COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
1re Chambre B
ARRÊT AU FOND
DU 13 FEVRIER 2014
D.D-P
N° 2014/88
Rôle N° 13/00996
[P] [R] veuve [I]
[Q] [I]
[U] [I]
[H] [G] épouse veuve [I]
[F] [I]
C/
SARL ALTHOFF HOTELS FRANCE
SA GENERALI ASSURANCES IARD
Grosse délivrée
le :
à :
SCP TOLLINCHI - PERRET-VIGNERON
SCP COHEN - GUEDJ - MONTERO - DAVAL-GUEDJ
[L] [K]
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Grande Instance de DRAGUIGNAN en date du 06 Décembre 2012 enregistré au répertoire général sous le n° 10/08535.
APPELANTS
Madame [P] [R] veuve [I]
née le [Date naissance 2] 1961 à [Localité 5] (Suède),
demeurant [Adresse 2]
Mademoiselle [Q] [I]
née le [Date naissance 4] 1993 à [Localité 4] ,
demeurant [Adresse 2]
Monsieur [U] [I]
né le [Date naissance 1] 1996 à [Localité 1] ([Localité 1]),
demeurant [Adresse 2]
Madame [H] [G] veuve [I]
née le [Date naissance 3] 1940 à [Localité 3] (75),
demeurant [Adresse 1]
Monsieur [F] [I]
né le [Date naissance 5] 1964 à [Localité 3] (75),
demeurant [Adresse 4]
représentés par la SCP TOLLINCHI - PERRET-VIGNERON, avocat au barreau D'AIX-EN-PROVENCE, ayant pour avocat Me Grégory BILLET avocat au barreau de LILLE.
INTIMEES
SARL ALTHOFF HOTELS FRANCE
identifiée sous le n°412 327 843 et immatriculée au RCS de Fréjus sous le n° 2006 B 40252 , dont le siège social est sis [Adresse 5], représentée par son gérant ,Monsieur [E] [W] , domicilié en cette qualité audit siège.
représentée par Me Paul GUEDJ de la SCP COHEN - GUEDJ - MONTERO - DAVAL-GUEDJ, avocats au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, plaidant Me Philippe PLANTADE, avocat au barreau de PARIS.
SA GENERALI ASSURANCES IARD,
dont le siège social est sis [Adresse 3]
prise en la personne de son président du conseil d'administration en exercice domicilié en cette qualité audit siège.
représentée par Me Pierre LIBERAS, avocat au barreau D'AIX-EN-PROVENCE
plaidant par Me François HASCOET de la SCP HASCOET - TRILLAT, avocat au barreau de PARIS, substitué par Me Julie VERDON avocat au barreau de PARIS.
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 16 Janvier 2014 en audience publique. Conformément à l'article 785 du Code de Procédure Civile, Mme Danielle DEMONT-PIEROT, Conseiller , a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Monsieur François GROSJEAN, Président
Mme Danielle DEMONT-PIEROT, Conseiller
Monsieur Dominique TATOUEIX, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Mme Dominique COSTE.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 13 Février 2014.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 13 Février 2014,
Signé par Monsieur François GROSJEAN, Président et Mme Dominique COSTE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
EXPOSE DU LITIGE
M.[V] [I] et Mme [P] [R] se sont mariés le [Date mariage 1] 1992.
De cette union sont issus deux enfants, [Q] et [U].
Le 6 juillet 2004, M.[V] [I] est venu à [Localité 2] pour obligations professionnelles et a réservé une chambre à l'hôtel Vista Palace, propriété de la SARL ALTHOFF HÔTELS FRANCE .
Le lendemain matin, M. [V] [I] n'ayant pas libéré la chambre, le personnel est entré et s'est aperçu de la disparition de ce dernier.
Son corps a été retrouvé à l'aplomb de la chambre en contrebas d'une falaise.
L'enquête de police diligentée a permis de déterminer que se trouvant enfermé sur le balcon de la chambre, il avait entrepris de se glisser sur le balcon d'une autre chambre, et probablement perdu l'équilibre.
Les constatations techniques et les témoignages du personnel de l'hôtel, ont révélé une défectuosité récurrente du système de fermeture et d'ouverture des portes-fenêtres des chambres, plusieurs enfermements involontaires sur les terrasses ayant déjà eu lieu.
Les victimes avaient alors pu alerter les secours depuis leur cellulaire ou briser une vitre pour pouvoir rentrer.
