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12/12/2013 | FRANCE | N°12/09846

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 8e chambre a, 12 décembre 2013, 12/09846


COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE

8e Chambre A



ARRET SUR RENVOI DE CASSATION



ARRÊT AU FOND

DU 12 DECEMBRE 2013



N°2013/ 729















Rôle N° 12/09846







[D] [R]





C/



CAISSE REGIONALE DU CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE LA COTE D'AZUR - C R C A M

































Grosse délivrée

le :

à :
r>Me VECCHIONI

SCP BADIE







Arrêt en date du 12 Décembre 2013 prononcé sur saisine de la Cour suite à l'arrêt rendu par la Cour de Cassation le 8 mars 2011, qui a cassé et annulé l'arrêt n° 495 rendu le 22/10/2009 par la Cour d'Appel de Céans (8ème Chambre C).





DEMANDERESSE SUR RENVOI DE CASSATION



Monsieur [D] ...

COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE

8e Chambre A

ARRET SUR RENVOI DE CASSATION

ARRÊT AU FOND

DU 12 DECEMBRE 2013

N°2013/ 729

Rôle N° 12/09846

[D] [R]

C/

CAISSE REGIONALE DU CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE LA COTE D'AZUR - C R C A M

Grosse délivrée

le :

à :

Me VECCHIONI

SCP BADIE

Arrêt en date du 12 Décembre 2013 prononcé sur saisine de la Cour suite à l'arrêt rendu par la Cour de Cassation le 8 mars 2011, qui a cassé et annulé l'arrêt n° 495 rendu le 22/10/2009 par la Cour d'Appel de Céans (8ème Chambre C).

DEMANDERESSE SUR RENVOI DE CASSATION

Monsieur [D] [R]

né le [Date naissance 1] 1960 à [Localité 1], demeurant [Adresse 3]

représenté par Me Véronica VECCHIONI, avocat au barreau de NICE substitué par Me Céline SCHIAVOLINI, avocat au barreau de NICE,

constituée aux lieu et place de Me Michel CHARBIT, avocat au barreau de GRASSE, et de Me André FRANCOIS, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

DEFENDERESSE SUR RENVOI DE CASSATION

CAISSE REGIONALE DU CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE LA COTE D'AZUR (CRCAM),

dont le siége social est [Adresse 1]

représentée par Me Sébastien BADIE de la SCP BADIE SIMON-THIBAUD JUSTON, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

plaidant par Me Marie-françe CESARI de la SELARL B.P.C.M, avocat au barreau de NICE substituée par Me Audrey MALKA, avocat au barreau de NICE,

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 13 Novembre 2013 en audience publique devant la Cour composée de :

Monsieur Guy SCHMITT, Président,

Madame Catherine DURAND, Conseiller rapporteur

Madame Isabelle VERDEAUX, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Madame France-Noëlle MASSON.

Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 12 Décembre 2013.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 12 Décembre 2013

Signé par Monsieur Guy SCHMITT, Président et Madame France-Noëlle MASSON, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

FAITS PROCEDURE PRETENTIONS DES PARTIES

Monsieur [R] a ouvert le 7 janvier 2003 auprés de la CRCAM PCA un compte titre ordinaire associé au compte espèce dont il était déjà titulaire et à souscrit au service de banque en ligne avec option titre et bourse proposé (CAEL)par la Banque.

L'article 8-3 de la convention banque en ligne stipulait que la Caisse pouvait à tout moment résilier cette convention à durée indéterminée moyennant un préavis de 8 jours, par lettre RAR adressée au client, ayant toutefois la faculté d'y mettre fin immédiatement sans préavis, sous réserve de liquidation des opérations en cours, en cas d'abus dans l'utilisation du service, de défaut de provision suffisante sur le compte de dépôts associés au dossier titres préalablement à l'achat de valeurs, vente de titre à découvert, ou le cas échéant, non-respect du taux de couverture en vigueur lors de la transmission d'ordres de bourse.

