en 1986 ) et qui en vaudrait aujourd'hui beaucoup plus que le double ; que sans aller jusqu'à la perte retenue par l'étude de M. [N], pour l'ensemble de la parcelle et du bâti, il est certain que la situation de la parcelle, au plus près de celle de la SAMT, modifie irrémédiablement sa valeur vénale , hors construction, pour un montant que la cour estime fort raisonnablement à 40'000 € , tout autre analyse occultant la plus-value qu'elle possédait à l'origine par rapport à une parcelle constructible classique , et qui résultait de l'environnement champêtre, du calme et de la vue sur l'étang ;

Attendu qu'il a été motivé supra sur les raisons précises de ces nuisances (motivations de l'annulation du permis de construire , bruits permanents, circulation générée par l'activité notamment) qui interdisent à la société appelante de se défausser sur la seule responsabilité de la commune lors de la création de la zone industrielle où elle est installée, peu important en droit le respect de la réglementation, dont il a été motivé d'ailleurs que tel n'est pas le cas pour les nuisances sonores et pour le permis de construire ;

Attendu que s'agissant du préjudice locatif, il n'est pas suffisamment démontré ;

Attendu que la somme de 4000 € est raisonnable et justifiée au titre des frais inéquitablement exposés en cause d'appel ;

Par ces motifs, la cour statuant contradictoirement :

Déclare l'appel infondé ;

Fait droit partiellement à l'appel incident sur le montant des dommages-intérêts ;

Statuant à nouveau de ce chef, condamne la société d'armatures Manna et Thirion à payer à M. [I] la somme de 45'000 € à titre de dommages-intérêts réparant les préjudices subis depuis 2004 du fait des troubles anormaux de voisinage, ainsi que la somme de 40'000 € au titre

de la perte de valeur certaine et irrémédiable de la parcelle appartenant à ce dernier ;

Condamne l'appelante à supporter les entiers dépens, outre le paiement à l'intimé d'une somme de 4000 € au titre des frais inéquitablement exposés en cause d'appel qui s'ajouteront à ceux disposés par le premier juge et seront recouvrés au bénéfice de l'article 699 du code de procédure civile.

Le greffier, Le président,

S. Massot G. Torregrosa


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : 4e chambre a
Numéro d'arrêt : 13/05023
Date de la décision : 13/02/2014

Références :

Cour d'appel d'Aix-en-Provence 4A, arrêt n°13/05023 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2014-02-13;13.05023 ?
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