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07/02/2014 | FRANCE | N°12/09611

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 18e chambre b, 07 février 2014, 12/09611


COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE

18e Chambre B



ARRÊT AU FOND

DU 07 FEVRIER 2014



N° 2014/275













Rôle N° 12/09611





CGEA - ILE DE FRANCE OUEST





C/



Selafa MJA

[G] [Z]























Grosse délivrée

le :

à :



Me Josette PIQUET



Me Arnaud CLERC



Me Julie ANDREU



Copie certifiée conform

e délivrée aux parties le :





Décision déférée à la Cour :



Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de TOULON - section E - en date du 30 Mars 2012, enregistré au répertoire général sous le n° 11/1318.







APPELANTE



CGEA - ILE DE FRANCE OUEST, demeurant [Adresse 1]



représenté par Me Jose...

COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE

18e Chambre B

ARRÊT AU FOND

DU 07 FEVRIER 2014

N° 2014/275

Rôle N° 12/09611

CGEA - ILE DE FRANCE OUEST

C/

Selafa MJA

[G] [Z]

Grosse délivrée

le :

à :

Me Josette PIQUET

Me Arnaud CLERC

Me Julie ANDREU

Copie certifiée conforme délivrée aux parties le :

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de TOULON - section E - en date du 30 Mars 2012, enregistré au répertoire général sous le n° 11/1318.

APPELANTE

CGEA - ILE DE FRANCE OUEST, demeurant [Adresse 1]

représenté par Me Josette PIQUET, avocat au barreau de TOULON substitué par Me Isabelle PIQUET-MAURIN, avocat au barreau de TOULON

INTIMES

Selafa MJA, prise en la personne de Me [O] [M] madataire liquidateur de la SA CHANTIER DU NORD ET DE LA MEDITERRANEE, demeurant [Adresse 2]

représentée par Me Arnaud CLERC, avocat au barreau de PARIS substitué par Me Pierre CAPPE DE BAILLON, avocat au barreau de PARIS

Monsieur [G] [Z], demeurant [Adresse 3]

représenté par Me Julie ANDREU, avocat au barreau de MARSEILLE substitué par Me Jean Paul TEISSONNIERE, avocat au barreau de PARIS

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 06 Décembre 2013 en audience publique devant la Cour composée de :

Monsieur Guénael LE GALLO, Conseiller faisant fonction de Président

Madame Christine LORENZINI, Conseiller

Madame Françoise GILLY-ESCOFFIER, Conseiller

qui en ont délibéré

Greffier lors des débats : Madame Fabienne MICHEL.

Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 07 Février 2014.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 07 Février 2014.

Signé par Monsieur Guénael LE GALLO, Conseiller faisant fonction de Président et Mme Priscille LAYE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS DES PARTIES :

Employé par la société Constructions Navales et Industrielles de la Méditerranée (CNIM-division navale), puis par la société Chantiers du Nord et de la Méditerranée (NORMED), sur le site de [Localité 4], du 14 février 1972 au 1er avril 1987, en qualité d'ingénieur informaticien, Monsieur [G] [Z] a saisi le conseil de prud'hommes de Toulon, le 30 septembre 2011, afin de voir fixer sa créance au passif de la liquidation judiciaire de la société NORMED à titre de dommages et intérêts en réparation de divers préjudices liés à son exposition à l'amiante.

Anciennement dénommée Société de Participations et de Constructions Navales (SPCN), société constituée le 25 octobre 1982 en vue du regroupement des branches navales des trois sociétés suivantes : Chantiers de France [Localité 2] (FD), Chantiers Navals de [Localité 3] (CNC), Constructions Navales et Industrielles de la Méditerranée (CNIM), devenue la société Chantiers du Nord et de la Méditerranée à compter du 24 décembre 1982, la NORMED a été placée en redressement judiciaire par jugement du Tribunal de Commerce de Paris en date du 30 juin 1986, puis en liquidation judiciaire par jugement du 27 février 1989 désignant successivement Maître [H], et, à compter du 10 juin 2003, la SELAFA MJA en la personne de Maître [M], en qualité de mandataire liquidateur.

