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13/03/2013 | FRANCE | N°11/14651

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 14e chambre, 13 mars 2013, 11/14651


COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE

14e Chambre



ARRÊT AU FOND

DU 13 MARS 2013



N°2013/227





Rôle N° 11/14651





COMMISSARIAT A L'ENERGIE ATOMIQUE ET AUX ENERGIES ALTERNATIVES



C/



CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DES BOUCHES DU RHONE

[P] [Z] épouse [S]

SA KAEFER WANNER



MNC - MISSION NATIONALE DE CONTROLE ET D'AUDIT DES ORGANISMES DE SECURITE SOCIALE



Grosse délivrée

le :



à :

Me Franck DREMAUX, avocat au b

arreau

de PARIS



CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DES BOUCHES DU RHÔNE



Me Michèle NERON, avocat au barreau D'AIX-EN-PROVENCE



Me Jean-Luc BERNIER-DUPREELLE avocat au barreau

de PARIS





Copie cer...

COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE

14e Chambre

ARRÊT AU FOND

DU 13 MARS 2013

N°2013/227

Rôle N° 11/14651

COMMISSARIAT A L'ENERGIE ATOMIQUE ET AUX ENERGIES ALTERNATIVES

C/

CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DES BOUCHES DU RHONE

[P] [Z] épouse [S]

SA KAEFER WANNER

MNC - MISSION NATIONALE DE CONTROLE ET D'AUDIT DES ORGANISMES DE SECURITE SOCIALE

Grosse délivrée

le :

à :

Me Franck DREMAUX, avocat au barreau

de PARIS

CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DES BOUCHES DU RHÔNE

Me Michèle NERON, avocat au barreau D'AIX-EN-PROVENCE

Me Jean-Luc BERNIER-DUPREELLE avocat au barreau

de PARIS

Copie certifiée conforme délivrée aux parties le :

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de BOUCHES DU RHONE en date du 19 Juillet 2011,enregistré au répertoire général sous le n° 20903874.

APPELANTE

COMMISSARIAT A L'ENERGIE ATOMIQUE ET AUX ENERGIES ALTERNATIVES, demeurant [Adresse 5]

représentée par Me Franck DREMAUX, avocat au barreau de PARIS

INTIMÉES

CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DES BOUCHES DU RHONE, demeurant [Adresse 4]

représenté par M. [D] [X] (Autre) en vertu d'un pouvoir spécial

Madame [P] [Z] épouse [S], demeurant [Adresse 2]

représentée par Me Michèle NERON, avocat au barreau D'AIX-EN-PROVENCE

SA KAEFER WANNER, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège, demeurant [Adresse 3]

représentée par Me Jean-Luc BERNIER-DUPREELLE, avocat au barreau de PARIS

PARTIE(S) INTERVENANTE(S)

MNC - MISSION NATIONALE DE CONTROLE ET D'AUDIT DES ORGANISMES DE SECURITE SOCIALE, demeurant [Adresse 1]

non comparant

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 13 Février 2013, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Florence DELORD, Conseiller, chargé d'instruire l'affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame Bernadette AUGE, Président

Madame Florence DELORD, Conseiller

Monsieur Jean-Luc CABAUSSEL, Conseiller

Greffier lors des débats : Madame Farida ABBOU.

Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 13 Mars 2013

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 13 Mars 2013

Signé par Madame Bernadette AUGE, Président et Monsieur Kamel BENKHIRA, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

M.[S] qui avait travaillé en qualité de monteur-isolation pour la société Wanner Isofi Isolation de 1963 à 1982, puis en qualité de chef d'équipe titulaire pour le Commissariat à l'Energie Atomique (CEA) sur le site de Cadarache jusqu'en juin 1992, est décédé le [Date décès 1] 2009 des suites d'un mésothélium malin primitif du péritoine pris en charge au titre de la maladie professionnelle (tableau 30) reconnue par la Caisse Primaire d'Assurance Maladie le 5 février 2008.

Madame [S] a engagé une procédure aux fins de reconnaissance de la faute inexcusable des employeurs de son mari, soit le CEA de Cadarache et la société Wanner Isofi.