Le 16 octobre 2003 la Banque a fait connaître à Monsieur [R] son intention de résilier la convention de service en ligne en raison du solde débiteur du compte espèce à la suite de nombreux ordres de bourse portant sur des warrants transmis par internet et n'y a pas donné suite aprés discussions avec le client.

Le 22 janvier 2004 Monsieur [R] a alors ouvert un compte de dépôt à vue, un avenant à la convention banque en ligne (CAEL) étant signé le même jour prévoyant des plafonds d'intervention et la réalisation des opérations sur le compte de dépôt.

La Banque, par courrier RAR du 27 juillet 2004 a notifié à Monsieur [R] résilier immédiatement la convention CAEL en raison d'abus dans l'utilisation du service ayant rendu le compte débiteur et l'a mis en demeure de lui régler sous huitaine la somme de 36.825,84 euros, montant du solde débiteur du compte de dépôt à cette date.

La connexion internet a été supprimée le même jour.

Monsieur [R] reprochant à la Banque d'avoir manqué à son obligation d'évaluation, d'information et de contrôle et d'avoir coupé brutalement la connexion internet le mettant dans l'impossibilité de passer ses ordres en ligne, a, par exploit du 2 décembre 2005, assigné la Banque devant le TGI de DRAGUIGNAN en paiement de la somme de 446.188 euros de dommages et intérêts pour la perte de chance d'optimiser son portefeuille de titres, celle de 26.279,34 euros en remboursement des frais de courtage et 2.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Il reprochait notamment à la Banque de ne pas lui avoir adressé de mises en garde concernant les risques pris dans ses placements le laissant ruiner son capital en méconnaissance de son devoir de conseil et d'information et d'avoir rompu en juillet 2004 les relations contractuelles au motif de la position débitrice du compte alors que cet état de fait était habituel depuis le mois de janvier 2004 et qu'aucune transaction ne lui avait été refusée pour défaut de provision suffisante.

Par jugement du 27 février 2008 le Tribunal a débouté Monsieur [R] de toutes ses demandes, fins et conclusions et la Banque de sa demande reconventionnelle de dommages et intérêts et a condamné Monsieur [R] au paiement de la somme de 1.500 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

Le Tribunal a considéré que Monsieur [R] avait été mis en garde par la Banque sur le caractère très risqué des opérations portant sur les warrants et qu'il avait déclaré maîtriser les risques liés à ces opérations et qu'aucune faute ne pouvait être reprochée à la Banque qui avait résilié le compte en ligne alors que le compte courant n'était plus suffisamment approvisionné depuis un mois pour assurer la couverture des opérations boursières.

Par acte du 22 avril 2008 Monsieur [R] a interjeté appel de cette décision qui a été confirmée par arrêt de la 8ème Chambre A de la Cour de céans en date du 22 octobre 2009.

Par décision du 8 mars 2011 la Cour de cassation a cassé et annulé dans toutes ses dispositions l'arrêt d'appel sur le moyen unique pris en sa cinquième branche.

Monsieur [R] a saisi la Cour de céans aprés renvoi par déclaration du 5 juillet 2011.

L'affaire, retirée du rôle à la demande des parties par arrêt du 12 avril 2012, a été réenrôlée le 30 mai 2012.

