COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
1re Chambre B
ARRÊT AU FOND
DU 30 JANVIER 2014
HF
N° 2014/066
Rôle N° 12/16257
[S] [Y]
C/
[K] [H] [W] veuve [F]
SCI MAUD
Grosse délivrée
le :
à :
Me Yves GROSSO
Me Bernard KUCHUKIAN
SCP ERMENEUX-CHAMPLY - LEVAIQUE
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Grande Instance de MARSEILLE en date du 10 Août 2012 enregistré au répertoire général sous le n° 11/9477.
APPELANT
Monsieur [S] [Y]
né le [Date naissance 1] 1954 à [Localité 2] (13),
demeurant [Adresse 2]
représenté par la SCP ERMENEUX-CHAMPLY - LEVAIQUE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, assisté par Me Florence BRIAND, avocat au barreau de MARSEILLE
INTIMEES
Madame [K] [H] [W] veuve [F]
née le [Date naissance 2] 1964 à [Localité 1] (69),
demeurant [Adresse 1]
représentée par Me Bernard KUCHUKIAN, avocat au barreau de MARSEILLE
SCI MAUD
dont le siège social est sis [Adresse 1]
représentée par son administrateur judiciaire Monsieur [T] [X], [Adresse 3].
représentée par Me Yves GROSSO, avocat au barreau de MARSEILLE
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 18 Décembre 2013 en audience publique. Conformément à l'article 785 du Code de Procédure Civile, Monsieur Hugues FOURNIER, Conseiller, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Monsieur François GROSJEAN, Président
Monsieur Hugues FOURNIER, Conseiller
Mme Danielle DEMONT-PIEROT, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Mme Dominique COSTE.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 30 Janvier 2014.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 30 Janvier 2014,
Signé par Monsieur François GROSJEAN, Président et Mme Dominique COSTE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS
Monsieur [Y] et madame [W] constituaient durant leur concubinage une société civile immobilière (SCI Maud), dans laquelle ils détiennent chacun la moitié des parts.
Cette société faisait l'acquisition d'un immeuble à [Localité 2] dans lequel ils ont eu leur domicile, et qui demeure aujourd'hui, après leur séparation, le domicile de madame [W] et de leur fils.
Pour permettre l'acquisition, madame [W] a versé une somme de 129.587 euros représentant une partie du prix.
Une ordonnance de référé du 15 septembre 2006 nommait, à la demande de monsieur [Y], un administrateur provisoire ayant pour mission de convoquer une assemblée générale pour décider du sort de la SCI.
Par arrêt du 6 mars 2008, cette cour confirmait l'ordonnance et y ajoutant disait désigner l'administrateur 'jusqu'à ce que le fonctionnement de la société soit redevenu normal ou jusqu'à ce qu'une décision de dissolution de la société ait été prise'.
Sur assignation de madame [W], par jugement du 15 mars 2007, le tribunal de grande instance de Marseille condamnait la SCI à lui payer la somme de 129.587 euros avec intérêts au taux légal à compter du 2 février 2006, outre les dépens et une indemnité sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
Elle signifiait le jugement à l'adresse du siège social de la SCI, qui était aussi son domicile, sans le signifier à l'administrateur.
Le 11 mai 2011, elle faisait délivrer un commandement de saisie-immobilière à la SCI.
Un jugement du juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Marseille en date du 15 novembre 2011, après avoir relevé le caractère malicieux de la signification du jugement, et par suite l'irrégularité de celle-ci, annulait le commandement.
Par jugement du tribunal de grande instance de Marseille du 26 janvier 2010, confirmé en appel, madame [W] a été condamnée à payer à la SCI certaines sommes au titre d'une indemnité d'occupation.
*
Par exploit du 25 juillet 2011, monsieur [Y] a formé tierce opposition à l'encontre du jugement du 15 mars 2007 devant le tribunal de grande instance de Marseille.
