COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
1re Chambre B
ARRÊT AU FOND
DU 19 DECEMBRE 2013
D.D-P
N° 2013/772
Rôle N° 12/22074
[L] [U]
C/
[E] [U]
[W] [U]
SCI ANGELE
Grosse délivrée
le :
à :
Me Jean-françois JOURDAN
Me Dominique CHAYVIALLE-PAUL
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Grande Instance de MARSEILLE en date du 02 Octobre 2012 enregistré au répertoire général sous le n° 10/06436.
APPELANT
Monsieur [L] [U]
né le [Date naissance 1] 1957 à [Localité 1],
demeurant [Adresse 5]
représenté par Me Jean-françois JOURDAN, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, plaidant par Me Anne BOLLAND-BLANCHARD, avocat au barreau de LYON.
INTIMES
Monsieur [E] [U]
né le [Date naissance 3] 1962 à [Localité 1],
demeurant [Adresse 2]
représenté et plaidant par Me Dominique CHAYVIALLE-PAUL, avocat au barreau de MARSEILLE
Monsieur [W] [U]
né le [Date naissance 2] 1956 à [Localité 1],
demeurant [Adresse 4]
représenté et plaidant par Me Dominique CHAYVIALLE-PAUL, avocat au barreau de MARSEILLE
SCI ANGELE,
dont le siège social est sis [Adresse 3]
prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié ès qualités audit siège.
représentée et plaidant par Me Dominique CHAYVIALLE-PAUL, avocat au barreau de MARSEILLE
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 21 Novembre 2013 en audience publique. Conformément à l'article 785 du Code de Procédure Civile, Mme Danielle DEMONT-PIEROT, Conseiller, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Monsieur François GROSJEAN, Président
Monsieur Hugues FOURNIER, Conseiller
Mme Danielle DEMONT-PIEROT, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Mme Dominique COSTE.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 19 Décembre 2013.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 19 Décembre 2013,
Signé par Monsieur François GROSJEAN, Président et Mme Dominique COSTE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
EXPOSE DU LITIGE
Par acte en date du 11 octobre 1990, M. [L] [U] et M. [E] [U] ont constitué la société civile immobilière (SCI) ANGÈLE, [L] [U] étant détenteur de 90 parts et [E] [U] des 10 autres parts constituant le capital social.
Par acte du 30 novembre 1990 la SCI ANGÈLE a acquis un bien immobilier dénommé [Adresse 1], moyennant le prix de 450'000 F.
Par acte en date du 22 janvier 1993 M. [L] [U] a cédé à M. [E] [U] 85 de ses 90 parts moyennant le prix de 300'000 F payable à hauteur de 30'000 F au jour de la cession et par 9 annuités de 30'000 F chacune à compter du 1er janvier 1994.
Par le même acte, M. [L] [U] cédait à son autre frère, [W] [U], les 5 parts lui restant pour le prix de 16'000 F payables le jour de la cession.
Par exploit en date du 8 juillet 2009, M. [L] [U] a fait assigner devant le tribunal de commerce de Marseille MM. [E] et [W] [U] et la SCI ANGÈLE sur le fondement de l'article 1184 du Code civil aux fins d'obtenir la résolution de l'acte de cession de parts pour défaut de paiement du prix.
Par jugement en date du 26 avril 2010 le tribunal de commerce s'est déclaré matériellement incompétent et a désigné le tribunal de grande instance de Marseille.
Par jugement contradictoire en date du 2 octobre 2012, rectifié par jugement en date du 15 janvier 2013 en ses motifs seulement, le tribunal de grande instance de Marseille a :
' débouté M. [L] [U] de l'intégralité de ses demandes ;
' l'a condamné à restituer les clés de l'immeuble appartenant à la société civile immobilière ANGÈLE et l'intégralité des documents comptables et archives sociales, au gérant de la société civile immobilière, sous astreinte provisoire de 50 € par jour de retard passé le délai d'un mois à compter de la signification du jugement ;
' débouté M. [E] [U] et la société civile immobilière ANGÈLE de leur demande de dommages et intérêts ;
' et condamné M. [L] [U] à verser à MM. [E] et [W] [U] et à la société civile immobilière, ensemble, la somme de 1500 € titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.
