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15/03/2013 | FRANCE | N°12/00341

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 9e chambre c, 15 mars 2013, 12/00341


COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE

9e Chambre C



ARRÊT AU FOND



DU 15 MARS 2013



N°2013/ 162















Rôle N° 12/00341







[W] [P] épouse [D]





C/



SAS REPRO DIFFUSION INFORMATIQUE (RDI)



















Grosse délivrée le :



à :



-Me Claire FLAGEOLLET, avocat au barreau de MARSEILLE



- Me Claude BENYOUCEF, avocat au barreau

de MONTPELLIER







Copie certifiée conforme délivrée aux parties le :



Décision déférée à la Cour :



Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MARSEILLE en date du 14 Décembre 2011, enregistré au répertoire général sous le n° 11/1199.





APPELANTE



Madame [W] [P] é...

COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE

9e Chambre C

ARRÊT AU FOND

DU 15 MARS 2013

N°2013/ 162

Rôle N° 12/00341

[W] [P] épouse [D]

C/

SAS REPRO DIFFUSION INFORMATIQUE (RDI)

Grosse délivrée le :

à :

-Me Claire FLAGEOLLET, avocat au barreau de MARSEILLE

- Me Claude BENYOUCEF, avocat au barreau de MONTPELLIER

Copie certifiée conforme délivrée aux parties le :

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MARSEILLE en date du 14 Décembre 2011, enregistré au répertoire général sous le n° 11/1199.

APPELANTE

Madame [W] [P] épouse [D], demeurant [Adresse 2]

représentée par Me Claire FLAGEOLLET, avocat au barreau de MARSEILLE

INTIMEE

SAS REPRO DIFFUSION INFORMATIQUE (RDI), demeurant [Adresse 1]

représentée par Me Claude BENYOUCEF, avocat au barreau de MONTPELLIER

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 05 Février 2013, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Jean-Pierre MASIA, Président de Chambre, chargé d'instruire l'affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Monsieur Louis DABOSVILLE, Président de Chambre

Monsieur Michel VANNIER, Président de Chambre

Monsieur Jean-Pierre MASIA, Président de Chambre

Greffier lors des débats : Madame Florence ALLEMANN-FAGNI.

Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 15 Mars 2013

ARRÊT

CONTRADICTOIRE,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 15 Mars 2013

Signé par Monsieur Jean-Pierre MASIA, Président de Chambre et Madame Florence ALLEMANN-FAGNI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCEDURE

-Madame [W] [D] a été embauchée par la société RDI suivant contrat de travail à durée indéterminée du 2 juin 2003, en qualité d'ingénieur commercial statut VRP exclusif cadre, pour un salaire mensuel brut de 1595€ outre une rémunération variable sur objectifs. Affectée sur le secteur géographique des départements 13 et 83, elle était rattachée à l'agence de GEMENOS comprenant une dizaine de salariés.

-Dans le cadre de son travail, elle était en relation avec Monsieur [A] [Q], responsable d'agence qui était aussi son supérieur hiérarchique ainsi qu'avec Monsieur [M] [B], ingénieur commercial.

-Le 13 mars 2006, elle était victime d'un accident du travail et bénéficiait à ce titre d'un arrêt de travail prolongé jusqu'au12 mai 2006, le médecin du travail l'ayant déclarée apte avec une restriction à la conduite.

-Le 7 juin 2006, un incident l'opposait à Monsieur [A] [Q], sur les lieux du travail.

-Le 9 juin 2006, le médecin du travail procédait, à la demande de la salariée, à un examen de surveillance particulière de Madame [D], Il délivrait alors, le même jour, une fiche de visite déclarant la salariée 'inapte temporaire en attendant les résultats des examens complémentaires demandés ce jour.' A compter de cette date, elle était en arrêt de travail ;

-Elle était invitée par le médecin du travail à consulter son médecin traitant mais aussi un psychiatre.

- Le 9 juin 2006, dans une lettre adressée au médecin psychiatre, le médecin du travail relatait:'présente un syndrome dépressif réactionnel à une situation de harcèlement moral et sexuel (voir témoignage);Actuellement insomnie ++ énervements++ Difficultés dans sa vie personnelle qui sont les conséquences directes du syndrôme dépressif. Je pense qu'il est urgent de la soustraire à cette ambiance pour qu'elle puisse recommencer une vie normale et se soigner...'

-Le 12 juin 2006, l'employeur provoquait une réunion entre la salariée, Monsieur [Q], un délégué du personnel et lui même, fixée au 16 juin 2006 et à laquelle la salariée ne pouvait pas se rendre.