Par exploit du 16 mai 2007, Mme [P] [R], agissant tant à titre personnel qu' en sa qualité d'administratrice de ses enfants mineurs a fait assigner la société ALTHOFF HÔTELS FRANCE, en réparation du préjudice subi suite au décès.
Par exploit du 7 avril 2009, Mme [H] [G] veuve [I] et M.[F] [I], respectivement la mère et le frère de M.[V] [I], ont également fait assigner la société ALTHOFF HÔTEL FRANCE en réparation de leur préjudice au titre d'une perte de subsides et au titre d'un préjudice d'affection.
Par exploit du 16 mars 2001, les consorts [I] ont appelé en la cause la SA GENERALI Assurances IARD assureur de la société ALTHOFF HÔTEL FRANCE.
Par jugement contradictoire en date du 6 décembre 2012, le tribunal de grande instance de Draguignan a :
vu les articles 1147, 1165 et 1382 du code civil,
- dit recevable l'action de [Q] [I] et accueille son intervention volontaire,
- dit que la société Althoff Hôtel France qui a commis une faute est responsable du préjudice subi par M. [V] [I],
- dit que les consorts [I] sont bien fondés à demander réparation de leur préjudice à l'encontre de la société Althoff Hôtel France,
- fixé le préjudice économique de :
- Mme [P] [R], veuve [I] : 1.233.406,29 €,
- Mlle [Q] [I] : 311.039,29 €,
- M.[U] [I] : 342.097,06 €,
les dites sommes portant intérêt à compter de la décision,
- constaté qu'eu égard aux sommes déjà perçues de la CPAM et de CAPAVES Prévoyance, aucune somme ne leur revient de ce chef,
- condamné la société Althoff Hôtels France à payer à :
- Mme [P] [R], veuve [I] : 25 500 €,
- Mlle [Q] [I] : 25 500 €,
- Mme [P] [R], veuve [I], es qualités de représentant légal de son fils mineur M. [U] [I] : 25 500 €,
- Mme [H] [G], veuve [I] : 10 000 €,
- M.[F] [I] : 5 000 €,
en réparation de leur préjudice moral et 3 500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ,
- débouté la société Althoff Hôtels France et les consorts [I] de leur appel en garantie dirigé contre la société GENERALI,
- condamné la société Althoff Hôtels France aux dépens,
- et ordonné l'exécution provisoire de la décision.
Le tribunal énonce en ses motifs
sur la faute
que l'enquête de police a permis de caractériser un manquement de l'hôtelier à son obligation de moyen ; qu'en effet la société Althoff Hôtels France invoque l'absence de lien de causalité compte tenu du taux d'alcoolémie de la victime et de sa prise de risque inconsidérée ; que le taux d'alcoolémie (0,68 g par litre) n'a pas été relevé de manière techniquement fiable ; que la victime n'était pas tenue de porter son téléphone cellulaire sur elle compte le parvenir à briser une vitre ;
sur la garantie de la GÉNÉRALI
que l'assureur soutient que le contrat est dépourvu d'alea et que sa garantie n'est pas acquise s'agissant des conséquences d'un défaut connu de l'assuré, la société ayant connaissance du dysfonctionnement des portes-fenêtres ;que ce dysfonctionnement est postérieur à la souscription du contrat de sorte que ce dernier n'est pas dépourvu d'aléa ;que les conditions générales de la garantie stipulent en page 18 :
« Nous ne garantissons pas les cas où votre responsabilité civile est recherchée pour les dommages corporels et matériels et immatériels du fait d'un vice un défaut un dysfonctionnement de travaux, biens, produits, marchandises dont vous aviez connaissance, soit à la conclusion du contrat, soit lors de la souscription d'une extension ou encore pendant la période de validité du contrat, si dans ce dernier cas, aucune mesure n'est prise pour empêcher le dommage. » ; qu'en mars 2003, un précédent occupant de la même chambre 208 avait dû casser une vitre pour rentrer dans sa chambre ; qu'aucune mesure n'a été prise pour remédier au désordre ; et que ce n'est qu'après le décès de M. [I] le 6 juillet 2004 que tous les systèmes de fermeture des portes-fenêtres ont été modifiés ;
Sur la réparation du préjudice
qu'il convient de calculer le revenu annuel net du ménage avant le décès, déduire de ce revenu global la part des dépenses personnelles de la victime décédée soit 15 à 20 % pour un couple avec enfant, déduire du montant retenu les revenus du conjoint survivant et les prestations servies, partager la perte patrimoniale qui en est résultée entre le conjoint survivant et les enfants en fonction de la composition du groupe familial après le décès (45 à 60 % pour le conjoint survivant, 15 à 20 % pour chacun des enfants) et capitalisé la perte patrimoniale de chacun des membres du groupe familial (sans condition de temps pour le conjoint survivant et à temps pour les enfants selon la durée prévisible des études) ; qu'après avoir effectué ce calcul il s'avère que la caisse de prévoyance CAPAVES ou de la CPAM a déjà versé à la veuve et aux enfants un capital décès ou des rentes annuelles qui sont de montants supérieurs de sorte qu'aucun solde ne leur revient de ce chef .