Suite à l'échec de la tentative de conciliation, elle a saisi le Tribunal des Affaires de sécurité sociale des Bouches du Rhône d'une action aux fins de reconnaissance de la faute inexcusable des employeurs, le CEA de Cadarache et la société Wanner Isofi, et elle a demandé la majoration de rente au maximum et les indemnisations des préjudices (successoraux et personnel).

Par jugement du 19 juillet 2011, le Tribunal des Affaires de sécurité sociale des Bouches du Rhône a mis hors de cause la SAS Kaefer & Wanner, a dit que la maladie et le décès résultaient de la faute inexcusable du CEA, a ordonné la majoration de la rente servie à Madame [S] à son maximum, a fixé les indemnités au titre successoral (90000 et 15000 euros) et à titre personnel (35000 euros), a déclaré opposable au CEA la décision de la CPAM de prendre en charge la maladie de M.[S] au titre de la législation professionnelle, mais a déclaré inopposable la prise en charge du décès, a débouté le CEA de sa demande d'appel en garantie auprès de la SAS Kaefer & Wanner, et a condamné le CEA à payer à Madame [S] la somme de 1000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Le Commissariat à l'Energie Atomique a fait appel du jugement.

Par ses dernières conclusions développées à l'audience de plaidoirie du 13 février 2013, le Commissariat à l'Energie Atomique et aux Energies Alternatives (CEA) a demandé à la Cour d'infirmer le jugement en ce que les décisions de prises en charge de la maladie et du décès lui avaient été déclarées opposables, et en ce qu'une faute inexcusable avait été reconnue à son encontre. Il a contesté l'absence de preuve d'une exposition au risque amiante et l'absence de réunion des éléments caractérisant la faute inexcusable de l'employeur. Il a demandé la condamnation de la société Kaefer Wanner à le garantir de toute éventuelle condamnation prononcée à son encontre.

Par ses dernières conclusions développées à l'audience, la société Kaeffer Wanner a demandé à la Cour de confirmer le jugement, et subsidiairement de dire qu'aucune faute inexcusable n'a éyé commise, de lui déclarer inopposables les décisions de la Caisse de prendre en charge la maladie puis le décès de M.[S], de rejeter toute action récursoire de la Caisse, et encore plus subsidiairement de réduire les prétentions indemnitaires de Madame [S].

Par ses dernières conclusions développées à l'audience, Madame [S] a demandé à la Cour de confirmer le jugement sauf en ce qui concerne la mise hors de cause de la société Kaefer Wanner et le montant des indemnités.

Elle a demandé la reconnaissance de la faute inexcusable de la société Kaefer Wanner, venant aux droits de Wanner Isofi, et du CEA, et de fixer les indemnités à :

- 60000 euros pour son préjudice moral,

- 120000 euros pour les souffrances physiques et morales, et 80000 euros pour le préjudice d'agrément de son mari.

Outre 5000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par ses dernières conclusions développées à l'audience, la CPAM a déclaré s'en rapporter sur la faute inexcusable, et, par appel incident, elle a demandé à la Cour d'infirmer le jugement en ce que sa décision de prendre en charge le décès de M.[S] au titre de la maladie professionnelle a été déclarée inopposable au CEA. Elle a demandé que, si la faute de la société Kaefer Wanner était reconnue, de les condamner solidairement ou par un partage de responsabilité au remboursement des sommes dont elle serait tenue de faire l'avance.

La MNC régulièrement avisée n'a pas comparu.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la mise en cause de la SAS Kaefer Wanner

M.[S] a été embauché par la société Wanner Isofi Isolation, dont le siège social était à [Localité 2], et il a travaillé au sein de sa succursale située à [Localité 1], de 1963 à mai 1982 .

Selon Madame [S], cette société serait devenue, la société Wanner Isofi, elle-même devenant Wanner Industrie, elle-même rachetée par la société Kaefer, devenant ainsi la société Kaefer Wanner, attraite dans la procédure.