-Le 16 juin 2006, la salariée consultait un médecin psychiatre, le Docteur [F].

-Le 27 juin 2006, Madame [D] déposait plainte avec constitution de partie civile, du chef de harcèlement moral, devant le juge d'instruction de MARSEILLE. Elle estimait que les dossiers n'avaient pas été correctement répartis entre les trois ingénieurs commerciaux et surtout avoir été victime quotidiennement de la part de Monsieur [M] [B] d'attitudes obscènes, de comportements grossiers pouvant aller jusqu'à uriner ou déféquer sur son bureau, de moqueries, de familiarités, de surnoms ou sobriquets dégradants voire discriminants et n'avoir pu compter, selon elle, ni sur Monsieur [A] [Q], qu'elle accusait d'avoir cautionné de tels actes, ni sur la direction de NIMES qu'elle avait pourtant alertée dès le début mais qui lui avait répondu que Monsieur [M] [B] était le meilleur commercial, Une information judiciaire était ouverte au cours de laquelle Monsieur [M] [B] était mis en examen du chef de harcèlement moral au travail et Monsieur [A] [Q] mis sous le statut de témoin assisté.

-Les 12 et 26 septembre 2006, la salariée effectuait deux visites médicales de reprise. La fiche de visite du médecin du travail, datée du 26 septembre 2006, était ainsi rédigée: 'Inapte définitif à son poste de travail. Peut travailler à un poste d'ingénieur commercial mais dans un autre environnement professionnel'

-Le 27 septembre 2006, l'employeur au titre du reclassement lui proposait de travailler sous la responsabilité hiérarchique de Monsieur [Z] [H], sur la zone géographique 11-12-45.

-Le 29 septembre 2006, la salariée refusait cette offre.

-Le 29 septembre 2006, l'employeur la convoquait à un entretien préalable en vue d'un licenciement et lui notifiait sa mise à pied à titre conservatoire motivée par les écrits du médecin du travail.

-Le 5 octobre 2006, une nouvelle convocation à un entretien préalable était notifiée à la salariée et la mise à pied annulée.

-Par lettre du 24 octobre 2006, l'employeur lui notifiait son licenciement dans les termes suivants:

'Suite aux visites médicales que vous avez passées les 12 et 26 septembre 2006, vous avez été déclarée par le Médecin du travail, «Inapte définitif à votre poste de travail. Peut travailler à un poste d'ingénieur commercial mais dans un autre environnement professionnel ».

Nous vous avons alors communiqué le 27 septembre 2006 par courrier, une proposition de reclassement au sein du Groupe RDI, que vous avez refusée par courrier en date du 29 septembre 2006.

A réception de votre réponse, vous avez été convoquée par deux fois à un entretien préalable (Cf nos courriers du 29 septembre 2006 et 5 Octobre 2006). Votre conseil nous a fait parvenir pour les deux convocations les attestations de votre médecin spécialiste indiquant votre incapacité à vous rendre à l'entretien.

Vous êtes en arrêt de travail pour cause de maladie depuis le 3 Octobre 2006.

N'ayant aucune autre possibilité de reclassement au sein du Groupe RDI, aucun autre poste de substitution n'étant disponible, et l'établissement de Gémenos ne répondant plus aux critères à prendre en compte, nous ne pouvons continuer le contrat de travail qui vous lie à la société.

De ce fait, nous sommes au regret de vous informer que nous avons pris la décision de vous licencier pour inaptitude,

En raison de votre inaptitude, vous êtes dispensée d'effectuer votre préavis.

La date effective de votre licenciement est par conséquent le 24 Janvier 2007.

Vous pourrez vous présenter au service du personnel, à compter du Jeudi 26 Octobre 2006, afin de percevoir votre solde de tout compte, et retirer votre certificat de travail, ainsi que votre attestation destinée aux ASSEDIC.'

-Le 24 juin 2009, le juge d'instruction de MARSEILLE rendait une ordonnance de non-lieu dont le ministère public interjetait appel.

-Le 20 octobre 2010, la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'AIX-EN-PROVENCE confirmait l'ordonnance de non-lieu.

-Le 18 mars 2011, Madame [D] saisissait le conseil de prud'hommes de MARSEILLE aux fins d'obtenir la condamnation de la société RDI à lui payer des dommages-intérêts pour n'avoir rien fait en vue de prévenir ou faire cesser les comportements répréhensibles de ses salariés, pour licenciement sans cause réelle et sérieuse par suite du non respect de son obligation de reclassement et à lui payer un solde de commissions.