Par déclaration du 16 janvier 2013, Mme [P] [R] veuve [I], Mlle [Q] [I], Mme [H] [G] veuve [I] et M.[F] [I] ont relevé appel de ce jugement.
Par déclaration en date du 13 février 2013, la société ALTHOFF HÔTEL FRANCE a également relevé appel.
Par conclusions notifiées le 18 décembre 2013 les consorts [I] demandent à la cour, au visa des articles 389-6, 1382 et suivants du code civil, des articles 699 et 700 du code de procédure civile :
- de confirmer le jugement en ce qu'il a reconnu la société Althoff Hôtels France responsable du décès de M. [V] [I],
- de réformer le jugement en ce qui concerne la fixation du préjudice économique,
- de le fixer en conséquence pour:
- Mme [P] [R] à la somme à titre principal de 2.277.207,13 € ou à titre subsidiaire de 1 869 040,34€,
- Mlle [Q] [I] à la somme de 137.143,03 €,
- M.[U] [I] à la somme de 150.836,98 €,
- de réformer le jugement en ce qu'il a constaté qu'eu égard aux sommes déjà perçues par la CPAM et de CAPAVES Prévoyance, aucune somme ne leur revient de ce chef,
- de condamner en conséquence la société Althoff Hôtels France à payer les sommes susmentionnées,
- de réformer le jugement en ce qui concerne la fixation du préjudice moral,
- de le fixer en conséquence pour:
- Mme [P] [R] à la somme de 200.000 €,
- Mlle [Q] [I] à la somme de 200.000 €,
- M.[U] [I] à la somme de 200.000 €,
- Mme [H] [G] veuve [I] à la somme de 100.000 €,
- M.[F] [I] à la somme de 75.000 €,
- de condamner la société Althoff Hôtels France au paiement de ces sommes,
- de la condamner au paiement à chacun des consorts [I] d'une somme de 5 000€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens, dont ceux d'appel distraits,
- de réformer le jugement en ce qu'il a débouté les consorts [I] de leur appel en garantie contre la société GENERALI IARD,
- et de dire en conséquence que celle ci sera tenue de garantir la société Althoff Hôtels France de toute condamnations pouvant intervenir à son encontre.
Par conclusions notifiées le 18 décembre 2013, la SA GENERALI Assurances IARD demande à la cour, au visa des articles 1382, 1383 et 1384 du code civil, de l'article 1315 du code civil :
- de juger que les dysfonctionnements de la porte étaient connus et répétés, de sorte que le contrat est dépourvu d'aléa,
- de juger que la défaillance du système de fermeture de la porte fenêtre de la chambre 208 est constitutive "vice, un défaut, un dysfonctionnement de travaux" dont l'hôtel avait connaissance au sens du contrat,
- de juger que le dommage qui en a résulté est exclu de la garantie d'assurance,
- de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté les consorts [I] et la société Althoff Hotels France de leur appel en garantie à l'encontre de la société GENERALI en faisant application de la clause d'exclusion afférente aux conséquences d'un défaut connu de l'assuré,
- d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a retenu la responsabilité de la société Althoff Hotels France dans la survenance du sinistre,
et statuant à nouveau,
- de juger qu'il n'existe aucun lien de causalité entre le prétendu dysfonctionnement des portes vitrées et le décès de M.[I],
- de débouter les requérants de l'ensemble de leurs demandes.