Par conclusions récapitulatives déposées et notifiées le 22 octobre 2013, tenues pour intégralement reprises, Monsieur [R] demande à la Cour de :

Vu l'article 1147 du code civil,

Vu l'article 3-3-5 du règlement général du Conseil des marchés financiers,

Vu l'article L 533-4 du code monétaire et financier (actuellement L 541-4),

Vu l'article 10 de la décision n° 99-07 du Conseil des marchés financiers devenu l'article 321-62 du Règlement général de l'autorité des marchés financiers,

Vu l'arrêt de la Cour de cassation du 8 mars 2011,

Vu les pièces versées aux débats,

Le déclarer recevable et bien fondé en son appel,

Réformer le jugement attaqué en toutes ses dispositions,

Constater que la CRCAM Provence Côte d'Azur a manqué à ses obligations d'évaluation, d'information et de contrôle à son égard,

Dire que la Banque, qui tenait elle-même le compte d'espèces et d'instruments financiers de son client, devait disposer d'un système automatisé de vérification du compte en cas d'insuffisance des provisions et des couvertures et assurer le blocage de l'entrée de l'ordre depuis l'ouverture du compte titre le 7 janvier 2003,

Dire que la rupture de la convention Crédit Agricole En Ligne du 23 juillet 2004 sur l'initiative de la Banque est abusive,

Dire que la Banque doit répondre des conséquences dommageables de l'inexécution de ses obligations et de son comportement fautif,

Condamner la CRCAM Provence Côte d'Azur à dédommager Monsieur [R] des pertes subies à hauteur de celles-ci soit la somme de 197.617,87 euros avec intérêts de droit à compter de l'assignation,

Dire que la Banque a prélevé d'importants frais de courtage que son comportement ne justifiait pas,

La condamner à rembourser à Monsieur [R] la somme de 26.279,34 euros, outre intérêts de droit à compter de l'assignation,

Dire que la Banque doit réparer le préjudice subi du fait de la perte de chance d'optimiser le capital investi,

La condamner au paiement de la somme de 133.344,70 euros,

La condamner encore au paiement de la somme de 20.000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral,

La condamner au paiement de la somme de 54.294,51 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile vu la longueur de la procédure,

La condamner à lui rembourser la somme de 1.500 euros versée à la Banque au titre de la condamnation prononcée par l'arrêt cassé,

La condamner au paiement de la somme de 6.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en remboursement des frais irrépétibles d'appel et aux entiers dépens comprenant ceux du jugement, de l'arrêt cassé et les dépens de la présente procédure d'appel.

Par conclusions en dernier lieu déposées le 5 juin 2012 et signifiées le 21 mai 2012, tenues pour intégralement reprises, la [Adresse 2] demande à la Cour de :

Considérant que Monsieur [R], tant devant le Tribunal de Draguignan qu'en cause d'appel que dans son mémoire en cassation, n'a pas incriminé les opérations effectuées sur le premier compte n° [XXXXXXXXXX01] clôturé au mois d'octobre 2003 mais exclusivement celles effectuées à l'occasion de l'ouverture et du fonctionnement du compte n° [XXXXXXXXXX02] ouvert le 22 juin 2004, dont l'accès au site internet a été supprimé par la Banque le 27 juillet 2004, seules les pertes concernant les opérations d'achat-vente sur ce compte entre le 22 janvier 2004 et le 27 juillet 2004 pourraient être prises en considération par la Cour de renvoi, soit la perte de chance d'obtenir le blocage des ordres passés à découvert, préjudice qui se limite au solde débiteur du compte de dépôt à vue au jour où la Banque a interrompu le service internet, soit la somme de 13.549,33 euros dans la meilleure des hypothèses,

Dire et juger que cette somme sera compensée à due concurrence avec celle qui sera allouée à la Banque dans le cadre de l'autre procédure,

Débouter Monsieur [R] du surplus de ses demandes, fins et conclusions,

Le condamner aux entiers dépens.

L'affaire a été clôturée en l'état le 30 octobre 2013.

