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04/07/2013 | FRANCE | N°12/13921

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 4e chambre b, 04 juillet 2013, 12/13921


COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE

4e Chambre B



ARRÊT AU FOND

DU 04 JUILLET 2013

om

N° 2013/281













Rôle N° 12/13921







Société civile SCI [Adresse 7]





C/



[R] [Z]

[C] [X]

[T] [A] [DA]

[W] [N]

[I] [N]

[G] [N]

Société MUTUELLE DES ARCHITECTES FRANCAIS





















Grosse délivrée

le :

à :


r>Me Christian BOITEL



la SCP BADIE SIMON-THIBAUD JUSTON



SCP MAGNAN



la SCP JACQUIER & ASSOCIES



Me Philippe- laurent SIDER









Décision déférée à la Cour :



Jugement du Tribunal de Grande Instance de NICE en date du 27 Juin 2012 enregistré au répertoire général sous le n° 10/01875.





APPELANTE
...

COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE

4e Chambre B

ARRÊT AU FOND

DU 04 JUILLET 2013

om

N° 2013/281

Rôle N° 12/13921

Société civile SCI [Adresse 7]

C/

[R] [Z]

[C] [X]

[T] [A] [DA]

[W] [N]

[I] [N]

[G] [N]

Société MUTUELLE DES ARCHITECTES FRANCAIS

Grosse délivrée

le :

à :

Me Christian BOITEL

la SCP BADIE SIMON-THIBAUD JUSTON

SCP MAGNAN

la SCP JACQUIER & ASSOCIES

Me Philippe- laurent SIDER

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal de Grande Instance de NICE en date du 27 Juin 2012 enregistré au répertoire général sous le n° 10/01875.

APPELANTE

SCCV [Adresse 8]

représentée par Me Christian BOITEL, avocat au barreau de NICE

INTIMES

Madame [R] [Z]

née le [Date naissance 1] 1953 à [Localité 2] (Suisse), demeurant [Adresse 5]

représentée par la SCP BADIE SIMON-THIBAUD JUSTON, avocats au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, plaidant par Me Jean-Marc SZEPETOWSKI, avocat au barreau de NICE

Madame [C] [X] , demeurant [Adresse 9]

représentée par la SCP PAUL ET JOSEPH MAGNAN, avocats au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, plaidant par Me Jean-louis AUGEREAU, avocat au barreau de NICE substitué par Me Christian CHIZAT, avocat au barreau de NICE

Madame [T] [A] [DA], demeurant [Adresse 4]

représentée par la SCP JACQUIER & ASSOCIES, avocats au barreau de MARSEILLE

Madame [W] [N]

née le [Date naissance 4] 1935 à [Localité 3], demeurant [Adresse 1]

représentée par Me Philippe-Laurent SIDER, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, plaidant par Me Jean-Michel FILIPPI, avocat au barreau de GRASSE,

Monsieur [I] [N]

né le [Date naissance 3] 1946 à [Localité 3], demeurant [Adresse 10]

représentée par Me Philippe-Laurent SIDER, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, plaidant par Me Jean-Michel FILIPPI, avocat au barreau de GRASSE,

Madame [G] [N]

née le [Date naissance 2] 1944 à [Localité 3], demeurant [Adresse 3]

représentée par Me Philippe-Laurent SIDER, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, plaidant par Me Jean-Michel FILIPPI, avocat au barreau de GRASSE,

Société MUTUELLE DES ARCHITECTES FRANCAIS société d'assurance mutuelle à forme variable, agissant poursuites et diligence de son représentant légal en exercice intervenant dans les limites des garanties accordées à son assuré, domicilié en cette qualité en son siège social [Adresse 6]

représentée par la SCP PAUL ET JOSEPH MAGNAN, avocats au barreau D'AIX-EN-PROVENCE, plaidant par Me Jean-louis AUGEREAU, avocat au barreau de NICE substitué par Me Christian CHIZAT, avocat au barreau de NICE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 13 Mai 2013 en audience publique. Conformément à l'article 785 du Code de Procédure Civile, Mme Odile MALLET, Président, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.

La Cour était composée de :

Mme Odile MALLET, Président

Monsieur Jean-Luc GUERY, Conseiller

Mme Hélène GIAMI, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Madame Danielle PANDOLFI.

Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 04 Juillet 2013

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 04 Juillet 2013,

Signé par Mme Odile MALLET, Président et Madame Danielle PANDOLFI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

FAITS ET PROCÉDURE

Madame [R] [Z] est propriétaire d'un immeuble situé à [Adresse 2], cadastré section AH n°[Cadastre 3].