La société Kaefer Wanner conteste tout lien avec la société Wanner Isofi Isolation dont l'extrait Kbis montre son immatriculation au RCS de Nanterre le 6 janvier 2003 après transfert de l'établissement principal d'[Adresse 6] , sous la forme juridique d'une SAS, puis d'une fusion absorption de la SARL SK Techniques d'Assainissement dont le siège est à [Adresse 8]), le 3 février 2005.

L'établissement principal de la SA Wanner Isofi a été immatriculé au RCS le 5 juillet 1971, puis a fait l'objet d'une radiation-fusion absorption par l'un de ses administrateurs, la Société Générale d'Entreprise - siège à Courbevoie (SGE) le 1er juillet 1990; la radiation au RCS est intervenue le 28 janvier 1991.

L'établissement secondaire « Wanner Isofi » situé à [Adresse 7]) a fait l'objet d'une radiation au RCS de Nanterre le 14 janvier 1994 avec effet au 1er novembre 1993.

Le CEA et Madame [S] considèrent que Kaefer Wanner vient aux droits de Wanner Isofi.

Le Tribunal a expressément constaté l'absence de lien entre les deux sociétés.

La Cour considère au préalable que le seul fait que Madame [S] reproche au tribunal de ne pas avoir demandé à Kaefer Wanner la désignation d'un mandataire ad'hoc pour Wanner Isofi n'établit nullement qu'elle reconnaîtrait que celle-ci ne viendrait pas aux droits de l'intimée.

La Cour constate au contraire qu'il existe, dans les dossiers qui lui sont déposés par les parties dans cette instance, des éléments suffisamment sérieux pour admettre qu'il existe un lien juridique entre les deux sociétés.

En effet, en 1966 la société Saint Gobain acquiert Wanner et Cie et opère une fusion avec certaines filiales, aboutissant à la création de la société Wanner Isofi Isolation, qui devient ensuite Wanner Isofi puis, Wanner Industrie (voir documents de Madame [S] sous cote 12).

En 1985, Wanner passe sous le contrôle de SGE aujourd'hui Vinci.

Parallèlement, en 1994, la Groupe Kaefer crèe la société EFI qui, après diverses fusions, change de dénomination et devient Kaefer SA en 1999.

En 2001, Kaefer reprend Wanner et devient Kaefer Wanner.

La société Kaefer Wanner, intimée, est donc issue directement de deux « entités », Kaefer d'une part et Wanner d'autre part.

Il convient de rappeler, en effet, que la fusion est l'opération par laquelle deux sociétés au moins se réunissent pour n'en former qu'une seule. La fusion entraîne la dissolution sans liquidation des sociétés qui disparaissent (la ou les sociétés absorbées) et la transmission universelle de leur patrimoine aux sociétés bénéficiaires (la ou les sociétés absorbantes). Ainsi, la transmission universelle du patrimoine de la société absorbée à la société absorbante est indissociable de la dissolution de la société absorbée et ne peut pas se réaliser tant qu'elle n'est pas dissoute.Cette transmission universelle du patrimoine est faite de plein droit, lors des opérations de fusion. La société absorbante se substitue activement et passivement à la société absorbée. Concernant la transmission du passif, la société bénéficiaire continue les engagements souscrits par la ou les sociétés absorbées, elle reprend à son compte les engagements contractuels de la société dissoute et elle devient responsable des dettes de responsabilité civile pesant sur l'absorbée.

La radiation du RCS n'est que la suite juridique d'une fusion absorption.

La société Kaefer Wanner n'a pas fourni la chaîne des contrats de cession ou de fusion intervenus depuis 1898, qu'elle seule peut se faire remettre, et elle n'a pas apporté de preuve contraire aux éléments produits par Madame [S], se contentant de critiquer la valeur juridique des dépliants publicitaires.

Les éléments commerciaux à vocation publicitaires diffusés par la société Kaefer Wanner, tels que versés aux débats, à défaut d'avoir valeur contractuelle au sens strict, ont néanmoins valeur de commencement de preuve quant aux liens que la société elle-même présente pour rattacher son activité actuelle à un passé ancré dans l'histoire industrielle , avec les toutes premières entreprises créées par un certain Wanner en 1898 .

