COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
4e Chambre B
ARRÊT AU FOND
DU LE 30 JANVIER 2014
om
N° 2014/35
Rôle N° 13/05143
[L] [N]
[H] [S] épouse [N]
C/
[V] [X] [C] [F] épouse [A]
Grosse délivrée
le :
à :
la SELARL BOULAN / CHERFILS / IMPERATORE
Me Isabelle GARNIER-SANTI
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Grande Instance d'AIX-EN-PROVENCE en date du 26 Novembre 2012 enregistré au répertoire général sous le n° 11/05183.
APPELANTS
Monsieur [L] [N]
né le [Date naissance 1] 1969 à [Localité 2], demeurant [Adresse 2]
représenté par la SELARL BOULAN CHERFILS IMPERATORE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
Madame [H] [S] épouse [N]
née le [Date naissance 2] 1969 à [Localité 1], demeurant [Adresse 2]
représentée par la SELARL BOULAN CHERFILS IMPERATORE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
INTIMEE
Madame [V] [X] [C] [F] épouse [A]
née le [Date naissance 3] 1966 à [Localité 4], demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Isabelle GARNIER-SANTI, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, ayant pour avocat plaidant Me Jacques DESGARDIN, avocat au barreau de PARIS
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 09 Décembre 2013 en audience publique. Conformément à l'article 785 du Code de Procédure Civile, Mme Odile MALLET, Président, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Mme Odile MALLET, Président
Monsieur Jean-Luc GUERY, Conseiller
Madame Hélène GIAMI, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Danielle PANDOLFI.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le le 30Janvier 2014
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 30 Janvier 2014,
Signé par Mme Odile MALLET, Président et Madame Danielle PANDOLFI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
FAITS ET PROCÉDURE
Monsieur [O] [N] et son épouse, Madame [H] [S], sont propriétaires des parcelles cadastrées commune de [Localité 3], section AD n° [Cadastre 3] et [Cadastre 6].
Leur fonds bénéficie d'une servitude de passage et de canalisations sur les parcelles actuellement cadastrées AD [Cadastre 8] appartenant à Madame [I] épouse [F] et AD [Cadastre 9] appartenant à Madame [V] [F] épouse [A].
Par acte du 16 juin 2011 les époux [N] ont assigné Madame [V] [F], au visa de l'article 684 du code civil, aux fins de lui voir interdire d'utiliser l'assiette foncière de la servitude de passage desservant les parcelles AD [Cadastre 3], [Cadastre 6], [Cadastre 7] et [Cadastre 2] et de l'entendre condamner à enlever les canalisations disposées dans le tréfonds de l'assiette foncière de la servitude de passage.
Par jugement du 26 novembre 2012 le tribunal de grande instance d'Aix en Provence a :
débouté les époux [N] de toutes leurs demandes,
rejeté la demande de dommages et intérêts présentée par Madame [V] [F],
rejeté les demandes formées en application de l'article 700 du code de procédure civile,
condamné les époux [N] aux dépens.
Les époux [N] ont interjeté appel de ce jugement le 11 mars 2013.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 25 novembre 2013.
POSITION DES PARTIES
Dans leurs dernières conclusions déposées et notifiées le 26 juin 2013 auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens les époux [N] demandent à la cour, au visa de l'article 684 du code civil :
de réformer le jugement,
de débouter Madame [F] de sa demande de dommages et intérêts,
de faire interdiction à Madame [V] [F], propriétaire de la parcelle cadastrée section AD [Cadastre 9], d'utiliser l'assiette foncière de la servitude de passage desservant les parcelles [Cadastre 3], [Cadastre 6], [Cadastre 7] et [Cadastre 2] en qualité de fonds dominant, le tout sous astreinte de 10.000 € par infraction constatée,
de condamner Madame [F], sous astreinte de 500 € par jour à compter 'où la décision à intervenir sera signifiée' d'avoir ôté l'ensemble des canalisations disposées dans le tréfonds de l'assiette foncière de ladite servitude de passage,
à titre subsidiaire,
de condamner Madame [F], sous la même astreinte de 500 € par jour de retard à libérer l'emprise de l'assiette foncière de la servitude de passage dont bénéficient les époux [N] de telle sorte qu'ils aient une servitude de passage de 7 mètres de large tel que défini par leur titre de propriété,
de constater que Madame [F] dispose d'une servitude conventionnelle lui permettant de desservir sa parcelle AD [Cadastre 9] prise sur une autre partie du fonds appartenant à ses parents cadastrée AD [Cadastre 8],
de condamner Madame [F] à leur payer une somme de 5.000 € à titre de dommages et intérêts outre celle de 2.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile,
de condamner Madame [F] aux entiers dépens de première instance et d'appel qui comprendront les contributions de 150 € et 35 €.