MOTIFS

Sur le devoir de mise en garde, d'évaluation, d'information et de contrôle :

En ce qui concerne l'ouverture du compte titre le 7 janvier 2003 :

Attendu que Monsieur [R] soutient que la Banque a manqué à ses obligations contractuelles à son égard lors de l'ouverture du compte titres le 7 janvier 2003, alors qu'il n'était pas un investisseur averti et demande la réparation du préjudice subi depuis le 7 janvier 2003 ;

Attendu que si jusqu'alors il n'incriminait pas les opérations effectuées sur le compte titres ouvert en janvier 2003, il est recevable sur renvoi de cassation à invoquer de nouveaux moyens au soutien de son action en responsabilité de la Banque ;

Attendu que la Banque, prestataire de service d'investissement, est tenue de s'enquérir de la situation financière d'un client et d'une obligation d'information adaptée en fonction de l'évaluation des compétences du client ;

Attendu qu'elle est tenue d'une obligation de mise en garde envers d'un opérateur non averti ;

Attendu que la Banque, sur laquelle pèse la charge de la preuve, ne démontre pas qu'au 7 janvier 2003, date de l'ouverture du compte titres, Monsieur [R], pâtissier de profession, était un client averti maîtrisant les opérations spéculatives sur les marchés à terme et les risques encourus ;

Attendu qu'elle ne justifie pas avoir procédé lors de l'ouverture du compte à l'évaluation de la compétence de Monsieur [R] dans ces domaines, ni ne lui avoir fourni une information adaptée en fonction de cette évaluation ;

Attendu que la clause dactylographiée figurant à l'avenant de la convention CAEL signé le 7 janvier 2003 aux termes de laquelle le client déclarait connaitre l'article 3-3-5 du Règlement général du Conseil des Marchés financiers ainsi que maîtriser les risques liés aux opérations envisagées, de même que l'article III du contrat d'ouverture du compte Titres relatif au fonctionnement de ce compte et ceux décrivant par ailleurs les différents marchés, attirant l'attention des investisseurs sur les risques et le caractère spéculatif de certains types de valeurs mobilières dont les warrants, ne constituent pas la délivrance par la Banque de l'information adaptée en fonction de l'évaluation de la compétence de Monsieur [R], information qui lui incombait tant en vertu de l'article 1147 du code civil que de l'article L 533-4 du code monétaire et financier, dans sa rédaction alors applicable ;

Attendu en conséquence que Monsieur [R] est fondé à soutenir que la Banque a failli à son obligation de mise en garde, d'évaluation et d'information à son égard lors de l'ouverture du compte titre en janvier 2003 ;

En ce qui concerne l'ouverture du compte de dépôt à vue le 22 janvier 2004 :

Attendu qu'à la date du 22 janvier 2004 il est constant que Monsieur [R] avait effectué depuis le 10 janvier 2003 de nombreuses opérations d'achats de reventes quasi immédiates de valeurs boursières, dont le nombre et le montant se sont accrus à partir d'avril 2003 ; que ces opérations se sont soldées à plusieurs reprises en 2003 par une position débitrice du compte espèces, obligeant Monsieur [R] à des apports de fonds non négligeables (93.077 euros le 26 juin 2003 et 38.182,46 euros un mois plus tard par virement du solde d'un plan épargne clôturé), lui permettant de combler le découvert de son compte espèces et a poursuivi en toute connaissance des risques encourus les opérations d'achat et de revente sur le marché boursier, privilégiant à partir d'octobre 2003 les produits spéculatifs que sont les warrants ;

Attendu que sensibilisé sur les conséquences des opérations effectuées par le courrier de la Banque du 16 octobre 2003 lui annonçant la résiliation sous huitaine de la convention CAEL en raison du non respect des conditions d'utilisation, il a les a poursuivies, demandant par courriers des 3 novembre et 12 décembre 2003 à passer ses ordres en SRD, ce qui lui aurait permis de reporter le règlement ou la livraison de certains titres à la fin du mois boursier et d'acheter ou de vendre à découvert un titre en différant son règlement et de profiter d'un effet de levier à la hausse et à la baisse ;

Attendu que dans le courrier du 12 décembre 2003 il se plaignait d'un incident sur le serveur survenu le 27 novembre l'ayant empêché de vendre ses warrants et d'une perte financière de 1.000 euros en étant résultée ;

