COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
14e Chambre
ARRÊT AU FOND
DU 04 DÉCEMBRE 2013
N°2013/899
Rôle N° 12/19603
[Q] [I] épouse [N]
[X] [N]
[R] [N]
C/
[W] [U]
CPAM DU VAR
ARS Provence - Alpes - Côte d'Azur (anciennement DRASS)
Grosse délivrée le :
à :
Me Robert BAUER, avocat au barreau de MONTBELIARD
Me Stéphane DELENTA, avocat au barreau de DRAGUIGNAN
Me Jean-Marc CAZERES, avocat au barreau de MARSEILLE
Copie certifiée conforme délivrée aux parties le :
Décision déférée à la Cour :
Arrêt de Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de VAR en date du 25 Juin 2012,enregistré au répertoire général sous le n° 21001412.
APPELANTS
Madame [Q] [I] épouse [N], en son nom propre et en sa qualité de représenante légale de ses enfants mineurs [E] et [A] [N], demeurant [Adresse 1]
représentée par Me Robert BAUER, avocat au barreau de MONTBELIARD
Monsieur [X] [N], ayant droit de Monsieur [N] décédé le [Date décès 1] 2007, demeurant [Adresse 1]
représenté par Me Robert BAUER, avocat au barreau de MONTBELIARD
Mademoiselle [R] [N], ayant droit de Monsieur [N] décédé le [Date décès 1] 2007, demeurant [Adresse 1]
représentée par Me Robert BAUER, avocat au barreau de MONTBELIARD
INTIMES
Monsieur [W] [U], demeurant [Adresse 3]
représenté par Me Stéphane DELENTA, avocat au barreau de DRAGUIGNAN
CPAM DU VAR, demeurant [Adresse 4]
représentée par Me Jean-Marc CAZERES, avocat au barreau de MARSEILLE substitué par Me Richard PELLEGRINO, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
PARTIE(S) INTERVENANTE(S)
ARS Provence - Alpes - Côte d'Azur (anciennement DRASS), demeurant [Adresse 2]
non comparant
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 06 Novembre 2013, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Jean-Luc CABAUSSEL, Conseiller, chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Madame Bernadette AUGE, Président
Madame Florence DELORD, Conseiller
Monsieur Jean-Luc CABAUSSEL, Conseiller
Greffier lors des débats : Monsieur Kamel BENKHIRA.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 04 Décembre 2013
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 04 Décembre 2013
Signé par Madame Bernadette AUGE, Président et Monsieur Kamel BENKHIRA, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Les consorts [N] ont saisi le Tribunal des affaires de Sécurité Sociale (TASS) du Var d'un recours tendant à la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur, [W] [U], dans le cadre de l'accident en date du 2 juillet 2007 dont [F] [N] est décédé peu après.
Le Tribunal par jugement en date du 25 juin 2012, a retenu l'absence de lien de causalité entre le décès et les conditions de travail, et a rejeté le recours.
Les consorts [N] ont relevé appel de cette décision, le 12 octobre 2012.
Le conseil des appelants expose que l'accident est dû à la chute de la victime de son poste de travail, dans des conditions constitutives de la faute inexcusable de l'employeur, sollicite la majoration de rente, la liquidation des préjudices personnels des ayants droit, ainsi qu'une somme en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
L'employeur demande la confirmation du jugement déféré qui fait ressortir que le décès du salarié est dû à une crise cardiaque immédiatement antérieure au décès, contexte exclusif de toute faute inexcusable.
Il expose que le salarié avait lui-même commis une faute inexcusable en ne déclarant à personne l'existence de ses problèmes cardiaques, et sollicite une somme en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
De son côté la Caisse entend s'en remettre à justice sur la détermination éventuelle de la faute inexcusable de l'employeur.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et moyens des parties, il y a lieu de se référer aux écritures des parties reprises oralement à l'audience.
La DRJSCS régulièrement convoquée n'a pas comparu.
SUR CE
Attendu qu'il est constant que [F] [N], salarié de [W] [U] en qualité de maçon, travaillait le 2 juillet 2007 à la construction d'un mur, depuis une plate forme d'une hauteur de 1,45 mètre, qu'il chutait de cette plate forme, et qu'il ne pouvait être ranimé ; que malgré l'intervention des secours, il devait décéder peu après, le même jour ;
Attendu que la caisse primaire d'assurance maladie a reconnu le caractère professionnel du décès, et servi aux ayants droit, la veuve de la victime et chacun des quatre enfants, une rente à compter du 3 juillet 2007 ;
Attendu qu'une enquête de gendarmerie a été aussitôt diligentée, permettant notamment l'audition du témoin des faits nommé [M] [V] ;
Que celui-ci a déclaré par procès verbal du 2 juillet 2007, jour-même des faits : « Monsieur [N] et moi avons commencé le travail ['] j'amenais les agglo et le ciment et Monsieur [N] montait le mur ['] environ une demi heure après, il s'est plaint d'une douleur au dos ['] un peu plus tard d'une douleur dans l'épaule et dans le bras gauche ['] il s'est arrêté de travailler ['] il est revenu 2 ou 3 minutes après ['] il n'était pas très bien ['] j'ai constaté qu'il ne travaillait pas comme d'habitude, son bras gauche était le long du corps, pendant avec la truelle dans la main. Il avait une gêne ['] je me suis retourné pour prendre un agglo et quand je me suis à nouveau retourné, j'ai vu Mr [N] partir en arrière, et tomber de l'échafaudage. Il est tombé sans bruit, ni aucun cri ['] je l'ai vu tomber en arrière ['] » ;
Attendu que sur requête du parquet de Draguignan, divers examens ont été pratiqués ;