Il est appelant d'un jugement du 10 août 2012 ayant dit monsieur [X] irrecevable en son intervention volontaire à la tierce opposition en sa qualité d'administrateur judiciaire de la SCI, ayant dit monsieur [Y] recevable en son action mais dénué d'intérêt à agir, l'ayant débouté de sa demande tendant à voir rétracter le jugement du 15 mars 2007, ayant débouté madame [W] de sa demande de dommages et intérêts, l'ayant condamné aux dépens et au paiement d'une indemnité de 1.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
Dans des conclusions du 27 novembre 2012, il demande de voir dire qu'il a intérêt à agir en application des articles 582 et suivants du Code de procédure civile, de rétracter le jugement du 15 mars 2007, de l'annuler à l'égard de l'ensemble des parties en raison d'une indivisibilité absolue et en application de l'article 591 alinéa 1 du Code de procédure civile, d'annuler les procédures d'exécution découlant dudit jugement et plus particulièrement la procédure de saisie-immobilière, de condamner madame [W] à lui payer la somme de 100.000 euros à titre de dommages et intérêts, et la somme de 5.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
Il fait valoir que :
- les premiers juges ne pouvaient sans contradiction estimer dans un premier temps qu'il avait un intérêt à agir en raison de sa détention de la moitié des parts sociales, et lui dénier ensuite cet intérêt, qui réside dans son opposition à voir vendre aux enchères publiques l'immeuble qui est la propriété de la SCI, et qui constitue son seul patrimoine;
- s'il ne conteste pas la réalité d'une avance de fonds par madame [W], il conteste l'existence d'un prêt productif d'intérêt, et la possibilité pour celle-ci d'obtenir le remboursement d'un prêt qui n'existe pas, ou même de l'avance de fonds, sachant qu'aux termes des statuts la souscription d'un emprunt doit être autorisée par les associés et qu'aucune autorisation n'a été donnée en l'occurrence, qu'aucune déclaration d'un prêt n'a été effectuée auprès de l'administration fiscale (article 242 ter 3 du Code général des impôts), et que si les associés ont la faculté de mettre une somme à la disposition de la société, dont le montant est inscrit en compte courant d'associé, et si l'associé peut exiger le remboursement de son avance, ce remboursement est lié aux capacités contributives de la société, spécialement, comme en l'espèce, lorsque la société ne dispose d'aucun revenu et que les avances en trésorerie ont perdu leur caractère liquide lorsqu'elles ont été utilisées pour l'acquisition du bien social, qu'aucune décision collective des associés n'a autorisé une rémunération de l'avance consentie par madame [W], que rien n'indique que ladite avance n'a pas été déjà remboursée en tout ou en partie, madame [W] ne produisant pas de comptabilité attestant de la réalité du compte courant et de l'inscription d'intérêts sur ce compte, et enfin que le jugement, alors qu'il ignorait tout de la procédure, a été obtenu par madame [W] en fraude de ses droits;
- madame [W] a obtenu le jugement attaqué en fraude de ses droits, en omettant volontairement de l'informer de l'introduction de la procédure, ainsi que la SCI;
- il subit un grave préjudice car il ne peut bénéficier de son capital, qui est immobilisé, et il ne peut en jouir depuis dix ans, alors qu'il doit par ailleurs continuer de rembourser les échéances d'un emprunt souscrit pour le financement de son acquisition.
Les conclusions d'intimé tant de madame [W] que de la SCI ont été déclarées irrecevables par diverses ordonnances du conseiller de la mise en état.
La clôture a été prononcée le 5 décembre 2013.
MOTIFS
1) Monsieur [Y], en sa qualité d'associé dans la SCI, a intérêt à agir en tierce opposition pour voir rétracter le jugement qui a condamné la SCI à payer à madame [W] la somme de 127.587 euros.
2) Madame [W], également associée dans la SCI, a réclamé le remboursement d'une somme qui a servi, partiellement, à acquérir l'immeuble dont la SCI est propriétaire.
