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03/05/2013 | FRANCE | N°12/10166

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 9e chambre c, 03 mai 2013, 12/10166


COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE

9e Chambre C



ARRÊT AU FOND



DU 03 MAI 2013



N°2013/ 294















Rôle N° 12/10166







[K] [O]





C/



[Adresse 4]























Grosse délivrée le :



à :



-Me Cyril MICHEL, avocat au barreau de MARSEILLE



- Me Nicolas FALQUE, avocat au barreau de MARSEILLE



r>


Copie certifiée conforme délivrée aux parties le :



Décision déférée à la Cour :



Jugement du Cour d'Appel d'AIX-EN-PROVENCE en date du 04 Juin 2012, enregistré au répertoire général sous le n° 12/1808.





APPELANTS



[Y] épouse [O] [U], ayant droit de M. [O] [K], décédé, demeurant [Adresse 5]

représentée p...

COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE

9e Chambre C

ARRÊT AU FOND

DU 03 MAI 2013

N°2013/ 294

Rôle N° 12/10166

[K] [O]

C/

[Adresse 4]

Grosse délivrée le :

à :

-Me Cyril MICHEL, avocat au barreau de MARSEILLE

- Me Nicolas FALQUE, avocat au barreau de MARSEILLE

Copie certifiée conforme délivrée aux parties le :

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Cour d'Appel d'AIX-EN-PROVENCE en date du 04 Juin 2012, enregistré au répertoire général sous le n° 12/1808.

APPELANTS

[Y] épouse [O] [U], ayant droit de M. [O] [K], décédé, demeurant [Adresse 5]

représentée par Me Cyril MICHEL, avocat au barreau de MARSEILLE

[O] [J], ayant droit de M. [O] [K], décédé, demeurant [Adresse 2]

représentée par Me Cyril MICHEL, avocat au barreau de MARSEILLE

[O] [P], ayant droit de M. [O] [K], décédé, demeurant [Adresse 3]

représentée par Me Cyril MICHEL, avocat au barreau de MARSEILLE

INTIMEE

[Adresse 4], demeurant [Adresse 1]

représentée par Me Nicolas FALQUE, avocat au barreau de MARSEILLE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 02 Avril 2013, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Jean-Pierre MASIA, Président de Chambre, chargé d'instruire l'affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Monsieur Louis DABOSVILLE, Président de Chambre

Monsieur Jean-Pierre MASIA, Président de Chambre

Madame Catherine VINDREAU, Conseiller

Greffier lors des débats : Madame Florence ALLEMANN-FAGNI.

Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 03 Mai 2013

ARRÊT

CONTRADICTOIRE,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 03 Mai 2013

Signé par Monsieur Jean-Pierre MASIA, Président de Chambre et Madame Florence ALLEMANN-FAGNI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCEDURE

Monsieur [K] [O] a travaillé pour le compte du PORT AUTONOME DE [Localité 1] (PAM) devenu [Adresse 4], (GPMM) Etablissement Public de l'Etat du 27 août 1979 au 30 avril 2001 en qualité d'ouvrier professionnel.

Le GPMM a été inscrit par arrêté du 7 juillet 2000 sur la liste des établissements susceptibles d'ouvrir droit au dispositif ACAATA dont Monsieur [K] [O] a bénéficié.

Invoquant une exposition à l'amiante dans l'exécution de son travail et, par ce fait, avoir subi un préjudice d'anxiété et un préjudice économique , le salarié a saisi, le23 juillet 2010, le conseil de prud'hommes de MARSEILLE aux fins d'obtenir des dommages-intérêts. Le demandeur étant décédé en cours de procédure, le 15 octobre 2011, ses ayants-droits ont poursuivi l'instance.

Par jugement du16 décembre 2011, le conseil de prud'hommes de MARSEILLE l' a reçu en ses demandes mais l' en a débouté au fond.