Qu'une étude anatomo-pathologique a été effectuée le 22 août 2007, qui fait ressortir « une cardiomégalie gauche avec une calcification de la paroi de la coronaire interventriculaire antérieure. Un 'dème pulmonaire aigu est présent. Ces lésions sont susceptibles d'induire un décès brutal sous réserve des données toxicologiques » ;
Que le rapport d'analyses toxicologiques rendu le 18 juillet 2007 conclue à « l'évidence dans les urines de la présence de vérapamil, preuve d'un sujet traité pour des problèmes cardiaques et aucune autre molécule, toxique, stupéfiante, médicamenteuse ou volatile qui aurait pu altérer la vigilance ou modifier le comportement de la victime » ;
Qu'un rapport d'expertise médico-légale après autopsie de [F] [N] en date du 4 juillet 2007, retient des « lésions à type de plaie et hématomes crâniaux-faciaux, de fracture hépatique compatibles avec une chute. Légère hypertrophie cardiaque sans lésion d'infarcissement identifiable. Il n'a pas été mis en évidence de lésions organiques évidentes susceptibles d'expliquer le décès » ;
Attendu, concernant la faute inexcusable, que l'employeur est tenu en vertu du contrat de travail le liant à son salarié d'une obligation de sécurité de résultat en ce qui concerne la santé et la sécurité de ses salariés du fait des produits fabriqués ou utilisés par l'entreprise ou de l'activité confiée à celui ci ;
Que le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable au sens de l'article L 452-1 du code de la sécurité sociale lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver ;
Qu'il importe de rappeler que pour faire retenir la faute inexcusable de l'employeur, le salarié doit nécessairement établir de manière circonstanciée, d'une part l'imputabilité de l'accident à son activité au sein de l'entreprise et donc qualifier l'exposition au risque et d'autre part la réalité de la conscience du danger auquel l'employeur l'exposait, ne l'ayant pas malgré cela amené à prendre les mesures de prévention utiles ;
Que l'exposition au risque soulève la question du caractère professionnel d'une maladie ou d'un accident ; qu'il va de soi qu'il ne saurait y avoir reconnaissance d'une faute inexcusable imputable à l'employeur, s'il devait être admis que l'affection du salarié n'est pas d'origine professionnelle ; que la juridiction saisie d'une action en reconnaissance d'une faute inexcusable est ainsi en mesure de rechercher si la maladie ou l'accident a un caractère professionnel et si le salarié a été exposé au risque dans des conditions constitutives d'une telle faute ;
Qu'il résulte des dispositions de l'article L 452-4 du code de la sécurité sociale que le caractère professionnel d'une maladie ou d'un accident peut être ainsi remis en cause lors d'une action en reconnaissance de faute inexcusable ; que dans ce cas le bénéfice de la reconnaissance du caractère professionnel de l'affection reste toutefois acquis au salarié, en ce qui concerne ses relations avec la caisse, mais il va de soi qu'il ne saurait y avoir reconnaissance d'une faute inexcusable imputable à l'employeur, s'il était admis au cours de cette instance que l'affection du salarié n'est pas d'origine professionnelle ;
Attendu en l'espèce que l'imputabilité de l'accident à l'activité au sein de l'entreprise est précisément contestée, l'employeur fondant ses démonstrations sur les conditions du décès, comme étant étrangères à l'activité de maçon qu'effectuait [F] [N] au moment des faits litigieux ; que l'entrepreneur soutient que selon lui, « il est incontestable que [F] [N] a subi une crise cardiaque dont les premiers symptômes sont survenus avant qu'il ne monte sur l'échafaudage » ;
Attendu que les ayants droit de la victime répondent que Monsieur [N] n'avait jamais présenté par le passé de pathologie cardiaque ; qu'une erreur d'étiquetage a pu se produire sur les échantillons des analyses ; que Monsieur [N] était donneur de sang, « ce qui démontre l'absence de tout antécédent cardiaque » ;
Attendu que la procédure pénale diligentée par le parquet de Draguignan a abouti à un jugement du tribunal correctionnel de Draguignan en date du 6 juillet 2009 ; que ce jugement a certes reconnu la culpabilité de l'employeur du chef de défaut de respect des règles de sécurité ; que toutefois, la relaxe a été prononcée du chef d'homicide involontaire dans le cadre du travail, le tribunal correctionnel ayant repris l'ensemble des rapports, témoignages, expertises et analyses, et ayant conclu que « il n'est pas établi de façon certaine de lien de causalité (même indirect) entre la faute du prévenu et le décès » ;
Qu'il convient en conséquence de considérer qu'en rejetant le recours, le premier juge a fait une juste appréciation des faits de la cause et que sa décision doit être confirmée;
Attendu qu'il résulte de l'absence de reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur, que les demandes de liquidation de préjudices deviennent sans objet ;
Attendu qu'eu égard aux circonstances de la cause, il est équitable de ne pas faire application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Attendu que la procédure devant les juridictions de la sécurité sociale est gratuite et sans frais conformément aux dispositions de l'article R 144-10 du code de la sécurité sociale, il n'y a pas lieu de statuer sur les dépens ;
PAR CES MOTIFS
La cour,
Statuant en audience publique, par arrêt contradictoire, en matière de sécurité sociale,
Déclare recevable l'appel des consorts [N],
Confirme le jugement en toutes ses dispositions,
Rejette les autres demandes des parties,
Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Dit n'y avoir lieu à statuer sur les dépens.
LE GREFFIERLE PRÉSIDENT