La mise à disposition de cette somme par madame [W], à défaut de toute pièce permettant de la qualifier de prêt, attestant en particulier de l'autorisation donnée au gérant de le souscrire, ou prévoyant encore les modalités de son remboursement, doit s'analyser en une avance en compte courant.
Monsieur [Y] est fondé à soutenir que dans une SCI qui ne dispose d'aucun revenu comme en l'espèce, les avances ne peuvent être remboursées rapidement, et que madame [W] ne pouvait pas demander à être remboursée en l'absence d'une décision collective des associés l'y autorisant, étant relevé qu'aux termes de l'article D) des statuts 'les retraits ne sont possibles que moyennant un préavis minimum de dix-huit mois'.
3) Il est encore en droit d'opposer le fait que le jugement a été prononcé en fraude de ses droits quand, madame [W] ayant été à l'initiative de l'instance, la SCI n'y a pas été représentée pour y défendre, alors qu'il résulte des statuts que les deux associés en étaient les co-gérants (sachant qu'à l'époque l'administrateur n'avait été désigné que pour convoquer une assemblée générale), et que rien ne vient contredire son allégation selon laquelle il n'a pas été mis au courant de l'introduction de cette instance.
4) Il convient en conséquence de faire droit à la demande de monsieur [Y], non pas d'annulation du jugement, mais de rétractation de l'ensemble de ses dispositions, et de faire application des dispositions de l'article 591 alinéa 2 du Code civil suivant lesquelles la chose jugée sur la tierce opposition le sera à l'égard de toutes les parties appelées à l'instance, en l'état de l'indivision entre les parties, le jugement du 15 mars 2007 ne pouvant à la fois être exécuté en faveur de madame [W] et ne pas l'être en faveur de monsieur [Y].
5) Il n'y a pas lieu de faire droit à la demande, abstraite et générale, d'annulation des procédures d'exécution découlant du jugement du 15 mars 2007, sachant que cette demande est inutile concernant la saisie immobilière initiée par madame [W], déjà annulée par jugement du juge de l'exécution de Marseille du 15 novembre 2011.
6) Monsieur [Y] réclame une somme de 100.00 à titre de dommages et intérêts au motif qu'il ne peut plus jouir depuis 10 ans de la valeur de son capital immobilier, doit payer les échéances mensuelles du prêt immobilier, se loger, et subir les multiples procédures de madame [W].
La fraude de madame [W] lui a occasionné un préjudice moral qui doit être réparé par l'allocation d'une indemnité de 1.500 euros, le surplus du préjudice invoqué n'étant pas justifié.
7) Madame [W] supporte les dépens de la tierce-opposition et il est équitable d'allouer à monsieur [Y] une somme de 1.500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
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Il suit de l'ensemble de ce qui précède que le jugement doit être infirmé sauf en ce qu'il a dit monsieur [Y] recevable en son action, et a débouté madame [W] de sa demande de dommages et intérêts.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Statuant publiquement et contradictoirement, par arrêt mis à disposition au greffe
Infirme le jugement sauf en ce qu'il a dit monsieur [Y] recevable en son action, et a débouté madame [W] de sa demande de dommages et intérêts.
Statuant à nouveau du chef des dispositions infirmées et y ajoutant,
Dit monsieur [Y] recevable dans sa demande en rétractation du jugement.
Rétracte à l'égard de toutes les parties l'ensemble des dispositions du jugement du 15 mars 2007.
Déboute monsieur [Y] de sa demande tendant à l'annulation de l'ensemble des procédures d'exécution ayant procédé de ce jugement.
Condamne madame [W] à payer à monsieur [Y] une somme de 1.500 euros à titre de dommages et intérêts.
Condamne madame [W] aux dépens de première instance et aux dépens de l'appel.
Dit qu'il sera fait application au profit de la SCP Ermeneux-Champly-Levaique des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.
Condamne madame [W] à payer à monsieur [Y] la somme de 1.500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRESIDENT