COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
1re Chambre B
ARRÊT AU FOND
DU 09 JANVIER 2014
D.D-P
N° 2014/11
Rôle N° 12/14439
[A] [K]
C/
[F] [Y]
Grosse délivrée
le :
à :
Me Gwanaelle MAZINGUE
Me Jean-louis BONAN
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Grande Instance d'AIX-EN-PROVENCE en date du 07 Juin 2012 enregistré au répertoire général sous le n° 10/04983.
APPELANT
Monsieur [A] [K]
né le [Date naissance 1] 1959 à [Localité 1],
demeurant Chez [L] [D] - [Adresse 1].
représenté et plaidant par Me Gwanaël MAZINGUE, avocat au barreau de MARSEILLE
INTIMEE
Madame [F] [Y] divorcée [K]
née le [Date naissance 2] 1956 à [Localité 2] (58), demeurant [Adresse 2]
représentée et plaidant par Me Jean-louis BONAN, avocat au barreau de MARSEILLE
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 28 Novembre 2013 en audience publique. Conformément à l'article 785 du Code de Procédure Civile, Mme Danielle DEMONT-PIEROT, Conseiller, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Monsieur François GROSJEAN, Président
Monsieur Hugues FOURNIER, Conseiller
Mme Danielle DEMONT-PIEROT, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Mme Dominique COSTE.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 09 Janvier 2014.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 09 Janvier 2014,
Signé par Monsieur François GROSJEAN, Président et Mme Dominique COSTE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
EXPOSE DU LITIGE
Mme [F] [Y] et M. [A] [K] se sont mariés le [Date mariage 1] 1990 sous le régime de séparation de biens.
Leur divorce a été prononcé le 7 mars 2005, transcrit sur les registres de l'État civil le 19 juillet 2005.
L'époux était gérant d'une SARL TERRACOTTA créée en avril 1999 dont la comptabilité a fait l'objet d'une vérification par l'administration fiscale pour la période du 1er janvier 2000 au 31 décembre 2002 donnant lieu à divers redressements.
Mme [Y], poursuivie au titre de la solidarité du foyer fiscal, a saisi vainement la juridiction administrative en invoquant l'article 1691 bis du code général des impôts aux termes duquel les personnes divorcées ou séparées peuvent demander à être déchargées des obligations de paiement lorsque le jugement de divorce ou de séparation de corps a été prononcé.
Par exploit en date du 10 juin 2010 Mme [F] [Y] a fait assigner M. [A] [K] sur le fondement de la mitre 182 du Code civil.
Par jugement du 7 juin 2012 le tribunal de grande instance d'Aix-en-Provence a :
' déclaré M. [A] [K] responsable des conséquences de la procédure fiscale intentée par l'administration à l'encontre de Mme [Y] du fait de la solidarité entre époux ;
' l'a condamné à relever et garantir Mme [F] [Y] des condamnations pouvant être prononcées contre elle en principal, intérêt et frais au profit de l'administration fiscale au titre du redressement des 5 décembre 2003 pour l'année 2000 et 25 juin 2004 pour les années 2001 et 2002 et notamment de la somme de 126'366 € pour l'année 2000,183'419 € pour l'année 2001 et 382'235 € pour l'année 2002 ;
' et l'a condamné à lui payer la somme de 1500 € au titre de l'article 700, outre les dépens.