Attendu que l'ensemble de ces éléments démontre qu'au 22 janvier 2004, lors de l'ouverture du compte de dépôt à vue, il était devenu un opérateur averti prévenu contre les risques encourus à l'occasion d'opérations spéculatives effectuées sur les warrants ;

Que sa compétence est par ailleurs attestée par le contenu de ses correspondances des 12 décembre 2003 et 9 août 2004 révélant une connaissance approfondie du fonctionnement de ces produits ;

Attendu que le 22 janvier 2004 il a ainsi signé en toute connaissance de cause l'avenant à la convention CAEL aux termes duquel il déclarait connaître l'article 3-3-5 du Règlement général du Conseil des Marchés Financiers et maîtriser les risques liés aux opérations envisagées ;

Attendu qu'il s'ensuit qu'aucune faute ne peut être imputée à la Banque s'agissant de l'ouverture et du fonctionnement du compte de dépôt à vue en 2004 ;

Sur la rupture immédiate de la connexion internet :

Attendu que l'article 8-3 de la convention CAEL stipulait que la Caisse pouvait à tout moment résilier cette convention à durée indéterminée moyennant un préavis de 8 jours, par lettre RAR adressée au client, ayant toutefois la faculté d'y mettre fin immédiatement sans préavis, sous réserve de liquidation des opérations en cours, en cas d'abus dans l'utilisation du service, de défaut de provision suffisante sur le compte de dépôts associés au dossier titres préalablement à l'achat de valeurs, vente de titre à découvert ;

Attendu que la Banque a résilié sans préavis cette convention le 27 juillet 2004 en raison d'abus dans l'utilisation du service ayant rendu le compte débiteur ;

Attendu qu'il est constant que des opérations étaient en cours, Monsieur [R] ayant acheté des warrants, sans que ses ordres d'achat ne soient bloqués antérieurement à l'envoi du courrier de résiliation, destinés à être rapidement revendus ;

Attendu que la résiliation de la convention CAEL au regard des infractions commises par Monsieur [R] qui s'était engagé à approvisionner suffisamment son ou ses comptes préalablement à tout ordre de virement ou à tout ordre de bouse, n'est nullement fautive ;

Attendu par contre que l'absence de préavis et l'interruption immédiate de la connexion internet, ne permettant pas à Monsieur [R] de liquider les opérations en cours au moyen de cette connexion sont fautives ;

Sur la méconnaissance de l'article L 533-4 du code monétaire financier alors en vigueur l'article L 533-4 du code monétaire et financier (actuellement L 541-4), l'article 10 de la décision n° 99-07 du Conseil des marchés financiers devenu l'article 321-62 du Règlement général de l'autorité des marchés financiers :

Attendu que le prestataire de services d'investissement est tenu d'exercer son activité avec la compétence, le soin et la diligence qui s'impose au mieux des intérêts de ses clients et de l'intégrité des marchés, ainsi que de se conformer à toutes les réglementations applicables à l'exercice de son activité de manière à promouvoir au mieux les intérêts de son client et l'intégrité du marché ;

Attendu que lorsqu'il tient lui-même le compte d'espèce et d'instruments financiers de son client il doit disposer d'un système automatisé de vérification du compte et, en cas d'insuffisance des provisions et couvertures, le système doit assurer le blocage de l'entrée de l'ordre ;

Attendu que la Banque, a permis à Monsieur [R] de passer des ordres en bourse alors que leur couverture n'était pas assurée par la provision correspondante préalable des opérations d'achat et de revente, sans bloquer les entrées des ordres passés à découvert comme cela lui incombait en application de l'article 10 de la décision n° 99-07 du Conseil des marchés financiers devenu l'article 321-62 du Règlement général de l'autorité des marchés financiers ;

Attendu que ce faisant elle a commis une faute ;

Sur les préjudices :