-Par jugement du 14 décembre 2011, le conseil de prud'hommes de MARSEILLE la déboutait de toutes ses demandes. C'est le jugement dont Madame [D] a régulièrement interjeté appel.

MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES

Madame [W] [D] demande à la cour, au visa des articles L.1152-1 et L. 1226-10 et suivants du code du travail, de:

-réformer l'ensemble des dispositions du jugement du Conseil de Prud'hommes de MARSEILLE du 14 décvembre2011,

-constater que la société RDI n'a pris aucune mesure en vue de prévenir ou de faire cesser les agissements répréhensibles de ses préposés,

-dire et juger que la société RDI a entrepris de manière abusive une procédure de licenciement à l'égard de Madame [D],

-dire et juger que la société RDI a manqué à son obligation de loyauté et à son obligation de sécurité de résultat à l'égard de Madame [D],

En conséquence,

-la condamner au paiement de la somme de 90.000€ à titre de dommages et intérêts pour le préjudice moral et matériel subi par ces agissements dont l'employeur est responsable,

Par ailleurs,

-dire et juger que la société RDI n'a pas respecté son 'obligation de reclassement à l'égard de sa salariée,

En conséquence,

-la condamner au paiement des sommes de :

*60000€ à titre de dommages-intérêts pour le préjudice subi pour le licenciement sans cause réelle et sérieuse

* 2185,37€ au titre du solde du droit à commissions.

*3500€ au titre de l'article 700 du code procédure civile

-dire et juger que les condamnations prononcées porteront intérêts de droit au taux légal à compter de la saisine du le conseil de prud'hommes.

Reprenant dans le détail les agissements répétés de Messieurs [B] et [Q] et puisant dans le dossier pénal des éléments de nature, selon elle, à étayer ses accusations, elle reproche à la société RDI, qui avait été alertée par elle dès le début, en tout cas avant son accident du 13 mars 2006, de ne pas avoir pris les mesures pour prévenir ou faire cesser de tels agissements. Elle renvoie aux divers examens médicaux ou expertise qui attestent des conséquences de ces faits sur sa santé. Elle reproche donc à son ancien employeur d'avoir manqué à ses obligations contractuelles et légales de loyauté et de sécurité, ces manquements ayant permis les faits de harcèlement. Elle sollicite dès lors l'indemnisation de ses préjudices moral et matériel

-S'agissant de son licenciement, elle reproche à la société RDI l'absence de démarche loyale de reclassement interne et externe en adéquation avec les préconisations de la médecine du travail. Selon l'appelante, l'offre proposée le 27 septembre 2006 sur les départements 11, 12 et 48 ne permettait pas de réaliser les mêmes objectifs, elle entraînait une prise de poste pour le 2 octobre 2006 alors qu'elle était domiciliée à [Localité 2] et, de surcroît, n'était pas compatible avec les préconisations du médecin du travail qui, s'il avait été consulté, ne l'aurait pas validée. Par ailleurs, elle fait grief à la société RDI de ne pas avoir recherché son reclassement au sein du groupe RDI alors qu'un témoignage rapporte que suite à son licenciement plusieurs embauches avaient eu lieu, en l'espèce : un ingénieur technique, un ingénieur avant-vente, une assistante commerciale. Elle souligne qu'au lieu de rechercher son reclassement, son employeur, en la personne de Monsieur [X], l'avait dénigrée auprès d'autres sociétés.

La société RDI demande à la cour de confirmer le jugement, débouter l'appelante de toutes ses demandes, reconventionnellement condamner la société RDI à lui payer la somme de 7000 € de dommages-intérêts pour procédure abusive et injustifiées et celle de 4000€ au titre de l'article 700 du code procédure civile.

Elle fait valoir que la société RDI avait respecté ses obligations de loyauté et de sécurité, que la procédure pénale avait abouti à un non-lieu alors que les faits dénoncés au pénal étaient les mêmes que ceux visés devant le conseil de prud'hommes, que dès le 29 juin 2006, l'employeur avait pris les mesures nécessaires, que s'agissant de l'obligation de reclassement, l'employeur avait proposé à la salariée un poste rattaché à l'agence de NIMES pour qu'elle ne fut pas en contact avec les salariés de l'équipe PACA, que les termes mêmes du refus de la salariée démontraient l'impossibilité pour l'employeur de mettre en oeuvre un reclassement, que les demandes reconventionnelles présentées par l'intimée sont justifiées par l'insistance de la salariée à poursuivre un contentieux aussi injuste que coûteux pour l'intimée.

SUR QUOI

Sur le harcèlement moral

Le contrat de travail doit être exécuté loyalement.

L'employeur est tenu à une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité de ses salariés.

Le harcèlement moral, tel qu'il est défini par l'article L1152-1 du code du travail, peut être le fait de l'employeur lui même, d'un supérieur hiérarchique mais aussi de simples collègues, aucun rapport d'autorité n'étant exigé entre la victime et l'auteur du harcèlement. Il appartient à l'employeur de prendre toutes les dispositions nécessaires en vue de prévenir ou faire cesser les agissements de harcèlement moral et il doit, le cas échéant, sanctionner les auteurs de ce harcèlement. L'inertie de l'employeur est fautive.

En l'espèce, la circonstance que les faits dénoncés au pénal, qualifiés de harcèlement moral par Madame [D], qui seraient identiques à ceux dénoncés devant le conseil de prud'hommes de MARSEILLE, aient abouti à un arrêt définitif de non-lieu prononcé par la chambre de l'instruction d'AIX-en-PROVENCE, le 20 octobre 2010, est sans incidence sur les présentes demandes de Madame [D] devant la juridiction sociale, le constat de l'absence de faute pénale ne faisant pas obstacle à la reconnaissance d'une faute civile.

Il résulte des pièces pénales produites, les faits suivants :

-Monsieur [G] [E], ancien salarié jusqu'en janvier 2006, confirmait les exhibitions fréquentes de [M] [B] sur les lieux du travail, ainsi que des simulations gestuelles à caractère sexuel, des insultes à l'égard des collègues, des surnoms et des sobriquets ainsi que le fait par [M] [B] d'avoir uriné et déféqué sur le bureau de Madame [D].

-Monsieur [I] [R] confirmait qu'une autre salariée lui avait fait part de sa peur de rester seule le soir avec [M] [B]. Il confirmait aussi, sans toutefois en avoir été le témoin direct, que selon Madame [D] et deux autres salariées, [M] [B] avait montré ses fesses et uriné dans la poubelle. Monsieur [R] avait personnellement assisté à des réunions au cours desquelles [M] [B] en réponse aux interventions de Madame [D] disait 'mémé a parlé, la vieille a parlé' faisant entendre une flatulence et en ricanant 'tiens, voilà la réponse'.Selon ce témoin, [M] [B] la provoquait par des pets et des rots ainsi que par des grossièretés :'je vais pisser tu veux pas me la tenir ou me l'essuyer.'

-Monsieur [K] [O], s'il soulignait les performances commerciales de Monsieur [B], indiquait, en revanche, que ce dernier l'avait affublé d'un surnom 'pas très sympa à savoir JACOB et LE JUIF' Le témoin avait dû faire intervenir la direction pour que cela cessât. Il décrivait Monsieur [B] comme faisant des 'blagues idiotes' et l'avait même vu courir nu sur le parking à la suite de l'annonce d'un gros contrat. Il reprochait à Monsieur [Q], qui avait un peu le même caractère que Monsieur [B], l'esprit potache en moins, d'avoir été 'trop laxiste dans la situation' Le témoin faisait état d'un compte- rendu qui aurait été dressé après le départ de Madame [D] et dans lequel la direction aurait demandé que 'les personnes soient respectées au sein du groupe'.

-Madame [T] [N] affirmait, contrairement aux dires de Madame [D], qu'elle même n'avait pas subi de harcèlement. Elle décrivait Monsieur [M] [B] comme quelqu'un qui travaillait beaucoup, qui pour décompresser usait de blagues et de plaisanteries sans pour autant avoir l'intention de blesser quiconque. Elle confirmait que Madame [D] participait aux plaisanteries.

-Madame [W] [Y] décrivait l'ambiance de l'agence de GEMENOS comme étant décontractée voire puérile. Elle décrivait Monsieur [M] [B] comme une personne ayant toujours été très correct et poli. Toutefois, elle l'identifiait sur une photographie de 2005 avec un collègue de travail lui baissant son maillot de bain et elle confirmait qu'il avait un autre jour traversé le parking, le pantalon baissé. D'une manière générale, elle ne pouvait faire état que de jeux 'enfantins' auxquels Madame [D] avait aussi participé.

-Monsieur [M] [S], délégué du personnel, confirmait que Madame [D] lui avait parlé du comportement grossier de Messieurs [B] et [Q] sans que Madame [D] ne fut pour autant personnellement visée, cette dernière participant aussi aux blagues échangées. Il affirmait que la souffrance de cette dernière était réelle mais extérieure à l'entreprise et trouvait davantage sa cause dans des problèmes d'ordre psychologique. Néanmoins, ce témoin reconnaissait que le comportement de Monsieur [B] avait pu franchir ' les limites du respect' et que Monsieur [Q] 'n'aurait pas dû tolérer le comportement du personnel en général et aurait dû recadrer ces comportements qui ont pu certainement aller un peu trop loin dans l'indécence'. Il précisait aussi que des bruits 'étaient remontés aux oreilles' de Monsieur [X] qui était alors intervenu. Dans un courriel adressé par ce délégué du personnel à Madame [D], le 8 juin 2006, certains termes employés semblaient reconnaître implicitement à Madame [D] le statut de victime. ('...à la vue de l'ambiance actuelle...je t'assure encore une fois de tout mon soutien mais aussi du fait que la position est difficile à tenir...je te souhaite bon courage, d'être forte et encore une fois nous sommes à tes côtés...')

-Madame [C] [U], autre délégué du personnel, confirmait que [M] [B] était très 'enfant' et qu'il était le meilleur commercial. Elle décrivait ainsi son comportement:'il rote, il pète, ce qui l'amuse beaucoup... il teste les gens et ensuite il sait avec qui il peut agir de la sorte et avec qui il doit se tenir' Madame [W] [D] lui avait dit également que Monsieur [B] avait uriné dans une poubelle mais Madame [U] n'y avait pas assisté. Ce témoin ajoutait que Madame [D], qui n'était pas gênée et qui savait poser des limites, participait aussi de bonne grâce aux blagues, le témoin la décrivant un peu 'fofolle' pour avoir, par exemple, fait la roue dans le bureau alors qu'elle portait une jupe ou, une autre fois, lui avoir demandé de lui toucher les seins. Elle affirmait que le comportement de Madame [D] avait changé après son accident du travail et que les délégués du personnel, que Madame [D] avait sollicités, n'avaient pas pu la soutenir dans la mesure où ils avaient estimé qu'elle n'était pas fondée à se plaindre d'une situation que Madame [D] avait toujours cautionnée. S'agissant des faits du 7 juin 2006, elle déclarait que Madame [D] lui avait dit que Monsieur [Q] avait voulu la frapper mais Madame [U] n'avait pas assisté à ces faits. Elle concluait son témoignage ainsi: 'l'attitude de M.[B] n'est peut-être pas très classe pour une entreprise mais il n'en avait pas après Mme [D].Tout le monde était à la même enseigne pour ses blagues.

-Une lettre des délégués du personnel était rédigée dans les termes suivants:

'au niveau de l'ambiance générale de l'agence PACA, toutes les personnes entendues ont reconnu qu'une ambiance particulière, que l'on peut sans doute considérer comme légère ou frivole, voire immature à certains moments de relâchement, règne ou a régné (...) Cette ambiance semble favoriser effectivement et cela est unanimement reconnu, des moments de relâchement de pression (qualifiée par les personnes de moments de détente)entraînant parfois des débordements (gamineries, blagues plus ou moins graveleuses ou franchouillardes, comportements immatures ou potaches, plaisanteries aux dépens d'autrui...)Il est reconnu que ces comportements auraient pu éventuellement selon la sensibilité des personnes, être considérés comme dégradants, mais personne n'a déclaré l'avoir ressenti comme tel ou avoir vu ou entendu quelqu'un d'autre en faire état.'

-Madame [T] [L], directrice des ressources humaines, déclarait que jusqu'en mai juin 2006, tout s'était bien déroulé et qu'à compter de mai-juin 2006, le comportement de Madame [D] avait changé et était devenu 'bizarre.' Elle se plaignait de quolibets, de son surnom alors que, selon le témoin, tout le monde en avait dans l'entreprise y compris 'le grand patron' M.[X]. Le témoin faisait état d'une rencontre ayant eu lieu, le 2 juin 2006, avec Monsieur [X] au cours de laquelle Madame [D] avait mis en avant les attitudes de Monsieur [B] ('il faisait pipi dans le bac à glaçons').Le témoin précisait que Madame [D] n'avait jamais apporté les preuves qui lui avaient été ce jour-là demandées. Deux jours plus tard, Madame [D] avait été priée par la direction de 'travailler dans son bureau et non pas cachée dans la salle de réunion' le témoin ajoutant 'nous travaillons en groupe et il est exclu que l'un de nous se mette à l'écart '. Elle décrivait Monsieur [B] comme un 'tueur ' dans la profession, et comme quelqu'un qui aimait 'titiller' tout le monde. S'agissant du comportement de celui-ci, elle ne croyait pas qu'il avait uriné ou déféqué dans une poubelle ou sur les bureaux même si elle le croyait capable de l'avoir fait croire par plaisanterie. Elle décrivait Monsieur [Q] comme le deuxième plus gros chiffre d'affaires de la société. Enfin, ce témoin confirmait que Monsieur [X] était intervenu auprès de Messieurs [B] et [Q] en leur expliquant que l'humour n'était pas perçu de la même manière par tous et en demandant à Monsieur [B] de faire attention à ce qu'il disait et faisait.

-Monsieur [Z] [H], directeur commercial, déclarait qu'effectivement Monsieur [M] [B] dont le comportement était assez expansif, était le meilleur commercial de l'agence de GEMENOS et que cela avait pu le conduire à tenir 'des propos un peu provocateurs par rapport à sa réussite'. Il concédait avoir pu entendre des 'bruits' concernant des comportements exhibitionnistes sans pour autant parler de harcèlement. Il savait que le surnom de 'mémé' avait été donné par l'agence à Madame [D] qu'il décrivait comme une personne également expansive. Il évoquait un mal entendu de la part de celle-ci qui avait pu se méprendre sur certains faits et gestes.

-Monsieur [J] [X], représentant l'employeur personne morale, déclarait que Monsieur [M] [B] était un gros travailleur mais aussi un gros blagueur dans le cadre d'une ambiance qualifiée de décalée de la part de commerciaux soumis à une forte pression commerciale.

-Monsieur [M] [B] reconnaissait avoir un 'tempérament à rigoler' et avoir fait usage de surnoms et sobriquets ('mémé' pour Madame [W] [D]), avoir par jeu pété ou roté devant des tiers mais sans mauvaise intention ni volonté d'humiliation. Il reconnaissait avoir traversé nu le parking à la suite d'un pari. Il contestait les actes de déjection, de masturbation.

-Monsieur [A] [Q] admettait avoir été dans l'obligation de 'recadrer' Monsieur [M] [B].

Il résulte des autres pièces produites les faits suivants :

-Par courriel adressé le 12 mai 2006 à [J] [X], Madame [D] lui faisait part:

-de son souhait 'que ça cesse' et ne plus dépendre hiérarchiquement de Monsieur [Q]. Dans ce mail, elle dénonçait de façon précise et circonstanciée à l'employeur le fait que pendant son arrêt de travail ses dossiers 'avaient fait l'objet d'aucun suivi de Monsieur [Q], entraînant pour elle des conséquences préjudiciables, (il est vrai que les attestations de deux clients LVM MEDICAL et Mairie de [Localité 1] confirmeront cette absence de suivi pendant son arrêt de travail),

-que depuis 2003, elle subissait le comportement fautif de Monsieur [Q] dans la gestion commerciale, et qu'elle ne supportait plus le 'descriptif du pipi caca et zezette qui est certes rigolo la première fois et très désagréable les fois suivantes mais bon quand je réaliserai 8OOOO€ de marge et que je nourrirai 40 salariés, je pourrai me permettre toute extravagance'.

-Le 7 juin 2006, Madame [W] [D] relatait par courriel à Monsieur [J] [X], un incident qui venait de l' opposer à Monsieur [Q] lequel lui avait reproché d'être arrivée en retard (alors, selon elle, qu'elle avait eu des entretiens téléphoniques professionnels juste avant) et d'occuper indûment la salle de réunion (alors, selon elle, que c'était la seule pièce où elle pouvait effectuer tranquillement ses relances commerciales téléphoniques). Elle ajoutait surtout que Monsieur [Q] l'avait menacée physiquement par un geste du bras.

[W] [D] alertait dans le même temps les délégués du personnel et leur demandait par courriel de 'tout mettre en oeuvre pour assurer (sa) sécurité.'

-Un courriel de Monsieur [Q], adressé le 7 juin 2006 à Madame [W] [D], lui reprochait un retard de 45 minutes ainsi que l'occupation indue d'une salle de réunion commune et son refus d'entendre ce qu'il avait à lui dire.

-Le 12 juin 2006, l'employeur provoquait une réunion fixée au 12 juin 2006 entre les personnes concernées et convoquait aussi le délégué du personnel.

Il s'évince de l'ensemble de ces éléments que plusieurs faits ou comportements, de nature à dégrader les conditions de travail de ceux qui les avaient subis en portant atteinte à la dignité des personnes, avaient eu lieu de façon réitérée sur les lieux du travail et que ces faits avaient été commis par Monsieur [M] [B] au vu et au su du supérieur hiérarchique, Monsieur [A] [Q], responsable de l'agence de GEMENOS dont le laxisme, selon certains, avait facilité leur répétition. Il est incontestable que Messieurs [B] et [Q] avaient, par leur comportement, engagé l'employeur. Ce dernier n'est pas fondé à se prévaloir de ce qu'il serait intervenu dès qu'il avait eu connaissance de la situation en mai2006. En effet, les premiers faits qui sont très antérieurs à mai 2006 n'avaient pu se commettre et se prolonger que par suite d'un défaut de surveillance de l'employeur sur le fonctionnement de cette agence et le comportement des personnes y travaillant. Ensuite, quand l'employeur avait été saisi par Madame [W] [D], en mai 2006, il lui avait été répondu d'apporter des preuves (témoignage de Madame [T] [L] confirmé par la lettre de la société RDI du 13 juillet 2006), ce qui démontre la désinvolture avec laquelle l'employeur avait d'abord traité ce problème. Il n'avait décidé de provoquer la réunion du 12 juin 2006 qu'à la suite des nouveaux faits du 7 juin2006, non sans avoir préalablement désavoué cette salariée au sujet de sa volonté de travailler dans une salle de réunion ce qui n'avait pu que conforter celle ci dans un sentiment d'isolement. En outre, il est manifeste à la lecture des témoignages ci-dessus que, pour les supérieurs hiérarchiques de Madame [D], l'excellence des résultats commerciaux de l'agence de GEMENOS et notamment ceux de Monsieur [B] avaient prévalu sur toute autre considération.

L'employeur ne saurait davantage se prévaloir du consentement ou de l'acceptation de la salariée, une telle circonstance étant insuffisante à justifier l'inertie de l'employeur et, au demeurant, ne concernerait pas l'ensemble des faits dénoncés par Madame [W] [D] qui en avait manifestement subi certains contre sa volonté.

Ces faits, outre leur caractère attentatoire à la dignité des personnes, avaient eu une incidence directe sur la santé de la salariée comme les avis du médecin du travail évoqués plus haut l'avaient très clairement démontré et auxquels s'ajoutent :

-l'attestation du médecin du travail du 20 juin 2006 qui rapportait avoir eu un entretien téléphonique, le 7 juin 2006, avec Madame [W] [D] au sujet d'un incident que cette dernière venait d'avoir avec un responsable de l'agence de GEMENOS qui aurait, selon Madame [D], voulu la frapper. Le médecin du travail attestait:' en discutant avec elle au téléphone, je me suis aperçue qu'elle était très angoissée et très choquée par ce qu'elle venait de vivre et je lui proposais un rendez-vous... à la suite de ce rendez-vous (après un premier report) Madame [W] [D] a été mise en inaptitude temporaire et je l'adressais à son médecin traitant.

-le certificat médical délivré le 16 juin 2006 par son médecin-psychiatre qui rapportait que 'cette patiente présente un état dépressif majeur caractérisé réactionnel à une situation de harcèlement moral et sexuel qu'elle vit sur son lieu de travail depuis de nombreux mois et attestée par le médecin du travail' Après avoir décrit la symptomatologie de la patiente, le médecin concluait:

'ce faisceau de symptômes réalise de manière indiscutable un tableau d'état dépressif post-traumatique.'

-l'expertise psychiatrique réalisée à la demande du juge d'instruction. Cette expertise rapportait que Madame [W] [D] avait vécu la période dénoncée comme étant 'un viol de sa personne' et avait connu, entre autres, plusieurs comportements post-traumatiques. L'expert avait clairement exclu une personnalité pathologique antérieure qui aurait pu influer sur l'équilibre psychique ou intellectuel du sujet avant les faits dénoncés. Ainsi, ce constat médical permettait d'exclure les affirmations de certains témoins ayant voulu expliquer le mal être de Madame [W] [D] par les seuls traits de sa personnalité. Enfin, l'expertise psychiatrique concluait 'les troubles anxio-dépressifs présentés courant 2006 et 2007 ainsi que la symptomatologie organisée sur un mode psycho-traumatique apparaît compatibles d'un point de vue clinique avec ce que l'on observe habituellement dans les situations d'une souffrance psychique au travail liée à des conduites répétées de harcèlement moral professionnel.'

L'employeur a donc manqué à ses obligations en permettant que des faits de harcèlement moral puissent se commettre sur les lieux du travail, fussent-ils commis par d'autres salariés. Madame [D] était donc parfaitement fondée à saisir le conseil de prud'hommes de MARSEILLE afin d'obtenir le versement de dommages- intérêts réparant le préjudice moral et matériel né des manquements ci-dessus. Le jugement qui l'a déboutée de ce chef doit être réformé.

Compte tenu de la nature des faits, des circonstances de leur commission, de leur durée et du préjudice moral subi par Madame [D] dont l'expert psychiatre mentionnait qu'un an après les faits, nonobstant un traitement médicamenteux aux anti-dépresseurs et des séances régulières de psychothérapie, elle restait 'émotionnellement vulnérable', il y a lieu de condamner la société RDI à lui payer la somme de 8000€ de dommages-intérêts

Sur l'obligation de reclassement

A la suite du second avis d'inaptitude donné par le médecin du travail, le 26 septembre 2006, l'employeur n'a adressé à la salariée, le 27 septembre 2006, qu'une seule proposition au titre de son obligation de reclassement. Il importerait peu que le poste et la zone géographique proposés à la salariée soient moins productifs, en termes de démographie d'entreprises, que l'ancien poste et l'ancienne zone géographique confiés à la salariée, s'il était établi par l'employeur que le poste proposé était le seul disponible. Or, l'employeur ne rapporte nullement la preuve par ses pièces versées aux débats qu'il aurait tenté sérieusement de reclasser Madame [D] dans l'une des sociétés du groupe au besoin en mettant en oeuvre des mesures précises telles que des mutations, transformations de postes ou aménagements du temps de travail, la lettre de licenciement se bornant à affirmer l'absence d'autre possibilité de reclassement que celle déjà proposée et refusée.

Au surplus, l'employeur ne justifie aucunement avoir sollicité les préconisations du médecin du travail dans la recherche d'un reclassement.

Ces constatations suffisent à dire le licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Compte tenu des circonstances de la rupture, de l'ancienneté de la salariée, de son âge (née en 1966), du fait, qu'elle a pu retrouver un emploi ,de la taille de la société RDI (plus de 11 salariés), du salaire moyen de la salariée (3900€), il y a lieu de condamner la société RDI à lui payer la somme de 28000€ de dommages-intérêts.

Sur le solde des commissions

Madame [D] avait contractuellement droit à des commissions sur les affaires apportées. Alors que la salariée avait fourni à l'employeur, dans sa mise en demeure du 23 mai 2007, les éléments de calcul très précis et vérifiables (mois, nom des clients, références dossiers, montants) se rapportant à un solde de commissions qu'elle réclamait à concurrence de la somme de 2185,37€, l'employeur, qui est le seul à détenir les éléments de nature à établir l'inexactitude des informations données, n' a pas rapporté la preuve qu'il s'était libéré de son obligation de payer la totalité des commissions dues à Madame [D].

Par conséquent, il sera condamné à lui payer la somme de 2185,37€ qui emportera intérêts de droit à compter de la saisine du conseil de prud'hommes de MARSEILLE.

Sur l'indemnité au titre de l'article 700 du code procédure civile

L'équité commande d'allouer au titre de l'article 700 du code procédure civile une indemnité de 3000€.

PAR CES MOTIFS

LA COUR, statuant par décision prononcée par mise à disposition au greffe, contradictoirement et en matière prud'homale,

-Reçoit Madame [W] [D] en son appel.

-Le dit fondé.

-En conséquence, infirme le jugement en toutes ses dispositions et statuant à nouveau :

- Condamne la société SAS REPRO DIFFUSION INFORMATIQUE (RDI) à payer à Madame [W] [D] les sommes de :

- 8000€ de dommages-intérêts au titre du harcèlement moral.

- 28000€ de dommages-intérêts au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse.

- 2185,37€ au titre du solde de commissions outre intérêts de droit sur cette somme à compter du 18 mars 2011,date de la saisine du conseil de prud'hommes de MARSEILLE.

-3000€ au titre de l'article 700 du code procédure civile.

-Déboute les parties du surplus de leurs demandes.

-Condamne la société SAS REPRO DIFFUSION INFORMATIQUE (RDI) aux entiers dépens de première instance et d'appel.

LE GREFFIERPour M. DABOSVILLE empêché, M. MASIA en ayant délibéré


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : 9e chambre c
Numéro d'arrêt : 12/00341
Date de la décision : 15/03/2013

Références :

Cour d'appel d'Aix-en-Provence 9C, arrêt n°12/00341 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2013-03-15;12.00341 ?
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