Le tribunal relève en ses motifs :
Sur la faute issue du fait de l'absence de demande de documents fondant la décision de l'administration fiscale
- que son époux a fait entrer dans la communauté de son chef exclusif, par sa faute, en détournant l'actif social et du fait qu'il n'a pas contesté les demandes de l'administration fiscale en sa qualité de dirigeant et d'époux payeur du redressement, ni sollicité des documents de ce fait qu'elle n'a pas pu utiliser devant la juridiction administrative ; qu'elle a subi une perte de chance de voir sa demande en décharge prospérer ;
mais que la procédure de décharge de responsabilité solidaire applicable en matière d'impôt sur le revenu pour les personnes divorcées suppose la réunion de trois conditions cumulatives : une rupture de la vie commune, une disproportion marquée entre le montant de la dette fiscale et la situation financière et patrimoniale, nette de charges, du demandeur à la date de la demande, un comportement fiscal qui se traduit d'une part par le respect par le demandeur de ses obligations déclaratives depuis la rupture de la vie commune, et d'autre part l'absence de manoeuvres frauduleuses pour se soustraire au paiement de l'impôt ;
- que si l'épouse est mariée sous le régime de la séparation de biens par contrat du 21 février 1990 et qu'elle justifie de la notification de redressement, elle ne justifie pas des autres conditions susvisées ; qu'elle ne peut dès lors prétendre que l'absence de documents que seul son époux pouvait solliciter l'aurait privée d'une chance d'être déchargée des sommes mises à sa charge en application du principe de solidarité fiscale des époux ;
sur la faute commise par M. [K] du fait de l'absence de contestation de la procédure de redressement
- que l'époux a contesté en qualité de dirigeant de la société TERRACOTTA les redressements opérés ; qu'elle ensuite été mise en liquidation judiciaire, de sorte que ce liquidateur pouvait intervenir aux intérêts de la société, ce que l'administration fiscale a indiqué par lettre du 28 octobre 2004 ;
Sur la faute commise par M. [K] du fait de la soustraction de l'actif social à son profit
- que l'administration fiscale a retenu comme étant des revenus distribués tous les bénéfices ou produits qui n'ont pas été mis en réserve ou incorporés au capital, s'agissant des seules sommes pour lesquelles d'une part la vérification de la comptabilité de la société avait fait apparaître l'absence de justification d'écritures comptables relatives à des charges portant sur des achats effectués en Indonésie et d'autre part des ordres de transfert de la société à ces banques révélant que le bénéficiaire des paiements était M. [A] [K] ;
- que les agissements de ce dernier sont donc à l'origine de l'imposition litigieuse ; que rien n'établit que Mme [Y], mariée sous le régime de la séparation de biens, aurait profité de ces sommes versées sur les comptes personnels de M. [K] ;
- que les agissements de ce dernier constituent donc une faute, laquelle est à l'origine du préjudice de l'épouse qui s'est retrouvée débitrice solidaire de l'imposition ; et que M. [K] doit donc être condamné à la relever et garantir des condamnations pouvant être prononcées contre elle du fait des redressements en cause.
Par déclaration du 25 juillet 2012 M. [A] [K] a relevé appel de cette décision.
Par conclusions notifiées et déposées le 23 octobre 2013 il demande à la cour :
' d'infirmer le jugement entrepris ;
' de débouter Mme [Y] de l'ensemble de ses demandes,
' et de la condamner de payer la somme de 5'000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens avec distraction.
Dans ses écritures déposées le 17 octobre 2013 Mme [F] [Y] demande à la cour :
' d'écarter des débats les pièces 7 et 8 qui sont en langue étrangère non traduite en français ;
' de confirmer le jugement attaqué,
au principal
' de déclarer l'appelant responsable des conséquences de la procédure fiscale intentée par l'administration contre elle du fait de la solidarité entre époux ;
en tout état de cause
' en application notamment des articles 1536 et 1537 du code civil et les époux étant mariés sous le régime de la séparation de biens et le redressement fiscal étant la conséquence des revenus que l'époux a personnellement perçus sur son compte bancaire, les fonds provenant de la société TERRACOTTA dont il est le gérant ;
' de le condamner à relever et garantir Mme [F] [Y] des condamnations pouvant être prononcées contre elle en principal intérêt et frais au profit de l'administration fiscale au titre du redressement des 5 décembre 2003 pour l'année 2000 et 25 juin 2004 pour les années 2001 et 2002 et notamment de la somme de 126'366 € pour l'année 2000 ,183'419 € pour l'année 2001 et 382'235 € pour l'année 2002 ;
' et de condamner M. [K] à lui payer la somme de 4 000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile , outre les dépens.
La cour renvoie aux écritures précitées pour l'exposé exhaustif des moyens des parties.