Les sociétés Forges et ateliers de la Méditerranée/Constructions Navales et Industrielles de la Méditerranée (CNIM)/Chantiers Navals de [Localité 3] (CNC), et Chantiers du Nord et de la Méditerranée (NORMED), ont été inscrites, par arrêté du 7 juillet 2000, sur la liste des établissements et des métiers de la construction et de la réparation navales susceptibles d'ouvrir droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (de 1946 à 1989).

Le CGEA AGS Ile de France Ouest a été appelé en la cause.

Par jugement du 30 mars 2012, déclaré opposable à l'AGS, le conseil de prud'hommes a fixé la créance de Monsieur [Z] à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice d'anxiété à la somme de 9.500 € et a rejeté le surplus de ses demandes.

Le CGEA Ile de France Ouest et le liquidateur ont interjeté appel de cette décision, respectivement le 30 mai et le 15 juin 2012.

Enregistrées sous les n° 12/09611 et 12/10999, les procédures ont été jointes par ordonnance du 19 juillet 2013 sous le premier numéro.

' Aux termes de leurs écritures déposées et soutenues oralement à l'audience, communes à l'ensemble des affaires du rôle, le CGEA Ile de France Ouest et Me [M] ès qualités demandent à la cour, à titre principal, de :

- dire et juger que les demandes des salariés ayant bénéficié de l'ACAATA sont irrecevables en ce qu'elles tendent en réalité à contester le montant de l'allocation et se déclarer incompétente au profit du Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de [Localité 1] ;

- déclarer les actions irrecevables en raison de l'irrévocabilité de l'état des créances établi sous le régime de la loi de 1985 et non contesté par les salariés en temps utile ;

- déclarer irrecevables les actions des salariés dont les contrats de travail ont été rompus avant le 21 décembre 1982 (date de l'assemblée générale de la société SPCN approuvant le traité d'apport partiel d'actif du 3 novembre 1982), et qui n'ont donc jamais été employés par la NORMED ;

- rejeter les demandes des salariés dont les contrats de travail ont été repris, postérieurement à la NORMED, par la société Chantiers Navals du Littoral (CNL), ou de nouveau par la société CNIM ;

- déclarer prescrites les demandes concernant les contrats de travail rompus depuis plus de trente ans avant la saisine de la juridiction prud'homale.

Ils concluent subsidiairement :

- au débouté, faute pour les demandeurs de rapporter la preuve d'un préjudice d'anxiété personnel, direct, certain et légitime, d'un manquement de l'employeur aux règles alors applicables, et d'un lien de causalité entre la faute et le préjudice ;

- à l'absence d'opposabilité à l'AGS des créances nées postérieurement à l'ouverture de la procédure collective, à la réduction des dommages et intérêts susceptibles d'être alloués et à l'application des dispositions du code du travail fixant les règles et limites de la garantie légale.

' Dans ses conclusions écrites déposées et plaidées à l'audience, communes à l'ensemble des affaires inscrites au rôle, répliquant pour l'essentiel que la juridiction prud'homale est compétente en tant que juge du contrat de travail, que l'employeur a manqué à son obligation de sécurité de résultat en matière de protection contre les dangers de l'amiante, en omettant notamment de procéder aux analyses atmosphériques prévues par le décret du 17 août 1977, de prendre les mesures de protection individuelle et collective nécessaires et de l'informer des risques encourus, que cette faute ne lui a été révélée qu'à partir de la loi du 23 décembre 1998 et que sa demande n'est donc pas prescrite, qu'en application de l'article 1147 du code civil, il est fondé à réclamer la réparation de son préjudice d'anxiété résultant de la forte probabilité de développer une maladie grave, et que l'AGS doit garantir sa créance, laquelle est née antérieurement à l'ouverture de la procédure collective puisque que son fait générateur réside dans le comportement fautif de l'employeur au cours de l'exécution du contrat de travail, Monsieur [Z], qui ne maintient pas en cause d'appel sa demande d'indemnisation de préjudices distincts pour perte de chance et bouleversement des conditions d'existence, demande à la cour de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a reconnu l'existence de son préjudice d'anxiété, mais de réévaluer sa créance à la somme 30.000 € à titre de dommages et intérêts, comprenant à la fois l'inquiétude permanente et le bouleversement dans ses conditions d'existence, et de déclarer l'arrêt opposable au CGEA.

Pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens des parties, il convient de se référer à leurs écritures déposées et soutenues oralement à l'audience.

MOTIFS DE L'ARRÊT :

- sur l'exception d'incompétence

Selon l'article L.1411-1 du Code du Travail, le Conseil de Prud'hommes est compétent pour connaître des différends qui peuvent s'élever à l'occasion de tout contrat de travail soumis aux dispositions de ce code entre les employeurs ou leurs représentants, et les salariés qu'ils emploient.

En l'espèce, que le salarié ait ou non bénéficié du dispositif prévu par l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998, ce dont il ne justifie pas, dès lors que sa demande en réparation d'un préjudice d'anxiété lié à son exposition à l'amiante est fondée sur l'inexécution par l'employeur de son obligation de sécurité de résultat dérivant du contrat de travail et que ni son droit au bénéfice de ce dispositif, ni le montant de l'allocation de cessation anticipée d'activité (ACAATA), ne sont contestés, le jugement sera confirmé sur la compétence de la juridiction prud'homale.

- sur les fins de non-recevoir

* sur l'irrecevabilité tirée de l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998

L'article 41 de la loi du 23 décembre 1998, créant un dispositif spécifique destiné à compenser la perte d'espérance de vie que peuvent connaître des salariés en raison de leur exposition à l'amiante, prévoit le versement à ces salariés ou anciens salariés d'une allocation de cessation anticipée d'activité, sous réserve qu'ils cessent toute activité professionnelle, lorsqu'ils remplissent certaines conditions.

S'il résulte de ces dispositions que le salarié qui a demandé le bénéfice de cette allocation n'est pas fondé à obtenir de l'employeur fautif, sur le fondement des règles de la responsabilité civile, réparation d'une perte de revenus résultant de la mise en oeuvre du dispositif légal, il est néanmoins recevable à réclamer réparation d'un préjudice spécifique d'anxiété, lequel n'est pas de nature économique, mais résulte d'un état d'inquiétude permanente face au risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'amiante et n'est donc pas indemnisé au titre de l'ACAATA.

Le jugement sera confirmé de ce chef.

* sur l'irrecevabilité tirée de l'irrévocabilité de l'état des créances

Il résulte de l'article L. 625-125 al.2 ancien du code de commerce que le salarié dont la créance ne figure pas en tout ou partie sur le relevé établi par le représentant des créanciers peut saisir à peine de forclusion le conseil de prud'hommes dans un délai de deux mois à compter de l'accomplissement de la mesure de publicité prévu à l'alinéa précédent.

Toutefois, l'action du salarié, qui saisit la juridiction prud'homale d'une demande en réparation d'un préjudice d'anxiété résultant de son exposition au risque de l'amiante créé par son affectation dans un établissement figurant sur une liste établie par arrêté pris en exécution de l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 et révélé postérieurement à l'établissement du relevé des créances salariales, est distincte de celle ouverte par ces dispositions, de sorte que le caractère irrévocable de l'état des créances ne peut lui être opposé.

Cette fin de non-recevoir, nouvelle en appel, sera donc rejetée.

* sur la prescription

En application des dispositions des articles 2262 du code civil, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, et 2224 du même code, la prescription d'une action personnelle ou mobilière ne court qu'à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'établir.

En l'espèce, quelle que soit la date de fin de son contrat de travail, faute d'un quelconque élément permettant de considérer qu'il a été informé des risques auxquels son travail pouvait l'exposer, le salarié est fondé à soutenir que le fait générateur de son préjudice, à supposer celui-ci établi, ne lui a été révélé qu'à compter de la loi du 23 décembre 1998 et de la publication de l'arrêté du 7 juillet 2000 pris en application de l'article 41 de cette loi, classant les sociétés CNIM et NORMED parmi les établissements ouvrant droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité.

Dès lors qu'elle a été introduite avant le 18 juin 2013, soit dans le délai de cinq ans suivant la date de publication de la loi du 17 juin 2008 relative à la prescription, l'action n'est pas prescrite et le jugement sera confirmé de ce chef.