à titre subsidiaire
- de juger que les fautes commises par M.[I] sont de nature à réduire
substantiellement et dans une proportion qui ne saurait être inférieure à 50% le droit à indemnisation des consorts [I],
à titre plus subsidiaire, sur les préjudices allégués par les consorts [I]
- de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a retenu qu'aucune somme n'était due à Mme [P] [R], agissant à titre personnel et en qualité de représentant légal de son fils mineur [U] [I], et à Mme [Q] [I] au titre du préjudice économique,
- de réduire à de plus justes proportions leurs demandes,
- de juger que le préjudice économique de Mme [I] consécutif au décès de son époux ne saurait excéder la somme de 210 568,66 €,
- de juger que les enfants de M. [I], [Q] et [U] sont justement indemnisés de leur perte de revenus par la pension de réversion, et qu'il n'y a pas lieu de leur allouer d'indemnité supplémentaire,
- de débouter [U] et [Q] [I] de leurs demandes à ce titre,
- de juger que les demandes des consorts [I] au titre du préjudice moral sont manifestement excessives,
- de juger qu'il apparaît de juste proportion d'allouer 20.000 € à Mme [I] ainsi qu'à chacun de ses deux enfants, [Q] et [U],
- de juger qu'il apparaît de juste proportion d'allouer la somme de 6.000 € au frère d'[V] [I], M. [F] [I], ainsi qu'à la mère de M. [I], Mme [H] [G], veuve [I],
- et de condamner tout succombant à payer à la société GENERALI la somme de 2.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
Par conclusions notifiées le 17 décembre 2013, la société ALTHOFF HÔTELS FRANCE demande à la cour d'appel :
- de réformer le jugement attaqué,
- de débouter les consorts [I] de l'ensemble de leurs demandes sur le fondement de la responsabilité quasi délictuelle pour faute (articles 1382, 1383du code civil ), et sur le fondement de la responsabilité de plein droit (article 1384) ,
- de juger qu'aucune somme n'est due à Mme [P] [R] en son nom et es qualité d'administratrice de ses enfants au titre du préjudice économique,
- de limiter la responsabilité de la société ALTHOFF HOTELS FRANCE à la seule réparation du préjudice d'affectation à hauteur de 20 000 € pour Mme [P] [R], 20.000€ pour Melle [Q] [I], 20.000 € pour M.[U] [I] et 6.000€ pour Mme [H] [I],
- de condamner la SA GENERALI Assurances IARD à garantir la société ALTHOFF HOTELS FRANCE de toute condamnation qui pourrait être prononcée à son encontre,
- et de condamner in solidum les consorts [I] au paiement d'une somme de 5.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens, dont ceux d'appel distraits.
M. [U] [I], devenu majeur, a notifié des écritures le 13 janvier 2014 tendant aux mêmes fins que les autres consorts [I],
L'ordonnance de clôture est datée du 16 janvier 2014.
La cour renvoie aux écritures précitées pour l'exposé exhaustif des moyens des parties.
MOTIFS :
Sur la faute
Attendu que la société hôtelière fait valoir au soutien de son recours qu'aux termes d'un arrêt d'assemblée plénière rendu le 6 octobre 2006, la Cour de Cassation a jugé que « Le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage. » ; que c'est à tort que les premiers juges ont accueilli l'analyse des consorts [I] en estimant que la société avait manqué à son obligation contractuelle de sécurité, obligation de moyen ; que la victime est le directeur général et co-gérant de la société STANDARDS AND POOR'S FUND SERVICES ; qu'ayant refermé derrière lui la baie vitrée, il s'est retrouvé enfermé sur la terrasse ; que le jour du drame il pleuvait et le vent soufflait fort mais qu'il faisait doux ; que M. [I] a pris le risque de monter sur une chaise ; qu'il n'était pas aussi serein qu'il y paraissait puisque sa société, au cours de l'exercice 2004, a fait un chiffre d'affaires de 8'437'000 € à 7'600'000 €, en nette baisse ; et que la faute de la victime a un effet pleinement exonératoire ;
Mais attendu que lors de son audition le 25 novembre 2004, dans le cadre de l'enquête pénale diligentée, M. [J], responsable technique de l'hôtel, révèle qu'en mars 2003 un client de la même chambre n° 208 s'était retrouvé, lui aussi, bloqué à l'extérieur et qu'il avait dû briser la fenêtre coulissante à l'aide de la chaise placée sur la terrasse ;