Dans ses dernières écritures déposées et notifiées le 10 juillet 2013 auxquelles il est également renvoyé pour l'exposé des moyens, Madame [F] demande au contraire à la cour :
de déclarer les époux [N] recevables mais mal fondés en leur appel,
de confirmer le jugement,
y ajoutant, de condamner les époux [N] à lui payer une somme de 10.000 € à titre de dommages et intérêts et celle de 4.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile,
de condamner les époux [N] aux dépens.
MOTIFS DÉCISION
* sur la servitude de passage
Une servitude est une charge imposée sur un héritage pour l'usage et l'utilité d'un héritage appartenant à un autre propriétaire. Une servitude ne peut être constituée par un droit exclusif interdisant au propriétaire du fonds servant toute jouissance de sa propriété. Il en résulte qu'une servitude de passage confère au propriétaire du fonds dominant un droit de passage mais n'opère pas transfert à son profit de la propriété de l'assiette de la servitude qui reste la propriété du propriétaire du fonds servant.
Dans le cas présent le 17 juin 1996 la SCI Porto Venere a vendu aux époux [N] les parcelles cadastrées commune de Ramatuelle, section AD [Cadastre 3] et [Cadastre 6]. Ces parcelles appartenaient antérieurement à la SCI Nema, qui les avait acquises des époux [B]. Auparavant ces parcelles appartenaient à Madame [C] [I] veuve [K].
Le titre des époux [N] contient rappel d'une servitude instituée le 18 mars 1933 et modifiée suivant acte du 8 juin 1983 :
'Les comparants d'un commun accord décident (..) de créer une nouvelle servitude de passage en limite nord ouest de la propriété de Madame [F] telle que cette servitude de passage figure sur le plan dressé par Monsieur [P], géomètre expert à [Localité 4], qui demeurera annexé après mention.
Cette servitude de passage qui prend naissance sur le chemin vicinal n°6 dit '[Adresse 1]' a une largeur de 7 mètres, elle se termine à l'ouest du lot appartenant à Madame [F] en bordure du ruisseau dit 'ruisseau de garbine' dans la propriété de Madame [K].
En conséquence le fonds servant appartient à Madame [F] par suite de l'acte du 5 février 1976, il est cadastré AD 358, [Cadastre 5] et [Cadastre 4].
Le fonds dominant appartient à Madame [K] par suite de l'acte du 5 février 1976 et il est cadastré section AD n°[Cadastre 3], [Cadastre 1] et [Cadastre 2]".
Madame [I] épouse [F] était propriétaire des parcelles cadastrées AD [Cadastre 8] et 566 qui proviennent de la division de la parcelle AD 358.
Suivant acte de donation-partage reçu par Maître [P] le 23 juin 2001 Madame [I] épouse [F] a procédé à la division de la parcelle AD 566 en deux parcelles numérotées AD 707 et [Cadastre 9], la première était attribuée à son fils, Monsieur [E] [F], la seconde à sa fille, Madame [V] [F]. Aux termes de cet acte il a été consenti au profit de la parcelle AD [Cadastre 9] un droit de passage et de canalisations sur la parcelle AD [Cadastre 8].