Ainsi, la synthèse des documents versés aux débats, outre l'arrêt de cette Cour d'appel du 22 mai 2012 (dans ce litige, la société Kaefer Wanner disait elle-même venir aux droits de la société Wanner Industrie), permet à la Cour de déclarer établi le lien entre « l'entité Wanner » et les deux sociétés Wanner Isofi Isolation et Wanner Isofi, et de dire que l'intimée, la SAS Kaefer Wanner, vient effectivement aux droits de ces dernières.

En conséquence, la Cour infirme le jugement en ce que la société Kaefer Wanner a été mise hors de cause, et déclare recevable l'action dirigée à son encontre.

*****

Sur l'exposition de M.[S] aux poussières d'amiante

Il n'est pas contesté que M.[S] a travaillé sur le site de Cadarache, d'abord comme salarié (tôlier-calorifugeur) des sociétés Wanner Isofi Isolation - Wanner Isofi, de septembre 1963 au 31 mai 1982, dans le cadre d'une sous-traitance, puis, comme salarié du CEA.(chef d'équipe), du 1er juin 1982 au 30 juin 1992, date de sa mise à la retraite.

La société Kaefer Wanner, dans son subsidiaire, ne conteste pas l'exposition à l'amiante mais dit que c'est à Madame [S] de la démontrer et surtout de dire en quoi elle, société sous-traitante pouvait avoir eu conscience d'un risque, alors que le CEA imposait des règles précises en matière de sécurité, comme en témoignent les fiches de postes établies pour chaque personne travaillant sur le site de Cadarache.

Le CEA conteste l'exposition à l'amiante et considère que les fiches de postes et de nuisances qui visaient à « identifier les potentialités de risque d'exposition afin de définir les moyens de prévention adéquates et afin de permettre au médecin du travail de se prononcer sur l'aptitude du salarié », ne visaient aucun risque d'exposition à l'amiante pour M.[S] ».

Les témoignages versés aux débats confirment que M.[S] a toujours travaillé au contact de l'amiante qu'il utilisait pour calorifuger des tuyaux et des réservoirs de stockage de grands diamètres, que ce soit comme ouvrier ou comme chef d'équipe.

Ainsi, ses collègues de travail dans la même équipe, M.[F] et M.[L], qui ont eu le même parcours que lui, avant et après 1982, ont attesté qu'ils fabricaient, posaient et déposaient des matelas en amiante sur des tuyaux de 40 à 600 mm, sur les réacteurs PAT des bâtiments 201 281, sur les générateurs de vapeur et sur les circuits d'essais SODIUM.

M.[L] a attesté qu'ils ne disposaient d'aucune protection respiratoire.

Lors de l'enquête de la Caisse, M.[J], représentant le CEA, a été entendu et a confirmé que M.[S], même en sa qualité de chef d'équipe, travaillait au contact de l'amiante pour calorifuger les circuits SODIUM.

Quant aux fiches de postes et de nuisances, outre qu'elles ne concernent pas toutes M.[S], et qu'elles sont toutes établies sur le même modèle, que ce soit avant 1982 ou après 1982, elles confirment qu'elles ont été rédigées dans le cadre des activités contrôlées par le CEA .

Elles mentionnent que le port de masques filtrants est occasionnel et pour des opérations dont la durée est rarement égale à 2 heures par jour (voir Recommandations pour la rédaction des fiches de postes et de nuisances, datée d'Avril 1975).

L'efficacité des masques filtrants pour les salariés en contact avec l'amiante plus de 2 heures par jour n'est nullement établie.

Le chiffre 1 y est renseigné (ce qui signifie « exposition potentielle).

La Cour constate que les mêmes fiches de postes prévoyaient l'usage d'appareils respiratoires autonomes, non renseignés, et que la manipulation de laine de verre ou roche ( et non laine de verre ou de roche), est mentionnée avec le chiffre 2 ce qui signifiait « exposition occasionnelle ».

L'amiante est sans doute considérée comme appartenant à la catégorie des roches mais elle n'est pas nommément désignée comme telle alors que, tant Wanner que le CEA , ne pouvaient ignorer de quelle roche il s'agissait.