C'est le jugement dont appel a été régulièrement interjeté par les salariés

MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES

Madame [U] [Y] veuve [O], Messieurs [J] [O] et [P] [O], en qualité d'ayants-droits de Monsieur [K] [O] demandent à la cour de:

-infirmer le jugement;

-condamner LE GPMM à leur payer les sommes de

*15000€ de dommages-intérêts en réparation du préjudice d'anxiété;

*15000€ de dommages-intérêts en réparation du préjudice lié au bouleversement dans les conditions d'existence;

*2000€ au titre de l'article 700 du code procédure civile .

Il est soutenu, tout d'abord, que le fondement juridique des prétentions est contractuel, que le litige porte exclusivement sur les conditions de travail et la dangerosité des métiers, que l'inhalation de poussières d'amiante a eu lieu pendant l'exécution du contrat de travail, que l' ancien employeur est tenu d'une obligation de sécurité de résultat et que, par voie de conséquence, les préjudices dont il est réclamé réparation ne sont du ressort ni du tribunal des affaires de sécurité sociale, puisque les préjudices sont nés de la seule exposition à l'amiante, indépendamment de toute constatation de maladie professionnelle, ni du FIVA qui n'a pas vocation, et refuse d'ailleurs, à indemniser de tels préjudices.

Il est invoqué, ensuite, le fait que LE GPMM avait exposé ses salriés à l'inhalation de poussières d'amiante, de surcroît sans aucune protection, et dans des conditions particulièrement dangereuses pour leur santé. Cette exposition avait été permanente depuis les années 1950 jusqu'à l'interdiction de l'amiante en 1997.Ainsi, pendant plus de quarante ans, les dockers avaient dû décharger et manutentionner, sous l'autorité des acconiers, de l'amiante stockée dans des sacs transportés par bateaux et pendant ces opérations, l'amiante se répandait dans les cales puis, lors du levage, tombait en fines poussières sur les quais, pour finalement se répandre jusque dans les hangars où les sacs étaient entreposés. En outre, l'amiante était présente dans les systèmes de freins appelés 'FERRODO' (du nom de la société inscrite sur la liste des fabricants d'amiante) qui équipaient les engins de levage et les portiques de sorte qu'étaient exposés non seulement les 'grutiers' et les 'portiqueurs' mais aussi les personnels de maintenance parmi lesquels les mécaniciens et les électriciens. La plupart des bâtiments du GPMM contenait de l'amiante de sorte que les personnels qui y avaient travaillé avaient aussi été exposés à ces poussières. Enfin, les terminaux pétroliers n'étaient pas davantage épargnés puisque les joints des vannes étaient en amiante tout comme certains tuyaux dont le calorifugeage était régulièrement refait par les agents du GPMM.

Il est également soutenu que l'extension du dispositif ACAATA aux dockers du Port de [Localité 1] puis aux personnels portuaires assurant la manutention avait instauré une présomption d'exposition à l'amiante de ces salariés et que l'extension de la liste des établissements de construction et de réparation navale (susceptible d'ouvrir droit au dispositif) au service technique de l'outillage, des ateliers et centre d'activité de la réparation navale et du dragage avait démontré l'exposition massive des personnels à l'amiante.

Face à de telles conditions de travail, il est reproché à l' ancien employeur de ne pas avoir mis en place les mesures générales de protection contre les poussières édictées par la loi du 12 juin 1893, le Décret du 10 juillet 1913 modifié le 13 décembre 1948, le 6 mars 1961 puis le 15 novembre 1973 et de ne pas avoir mis en place les mesures spécifiques de protection contre les poussières d'amiante prévues par le Décret du 17 août 1977.

Il est indiqué qu'une fois inhalées, les poussières d'amiante restent dans les poumons et que celui qui les a subies peut voir la maladie se déclarer plusieurs décades plus tard ce qui se traduit par une angoisse à l'idée de développer une maladie mortelle d'où un préjudice d'anxiété spécifique et indépendant du dispositif ACAATA. Le droit à l'indemnisation de ce chef de préjudice est ouvert à tout salarié ayant travaillé dans l'un des établissements listés et pendant une période où étaient fabriqués ou traités l'amiante ou des matériaux contenant de l'amiante, ce droit n'étant pas conditionné à la preuve d'examens médicaux. Il est produit en tout état de cause des attestations rapportant l'état d'anxiété . L'appelant ajoute qu'il n' y a aucune corrélation entre le temps d'exposition et la probabilité de développer la maladie. Ilsconteste que l'accord d'entreprise, conclu le 24 octobre 2002, ait indemnisé ce préjudice.,

De même, il est invoqué l'existence d'un préjudice lié au bouleversement dans les conditions d'existence dans la mesure où, conscients de la diminution de leur espérance de vie, le salarié qui a été exposé ne peut anticiper sereinement sonavenir, ce préjudice étant lui aussi spécifique.

LE GRAND PORT MARITIME DE [Localité 1] demande à la cour de confirmer le jugement, débouter le demandeur de toutes ses prétentions.

A titre subsidiaire, il demande de dire et juger que les sommes allouées en application de l'accord d'entreprise ont pour objet d'indemniser les conséquences d'une exposition au risque et le préjudice d'anxiété qui aurait pu en résulter, constater qu'elles sont supérieures aux sommes allouées par ailleurs, débouter en conséquence le demandeur de toute prétention complémentaire

En tout état de cause, il sollicite la condamnation de l'appelant à lui payer la somme de 500€ au titre de l'article 700 du code procédure civile.

Il expose que le demandeur ne peut pas obtenir l'indemnisation réclamée puisqu'il n'a contracté aucune maladie professionnelle, que le dispositif ACAATA, dont il a sollicité le bénéfice, a justement pour objet de prévenir le risque de déclenchement éventuel d'une maladie en leur permettent une cessation anticipée d'activité, que le bénéfice de ce dispositif ne le privera pas, en cas de déclenchement d'une pathologie, du droit d'être indemnisé au titre de la législation sur la maladie professionnelle, ni du droit de saisir le tribunal des affaires de sécurité sociale sur le fondement de la faute inexcusable de l'employeur, que le risque n'est donc pas réalisé et qu'au demeurant, cette indemnisation ne relèverait pas de la compétence du conseil de prud'hommes.

L'intimé invoque, ensuite, la signature d'un accord d'entreprise, le 24 octobre 2002, qui a amélioré le dispositif légal de départ quant au montant de l'indemnité de départ, deux à quatre fois supérieur au montant légal. Cet accord, qui court jusqu'en 2037, a pour objet l'amélioration des conditions de départ et les sommes versées en application de celui-ci ont une nature indemnitaire.

Sur les préjudices économique et ou de bouleversement dans les conditions d'existence, il considère que l' appelant fait un raccourci critiquable en affirmant que son seul classement par arrêté suffirait à démontrer une exposition possible aux poussières d'amiante et, partant, caractériserait une violation de l'employeur de son obligation de sécurité de résultat de sorte que tout bénéficiaire de l'ACAATA devrait être indemnisé par l'employeur. Or, pour l'intimé, s'il est constant que le salarié ayant bénéficié de l'ACAATA a travaillé dans un métier à risque pendant une durée déterminée fixée par arrêté, il reste que le résultat (la maladie) ne s'est pas produit et que dès lors l'employeur ne peut se voir reprocher un manquement à l'obligation de sécurité de résultat.

Sur le préjudice d'anxiété, il insiste sur l'absence de preuve d'un quelconque manquement fautif de sa part. Certes, il a été classé comme établissement à risque mais n'est pas concerné directement par la fabrication ou même la manutention de l'amiante, les principales victimes étant les ouvriers dockers employés par d'autres entreprises. Au contraire, il a mis en place, sans obligation légale compte tenu de son statut d'établissement public, une représentation du personnel en charge des questions de sécurité puis un CHSCT doté de tous les pouvoirs reconnus par le code de travail à une telle instance, ce qui démontre que la sécurité au travail a été sa priorité absolue.

Toutefois et au cas où la cour estimerait qu'il avait bien commis une faute, il conviendrait alors, selon l'intimé, de comparer la situation des salariés ayant travaillé dans un établissement fabriquant ou manipulant de l'amiante, auxquels des juges du fond ont alloué une somme variant de 4000€ à 7000€ à titre de dommages-intérêts pour préjudice d'anxiété, et la situation particulière des salariés du GPMM. En effet, ces derniers ont perçu dans le cadre de l'accord d'entreprise du 24 octobre 2002 plus que ce que prévoyait le dispositif légal de départ en ACAATA de sorte qu'il peut être soutenu que les agents du Port sont partis avec des indemnités, toutes causes de préjudices confondues, pouvant multiplier par quatre le montant des indemnités légales. Cette différence, reprise sur un tableau, est substantielle et peut représenter plusieurs dizaine de milliers d'euros, ces sommes de nature indemnitaire étant de surcroît nettes d'impôts et de charges sociales. L'intimé affirme donc qu'avec la signature de cet accord, il avait très largement anticipé les évolutions jurisprudentielles en versant des sommes très supérieures à l'évaluation actuelle par les juges du fond du préjudice d'anxiété. Dans ces conditions, à supposer que la cour retienne l'existence d'un préjudice d'anxiété, il conclut qu'elle juge que le demandeur a déjà été indemnisés de ce préjudice par l'employeur.

MOTIFS DE LA DECISION

EN LA FORME

Interjeté dans les formes et délais de la loi, l'appel est régulier et recevable

AU FOND

Sur la compétence et la fin de non recevoir

Il convient d'abord de répondre au premier moyen soulevé par l'intimé lequel considère que le salarié, ayant sollicité le bénéfice du dispositif ACAATA et n'ayant développé aucune maladie professionnelle, ne peut prétendre à aucune indemnisation laquelle ne relèverait pas, au demeurant, de la compétence du conseil de prud'hommes.

L'article L. 1411-1 du code du travail, dispose que ' le conseil de prud'hommes règle par voie de conciliation les différends qui peuvent s'élever à l'occasion de tout contrat de travail soumis aux dispositions du présent code entre les employeurs ou leurs représentants et les salariés qu'ils emploient. Il juge les litiges lorsque la conciliation n'a pas abouti.' La juridiction prud'homale est compétente dès lors que le litige est né du contrat de travail.

Les pièces versées aux débats établissent le décès de Monsieur [K] [O] mais ne démontrent pas pour autant que ce décès serait consécutif à une maladie professionnelle.

Au soutien de leurs prétentions, les appelants invoquent ni l'une des pathologies visées à l'article 1er de l'arrêté du 5 mai 2002, dont le constat vaut justification de l'exposition à l'amiante dans le cadre du FIVA, ni la notion de faute inexcusable de l'employeur. Ils fondent seulement leurs demandes indemnitaires sur les manquements de l'employeur à son obligation de sécurité de résultat et donc sur l'exécution entre les parties du contrat de travail ce qui relève, comme rappelé plus haut, de la compétence de la juridiction prud'homale. Dès lors, les héritiers de celui-ci sont recevables à agir au titre des droits nés pendant le contrat de travail qui liait leur époux et père au GPMM et leurs demandes indemnitaires sont recevables étant précisé que la demande au titre du préjudice économique n'est plus reprise en cause d'appel.

Sur la responsabilité

Le principe de la responsabilité civile implique la démonstration d'une faute , d'un préjudice et d'un lien de causalité entre eux pour justifier le droit à réparation de l'intégralité des dommages subis.

Il y a lieu de constater que par arrêté du 7 juillet 2000, le Port Maritime de [Localité 1] a été inscrit sur la liste des ports susceptibles d'ouvrir droit à l'ACAATA en faveur des salariés dockers professionnels ayant travaillé pendant la période relative aux années 1957 à 1993, que l'article 44 de la loi de financement de la sécurité sociale du 21 décembre 2001 pour 2002 a étendu le dispositif de l'ACAATA aux personnels portuaires assurant la manutention et que l'arrêté du 11 décembre 2001 modifiant la liste des établissements de la construction et de la réparation navale susceptibles d'ouvrir droit à l'ACAATA a inclus dans ce dispositif le service technique de l'outillage, des ateliers et centre d'activité de la réparation navale et du dragage du Port Autonome de [Localité 1].

En outre, un accord d'entreprise dans le Port Autonome de [Localité 1], en date du 24 octobre 2002, a stipulé que ' les parties signataires ont convenu d'aménager les conditions de départ définies dans les textes en vigueur pour les personnels du Port Autonome de [Localité 1] pouvant prétendre au bénéfice d'une cessation anticipée d'activité dans le cadre du dispositif amiante' et que ' peuvent prétendre au bénéfice d'une cessation d'activité anticipée amiante, les agents ayant travaillé dans les services techniques de l'outillage, des ateliers et centres d'activité de la réparation navale et du dragage,ainsi que le personnel de manutention portuaire du Port Autonome de [Localité 1] dans les périodes visées par les textes en vigueur.'

Par ailleurs, il ressort du compte rendu du comité paritaire d'hygiène et de sécurité relatif à la manutention portuaire du Port de [Localité 1] du 22 décembre 1999 produit aux débats (et corroboré sur l'essentiel par un compte rendu dressé par le médecin de la manutention portuaire également produit aux débats) que, sur la période susvisée, une grande dispersion du risque d'amiante avait été constatée tant sur les navires, les quais et les locaux du fait d'une protection rare et inefficace en raison notamment du trafic commercial de l'amiante sur le site. Ce document, qui décrit précisément la manutention et le conditionnement de l'amiante sur l'ensemble du site, lesquels y ont favorisé la diffusion libre des poussières d'amiante, ajoute qu' 'aucun poste de travail ne peut être certain d'avoir échappé au risque: dockers de bord, de terre, chauffeurs, grutiers, pointeurs, chefs d'équipe, contremaîtres, chefs de service, personnel d'entretien et mécaniciens. Tout le personnel travaillant sur le port ou à proximité a pu être exposé au risque amiante et la liste n'est pas ehaustiveSans oublier le le personnel occasionnel ou complémentaire utilisé par les sociétés de manutention pour compléter les effectifs dockers sur les navires ou les exploitations'.

Ces constatations de la présence d'amiante et de la diffusion des poussières d'amiante sur le site portuaire concernent tous les employeurs qui, pendant cette période, y avaient affecté, à un titre ou à un autre, leurs salariés lesquels dès lors avaient pu être exposés, du fait de leur employeur et compte tenu de l'emploi exercé comme il sera examiné plus loin, aux poussières d'amiante. Il sera d'ailleurs ajouté qu'il est acquis aujourd'hui et n'est sérieusement plus remis en question le fait que l'amiante, en raison de ses qualités d'isolant, avait été aussi utilisée, comme le soutiennent les appelants, dans les matériaux des bâtiments du port où les salariés du PAM avaient travaillé, dans les systèmes de freins équipant les divers engins mis à leur disposition sur le port ainsi que dans tous les calorifugeages des tuyaux des terminaux pétroliers installés sur le port sur lesquels ils avaient pu intervenir

Or, il est admis par la communauté scientifique que les poussières d'amiante avaient été identifiées comme vecteur potentiel de maladies professionnelles, dès 1945 et 1950, par l'inscription de pathologies liées à l'amiante au tableau des maladies professionnelles, que de nombreux documents, études et rapports publiés depuis le début du XX° siècle avaient apporté la preuve d'une connaissance bien antérieure à 1977 des dangers de l'amiante et qu'une pathologie liée à l'inhalation de poussières pouvait se révéler de nombreuses années plus tard.

Si l'obligation de sécurité mise à la charge de l'employeur a été codifiée par l'article L.230-2 ancien du code du travail, devenu L. 4121-1, dont la rédaction est issue de la loi du 31 décembre 1991, il n'en demeure pas moins que sur le fondement de la responsabilité contractuelle résultant de l'article 1147 du code civil, ainsi qu'au visa des dispositions règlementaires prises antérieurement en matière de sécurité telles qu'évoquées par les demandeurs (loi du 12 juin 1893, décret d'application du 11 mars 1894, décret du 13 décembre 1948 visant de manière générale la protection contre les poussières et le décret du 17 août 1977 visant de manière spécifique la protection contre les poussières d'amiante), la carence d'un employeur dans la mise en oeuvre des mesures de prévention des risques auxquels un salarié est exposé pendant l'exercice de son emploi, en l'espèce le fait de ne pas avoir pris les précautions suffisantes pour éviter une exposition potentiellement nocive aux poussières d'amiante, est constitutive d'un manquement à ses obligations contractuelles de nature à engager sa responsabilité et à justifier la réparation intégrale des préjudices subis.

Contrairement à ce qu'affirme l' intimé, il n'est aucunement justifié par les pièces versées aux débats que le PAM devenu le GPMM avait pris de façon effective, sur le site où il avait décidé d' affecter ses salariés pendant la période considérée, les mesures nécessaires, notamment les mesures particulières visées par le décret du 17 août 1977, pour assurer la sécurité et protéger leur santé contre les poussières d'amiante.

Le fait invoqué par l'appelant d'avoir mis en place un mode de représentation des salariés concernant leur sécurité, puis un CHSCT sur la prévention des risques professionnels et l'amélioration des conditions de travail (protocoles d'accord des 20 avril 1978, 22 février 1985 et 18 décembre 2001), initiatives qui ne portent pas directement sur des mesures spécifiques à la protection contre l'amiante, ne permet pas d'écarter la responsabilité de l'employeur qui ne démontre pas davantage avoir mis en oeuvre, au-delà de ces instances, un dispositif effectif de protection des salariés aux expositions nocives de nature à exclure tout risque de pathologie.

La nature de l' emploi exercé qui figure d'ailleurs sur la liste des métiers fixée par l'arrêté du 7 juillet 2000, s'agissant d'un ouvrier intervenant sur les machines, l'avait mis en contact direct avec des matériaux contenant de l'amiante et donc l' avait exposé à de telles inhalations nocives. Le GPMM reconnait d'ailleurs dans ses conclusions que ses anciens salariés éligibles à l'ACAATA ont 'travaillé dans un métier à risque;'

L'accord d'entreprise du 24 octobre 2002 dont se prévaut l'employeur ne saurait l'exonérer de sa responsabilité au regard des règles relatives à la santé et la sécurité des salariés, cet accord n'ayant eu pour seul objet que de définir les modalités financières des départs anticipés comme il sera développé plus loin.

Il s'ensuit que l'employeur qui figurait sur la liste des établissements mentionés à l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 et qui, pour la période considérée, avait exposé ses salariés à des poussières d'amiante sans avoir mis en place des mesures de protection, quand bien même les demandeurs ne seraient pas atteints à ce jour d'une pathologie résultant de cette exposition, avait bien commis une faute.

Sur les préjudices

A titre liminaire, il y lieu de constater que l'accord d'entreprise du 24 octobre 2002 ne saurait être considéré, contrairement à ce que prétend l'intimé, comme ayant indemnisé les salariés au titre de leurs préjudices 'toutes causes confondues'. En effet, cet accord n'a pour seul objet, après avoir visé les salariés concernés, que de leur accorder un régime indemnitaire plus favorable sur le quantum que le régime légal indemnisant la cessation anticipée d'activité mais cet accord n'inclut pas l'indemnisation des préjudices extrapatrimoniaux indépendants du dispositif légal et qui d'ailleurs ne sont aucunement mentionnés dans l' accord. C'est donc à tort qu'il est opposé par l'intimé le caractère satisfactoire des sommes perçues au titre de cet accord.

* en ce qui concerne le préjudice d'anxiété

Le salarié invoque un préjudice d'anxiété subi lors de l'exercice de l' emploi du fait de l' exposition à l'amiante sur le site du Grand Port, lequel aurait entraîné le risque de développer l'une des maladies liées à l'amiante, et une situation de stress et d'angoisse permanente de voir sa santé se dégrader à tout moment. Or, eu égard à ce qui précède, il est effectivement compréhensible, quand bien même aucune maladie n'a été constatée en lien avec une exposition à l'amiante, que le salarié ait été confronté à une anxiété permanente jusqu' au jour de son décès face au risque de déclaration à tout moment d'une maladie, qu'il fasse l'objet d'une surveillance médicale ou non.

La cour, en l'état des éléments produits aux débats, estime devoir réparer le préjudice d'anxiété du salarié à hauteur de la somme de 8.000€. Le jugement dont appel doit être réformé .

*en ce qui concerne le préjudice lié au bouleversement dans les conditions d'existence

Il est présenté une demande nouvelle au titre du préjudice lié au bouleversement dans les conditions d'existence. Il est soutenu qu'il s'agirait d' un préjudice spécifique résultant de l' exposition à l'amiante, qui ne saurait être confondu ni avec le préjudice économique ni avec le préjudice d'anxiété et qui serait caractérisé par l'impossibilité d'anticiper sereinement l'avenir compte tenu du changement dans les conditions de vie dû à ce risque à l'amiante.

Sans méconnaître le principe constant de la réparation intégrale des préjudices subis du fait du comportement fautif d'autrui, la seule affirmation de l'existence d' un dommage spécifique distinct de celui réparé au titre du préjudice d'anxiété, sans même établir précisément ni même suffisamment en quoi les conditions d'existence avaient été perturbées depuis la prise de connaissance des risques de l'exposition à l'amiante dans le cadre de l'emploi exercé au sein du Grand Port, ne peut justifier une indemnité complémentaire. En effet, il ressort des conclusions déposées et explications données à l'audience que le demandeur ne fait qu'invoquer, au soutien de cette nouvelle prétention, une argumentation résultant des conséquences de l'anxiété qu'il a légitimement ressentie du fait des manquements mis à la charge de l'employeur et dont il est déjà indemnisé par la somme fixée en sa faveur par la cour au titre du préjudice d'anxiété. En outre, à supposer qu'il y ait eu bouleversement dans les conditions d'existence, il n'est pas démontré pas qu'il en est résulté pour le demandeur un dommage nécessitant une réparation en lien direct avec les manquements susvisés de l' employeur, les divers aléas de la vie de tout individu pouvant à eux seuls générer ce genre de bouleversements sans pour autant justifier un dédommagement sur le fondement de la responsabilité civile.

Cette demande doit dès lors être rejetée.

Sur l'application de l'article 700 du code de procédure civile

Il convient d'allouer à chaque appelant une indemnité 100€ au titre de ses frais irrépétibles, première instance et appel confondus.

PAR CES MOTIFS

LA COUR, statuant par décision prononcée par mise à disposition au greffe, contradictoirement et en matière prud'homale,

Déclare les appels recevables en la forme,

Confirme le jugement du conseil de prud'hommes de Marseille du 16 décembre 2011 en ce qu'il a dit les demandes recevables et a rejeté les demandes au titre du préjudice économique.

Le réforme pour le surplus,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Déclare recevables les demandes nouvelles au titre du bouleversement dans les conditions d'existence.

Condamne l'établissement public [Adresse 4] à payer à Madame [U] [Y] veuve [O], Messieurs [J] [O] et [P] [O], en qualité d'ayants-droits de Monsieur [K] [O] les sommes suivantes:

-8.000 euros, en réparation du préjudice d'anxiété,

-et à chacun des ayants-droits,100 euros au titre de l'article 700 du code procédure civile pour la première instance et l'appel.

Déboute les parties du surplus de leurs demandes.

Condamne l'établissement public le [Adresse 4] aux dépens d'appel.

LE GREFFIERPour M. DABOSVILLE empêché, M. [H] en ayant délibéré


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : 9e chambre c
Numéro d'arrêt : 12/10166
Date de la décision : 03/05/2013

Références :

Cour d'appel d'Aix-en-Provence 9C, arrêt n°12/10166 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2013-05-03;12.10166 ?
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