COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
11e Chambre B
ARRÊT AU FOND
DU 06 FEVRIER 2014
N° 2014/75
Rôle N° 12/20013
SARL AGENCE VICTOR HUGO
C/
[Q] [C] épouse [O]
[K] [W] VEUVE [C] veuve [C]
Grosse délivrée
le :
à :
BADIE
CEYRAC AUGIER
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Grande Instance de NICE en date du 03 Octobre 2012 enregistré au répertoire général sous le n° 11/00018.
APPELANTE
SARL AGENCE VICTOR HUGO représentée par son gérant en exercice Monsieur [U] [V],
dont le siège social est sis [Adresse 3]
représentée par la SCP BADIE SIMON-THIBAUD JUSTON, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE,
plaidant par Me Paul GUETTA, avocat au barreau de NICE
INTIMEES
Madame [Q] [C] épouse [O],
demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Prunelle CEYRAC AUGIER, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
plaidant par Me Brigitte CAMATTE, avocat au barreau de NICE,
Madame [K] [W] VEUVE [C] veuve [C],
demeurant [Adresse 4]
représentée par Me Prunelle CEYRAC AUGIER, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
plaidant par Me Brigitte CAMATTE, avocat au barreau de NICE,
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 07 Janvier 2014 en audience publique. Conformément à l'article 785 du Code de Procédure Civile, Anne CAMUGLI, Conseiller, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Mme Catherine COLENO, Présidente de Chambre
Mme Anne CAMUGLI, Conseiller
M. Jean-Jacques BAUDINO, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Mme Anaïs ROMINGER.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 06 Février 2014
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 06 Février 2014,
Signé par Mme Catherine COLENO, Présidente de Chambre et Mme Anaïs ROMINGER, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
EXPOSÉ DU LITIGE
Suivant bail commercial du 22 juin 2000 faisant suite à de précédents baux des 13 juillet 1973, 20 avril 1982 et 10 mars 1992, Mme [K] [C] représentée par son mandataire a donné à bail à la SARL AGENCE VICTOR HUGO un local commercial situé [Adresse 1] à usage exclusif d'agence de location et de vente d'immeubles et fonds de commerce et prêts hypothécaires pour une durée de 9 ans à compter du 1er janvier 2000 moyennant un loyer de 3064 EUR par an hors taxes et hors charges.
Par acte du 31 décembre 2008, le preneur a sollicité le renouvellement du bail des
« consorts [C] », lesquels l'ont accepté moyennant cependant un nouveau loyer annuel de 8.400 EUR par an hors taxes et hors charges.
Par mémoire préalable notifié le 22 décembre 2010, Mme [K] [C], bailleresse usufruitière a sollicité le déplafonnement du loyer et sa fixation à la somme de 8.400 EUR par an à raison de la modification notable des facteurs locaux de commercialité et subsidiairement la désignation d'un expert.
Par acte du 27 juin 2011, elle a fait assigner la SARL AGENCE VICTOR HUGO devant le juge des loyers commerciaux du tribunal de grande instance de Nice aux fins de voir, avec exécution provisoire, fixer le loyer sur renouvellement à la somme de 8.400 EUR par an à compter du 1er janvier 2009 correspondant à la valeur locative outre intérêts légaux sur l'arriéré de loyer et
subsidiairement ordonner une mesure d'instruction avec fixation du loyer provisionnel à la somme de 6 500 EUR par an.
Par mémoire notifié le 28 juin 2012, Mme [K] [C] usufruitière et Mme [Q] [C] bailleresse nue-propriétaire ont :
-contesté la demande d'annulation du mémoire initial qu'invoquait le preneur pour défaut de qualité pour agir seule de Mme [K] [C] sans le concours de la nu-propriétaire,
-soulevé en tant que de besoin l'incompétence du juge des loyers commerciaux au profit du tribunal de grande instance de Nice pour statuer sur la régularité de la procédure de renouvellement et notamment la validité de la demande de renouvellement faite par la locataire ainsi que sur la validité du mémoire initial
-réitéré leur demande de déplafonnement et de fixation du loyer à la somme annuelle de 8.400 EUR .