En conséquence, la Cour constate que l'amiante était effectivement utilisée comme le décrivent les témoins pendant toute la période concernant M.[S], ouvrier ou chef d'équipe, et qu'il a été exposé aux poussières d'amiante et sans aucune protection respiratoire.

Sur la faute inexcusable des sociétés Wanner Isofi Isolation et Wanner Isofi

La société Kaefer Wanner fait valoir que la société Wanner Isofi Isolation n'a commis aucune faute inexcusable car son personnel qui travaillait sur le site de Cadarache était soumis aux mêmes conditions strictes de sécurité que le personnel du CEA, conditions auxquelles elle devait se conformer sans pouvoir les contrôler.

De plus elle fait valoir que le CEA avait instauré un système de fiches de postes de nuisances dès 1963, preuve que le CEA prenait bien en compte le risque « amiante ».

Enfin, elle indique qu'aucune faute inexcusable ne peut être mise à sa charge car elle ne pouvait pas avoir conscience du danger auquel ses salariés étaient exposés puisque rien ne permet d'affirmer que les salariés auraient été exposés à une athmosphère inhalée excédant les seuils posés par le décret du 17 août 1977, puis par le décret du 27 mars 1987, ou le décret du 6 juillet 1992, avant l'interdiction totale posée le 24 septembre 1996.

Elle souligne que Madame [S] ne caractérise pas l'exposition au risque ni l'absence de protection des salariés aux poussières d'amiante durant la vie professionnelle de son mari et que l'existence d'une maladie professionnelle inscrite au tableau 30 ne suffit pas à établir la faute inexcusable de l'employeur.

La Cour rappelle qu'une ordonnance du 3 août 1945 avait déjà créé le tableau 25 des maladies professionnelles pour les cas de fibroses pulmonaires liées à l'inhalation des poussières minérales renfermant de la silice cristalline.

Le tableau 30 créé le 31 août 1950 concernait les affections consécutives à l'inhalation des poussières d'amiante, et au nombre des travaux visés figuraient la fabrication des isolants et le calorifugeage.

Puis un décret du 17 août 1977 a prévu que la concentration journalière de fibres d'amiante inhalées par un salarié ne devait pas dépasser 2 fibres par centimètre cube, que l'employeur devait mettre à la disposition de ses salariés des appareils respiratoires anti-poussières, que les déchets et emballages susceptibles de contenir des fibres d'amiante devaient recevoir un conditionnement spécial et que l'employeur devait assurer l'information des salariés sur les risques encourus.

Ce décret de 1977 renforçait les dispositions déjà existantes relatives aux conditions d'hygiène et de salubrité des lieux de travail (loi du 12 juin 1893 et décret du 10 mars 1894), à la ventilation des locaux avec évacuation des poussières (décrets des 10 juillet 1913 et 13 décembre 1948)

Dans le même temps, des études scientifiques ont été publiées dans la Revue de la Médecine du Travail dès 1906 ([M]) et 1930 (Pr Dhers), études suivies d'autres publications en 1954 (Pr Truhaut), 1956 et 1960 (Doll et Wagner), et 1965 (Pr Turiaf), reprises dans un rapport présenté par le Bureau International du Travail en 1973.

Filiales de [Localité 3], les deux sociétés Wanner Isofi Isolation et Wanner Isofi étaient spécialisées dans l'isolation thermique industrielle et le calorifugage, et fabriquaient également des matériaux contenant de l'amiante dès 1966 et jusqu'en 1987, soit pendant la période concernant M.[S] .

Les éléments historiques figurant dans les dossiers des parties, si elles n'ont en effet pas de valeur juridique dans une procédure judiciaire de recherche d'une faute inexcusable de l'employeur, permettent toutefois de dire que l'entreprise Wanner créée en 1898 a toujours exercé son activité dans le secteur de l'isolation thermique industrielle, qu'à cette époque, le seul matériau présentant toutes les garanties d'efficacité était l'amiante, sous toutes ses formes possibles (tresses, matelas etc...) et qu'au travers des diverses entités commerciales qui se sont créées jusqu'à ce jour, la chaîne des cessions et fusions n'a pas interrompu cette spécificité, qui se retrouve actuellement dans le créneau de l'assainissement et du désamiantage.