Il résulte de ces actes que les époux [N] bénéficient d'un droit de passage sur la parcelle AD [Cadastre 9] appartenant à Madame [V] [F]. Cette servitude ne leur a pas été concédée à titre exclusif. Aucune clause de la convention de servitude n'interdit au propriétaire du fonds servant d'utiliser l'assiette de la servitude. Contrairement à ce que soutiennent les époux [N] rien dans les actes ne précise que la servitude doit servir en permanence et de manière exclusive aux fonds dominants. Cette servitude confère donc aux époux [N] le droit d'accéder à leur fonds en utilisant le chemin situé sur la parcelle AD [Cadastre 9] mais ne leur a pas transféré la propriété de l'assiette de la servitude qui demeure la propriété de Madame [V] [F]. En cette qualité Madame [V] [F] est en droit d'utiliser le chemin grevé de servitude situé sur son fonds pour accéder à sa propriété, quand bien même son fonds bénéficierait d'autres accès.
A l'appui de leur demande les époux [N] invoquent les dispositions de l'article 684 du code civil. Ce moyen est inapproprié. En effet l'état d'enclave de la parcelle AD [Cadastre 9] résulte de la division du fonds ayant appartenu à Madame [I] épouse [F] (AD [Cadastre 8] et 566) et la parcelle AD [Cadastre 9] bénéficie, conformément aux dispositions de l'article 684 d'un droit de passage sur la parcelle AD [Cadastre 8] pour accéder à la voie publique. Toutefois le présent litige ne concerne pas les modalités d'accès du fonds de Madame [V] [F] à partir de la voie publique mais la possibilité pour cette dernière de circuler sur une partie de sa propriété qui est grevée d'une servitude de passage.
En conséquence, les époux [N] ne sont pas fondés en leur demande tendant à voir interdire à Madame [V] [F] d'utiliser l'assiette de la servitude pour accéder à une partie de son fonds.
* sur l'aggravation de la servitude
Aux termes de l'article 701 du code civil le propriétaire du fonds débiteur de la servitude ne peut rien faire qui tende à en diminuer l'usage ou à le rendre plus incommode.
En soi, l'usage par Madame [V] [F] de la servitude de passage bénéficiant au fonds des époux [N], ne saurait être considéré comme une circonstance diminuant l'usage de la servitude ou la rendant plus incommode dès lors que la division du fonds servant n'a entraîné aucune changement des lieux, ni aucun transfert de l'assiette de la servitude en un autre endroit.
Par ailleurs, le procès-verbal dressé le 16 août 2011 par Monsieur [U], huissier de justice, qui constate la présence d'un véhicule au-delà de la clôture délimitant le chemin de servitude n'est pas de nature à démontrer que Madame [V] [F] utiliserait l'assiette de la servitude comme aire de stationnement ou porterait atteinte au droit de passage des époux [N].
C'est donc à juste titre que le premier juge a débouté les époux [N] de leur demande tendant à voir faire interdiction à Madame [V] [F] d'utiliser l'assiette foncière de la servitude desservant les parcelles [Cadastre 3], [Cadastre 6], [Cadastre 7] et [Cadastre 2] étant en outre noté que ces deux dernières parcelles appartiennent à des tiers.
* sur l'emprise de la servitude de passage
Le propriétaire du fonds servant doit respecter la convention et ne saurait implanter sur l'assiette d'une servitude de passage tout ouvrage ou plantation qui en réduirait la largeur. De son côté, c'est au propriétaire du fonds servant de faire tous les ouvrages nécessaires pour user et conserver la servitude.
L'acte du 8 juin 1983 dispose :
Cette servitude de passage qui prend naissance sur le chemin vicinal n°6 dit '[Adresse 1]' a une largeur de 7 mètres.
Dans un procès-verbal dressé le 20 mars 2012 Monsieur [U], huissier de justice, a relevé en plusieurs points la largeur du chemin de servitude. Il résulte de ces constatations qu'à son départ de la voie publique l'assiette de la servitude présente une largeur de 7,30 mètres pour se rétrécir ensuite et atteindre une largeur variable, de l'ordre de 4 m jusqu'à la propriété de Madame [V] [F], ces rétrécissement étant dus, sur certaines portions à la présence d'un portail et d'une haie de cyprès, de piquets, poteaux, clôture grillagée, sur d'autres portions à l'envahissement par des végétaux ou l'effondrement des accotements du chemin. Après l'entrée de la propriété de Madame [F] le chemin présente une largeur variant entre 3 et 4 mètres, est bordé de végétation ( notamment de roseaux) et longe un ruisseau dont les accotements sont irréguliers et affaissés à de multiples endroits.