Attendu que Monsieur [R] demande à la Banque, en raison des différents manquements qui lui sont imputables, de lui rembourser le montant total des pertes sur opérations boursières réalisées, hors achats de warrants, qu'il évalue à la somme de 197.617,87 euros depuis janvier 2003 calculée comme suit :

Argent apporté de janvier 2003 à juillet 2004 229.518,87 euros,

Solde débiteur final du compte 18.449 euros,

Total des pertes 247.967,87 euros

Frais personnels à déduire 50.350 euros,

Attendu que toutefois le préjudice résultant des manquements commis par la Banque à son obligation de mise en garde, d'évaluation et d'information à son égard lors de l'ouverture et du fonctionnement du compte titre en janvier 2003 ne consiste qu'en une perte de chance pour Monsieur [R] d'éviter les risques encourus, et ce, y compris les achats de warrants démarrés en octobre 2003 ;

Attendu que cette perte de chance doit être appréciée au regard des choix effectués tout au long de l'année 2004 par Monsieur [R], qui bien que sensibilisé sur les conséquences des opérations effectuées l'année 2003 ayant amené la Banque à vouloir résilier la convention CAEL en octobre 2003 et l'ayant obligé à combler le solde débiteur de son compte, a décidé en toute connaissance de cause de poursuivre l'achat et la revente essentiellement de warrants dont il connaissait le caractère spéculatif, décision s'étant concrétisée par l'ouverture du compte de dépôt à vue et le maintien de la convention CAEL dont la résiliation avait été envisagée par la Banque ;

Attendu qu'elle sera aussi évaluée à la lumière de l'option choisie dans sa demande au titre de la perte de chance d'optimiser le capital investi depuis le 7 janvier 2003, de la calculer depuis janvier 2003 sur la rentabilité mensuelle 'objective' des warrants qu'il fixe à 5 %, ce choix du warrant comme terme de valorisation établissant son intention de privilégier dès 2003 des produits spéculatifs attractifs par leur potentiel de rentabilité, mais risqués ;

Attendu que la perte de chance minime ainsi mesurée sera évaluée par la Cour à la somme de 10.000 euros ;

Attendu par ailleurs que le préjudice résultant du manquement de la Banque à son obligation de bloquer les ordres passés à découvert consiste en la perte de chance d'obtenir le blocage desdits ordres ;

Attendu qu'il correspond, d'une part, en la position débitrice du compte de dépôt à vue d'un montant de 13.031,93 euros qu'il a été condamné à payer à la Banque dans l'instance n° 110207 par arrêt de ce jour ;

Que, d'autre part, Monsieur [R] n'aurait pas supporté de frais de courtages sur les ordres bloqués puisque non passés ; que la Banque sera condamnée à lui verser la somme de 18.085,42 euros montant des frais prélevés sur les ordres passés à découverts ;

Attendu enfin que le préjudice résultant de la résiliation immédiate de la convention CAEL ne consiste pas dans la perte de chance d'optimiser le capital investi depuis janvier 2003 au regard d'une rentabilité mensuelle objective des warrants à hauteur de 5 % qu'il fixe à 133.344,70 euros, mais seulement en celle de liquider les opérations en cours au 27 juillet 2004 par la connexion internet, son courrier du 9 août 2004 attestant des difficultés rencontrées ensuite auprès de la Banque pour passer ces ordres de vente qui ont été pris avec retard ;

Attendu que faute de rapporter la preuve de pertes effectivement subies du fait de cette situation, il lui sera alloué une somme de 1.000 euros en raison de la gêne occasionnée ;

Attendu que les intérêts au taux légal, s'agissant de créances indemnitaires déterminées par le présent arrêt, seront dus à compter de ce jour ;

Attendu que Monsieur [R] qui a poursuivi en toute connaissance des risques encourus les opérations d'achat et de revente sur le marché boursier, privilégiant à partir d'octobre 2003 les produits spéculatifs et a passé de nombreux ordres à découvert, ne caractérise pas subir de préjudice moral imputable à la Banque ;