La SCCV [Adresse 7] ( la SCCV [Localité 1]) a entrepris l'édification, en limite de propriété, d'un immeuble de vingt-quatre logements sur les parcelles contiguës cadastrées AH n°[Cadastre 1] et [Cadastre 2] et situées [Adresse 2].

Estimant que cette construction portait atteinte à des servitudes de vues dont bénéficie son fonds, Madame [Z] a saisi le juge des référés.

Par ordonnance du 8 juin 2010 le juge des référés a fait interdiction à la SCCV [Localité 1] d'édifier toute construction qui serait de nature à obstruer la vue dont bénéficie Madame [Z] à partir de la terrasse de son immeuble.

Par arrêt du 23 juin 2011 cette cour a confirmé l'ordonnance de référé mais a autorisé la SCCV [Localité 1] à exécuter les travaux de sécurité nécessaires afin de clore les baies en façade avec mise en place de menuiseries et garde-corps sur les balcons.

Par acte du 16 mars 2010 Madame [Z] avait assigné devant le juge du fond le SCCV [Localité 1], sur le fondement des articles 1264 du code de procédure civile, 544 et suivants, 632 et suivants du code civil aux fins de voir dire et juger que son immeuble bénéficie de servitudes de vue sur la propriété située [Adresse 2] cadastrée section AH n°[Cadastre 1] et [Cadastre 2], en conséquence voir interdire à la SCCV [Localité 1] d'édifier toute construction qui serait de nature à obstruer les vues dont bénéficie son fonds et ordonner la démolition de tout ouvrage qui serait édifié en violation de ces servitudes de vue.

La SCCV [Localité 1] a appelé à la cause Madame [C] [X], architecte, la Mutuelle des architectes de France ( la MAF), Madame [T] [A]-[DA], géomètre-expert, Mesdames [W] et [G] [N] et Monsieur [I] [N], ses vendeurs.

Par jugement du 27 juin 2012 le tribunal de grande instance de Nice a :

débouté Madame [Z] de sa demande relative à une servitude de vue depuis les deux ouvertures pratiquées dans le pignon du bâtiment sur cour,

dit que Madame [Z] a acquis, par possession trentenaire, une servitude de vue depuis la terrasse sur le fonds voisin situé [Adresse 2] cadastré section AH n° [Cadastre 1] et [Cadastre 2],

dit que le respect de cette servitude de vue interdit l'édification d'une construction dans le rayon de 19 décimètres calculé depuis l'ouverture ou la terrasse depuis laquelle s'exerce la vue sur le fonds voisin,

précisé que, concrètement, la distance de 19 décimètres doit être calculée à compter du parement extérieur de la rambarde de la terrasse qui se trouve sur la ligne séparative des deux fonds, étant précisé qu'aucune construction ne peut être réalisée à moins de 19 décimètres d'un point quelconque du mur servant de soubassement à la dite rambarde, ce qui exclut de faire droit à la demande reconventionnelle de la SCCV [Localité 1] tendant à lui accorder le droit de construire sans respect de cette limite pour la partie se situant au-dessous du niveau supérieur de la rambarde de la terrasse,

condamné la SCCV [Localité 1] à démolir tout ouvrage qui a été construit en violation de la servitude de vue bénéficiant à Madame [Z] , et ce, sous astreinte de 200 € par jour de retard passé un délai de 10 mois à compter de la signification du jugement, la dite astreinte courant pendant trois mois,

condamné la SCCV [Localité 1] à payer à Madame [Z] une somme de 100€ à titre de dommages et intérêts par mois à compter du mois de janvier 2010, et ce, jusqu'au jour de la démolition de l'ouvrage dans le rayon de 19 décimètres,

débouté la SCCV [Localité 1] de ses appels en garantie formés à l'encontre des consorts [N] et de Madame [A]-[DA],

déclaré la SCCV [Localité 1] bien fondée en son appel en garantie formé contre Madame [X] et son assureur la MAF et condamné Madame [X] à la garantir des conséquences financières des condamnations prononcées à son encontre au profit de Madame [Z], à concurrence de 30%,

ordonné la réouverture des débats pour le surplus des demandes formées par la SCCV [Localité 1] à l'encontre de Madame [X] et de la MAF,

condamné la SCCV [Localité 1] à payer en application de l'article 700 du code de procédure civile à Madame [Z] une somme de 5.000 €, aux consorts [N] 1.500 € et à Madame [A]-[DA] 1.500 €,

dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,

condamné la SCCV [Localité 1] aux dépens.