Le tribunal énonce en ses motifs :
Sur la demande principale
qu'il appartient à MM. [E] et [W] [U] de démontrer avoir rempli leur obligation de s'acquitter du prix convenu ; que l'acte de cession en date du 22 janvier 1993 à M. [W] [U] et l'acte de cession à M. [E] [U] comportent chacun la quittance de M. [L] [U] à hauteur de la totalité du prix de cession pour le premier et pour le second du premier versement de 30'000 F ; qu'en ce qui concerne le solde du prix de cession, celui-ci a bien été réglé par le cessionnaire selon les témoignages produits, dans la mesure où le cessionnaire est fondé à invoquer les dispositions de l'article 1348 du code civil et son impossibilité morale de demander à son frère une quittance ; que le caractère probant de ces attestations est renforcé par l'attitude du demandeur qui n'a agi en résolution de la vente qu'en 2009, soit 16 ans après la date de l'impayé allégué ; que M. [E] [U] établit ainsi avoir réglé le montant de la cession et qu'il y a lieu de débouter M. [L] [U] de sa demande d'annulation ;
Sur la demande reconventionnelle tendant à l'octroi de dommages et intérêts
que MM. [E] et [W] [U] étant propriétaires de l'intégralité des parts sociales de la SCI ANGÈLE depuis 1993, disposaient des moyens juridiques nécessaires pour obtenir que M. [U] leur laisse le libre accès à l'immeuble propriété de la société et leur remette les documents nécessaires à une bonne gestion ; qu'à supposer l'action en responsabilité qu'ils forment ne soit pas prescrite, il convient de constater qu'en toute hypothèse M. [E] [U] n'a entrepris aucune démarche avant le transfert du siège social en 2006, et l'établissement d'un procès-verbal d'huissier en 2011 constatant l'occupation des lieux, pour demander réparation à M. [L] [U], ce qui manifeste une carence évidente à l'origine des préjudices invoqués ; que M. [E] [U] et la SCI ANGÈLE seront déboutés de leur demande tendant au paiement de dommages et intérêts ; qu'en revanche il sera fait droit à la demande de restitution des clés, des documents et archives, M. [L] [U] n'ayant aucun titre pour les conserver.
Par déclaration adressée au greffe de la cour le 22 novembre 2012 M. [L] [U] a relevé appel de cette décision.
Par conclusions notifiées et déposées le 20 septembre 2013 il demande à la cour :
' de déclarer irrecevable la fin de non-recevoir tirée de la prescription qui lui est opposée;
en tout état de cause
' de le recevoir en son action,
au fond
' de réformer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a débouté les intimés de leur demande indemnitaire,
Statuant à nouveau
' de prononcer la résolution des actes de cession de parts sociales ;
' de condamner solidairement MM. [E] [U] et [W] [U] à lui verser la somme de 20'000 € à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive,
' de débouter les intimés de leur demande de restitution sous astreinte des documents comptables et archives sociales de la SCI déjà été restitués par M. [L] [U] ;
subsidiairement
' de condamner in solidum les intimés à lui payer la somme de 80'035 € avec intérêts au taux légal depuis le 6 avril 2003 ;
' de dire que cette demande n'est pas nouvelle ;
en tout état de cause
' de débouter les intimés de toutes leurs demandes ;
' et de condamner solidairement MM. [E] et [W] [U] à lui verser la somme de 15'000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens, avec distraction.