Il ressort de ce procès-verbal que l'assiette de la servitude est, pour l'essentiel de son tracé, d'une largeur inférieure à celle contractuellement fixée. Il en résulte également que l'insuffisance de la largeur du chemin trouve sa cause pour partie dans des faits imputables à Madame [V] [F] qui a implanté divers ouvrages tels que portail, clôture et piliers outre une haie de cyprès, pour partie aux époux [N] qui n'ont manifestement pas procédé aux travaux nécessaires à l'usage et la conservation du chemin, ont laissé la végétation envahir ses accotements et n'ont rien fait pour prévenir les effondrements des abords du ruisseau.
En conséquence le jugement sera partiellement infirmé et Madame [V] [F] sera condamnée sous astreinte de 50 € par jour de retard à supprimer tous les ouvrages, tels que portail, clôture, pilier outre la haie de cyprès implantés sur son fonds et qui réduisent la largeur de l'assiette de la servitude à moins de 7 mètres.
* sur la servitude de canalisations
Suivant acte reçu le 4 avril 1996 par Maître [P] il a été créé une servitude pour canalisations pour l'eau, l'électricité, le tout à l'égout et toutes canalisations souterraines ou aériennes en général :
au profit des parcelles [Cadastre 7] et [Cadastre 2] appartenant à Madame [K] grevant les fonds [Cadastre 3] et 550,
au profit des parcelles AD [Cadastre 3], [Cadastre 6], [Cadastre 7] et [Cadastre 2] grevant les parcelles [Cadastre 8] et 566.
En vertu de cet acte le fonds des époux [N] bénéficie d'une servitude de canalisations sur la parcelle AD [Cadastre 9] provenant de la division de la parcelle 566 et appartenant aujourd'hui à Madame [V] [F].
La servitude de canalisations, tout comme la servitude de passage, ne pouvant être constituée par un droit exclusif interdisant au propriétaire du fonds servant toute jouissance de sa propriété, les époux [N] ne sont pas fondés à solliciter qu'il soit fait interdiction à Madame [V] [F] d'enfouir des canalisations dans le tréfonds de l'assiette de la servitude dont elle est et demeure propriétaire.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il les a déboutés de cette demande.
* sur les demandes de dommages et intérêts
Les époux [N] réclament paiement d'une somme de 5.000 € à titre de dommages et intérêts sans préciser dans leurs conclusions les moyens de fait et de droit sur lesquels ils fondent cette prétention. Le jugement sera confirmé en ce qu'il les en a déboutés après avoir relevé qu'il n'était justifié d'aucun préjudice.
La discussion instaurée ne révélant aucun abus de la part des époux [N] dans l'exercice de leur droit d'agir en justice, le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté Madame [V] [F] de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive.
* sur les dépens et frais irrépétibles
Le jugement sera confirmé en ses dispositions relatives aux dépens et frais irrépétibles. Echouant pour l'essentiel en leur recours les époux [N] seront condamnés aux dépens d'appel et ne peuvent, de ce fait, prétendre au bénéfice de l'article 700 du code de procédure civile. A ce titre ils seront condamnés à payer à Madame [V] [F] une somme de 4.000 €.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions, sauf celle relative à la largeur du droit de passage.
Statuant à nouveau sur le chef infirmé,
Condamne Madame [V] [F] épouse [A] à supprimer dans les six mois de la signification du présent arrêt tous les ouvrages, tels que portail, clôture, pilier outre la haie de cyprès implantés sur sa parcelle cadastrée commune de [Localité 3] section AD n°[Cadastre 9] qui réduisent à moins de 7 mètres la largeur de l'assiette de la servitude dont bénéficient les parcelles AD [Cadastre 3] et [Cadastre 6] appartenant à Monsieur [L] [N] et Madame [H] [S] épouse [N], et ce, sous astreinte de 50 € par jour de retard pendant deux mois à l'expiration desquels il pourra à nouveau être statué.
Vu l'article 700 du code de procédure civile, déboute les époux [N] de leur demande et les condamne in solidum à payer à Madame [V] [F] une somme de quatre mille euros (4.000,00 €).
Condamne in solidum les époux [N] aux dépens qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
le greffier le président