La SCI [Localité 1] a interjeté appel de ce jugement les 19 juillet et 4 septembre 2012. Madame [X] et la MAF ont formé appel le 30 juillet 2012. Ces différentes instances ont été jointes.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 29 avril 2013.

POSITION DES PARTIES

Dans ses dernières conclusions du 29 avril 2013 auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens, la SCCV [Localité 1] demande à la cour :

d'infirmer le jugement,

de déclarer nulles ou écarter des débats les attestations produites par Madame [Z] qui ne remplissent pas les conditions de l'article 202 du code de procédure civile,

de dire et juger que Madame [Z] n'a pas prescrit de vue à partir de la terrasse de son immeuble,

de la recevoir en sa demande reconventionnelle et condamner Madame [Z] à lui payer la somme de 1.186.577,55 € à titre provisionnel en réparation du préjudice subi,

de voir dire et juger que cette condamnation sera assortie de l'exécution provisoire,

subsidiairement,

dire que la SCCV [Localité 1] pourra réaliser des travaux de restructuration de son immeuble en laissant un demi-cylindre de 1,90m de rayon conformément à l'article 678 du code civil,

de condamner Madame [Z] à lui payer la somme provisionnelle de 1.186.577,55€ en réparation des préjudices subis du fait de l'arrêt du chantier, somme à parfaire arrêtée au 31 janvier 2011,

en tout état de cause,

condamner solidairement Madame [X], les consorts [N], la MAF et Madame [A]-[DA] à relever et garantir la SCCV [Localité 1] des conséquences des condamnations qui pourraient être prononcées à son encontre,

condamner également sous la même solidarité les appelés en garantie à lui payer la somme provisionnelle de 1.186.577,55 € arrêtée au 31 janvier 2011,

condamner solidairement Madame [Z] et les appelés en garantie aux dépens de première instance et d'appel et au paiement d'une somme de 20.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.

La SCCV [Localité 1] a communiqué de nouvelles conclusions le 6 mai 2013.

Dans ses dernières écritures du 29 avril 2013 Madame [Z] demande à la cour, au visa des articles 544, 632 et suivants du code civil :

de confirmer le jugement en ce qu'il a condamné sous astreinte la SCCV [Localité 1] à démolir toute construction dans un rayon de 19 décimètres calculés depuis la terrasse dans laquelle s'exerce la vue sur le fonds voisin et en ce qu'il a précisé que la distance de 19 décimètres doit être calculée à partir du parement extérieur de la rambarde,

à titre subsidiaire de condamner la SCCV [Localité 1] à démolir toute construction située à moins de 19 décimètres de distance de tout point de la terrasse située face à cette dernière ainsi que toute construction située à moins de 0,60m de distance et chaque côté de la terrasse,

d'infirmer le jugement sur le quantum et les modalités de l'astreinte et fixer l'astreinte à 5.000 € par jour de retard,

de réformer le jugement sur le quantum des dommages et intérêts et condamner la SCCV [Localité 1] à lui payer la somme de 10.000 € par mois depuis le 1er janvier 2010 jusqu'à la démolition des ouvrages permettant le rétablissement des vues obstruées,

à titre subsidiaire, dans l'hypothèse où l'existence de la servitude de vue ne serait pas reconnue, dire et juger que l'édification de l'immeuble de la SCCV [Localité 1] lui occasionne des troubles anormaux de voisinage ouvrant droit à réparation et, avant dire droit ordonner une expertise à l'effet de déterminer la valeur de l'immeuble avant la construction de la SCCV [Localité 1] et sa valeur une fois la construction réalisée,

condamner la SCCV [Localité 1] aux entiers dépens et à lui payer la somme de 20.000€ en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions déposées et notifiées le 3 décembre 2012 Madame [A]-[DA] demande à la cour, au visa de l'article 1147 du code civil:

de confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté les demandes formées par la SCCV [Localité 1] à son encontre et condamner cette dernière à lui payer la somme de 1.500€ en application de l'article 700 du code de procédure civile,

de débouter la SCCV [Localité 1] de toutes ses demandes formulées à son encontre,

de la mettre hors de cause,

de condamner la SCCV [Localité 1] aux entiers dépens et à lui payer la somme de 5.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions du 19 octobre 2012 les consorts [N] demandent à la cour :

de confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la SCCV [Localité 1] de son appel en garantie dirigé à leur encontre et de débouter la SCCV de toutes ses demandes formées à leur encontre,

de condamner la SCCV [Localité 1] aux entiers dépens et à leur payer une somme de 5.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Dans leurs dernières conclusions du 29 octobre 2012 Madame [X] et la MAF demandent à la cour :

de leur donner acte de ce qu'elles reprennent l'argumentation de la SCCV [Localité 1] tendant à démontrer que Madame [Z] ne peut se prévaloir d'aucune servitude de vue acquise par prescription,

de débouter Madame [Z] de toutes ses demandes,

subsidiairement, si l'existence d'une telle servitude était retenue d'en limiter les conséquences quant à l'application de l'article 678 du code civil,

de dire et juger que la SCCV [Localité 1], promoteur immobilier disposait de toutes les compétences techniques et juridiques pour apprécier tous les éléments de faisabilité de son projet immobilier, en particulier au regard des tiers et ne rapporte pas la preuve d'une faute commise par Madame [X],

en conséquence de réformer le jugement et débouter la SCCV [Localité 1] de son recours en garantie dirigé contre Madame [X],

subsidiairement, de dire que la part de responsabilité de Madame [X] ne saurait excéder 10%, constater que le chiffrage du préjudice allégué par la SCCV [Localité 1] est forfaitaire et n'a pas été chiffré au contradictoire et débouter la SCCV [Localité 1] de sa demande,

de dire que les garanties dues par la MAF ne le seront que dans les limites du contrat d'assurance souscrit,

de condamner la SCCV [Localité 1] ou tout succombant aux entiers dépens et à leur payer la somme de 4.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

* sur l'incident de procédure

Aux termes de l'article 783 du code de procédure civile, après l'ordonnance de clôture aucune conclusion ne peut être déposée ni aucune pièce produite aux débats à peine d'irrecevabilité prononcée d'office.

En application de cet article les conclusions déposées et communiquées le 6 mai 2013 par la SCCV [Localité 1], soit postérieurement à l'ordonnance de clôture du 29 avril 2013, seront déclarées irrecevables.

Par ailleurs il sera donné acte à Madame [Z] de ce qu'elle renonce à sa pièce n°60 communiquée le 29 avril 2013.

* sur les attestations

L'article 202 du code de procédure civile précise les formes et mentions que doivent revêtir les attestations qui sont produites en justice. Toutefois les dispositions de cet article ne sont pas prescrites à peine de nullité, le juge ne peut rejeter une attestation qui n'est pas conforme aux exigences de l'article 202 que s'il constate que l'irrégularité constitue une inobservation d'une formalité substantielle ou d'ordre public faisant grief à la partie qui l'attaque et il lui appartient d'apprécier si l'attestation présente des garanties suffisantes pour emporter sa conviction.

Sont jointes aux attestations produites par Madame [Z] une copie d'un document officiel justifiant de l'identité des témoins. Si certaines attestations ne comportent pas la mention manuscrite prévue au 3ème alinéa de l'article 202 du code de procédure civile, cette irrégularité n'est pas substantielle et la SCCV [Localité 1] ne rapporte pas la preuve qu'elle lui fait grief.

En conséquence, ces attestations ne sauraient être, ni annulées, ni écartées des débats.

* sur la servitude de vue

Aux termes de l'article 678 du code civil on ne peut avoir des vues droites ou fenêtres d'aspect, ni balcons ou autres semblables saillies sur l'héritage clos ou non clos de son voisin, s'il n'y a 19 décimètres de distance entre le mur où on les pratique et ledit héritage.

Selon l'article 690 du code civil la servitude de vue qui est continue et apparente s'acquiert par titre ou par la possession de trente ans. La servitude de vue existe donc du fait même de la présence d'une ouverture donnant sur le fonds voisin existant depuis au moins trente ans. Une telle servitude a pour effet d'empêcher d'édifier des constructions dans un rayon de 19 décimètres à partir du parement extérieur du mur où l'ouverture est faite.

Dans le cas présent l'immeuble appartenant à Madame [Z] situé [Adresse 2] dispose d'une terrasse située en limite de propriété ayant vue sur la parcelle voisine sur laquelle la SCCV [Localité 1] a entrepris la construction d'un immeuble.

Madame [Z] soutient qu'elle a prescrit une servitude de vue par l'effet de la prescription trentenaire.