Par conclusions notifiées et déposées le 4 octobre 2013 MM. [E] [U], [W] [U] et la SCI ANGÈLE demandent à la cour :
à titre principal
' de confirmer le jugement entrepris qui a débouté M. [L] [U] de toutes ses demandes et ordonné la remise des clés et documents comptables;
à titre subsidiaire
' de déclarer forclose l'action engagée ;
' de débouter M. [L] [U] de sa demande de les voir condamner à lui payer la somme de 80'035 € avec intérêts,
' de réformer le jugement entrepris en ce qu'il les a déboutés de leur demande indemnitaire en réparation de leur préjudice ;
statuant à nouveau
' de condamner M. [L] [U] à payer à M. [E] [U] la somme de 20'000 € à titre de dommages et intérêts, à la SCI ANGÈLE la somme de 40'000 € à titre de dommages et intérêts ;
' et de condamner M. [L] [U] à payer à MM. [E] et [W] [U] la somme de 7'000 € chacun au titre de l'article 700 du code de procédure civile et de condamner l'appelant à payer à la SCI ANGÈLE la somme de 5'000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens avec distraction.
La cour renvoie aux écritures précitées pour l'exposé exhaustif des moyens des parties.
MOTIFS :
Attendu que l'appelant fait valoir au soutien de son recours qu'un écrit est nécessaire pour prouver que les acquéreurs se sont acquittés du paiement du prix, en application de l'article 1341 du Code civil ; que des dispositions de l'article 1348 sont une exception ; que la parenté n'a jamais suffi en elle-même à démontrer l'impossibilité morale de se procurer un écrit ; que les éléments recueillis dans le cadre de la procédure pénale prouvent les allégations mensongères de [E] et [W] [U], et de leurs frères dont les témoignages ne peuvent en aucun cas être retenus ; qu'il existe des contradictions dans les déclarations effectuées dans le cadre pénal et que les preuves d'un prétendu paiement, au-delà de ce qui était dû, qui ont été produites dans ce cadre et qui sont des documents falsifiés correspondant à une autre dette, envers la société SODAGRA, sans rapport avec la cession des parts de la SCI ANGÈLE ;
Mais attendu que la photocopie du chèque d'un montant de 30 000 francs émis par [L] [U] le 22 janvier 1993 au bénéfice de son frère [E] est produite ; que l'attestation de Mme [M] datée du 14 juin 2011,selon laquelle les 'de ce que je sais, il n'y a eu aucun paiement de la cession et les 30'000 F d'acompte par chèque n'ont jamais été encaissés ou comptabilisés', est insuffisante à contredire les mentions de l'acte qui contient quittance du paiement de ce montant de M. [L] [U] lui-même ;
Attendu qu' en ce qui concerne le paiement du solde du prix, le premier juge a retenu bon droit qu'il existait manifestement une impossibilité morale pour [E] [U] de demander quittance à M. [L] [U], alors que les paiements étaient effectués entre frères, et en présence de toute la fratrie ;
Attendu que le fait que les frères [U] fussent alors par ailleurs en relations d'affaires n'est pas de nature à exclure l'impossibilité morale de solliciter un écrit, en dépit du montant important en cause et ce, même si M. [L] [U] a pu quant à lui obtenir des reconnaissances de dette de la part de certains de ses frères lorsque lui-même leur a prêté des fonds ;
Attendu qu'il est à relever de surcroît que dans ses propres écritures, M. [L] [U], pour tenter de justifier la tardiveté de son action en annulation, invoque le fait que leur père est décédé en 1999 et leur mère en 2001 ; que la dernière échéance du prix de cession était prévue en 2002 ; qu'il indique lui-même que ' jusque-là aucun litige familial n'existait entre les frères et ne pouvait exister compte tenu de l'autorité parentale' ; qu'il a cherché à obtenir un règlement à l'amiable, et que 'ce n'est qu'en 2002 que d'énormes litiges familiaux sont nés' ;
Attendu que les liens d'affection unissant les parties à l'époque des paiements invoqués sont établis ; que la preuve par les témoignages produits doit être admise telle que corroborée par l'absence de toute réclamation de l'appelant des années durant, depuis janvier 1994, date de la première échéance exigible, jusqu'en juillet 2009, soit durant plus de quinze ans ;
Attendu que l'appelant n'est pas donc fondé à soutenir que M. [E] [U] aurait pu et dû obtenir un écrit contenant quittance pour les versements en espèces qu'il a effectués à son profit ;