Attendu que l'enquête a donc établi la défectuosité du système de fermeture et d'ouverture des portes-fenêtres de la chambre n° 208, défectuosité connue de longue date par l'hôtelier qui s'est abstenu d'y remédier ;
Attendu que l'hôtelier ne saurait contester la fréquence et l'importance de ce problème technique relevé sur plusieurs des portes-fenêtres de l'hôtel, alors qu'il indique lui-même en page 16 de ses écritures que ' les clients ou les employés de l'hôtel VISTA PALACE qui se sont déjà retrouvés bloqués sur un balcon ont toujours pu prévenir un tiers, soit briser la vitre à l'aide d'une chaise disponible sur le balcon lui-même, soit attendre la venue d'une personne en charge du service dans la chambre.' » ;
Attendu que cette faute d'abstention présente un lien de causalité certain avec le dommage survenu ; qu'aucun élément probant ne vient accréditer la thèse d'un suicide de M. [I] et qu'il n'est pas douteux que si ce dernier ne s'était pas retrouvé enfermé sur la terrasse de sa chambre, aucune chute ne serait à déplorer ;
Attendu cependant qu'il existait plusieurs solutions alternatives à la prise de risque de tenter de passer dans une autre chambre ;
Attendu que le risque de chute est important, la façade, de conception moderne, se présentant sous une forme parfaitement rectiligne à la verticale, les balcons étant placés exactement les uns au-dessus des autres, et non en 'escalier'; qu'il en va de même à l'horizontale, les terrasses étant alignées dans le parfait prolongement les uns des autres et séparées par des murs qui arasent la façade ;
Attendu que l'hôtel est situé à l'aplomb d'une falaise, de sorte qu'une chute ne peut qu'avoir des conséquences mortelles, sauf à parvenir à atteindre le rocher sur lequel est sis la construction, rocher plat en faible saillie d'environ 80 cm, la réussite de l'opération n'étant pas exclue par les essais qui ont été effectués par les enquêteurs ;
Attendu qu'il est à relever que compte tenu des conditions climatiques, il n'existait aucune urgence à trouver une telle issue pour quitter le balcon, la victime pouvant se contenter d'attendre le passage de la femme de ménage le lendemain matin ( M. [I] a été laissé seul le soir, à compter de 22 heures 55) pour être secouru ; que la victime aurait pu également tenter d'alerter d'autres clients de l'hôtel en appelant au secours, certaines des baies vitrées d'autres chambres pouvant être ouvertes en été;
Attendu qu' enfin d'autres clients, placés dans la même situation, ont choisi l'option consistant à briser une fenêtre ; qu'il est à observer que du mobilier (tables et chaises) équipait le balcon et que la victime, âgée de 40 ans, en pleine possession de ses moyens physiques, était elle-même chaussée de chaussures de prix à la semelle en cuir épais pouvant servir à fracturer la baie vitrée ;
Attendu que la victime en choisissant une manoeuvre périlleuse a commis une imprudence ; que cette faute ne revêt pas un caractère totalement imprévisible et irrésistible pour l'hôtelier, étant envisageable ; que cette faute de la victime n' exonère donc pas entièrement l'hôtelier de sa responsabilité contractuelle et délictuelle, le manquement à l'obligation de sécurité des clients étant constitutif à la fois d'une faute contractuelle et d'une faute délictuelle d' imprudence ou de négligence ; que la cour estime que la faute de M. [I] a contribué à la réalisation du dommage à hauteur de 50 % ;
Sur le préjudice
Attendu que le tribunal a fait application de méthodes de calcul appropriées au vu des productions pour apprécier le préjudice économique subi par la veuve et les ayants droits de la victime, et pour le fixer à la somme de 1 233 406,29 € pour Mme [P] [R], veuve [I], 311 039,29 € pour Mlle [Q] [I], 342 097,06 € pour M.[U] [I] ;
Attendu que compte tenu du partage de responsabilité retenu, les consorts [I] ne pourraient toutefois prétendre qu'à l'octroi de la moitié seulement des montants susdits ; mais qu'il doit être encore constaté, comme l'a fait le premier juge, que ces consorts ont reçu des montants largement supérieurs de la CPAM et de la CAPAVES prévoyance (cette dernière notamment ayant versé plus de 700 000€ à la veuve au titre du capital décès) ;