-sollicité en tout état de cause la somme de 1.500 EUR sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Par mémoire notifié le 5 juin 2012, la SARL AGENCE VICTOR HUGO a :
-maintenu sa demande d'annulation du mémoire initial délivré à la seule requête de l'usufruitière au visa de l'article 595 du code civil,
-contesté la compétence du juge des loyers commerciaux pour statuer sur la demande d'annulation de la demande de renouvellement
-maintenu sa demande tendant à voir consacrer la prescription de l'action en fixation du loyer sur renouvellement du fait de l'annulation du mémoire initial
-soutenu subsidiairement l'inexistence de motifs de déplafonnement et sollicité l'application de la variation de l'indice du coût de la construction
-sollicité reconventionnellement la somme de 3.000 EUR titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par jugement contradictoire du 3 octobre 2012, le juge des loyers commerciaux du tribunal de grande instance de Nice a :
-rejeté la demande d'annulation du mémoire préalable du 22 décembre 2010 établi au seul nom d'usufruitière du fait de la régularisation intervenue par l'intervention à la procédure, dès l'assignation, de la nue-propriétaire,
-constaté que ce mémoire a interrompu la prescription biennale, laquelle n'est donc pas acquise
-rejeté, au visa de l'article 112 du code de procédure civile , la demande d'annulation de la demande du 31 décembre 2008 tendant au renouvellement du bail, demande acceptée par les bailleresses qui n'en ont invoqué la nullité qu'après avoir fait valoir leurs moyens de fond
-constaté l'accord des parties sur le principe du renouvellement du bail pour une durée de 9 ans à compter du 1er janvier 2009
-dit que le loyer du local commercial dont la destination contractuelle est assimilable à un usage exclusif de bureau n'est pas soumis à plafonnement,
-dit en conséquence que le loyer sur renouvellement doit être fixé à la valeur locative.
Avant dire droit sur le montant du loyer
-ordonné une expertise confiée à Monsieur [N] [R]
-dit n'y avoir lieu à fixation d'un loyer provisionnel
-ordonné l'exécution provisoire.
La SARL AGENCE VICTOR HUGO a relevé appel de la décision le 23 octobre 2012.
Par conclusions récapitulatives déposées et signifiées le 22 mai 2013, elle conclut à la confirmation du jugement déféré relativement à la régularité de la demande en renouvellement du bail commercial et entend voir
-juger en conséquence que le bail commercial a été régulièrement renouvelé au montant du loyer antérieur sous la seule variation de l'application de l'indice INSEE du coût de la construction
débouter ses adversaires de toute prétention contraire
-constater la parfaite régularité, reconnue comme tel, de la demande de renouvellement acceptée par les bailleresses
-juger prescrite l'action en fixation du loyer de renouvellement du bail commercial et très subsidiairement que la bailleresse ne rapporte nullement la preuve d'une cause de déplafonnement
-juger qu'il n'existe aucune modification des caractéristiques du bail pendant le cours du bail expiré qui puisse de plein droit entraîner le déplafonnement
-juger que la destination contractuelle du bail commercial permet d'écarter la qualification de simples locaux à usage de bureaux, les locaux étant à usage d'agence immobilière
-juger que le bailleur ne rapporte nullement la preuve de cause de déplafonnement à raison de modifications notables et profitables en l'espèce des facteurs locaux de commercialité.
Elle conteste les éléments de référence produits par ses adversaires, rappelle que la mesure d'expertise ordonnée en première instance a été déclarée caduque pour défaut de consignation par les bailleresses) et conclut au débouté par conséquent de toutes leurs prétentions en jugeant que le bail sera renouvelé sur la base de l'ancien loyer sur la seule évolution indiciaire.
À titre infiniment subsidiaire, elle entend voir ordonner une expertise à fin d'établir les prétendues causes de déplafonnement applicables au cas d'espèce et condamner Mmes [K] et [Q] [C] au paiement de la somme de 2.500 EUR sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Par conclusions d'intimées déposées et notifiées les 22 mars 2013, Mmes [K] et [Q] [C] concluent à la confirmation du jugement en ce qu'il a considéré que le mémoire initial notifié par l'usufruitier était régulier
entendent par conséquent voir juger la SARL AGENCE VICTOR HUGO mal fondée en sa demande de nullité du dit mémoire des lors que l'irrégularité a été couverte par l'intervention de la nue propriétaire et que seule cette dernière a intérêts à former cette demande
Elles concluent:
-à la confirmation du jugement en ce qu'il a considéré que le local dont s'agit portent sur des bureaux et que le loyer serait fixé à la valeur locative
-à la fixation de celle-ci à compter du 1er janvier 2009 à la somme de 8.400 EUR en principal et par an, toutes autres clauses demeurant inchangées, avec intérêts au taux légal conformément aux articles 1155 et 1154 du Code civil
-à la confirmation à défaut du jugement en ce qu'il a ordonné une mesure d'instruction.
Elles ont sollicité en revanche l'infirmation du jugement déféré en ce qu'il a considéré comme valable et régulière la demande de renouvellement du bail émise par la SARL AGENCE VICTOR HUGO le 31 décembre 2008 et la condamnation de l'appelante au paiement d'une somme de 2.000 EUR sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Elles contestent qu'on leur oppose la théorie de l'Estoppel des lors que l'offre de renouvellement du locataire comme les congés du bailleur sont des actes unilatéraux et donc définitifs sans besoin d'être acceptés par celui qui les reçoit des lors qu'ils sont émis, qu'ils sont imprescriptibles et que les mentions devant y figurer sont des mentions prévues à peine de nullité de fond sans qu'il soit besoin de démontrer un grief.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 9 décembre 2013.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la validité du mémoire du 22 décembre 2010 et la prescription.