Attendu, en ce qui concerne l'appel incident des intimés, que M. [W] [U] sollicite l'octroi d'une somme de 20'000 € à titre de dommages et intérêts, 'toutes causes de préjudice confondues', en soutenant que 'la carence de M. [L] [U] est à l'origine de divers préjudices personnellement causés en raison du non-paiement des impôts , et notamment des taxes foncières qui étaient à la charge des sociétés locataires de l'immeuble, par suite de l'impossibilité de pénétrer dans les lieux faute d'avoir un jeu de clés, courriers non transmis demeurés dans le bureau personnel de M. [L] [U], etpour son intention de nuire par l'action en justice intentée 15 ans après' ;
Mais attendu que l'appelant lui répond exactement que le siège social de la SCI ANGÈLE ayant été transféré en 2006 à une autre adresse que celle de la villa Angèle, M. [E] [U] a pu recevoir directement le courrier de cette société ;qu'il n'en ressort aucun dommage causé à M. [W] [U] par l'occupation des lieux par M. [L] [U] ;
Attendu que la SCI ANGÈLE demande pour sa part la somme de 40'000 € au titre de la réparation du préjudice issu de son impossibilité de procéder à la location de bureaux disponibles dans l'immeuble lui appartenant et par suite de l'occupation de SCI faite par M. [L] [U], seul détenteur des clés ; qu'elle soutient que ce dernier, en sa qualité de gérant de la société HSAD, dont le bail en cours concerne une superficie de 90 m² sur les 220 m² qui composent l'immeuble, devait régler un loyer à la SCI ANGELE pour la totalité de l'immeuble ; qu'un litige l'oppose à la société HSAD en vue de la résiliation de son bail pour non- exécution de ses obligations contractuelles ;
Mais attendu que la SCI n'établit l'occupation privative des lieux par M. [L] [U] qu'à compter de 2011, date du procès verbal d'huissier caractérisant son refus de laisser accès à l'immeuble litigieux ;qu'échouant à démontrer l'existence d'un préjudice qui serait issu de cette occupation plus 2001, sa demande d'indemnité globale sera rejetée ;
Attendu en définitive que le jugement déféré sera entièrement confirmé ;
Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription qui n'est soulevée par les intimés qu'à titre subsidiaire dans l'hypothèse d'une réformation du jugement;
Attendu, en ce qui concerne la demande subsidiaire de l'appelant, dans l'hypothèse d'une confirmation du jugement entrepris, de voir condamner les intimés a lui payer la somme de 80'035 € par suite de l'enrichissement qu'il aurait apporté à l'actif de la SCI ANGÈLE, compte tenu du fait que M. [U] aurait été contraint, en sa qualité de caution, de rembourser le CEPME par suite de la défaillance de la société CODIA- France International, que les intimés sont fondés à soulever l'irrecevabilité de cette demande nouvelle en cause d'appel ;
Attendu qu'en effet ce nouveau litige ne se rattache pas au présent par un lien suffisant ; qu'elle n'en est pas l'accessoire, la conséquence ou le complément, s'agissant d'une dette alléguée de la SCI ANGELE envers M. [L] [U], caution personnelle ; que sa qualité d'associé majoritaire en cas d'irrégularité de la cession ou de tiers depuis la cession en raison de la validité de celle-ci, comme il est jugé au présent arrêt, est indifférente à cet engagement qui a été souscrit à titre personnel, de sorte que cette prétention ne saurait échapper au double degré de juridiction ;
Attendu que l'appelant succombant devra supporter la charge des dépens, et verser en équité la somme de 2000 € aux intimés se au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ne pouvant lui-même prétendre au bénéfice de ce texte ;
PAR CES MOTIFS,
La cour statuant par arrêt contradictoire, prononcé publiquement, par mise à disposition au greffe,
Déclare irrecevable la demande nouvelle de M. [L] [U] de voir condamner les intimés à lui payer la somme de 80'035 € par suite de l'enrichissement qu'il aurait apporté à l'actif de la SCI ANGÈLE,
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,
y ajoutant
Condamne M. [L] [U] à payer à MM. [E] et [W] [U] et à la SCI ANGÈLE, ensemble, la somme de 2000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens, et dit que ceux-ci seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
LE GREFFIERLE PRESIDENT