MOTIFS :
Attendu en ce qui concerne le moyen tiré de l'absence de demande de documents fondant la décision de l'administration fiscale, et celui relatif à l'absence de contestation de la procédure de redressement, que le tribunal a déjà répondu par des motifs développés pertinents pour écarter la faute de M. [K] ;
Attendu, que le tribunal, pour faire droit in fine à la demande de Mme [Y] , a retenu l'existence d'une faute commise par M. [K] du fait de la soustraction de l'actif social à son profit ;
Attendu que l'appelant fait valoir que son épouse était associée de la SARL TERRACOTTA à hauteur de 40 % du capital social, de manière strictement égalitaire à lui-même ; qu'elle avait en cette qualité accès à l'ensemble des éléments comptables de la société ; que l'administration fiscale a indiqué clairement que son épouse détenait une carte bleue de la société TERRACOTTA et que plusieurs paiements qui sont demeurés injustifiés ont été effectués par Mme [Y] elle-même à l'aide de cette carte bleue; que ce n'est qu'à la suite d'un échange de parts sociales en juin 2003 qu'elle a cédé à son époux ses parts sociales dans cette SARL, date à laquelle elle est devenue elle-même gérante de cette SCI TERRACOTTA ;que le mari fait valoir que les époux ont habité tous deux avec leur enfant commun en Indonésie ; que l'épouse a profité de l'intégralité des sommes versées sur le compte de son époux, ce qui lui a permis de subvenir sur place à ses besoins ; et que les sommes transférées sur le compte personnel de l'époux ont ensuite été transférées sur le compte d'une société PT IMAGE en Indonésie ( notamment un virement le 11 janvier 2002 de 100 000 USD ayant pour objet le versement du capital social de PT IMAGE) dans laquelle Mme [Y] était elle aussi associée à hauteur de 45 % ;
Attendu que Mme [F] [Y] répond que seuls des billets d'avions ont été payés sur le compte de la société TERRACOTTA à son profit et celui de l'enfant commun [E] ;et que la dette est rentrée dans la communauté fiscale du chef exclusif de l'activité personnelle de M. [K] en application de l' article1418 du code civil ; et que la faute entre les époux est établie ;
Mais attendu que l'épouse ne conteste pas ainsi avoir elle-même fait usage de la carte bleue de la société TERRACOTTA, ce qui a donné lieu à la proposition de rehaussement de l'administration, notamment pour la déduction abusive de frais de transport 'à caractère privé'; que l'administration fiscale relève que 'La société, pour justifier de sa comptabilisation des frais porté en réduction, a produit des relevés de cartes bancaires détenues respectivement par le gérant et une actionnaire, Mme [F] [K]' (page 10 de la proposition du 25 juin 2004, page 8 de la notification de redressement fiscal) ;
Attendu que l'épouse qui n'allègue avoir disposé alors de revenus personnels, a bénéficié des sommes qui ont été versées sur les comptes personnels de M. [K] pour les besoins de la vie courante à l'étranger de 1999 à 2004, de sorte que loin de lui causer quelque préjudice, les agissements de ce dernier lui ont profité pour constituer des revenus communs ; qu'en réalité elle a elle-même pris part active aux irrégularités fiscales qui ont conduit aux redressements litigieux;
Attendu que la créance de l'administration fiscale sur les deux époux issue des redressements ne peut donc être considérée comme étant 'née de la seule personne de l'époux' au sens de l'article 1536 du code civil ;
Attendu que le jugement qui a fait droit aux demandes de Mme [Y] d'être relevée et garantie par son ex-mari des sanctions pécuniaires solidaires de l'administration fiscale doit en conséquence être entièrement réformé ;
Attendu que l'intimée succombant devra supporter la charge des dépens, et verser en équité à l'appelant la somme de 1 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ne pouvant elle-même prétendre au bénéfice de ce texte ;
PAR CES MOTIFS,
La cour statuant par arrêt contradictoire, prononcé publiquement, par mise à disposition au greffe,
Ecarte des débats les pièces n° 7 et 8 en langue étrangère,
Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau et ajoutant
Déboute Mme [F] [Y] de l'ensemble de ses demandes,
La condamne à payer la somme de mille euros (1 000€) à M. [A] [K] au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens, et dit que ceux-ci seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
LE GREFFIERLE PRESIDENT