Attendu qu'il sera débouté de sa demande de condamnation de la Banque au paiement de la somme de 20.000 euros présentée de ce chef ;

Attendu par ailleurs qu'il sera débouté de sa demande de remboursement de frais judiciaires et des dépens exposés dans d'autres instances pour un montant de 54.294,51 euros, frais irrépétibles sur lesquels il a déjà été statué dans lesdites instances ;

Attendu que la Banque, en tant que de besoin, sera condamnée à rembourser à Monsieur [R] la somme de 1.500 euros à laquelle il avait été condamné par la Cour de céans le 22 octobre 2009 par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt de la Cour de cassation du 8 mars 2011 le cassant et l'annulant en toutes ses dispositions lui ouvrant déjà droit à restitution de cette somme ;

Attendu que les intérêts au taux légal sur ladite somme ne seront dus qu'à compter de la notification de l'arrêt de la Cour de cassation ;

Attendu que les condamnations prononcées à l'encontre de la CRCAM PCA au bénéfice de Monsieur [R] se compenseront avec celle prononcée au profit de la Banque envers Monsieur [R] dans l'arrêt rendu ce jour dans l'instance n° 11/02037 ;

Attendu que l'équité ne commande pas de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au profit de l'une ou l'autre des parties ;

Attendu que la CRCAM PCA sera condamnée au entiers dépens ;

PAR CES MOTIFS

Statuant par mise à disposition au greffe, contradictoirement, sur renvoi de cassation,

Dit que la CRCAM PCA a manqué à son devoir de mise en garde, d'évaluation et d'information à l'égard de Monsieur [R] lors de l'ouverture du compte titre en janvier 2003,

Dit que la CRCAM PCA a manqué à son obligation de bloquer les entrées des ordres passés à découvert,

Dit que la résiliation sans préavis, avec interruption immédiate de la connexion internet, sans permettre à Monsieur [R] de liquider les opérations en cours au moyen de cette connexion est fautive,

Condamne en conséquence la CRCAM PCA à payer à Monsieur [D] [R] :

Au titre de la perte de chance d'éviter les risques encourus, la somme de 10.000 euros,

Au titre de la perte de chance d'obtenir le blocage des ordres passés à découvert, la somme de 13.031,93 euros et celle de 18.085,42 euros,

Au titre de la perte de chance de liquider les opérations en cours au 27 juillet 2004 par la connexion internet, la somme de 1.000 euros,

Dit que les intérêts au taux légal, s'agissant de créances indemnitaires déterminées par le présent arrêt, seront dus à compter de ce jour,

Condamne, en tant que de besoin, la CRCAM PCA à rembourser à Monsieur [R] la somme de 1.500 euros à laquelle il a été condamné par arrêt de la Cour de céans du 22 octobre 2009 cassé et annulé par la Cour de cassation du 8 mars 2011,

Dit que les intérêts au taux légal ne seront dus qu'à compter de la notification de l'arrêt de la Cour de cassation ouvrant droit à la restitution sollicitée,

Ordonne la compensation entre les condamnations prononcées par cette décision au profit de Monsieur [R] et celle prononcée dans l'instance n° 11/02037 au profit de la CRCAM PCA à l'encontre de Monsieur [R],

Déboute Monsieur [R] du surplus de ses demandes, fins et conclusions,

Déboute la CRCAM PCA du surplus de ses demandes, fins et conclusions,

Condamne la CRCAM PCA aux entiers dépens, ceux d'appel étant recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

LA GREFFIERE. LE PRESIDENT.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : 8e chambre a
Numéro d'arrêt : 12/09846
Date de la décision : 12/12/2013

Références :

Cour d'appel d'Aix-en-Provence 8A, arrêt n°12/09846 : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2013-12-12;12.09846 ?
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