Attendu que les versements de ces organismes, s'ils présentent un caractère forfaitaire et non indemnitaire et s'ils sont la contrepartie de cotisations versées, comme soutenu, tiennent néanmoins compte pour leur calcul du montant des ressources annuelles du défunt ; que ces règlements ont déjà entièrement réparé le préjudice économique des consorts [I], de sorte qu'aucun dommage subsistant n'est à indemniser ;
Attendu, en ce qui concerne le préjudice d'affection subi, que le tribunal a retenu à bon droit une estimation dans le haut de la fourchette des sommes habituellement octroyées en la matière ; qu'eu égard cependant au partage de responsabilité retenu, il sera alloué aux consorts [I] la moitié des sommes fixées par le premier juge ;
Sur la garantie de l'assureur
Attendu que l'hôtelier assuré conteste l'existence même du défaut de fonctionnement de l'équipement de ses chambres, alors que sa faute susdécrite entraîne l'application au bénéfice de l'assureur de la clause d'exclusion de garantie stipulée au contrat d'assurance liant les parties ;
Attendu que les consorts [I] invoquent pour leur part l'inopposabilité de cette clause d'exclusion au motif que celle-ci figure dans les conditions générales lesquelles ne sont pas signées par l'assuré ;
Mais attendu que le contrat d'assurance souscrit par M. [I] contient à la fois les conditions particulières et les conditions générales de la garantie, ce que le contrat précise de manière explicite à l'assuré ; que ce dernier a signé sous les conditions particulières qui comportent une clause de renvoi aux conditions générales de la convention pour la définition des risques couverts, d'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Attendu en définitive qu'il y a lieu de réformer partiellement le jugement déféré ;
Attendu que les consorts [I] succombant devront supporter la charge des dépens ;
PAR CES MOTIFS,
La cour statuant par arrêt contradictoire, prononcé publiquement, par mise à disposition au greffe,
Confirme le jugement déféré en ce qu'il a :
- dit recevable l'action de [Q] [I] et accueilli son intervention volontaire,
- dit que les consorts [I] sont bien fondés à demander réparation de leur préjudice à l'encontre de la société ALTHOFF HÔTEL FRANCE,
- fixé le préjudice économique de :
- Mme [P] [R], veuve [I] : 1.233.406,29 €,
- Mlle [Q] [I] : 311.039,29 €,
- M.[U] [I] : 342.097,06 €,
les dites sommes portant intérêt à compter de la décision,
- constaté qu'eu égard aux sommes déjà perçues de la CPAM et de CAPAVES Prévoyance, aucune somme ne leur revient de ce chef,
- condamné la société ALTHOFF HÔTELS FRANCE à payer aux consorts [I] la somme de 3 500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ,
- débouté la société ALTHOFF HÔTELS FRANCE et les consorts [I] de leur appel en garantie dirigé contre la société GENERALI,
- condamné la société Althoff Hôtels France aux dépens,
Infirme le jugement déféré en ce qu'il a :
- dit que la société Althoff Hôtel France qui a commis une faute est responsable du préjudice subi par M. [V] [I],
- condamné la société Althoff Hôtels France à payer à :
- Mme [P] [R], veuve [I] : 25 500 €,
- Mlle [Q] [I] : 25 500 €,
- Mme [P] [R], veuve [I], es qualités de représentant légal de son fils mineur M. [U] [I] : 25 500 €,
- Mme [H] [G], veuve [I] : 10 000 €,
- M.[F] [I] : 5 000 €,
en réparation de leur préjudice moral,
Statuant à nouveau
Dit que la SARL ALTHOFF HÔTEL FRANCE et M. [V] [I] ont commis chacun une faute qui a concouru, chacune pour pour moitié, au préjudice subi par M. [V] [I],
Déboute les consorts [I] de leur demande au titre d'un préjudice économique eu égard au partage de responsabilité retenu et aux sommes déjà perçues de la CPAM et de CAPAVES Prévoyance,
Condamne la société ALTHOFF HÔTELS FRANCE à payer, au titre de la réparation de leur préjudice moral :
- à Mme [P] [R], veuve [I], à Mlle [Q] [I], à M. [U] [I] la somme de 12'250€ chacun,
- à Mme [H] [G], veuve [I] : la somme de 5000€,
- à M.[F] [I] : la somme de 2500€,
Y ajoutant
Vu l'article 700 du code de procédure civile,
Dit n'y avoir lieu de faire application de ce texte,
Condamne in solidum Mme [P] [R] veuve [I], M. [U] [I], Mme [Q] [I], Mme [H] [G] veuve [I] et M.[F] [I] aux dépens, et dit que ceux-ci seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
LE GREFFIERLE PRESIDENT