La terrasse litigieuse se situe au-dessus d'un bâtiment en dur édifié en vertu d'une déclaration de travaux déposée le 9 décembre 1996. La SCCV [Localité 1] n'est pas fondée à soutenir que cette terrasse n'aurait d'existence que depuis les travaux de rénovation entrepris par Madame [Z] en 1996 alors que ce bâtiment en dur a remplacé un hangar lui-même surmonté d'une terrasse qui existait depuis plus de trente ans ainsi que le démontrent :

un bail à usage commercial conclu le 30 octobre 1971 entre Monsieur [GL] et Monsieur [K] lequel mentionne dans la désignation du bien loué : ' un hangar sous terrasse',

un avenant de révision au bail commercial du 1er octobre 1977 conclu entre Madame [Q] et Monsieur [K] mentionnant l'existence 'd'un hangar sous terrasse' dans la désignation du bien loué,

le contrat de vente d'un fonds de commerce conclu le 25 septembre 1978 entre Madame [K] et Monsieur [LP] lequel précise 'Le fonds est exploité dans un grand local ( magasin) donnant sur rue et un arrière-magasin avec cuisine donnant sur la cour intérieure, un hangar sous terrasse..., le tout situé à [Adresse 2]',

un procès-verbal de constat établi le 12 avril 1988 par Maître [D] à la requête de Monsieur [B], auteur de Madame [Z], mentionnant ' au niveau du premier, au bas de cette façade il existe une terrasse. On y accède par des escaliers en bois en très, très mauvais état',

un plan établi le 25 juillet 1997 par Monsieur [F], géomètre expert, ayant servi à la demande de travaux faisant état d'une terrasse sur hangar.

L'existence de cette ancienne terrasse est encore établie à l'aide des attestations suivantes :

Monsieur [E] [H] qui atteste avoir été locataire entre 1966 et 1970 du 1er étage de l'atelier sur cour du 12 et [Adresse 2] et précise que la terrasse attenante à l'atelier était à cette période utilisée pour faire sécher occasionnellement les voiles,

Madame [U] [O] veuve [M] qui énonce avoir été locataire au [Adresse 2] depuis 1969 et avoir toujours vu durant la location une terrasse dans la cour de l'immeuble qui servait aux locataires pour étendre et faire sécher le linge,

Madame [JA] [H] épouse [V] qui déclare avoir habité l'immeuble du [Adresse 2] avec ses parents de 1970 à 1975 et se souvenir de la terrasse située au 1er étage où les locataires venaient étendre leur linge,

Monsieur [Y] [M] attestant s'être rendu à de nombreuses reprises auprès de sa mère, [U] [M] qui habitait l'immeuble, et avoir vu une terrasse sur laquelle les locataires allaient étendre et faire sécher leurs linges et la voilerie de [U] qu'elle fabriquait,

Madame [P] [L] épouse [S] indiquant que ses parents ont été locataires de la famille [GL], au [Adresse 2] de 1941 à 1958, et attestant de l'existence d'un hangar construit en dur qui avait une dalle de béton au-dessus formant une toiture-terrasse à l'usage des locataires qui y accédaient depuis l'arrière de l'immeuble principal par une porte puis par un escalier et y faisaient sécher leur linge.

La SCCV [Localité 1] soutient que la terrasse ne disposait d'aucune vue sur le fonds contigu avant les années 1990 en l'état d'un mur séparatif comportant six rangées d'agglomérés d'une hauteur de 2,20m empêchant toute vue. A l'appui de sa demande elle verse aux débats une attestation rédigée par son auteur, Monsieur [J] [VA] énonçant: 'Dans les mois précédant la vente (avril 1990) Monsieur [B], propriétaire de l'immeuble voisin situé [Adresse 2] a démoli le mur séparatif qui faisait plus de 2 mètres de haut et qui surplombait notre propriété. Ce faisant il a créé une vue sur notre terrain pour laquelle nous n'avons jamais donné d'autorisation' ainsi qu'une photographie montrant Monsieur [VA] devant un muret de parpaings.

Cependant la photographie n'est guère probante et le témoignage de Monsieur [VA] est contredit par :

l'attestation de Monsieur [Y] [M] affirmant que la terrasse donnait directement sur la propriété voisine et bénéficiait d'une large vue sur celle-ci ainsi que sur le voisinage et la mer, et précisant que durant les 40 dernières années la structure en maçonnerie et la toiture-terrasse en dalle béton sont restées inchangées,

celle de Madame [M] précisant que depuis 1979 jusqu'à ce jour se trouve sur la terrasse une rambarde formée par un muret en dur d'environ 1,10m de hauteur,

une photographie de Madame [M], née le [Date naissance 5] 1963, sur laquelle elle figure à l'âge de 15 ans assise sur le muret servant de rambarde et une photographie annexée au procès-verbal de constat dressé le 12 avril 1988 par Maître [D] démontrant que ladite rambarde n'excédait pas 1,10/1,20m de hauteur.