La SARL AGENCE VICTOR HUGO renouvelle sa demande tendant à voir juger nul et de nul effet le mémoire introductif d'instance des lors que celui-ci émanait de la seule usufruitière et constater par conséquent que l'action en fixation du loyer de renouvellement du bail commercial serait éteinte par prescription..
Or, le jugement déféré a rappelé que si le mémoire initial a été formalisé par la seule usufruitière sans le concours par conséquent de la nue-propriétaire, cette dernière est intervenue volontairement à la procédure des lors qu'elle est mentionnée en tant que demanderesse dans l'assignation du 27 juin 2011 ainsi que dans tous les actes de procédure subséquents.
La décision a dans ces conditions exactement retenu au visa de l'article 121 du code de procédure civile, que la cause de la nullité invoquée, susceptible d'être ouverte, avait disparu au moment où le tribunal à statué.
Elle en a justement conclu qu'ayant commencé à courir dès la date d'acceptation du renouvellement par les bailleresses soit le 18 février 2009, la prescription invoquée par le preneur avait été interrompue par le mémoire du 22 décembre 2010 et que l'action introduite par l'assignation du 27 juin 2011 n'était par conséquent pas prescrite.
Sur la régularité de la demande de renouvellement du bail formée par le preneur le 31 décembre 2008.
Mmes [K] et [Q] [C] renouvellent dans leurs écritures d'appel la demande tendant à voir juger irrégulière la demande de renouvellement du bail émise par le preneur le 31 décembre 2008 des lors que cette demande a été adressée à un destinataire indéterminé et indéterminable, les « consorts [C] » .
Or le jugement déféré a retenu à bon droit que Mmes [K] et [Q] [C] avaient accepté le 18 février 2009, par leur mandataire représentant les « consorts [C] », la demande de renouvellement du preneur du 31 décembre 2008, qu'elles avaient développé une argumentation de fond, s'étaient ainsi prévalues de la demande de renouvellement du preneur pour n'en invoquer qu'ultérieurement la nullité après que ce dernier eut lui-même allégué la nullité du mémoire de Mme [K] [C] du 22 décembre 2010.
Outre que l'attitude procédurale de Mmes [C] est entachée de contradiction, le jugement déféré a retenu au visa de l'article 112 du code de procédure civile que les régularités formelles entachant la demande de renouvellement du preneur avaient été couvertes par les bailleresses qui avaient ultérieurement développé une argumentation de fond.
La décision critiquée sera par conséquent également confirmée en ce qu'elle a dit n'y avoir lieu à annulation de la demande de renouvellement du bail.
Sur le déplafonnement.
La décision critiquée a rappelé que le loyer sur renouvellement des locaux à usage exclusif de bureaux n'est pas soumis à la règle du plafonnement édictée par l'article L145-34 du code de commerce et doit être fixé à la valeur locative par référence aux prix pratiqués pour des locaux équivalents.
La SARL AGENCE VICTOR HUGO soutient que la destination contractuelle du bail commercial permet d'écarter la qualification de locaux à usage de bureaux. Or, la décision déférée a rappelé que le bail liant les parties décrit les locaux loués comme étant à usage exclusif « d'agence de location et de vente d'immeubles et fonds de commerce et prêts hypothécaires ».
Elle a justement rappelé que des lors que l'activité d'agence immobilière et de prêts financiers est une activité d'ordre essentiellement intellectuel administratif ou comptable sans dépôt ni manipulation de marchandises, cette destination contractuelle devait entraîner l'application aux locaux litigieux de la qualification de bureaux au sens de l'article R 145-11 du code de commerce.
Elle en a également exactement conclu ce que le loyer des locaux à destination exclusive de bureaux n'étaient pas soumis à la règle du plafonnement et qu'il devait être fixé selon les modalités prévues par l'article R 145-11 du code de commerce soit par référence aux prix pratiqués pour des locaux équivalents sauf à être corrigé en considération des différences constatées entre le local loué et les locaux de référence.
Le débat instauré par le preneur sur une éventuelle modification des facteurs locaux de commercialité est des lors sans objet.
Le jugement critiqué sera par conséquent confirmé en ce qu'il a ordonné une mesure d'expertise destinée à fournir tous éléments permettant de déterminer la valeur locative des lieux, les conséquences d'un éventuel défaut de consignation ne relevant pas de l'appréciation de la Cour.
La décision sera également confirmée en ce qu'elle a jugé que la mesure devrait être effectuée aux frais avancés des bailleresses qui y ont intérêt.
Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens.
Il n'apparaît pas équitable de faire application au présent stade procédural des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Le jugement déféré sera également confirmé en ce qu'il a réservé les dépens.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, contradictoirement,
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions.
Réserve les dépens.
LE GREFFIERLE PRÉSIDENT