- sur le fond

En application des dispositions des articles 1134 et 1147 du code civil et L.4121-1 du code du travail, l'employeur est tenu envers le salarié d'une obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les maladies professionnelles contractées du fait des produits fabriqués ou utilisés par l'entreprise.

Contrairement à l'argumentation soutenue par le liquidateur et l'AGS, cette obligation ne résulte pas de l'ancien article L. 230-2 du code du travail issu de la loi n° 91-1414 du 31 décembre 1991, mais du contrat de travail.

Du reste, l'ancien article 233-1 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à cette loi, disposait déjà que les établissements et locaux industriels devaient être aménagés de manière à garantir la sécurité des travailleurs.

Au surplus, bien avant le décret du 17 août 1977 relatif aux mesures particulières d'hygiène applicables dans les établissements où le personnel est exposé à l'action des poussières d'amiante, la loi du 12 juin 1893 concernant l'hygiène et la sécurité des travailleurs dans les établissements industriels avait fait obligation à ces établissements de présenter les conditions d'hygiène et de salubrité nécessaires à la santé du personnel, et le décret d'application du 11 mars 1894 imposait notamment que 'les locaux soient largement aérés... évacués au dessus de l'atelier au fur et à mesure de leur production avec une ventilation aspirante énergique... et que l'air des ateliers soit renouvelé de façon à rester dans l'état de pureté nécessaire à la santé des ouvriers.'

En l'espèce, il résulte du certificat de travail et des témoignages versés aux débats que Monsieur [Z] a été employé par la société Constructions Navales et Industrielles de la Méditerranée (CNIM-division navale), puis par la société Chantiers du Nord et de la Méditerranée (NORMED), sur le site de [Localité 4], du 14 février 1972 au 1er avril 1987, en qualité d'ingénieur informaticien.

Si ces sociétés ont été classées, par arrêté du 7 juillet 2000 pris en application de l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998, parmi les établissements susceptibles d'ouvrir droit à la cessation anticipée d'activité des salariés de l'amiante (de 1946 à 1989), le métier d'ingénieur informaticien ne figure pas sur la liste annexe.

Cependant, afin de prouver son exposition au risque et l'existence d'un préjudice d'anxiété afférent, Monsieur [Z] communique les attestations de deux anciens collègues de travail retraités, déclarant, sans indiquer quel(s) emploi(s) ils ont eux-mêmes exercé :

- Monsieur [P] : 'J'ai travaillé régulièrement avec M. [Z] à bord des navires et plates formes en construction, pendant dix ans, jusqu'au dernier paquebot, le 'Fairsky'. Nous mesurions l'état d'avancement dans les coursives et les ponts, en respirant l'air chargé d'amiante' ;

- Monsieur [L] : 'J'ai travaillé à bord des navires et des plates formes de forage en cours de construction. Je croisais toutes les semaines Monsieur [Z] et son équipe qui effectuaient les relevés des travaux.'

Ces témoignages succincts ne suffisant pas, faute de précision sur la nature exacte et le lieu d'exercice habituel de ses fonctions, à faire la preuve qu'il a été exposé habituellement à l'inhalation de poussières d'amiante, ni qu'il se trouve, de par le fait de l'employeur, dans un état d'inquiétude permanente face au risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'amiante le salarié sera débouté et le jugement infirmé.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant publiquement, contradictoirement, en matière prud'homale, par mise à disposition au greffe,

Reçoit les appels,

Rejette la fin de non-recevoir nouvelle en appel et déclare l'action recevable,

Infirme le jugement déféré sur le fond,

Et statuant de nouveau,

Déboute Monsieur [Z] de sa demande en réparation d'un préjudice d'anxiété à l'encontre de la NORMED,

Le condamne aux entiers dépens.

LE GREFFIER. LE PRÉSIDENT.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : 18e chambre b
Numéro d'arrêt : 12/09611
Date de la décision : 07/02/2014

Références :

Cour d'appel d'Aix-en-Provence B8, arrêt n°12/09611 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2014-02-07;12.09611 ?
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