Ces témoignages concordants corroborés par deux photographies établissent suffisamment qu'aucun mur n'a jamais occulté la vue dont disposait la terrasse litigieuse sur le fonds voisin.

Les extraits cadastraux de 1986 et 1987, en ce qu'ils représentent le bâtiment supportant la terrasse par un rectangle barré d'une croix (soit comme un hangar) et le cadastre actuel en ce qu'il le représente comme un immeuble bâti, ne sont pas de nature à contredire les témoignages et autres documents produits par Madame [Z].

Il est donc suffisamment établi que le fonds de Madame [Z] dispose d'une terrasse située en limite de propriété qui, depuis au moins l'année 1941, a toujours été accessible et utilisée par les occupants de l'immeuble, qu'à partir de cette terrasse n'importe quel observateur a dans son champ de vision, sans avoir à se pencher à l'extérieur ou tourner la tête, le fonds appartenant aujourd'hui à la SCCV [Localité 1], qu'en conséquence cette terrasse bénéficie d'une vue sur le fonds voisin depuis plus de trente ans ( l'assignation en référé étant en date du 28 décembre 2009), qu'enfin cette possession a été continue et non interrompue, paisible, publique non équivoque et à titre de propriétaire, de sorte qu'il convient de confirmer le jugement en ce qu'il a reconnu que Madame [Z] avait acquis, par possession trentenaire, une servitude de vue depuis la terrasse sur le fonds voisin.

* sur les conséquences de la servitude de vue

En application de l'article 678 du code civil le propriétaire d'un fonds grevé d'une servitude de vue droite est tenu de ne pas édifier de construction qui, en un endroit, se trouverait à moins de 19 décimètres d'un point quelconque du parement extérieur du mur où l'ouverture est faite.

Par ailleurs, la sanction d'un droit réel transgressé est la démolition.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a condamné la SCCV [Localité 1] à démolir tout ouvrage construit à une distance inférieure à 19 décimètres d'un point quelconque du parement extérieur de la rambarde de la terrasse située en limite de fonds, sans qu'il n'y ait lieu de majorer le montant de l'astreinte parfaitement évalué par le premier juge pour assurer l'exécution de la décision. Il sera également confirmé en sa disposition précisant les modalités de calcul de cette distance de 19 décimètres.

* sur les demandes de dommages et intérêts

Le jugement, qui a fait une juste appréciation du préjudice de jouissance subi par Madame [Z], sera confirmé en ce qu'il a condamné la SCCV [Localité 1] à lui payer à titre de dommages et intérêts une somme de 100 € par mois à compter du mois de janvier 2010 et jusqu'à la démolition de l'ouvrage réalisé à une distance inférieure à celle prévue à l'article 678 précité.

En l'absence de toute faute imputable à Madame [Z] la SCCV [Localité 1] sera déboutée de sa demande tendant à la voir condamner à lui payer la somme de 1.186.577,55€ à titre de dommages et intérêts.

* les demandes dirigées contre les consorts [N]

Suivant acte du 18 avril 2008 les consorts [N] ont vendu à la SCI [Localité 1] les parcelles AH [Cadastre 2] et AH [Cadastre 1] comportant un bâtiment destiné à la démolition. L'acte contient la clause suivante :

'L'acquéreur supporte les servitudes passives, apparentes ou occultes, continues ou discontinues, pouvant grever le bien, sauf à s'en défendre et profiter de celles actives s'il en existe, le tout à ses risques et périls, et sans recours contre le vendeur. Le vendeur déclare qu'il n'a créé aucune servitude et qu'à sa connaissance il n'en existe aucune à l'exception de celles pouvant résulter de la situation naturelle des lieux, de l'urbanisme ou de la loi. En tout état de cause le vendeur garantit qu'il n'existe aucune servitude privée sur les biens objet des présentes susceptible d'empêcher l'opération projetée ou de la rendre plus onéreuse. Le vendeur supportera les conséquences de l'existence de servitudes qu'il aurait conférées sur le bien vendu et qu'il n'aurait pas indiquées aux présentes'.

Conformément à leur déclaration les consorts [N] n'ont jamais conféré une quelconque servitude de vue au profit de la parcelle AH [Cadastre 3] puisque la servitude litigieuse a été acquise par l'effet de la prescription trentenaire. Ayant informé l'acquéreur qu'il n'existait de servitudes autres que celles résultant de la situation des lieux et de la loi, ils n'ont pas failli à leur obligation d'information.

En conséquence le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté l'appel en garantie dirigée par la SCCV [Localité 1] contre les consorts [N].

En l'absence de toute faute imputable aux consorts [N] la SCCV [Localité 1] sera déboutée de sa demande tendant à les voir condamner à lui payer la somme de 1.186.577,55€ à titre de dommages et intérêts.

* sur les demandes dirigées contre madame [A]-[DA]

Le 26 novembre 2003 Madame [A]-[DA], géomètre expert, a établi un plan topographique de la propriété appartenant à l'indivision [N] conformément à un devis accepté du 2 avril 2003. Par courrier du 13 avril 2006 la société Nexity a indiqué à Madame [A]-[DA] qu'elle souhaitait faire procéder à une étude visant à rechercher l'existence de toute servitude pouvant grever la parcelle située [Adresse 2]. Cette dernière a établi un devis le 18 avril 2006 mais celui-ci n'a jamais été accepté. Elle a ultérieurement établi un plan de recollement qui a donné lieu à facture d'honoraires.

N'ayant pas reçu mission de procéder à des investigations concernant les servitudes grevant le fonds de la SCCV [Localité 1], Madame [A]-[DA] ne saurait se voir reprocher le moindre manquement à ses obligations. Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a rejeté l'appel en garantie dirigé à son encontre.

En l'absence de toute faute imputable à Madame [A]-[DA] la SCCV [Localité 1] sera déboutée de sa demande tendant à la voir condamner à lui payer la somme de 1.186.577,55 € à titre de dommages et intérêts.

* sur les demandes dirigées contre madame [X] et son assureur

- sur l'appel en garantie

La SCCV [Localité 1] demande à la cour de condamner Madame [X] et son assureur à la relever et garantir de toutes condamnations qui pourraient être prononcées à son encontre.

Suivant contrat du 6 février 2006 Madame [X], architecte, s'est vu confier un contrat de conception et de maîtrise d'oeuvre en vue du programme immobilier devant être réalisé sur la parcelle cadastrée AH [Cadastre 2] à [Localité 1]. Ce contrat contenait un paragraphe dénommé 'détail de la mission' mentionnant dans le cadre de l'avant-projet : ' Il ( le maître d'oeuvre) examinera les servitudes légales et particulièrement effectuera une enquête sur les droits des tiers, examinera également les immeubles voisins et appréciera les contraintes de toute sorte que ces immeubles peuvent entraîner sur la réalisation du programme'.

En omettant d'attirer l'attention de son client sur les éventuelles servitudes susceptibles de bénéficier au fonds de Madame [Z] , Madame [X] a manqué à la mission qui lui avait été confiée. Elle n'est pas fondée à soutenir que la qualité de professionnel de la construction de son client serait de nature à l'exonérer de toute responsabilité alors qu'elle avait justement été missionnée pour rechercher l'existence d'éventuelles servitudes.

Toutefois, par une lettre recommandée avec avis de réception du 21 novembre 2009 Madame [Z] a averti la SCCV [Localité 1] de ce que son projet de construction lui semblait méconnaître les servitudes de vue dont bénéficie son fonds, l'a informée de sa volonté de faire strictement respecter ces servitudes et menacée de faire valoir ses droits à défaut de réponse dans un délai de quinzaine.

La SCCV [Localité 1] a entrepris les travaux de construction sans tenir compte de cet avertissement et sans se rapprocher de son architecte pour lui faire part de la position de Madame [Z] et recueillir son avis. Par acte du 28 décembre 2009, Madame [Z] a saisi le juge des référés, qui par ordonnance du 8 juin 2010, a fait interdiction à la SCCV [Localité 1] d'édifier toute construction qui serait de nature à obstruer la vue dont bénéficie Madame [Z] à partir de la terrasse de son immeuble. Néanmoins, la SCCV [Localité 1] a poursuivi le chantier, contrevenu à l'ordonnance de référé puis à l'arrêt de cette cour du 23 juin 2011 confirmant cette ordonnance. La SCCV a persisté à poursuivre le chantier et, par jugement du 23 avril 2012 le juge de l'exécution a constaté qu'elle avait réalisé des travaux n'entrant pas dans la catégorie de ceux limitativement autorisés par la cour d'appel.

Il en résulte que les préjudices subis par Madame [Z] et les frais de procédure engagés trouvent exclusivement leur cause dans le comportement de la SCCV [Localité 1] qui a persisté à commencer puis poursuivre l'édification de l'immeuble portant atteinte à la servitude de vue bénéficiant au fonds voisin sans tenir compte des avertissements reçus et interdictions prononcées à son encontre de sorte que le jugement sera infirmé et qu'il ne sera pas fait droit à l'appel en garantie dirigé contre l'architecte et son assureur.

- sur la demande de dommages et intérêts

La SCCV [Localité 1] demande à la cour de condamner Madame [X] et son assureur à lui payer la somme de 1.186.577,55 € arrêtée au 31 janvier 2011 à titre provisionnel à valoir sur les préjudices qu'elle expose avoir subis du fait de l'arrêt du chantier, au titre des frais financiers, de l'immobilisation de son chiffre d'affaires, des indemnités dues pour résolution de quatre ventes, du coût direct liés à l'interruption des travaux, des charges de publicité engagés à perte, des charges de copropriété restant à sa charge, des travaux de mise en sécurité et de réhabilitation de l'immeuble.

Il convient tout d'abord de relever que la SCCV [Localité 1] ne justifie pas d'un préjudice certain dans son montant puisque d'une part elle se prévaut d'un chiffrage réalisé par son expert comptable reposant sur une simple hypothèse et sur des évaluations purement forfaitaires, puisque d'autre part les indemnités encourues pour résolution de ventes font l'objet de procédure toujours en cours.

En tout état de cause il convient de constater que la SCCV [Localité 1] a été informée par Madame [Z] de l'existence d'une servitude de vue avant le début du chantier, qu'elle n'a tenu compte ni de cette information, ni des décisions de justice lui faisant interdiction sous astreinte de violer la servitude de vue bénéficiant à l'immeuble voisin de sorte qu'il n'est nullement démontré que, dûment informée par son architecte, elle aurait renoncé à son projet immobilier ou l'aurait amendé.

En conséquence le jugement sera infirmé et la SCCV [Localité 1] sera déboutée de ses demandes dirigées contre Madame [X] et la MAF.

* sur les dépens et frais irrépétibles

Le jugement sera confirmé en ses dispositions relatives aux dépens et frais irrépétibles

Echouant en son recours la SCCV [Localité 1] sera condamnée aux dépens et ne peut, de ce fait, prétendre au bénéfice de l'article 700 du code de procédure civile. A ce titre elle sera condamnée à payer Madame [Z] une somme de 4.000 €, aux consorts [N] une somme de 2.500 €, à Madame [A]-[DA] une somme de 2.500 € et à Madame [X] et la MAF une somme de 2.500 €.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Déclare irrecevables les conclusions déposées et communiquées le 6 mai 2013 par la SCCV [Adresse 7].

Donne acte à Madame [R] [Z] de ce qu'elle renonce à sa pièce n°60.

Déboute la SCCV [Adresse 7] de sa demande tendant à voir déclarer nulles et écarter des débats les attestations versées aux débats pat Madame [Z].

Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions sauf celles relatives aux demandes dirigées contre Madame [C] [X] et la Mutuelle des architectes de France.

Statuant à nouveau sur le chef infirmé,

Déboute la SCCV [Adresse 7] de son appel en garantie et de sa demande de dommages et intérêts dirigés contre Madame [X] et la MAF.

Y ajoutant,

Déboute la SCCV [Adresse 7] de toutes ses demandes formées contre Madame [Z], les consorts [N] et Madame [T] [A]-[DA].

Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la SCCV [Adresse 7] à payer une somme de quatre mille euros (4.000,00 €) à Madame [Z], une somme de deux mille cinq cents euros (2.500,00 €) aux consorts [N], une somme de deux mille cinq cents euros (2,500,00 €) à Madame [A]-[DA] et une somme de deux mille cinq cents euros (2.500,00 €) à Madame [X] et la MAF.

Condamne la SCCV [Adresse 7] aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

le greffier le président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : 4e chambre b
Numéro d'arrêt : 12/13921
Date de la décision : 04/07/2013

Références :

Cour d'appel d'Aix-en-Provence 4B, arrêt n°12/13921 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2013-07-04;12.13921 ?
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