Les services médicaux et juridiques du groupe Wanner-Saint Gobain ne pouvaient ignorer ni les textes rappelés plus haut ni les dangers que représentaient les poussières d'amiante pour la santé de ceux qui les manipulaient.

Les témoignages versés aux débats (voir ci-dessus) confirment que M.[S] a toujours travaillé au contact de l'amiante qu'il utilisait pour calorifuger des tuyaux et des réservoirs de stockage de grands diamètres.

Dès lors, il incombait à chacune successivement de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et la santé de ses salariés en tout point de leurs lieux d'intervention, ou de s'assurer que les locaux dans lesquels elle les envoyait étaient conformes aux prescriptions légales et réglementaires ci-dessus.

La Cour constate, en conséquence, que chacune des deux sociétés précitées avait parfaitement conscience du risque qu'elle faisait courir à son salarié, M. [S], que la preuve n'est pas rapportée que des moyens de protection appropriés auraient été mis à sa disposition, ni qu'une information effective sur les risques liés à l'amiante aurait été faite.

L'employeur a manqué à son obligation de sécurité qui est une obligation de résultat.

La faute inexcusable est établie.

Sur la faute inexcusable du Commissariat à l'Energie Atomique

Le CEA établissement public à caractère industriel et commercial créé en 1945 pour intervenir dans le domaine des recherches concernant l'énergie atomique, fait valoir que M.[S] avait effectivement été embauché pour effectuer le calorifugeage et l'installation du STRS et qu'il s'occupait notamment des travaux sur les installations en sodium.

Le CEA rappelle qu'il avait instauré un système de fiches de postes de nuisances dès 1963, preuve que , dès cette période, il prenait bien en compte les risques professionnels et avait rempli son obligation de prévention.

Toutefois, l'acte qui consiste à remplir et renseigner des fiches de postes ne constitue pas un acte de prévention mais un simple élément d'information.

La Cour renvoie le CEA à l'examen réalisé ci-dessus de ces fiches et considère que la prise en considération des nuisances effectives était sous-évaluée, du moins dans le cas de M.[S].

Elles ne sauraient donc venir atténuer la faute du CEA dans la conscience qu'il avait du risque qu'il faisait courir aux personnes affectées à un poste de tuyauteur-calorifugeur, que ce soit comme ouvrier ou comme chef d'équipe dès lors qu'il n'est pas contesté que les conditions de travail étaient les mêmes.

La Cour, reprenant les éléments déjà cités à propos des sociétés Wanner Isofi, considère que le CEA était parfaitement informé des matériaux utilisés pour l'isolation des circuits et réservoirs de ses installations et de leur dangerosité.

Ses services médicaux et juridiques connaissaient parfaitement les textes applicables pendant la période considérée tels que rappelés plus haut.

La Cour constate, en conséquence, que le CEA avait parfaitement conscience du risque qu'il faisait courir à son salarié, M. [S], que la preuve n'est pas rapportée que des moyens de protection appropriés auraient été mis à sa disposition, ni qu'une information effective sur les risques liés à l'amiante aurait été faite.

L'employeur a manqué à son obligation de sécurité qui est une obligation de résultat.

La faute inexcusable est établie.

Sur l'opposabilité des décisions de la Caisse

La Caisse a décidé de reconnaître le caractère professionnel de la maladie le 5 février 2008, puis du décès, le 6 mai 2009.

Le CEA maintient que, dans les deux cas, la Caisse n'a pas respecté le principe du contradictoire et a pris sa décision sans lui laisser un délai suffisant pour formuler ses observations.

La société Kaefer Wanner se rallie à titre subsidiaire à cette critique.

La Caisse conteste ces arguments et demande la réformation partielle du jugement.

A titre préalable, la Cour rappelle que, par application de l'article L 441-11 du code de la sécurité sociale, la Caisse mène son enquête au contradictoire de l'employeur actuel ou du dernier employeur de la victime, soit, dans le cas d'espèce, le CEA, dernier employeur avant le départ à la retraite de M.[S].

Cette stricte application des textes n'interdit pas à la victime ou à ses ayants droit de rechercher la faute inexcusable des employeurs antérieurs, mais ces derniers ne peuvent se prévaloir valablement de l'inopposabilité des décisions prises par l'organisme social au motif que son enquête n'aurait pas été menée à son contradictoire.

Concernant la prise en charge de la maladie, la Cour constate que la lettre de la Caisse annonçant la clôture de l'instruction et la prise de décision pour le 5 février, a été réceptionnée le 24 janvier 2008, que le CEA a demandé copie du dossier le jour-même et que la Caisse a procédé à l'envoi de ce dossier le 5 février 2008.

La Caisse considère qu'elle n'était pas tenue d'envoyer le dossier à l'employeur et qu'elle n'encourt donc aucun reproche.

La Cour constate d'abord que la demande de communication du dossier, si elle est datée du 24 janvier n'a été « diffusée » (voir le document en haut à droite) que le 28 janvier 2008, la date de dépôt de la lettre recommandée étant au surplus illisible.

La Cour considère au surplus que les deux protagonistes sont domiciliés dans le même département (Bouches du Rhône) puisque le CEA dispose d'une adresse à [Localité 4].

Faute d'accord préalable de la Caisse, l'envoi du dossier n'était pas susceptible d'entraîner le report du délai, report que le CEA n'a d'ailleurs pas demandé ni par télécopie ni dans son courrier.

Le CEA ne justifie d'aucune impossibilité de procéder à la consultation du dossier à [Localité 1] dans le délai, qui, étant au surplus de sept jours utiles, était suffisant pour garantir le principe du contradictoire.

Quant au contenu du dossier transmis, le CEA fait valoir qu'il était incomplet et ne permettait pas une information réelle.

Cet argument est sans intérêt puisque la Cour vient de considérer que le CEA devait faire le nécessaire pour se déplacer jusqu'à [Localité 1] et prendre connaissance sur place des pièces du dossier.

Quant aux arguments soutenus par la société Kaefer Wanner dans son subsidiaire, relatifs à l'absence de signature de certains documents, ils ne pourraient être soutenus que par le CEA, dernier employeur de la victime, seul concerné par l'enquête menée par la Caisse.

Or, le CEA n'a pas déclaré se rallier à cette critique, ni par écrit ni oralement le jour de l'audience.

La Cour confirme l'opposabilité de cette décision.

Concernant la décision relative au décès, la Cour constate que la décision a été prise sans que le CEA ait été informé de la date de clôture de l'instruction.

La Caisse fait valoir qu'elle n'était pas tenue de respecter les articles R 441-11 et suivants du code de la sécurité sociale car le décès était présumé imputable à la maladie et qu'elle n'a pas à avertir l'employeur dans le cadre de l'article L 443-1 du code de la sécurité sociale.

La Cour considère que l'article L 443-1 du code de la sécurité sociale n'est pas applicable puisqu'il n'y a pas de rechute, et que la présomption d'un lien entre la maladie et le décès ne peut résulter que de l'examen des éléments médicaux détenus par la Caisse et par elle seule, ce qui n'est pas le cas de l'employeur.

Lorsque la Caisse elle-même annonce qu'elle procède à une instruction sur l'imputabilité du décès à la maladie et « ne manquera pas de (vous) en informer en application de l'article R 441-14 du code », (voir les termes du courrier du 10 mars 2009), cela signifie d'une part que cette imputabilité n'est pas encore établie et que d'autre part elle s'engage elle-même au respect des articles R 441-11 et suivants du code.

Dès lors que la Caisse annonce qu'elle engage une instruction sur une demande de prise en charge du décès comme conséquence de la maladie préalablement admise, elle se doit de respecter les articles R 441-11 et suivants car sa décision est susceptible de faire grief à l'employeur.

En conséquence, la Cour confirme l'inopposabilité de la décision de la Caisse.

La Cour confirme le jugement sur ces deux points.

Sur les demandes d'indemnités présentées par Madame [S]

M.[S] est tombé malade dès 1993 (tumeur urothéliale), et il a subi divers traitements, jusqu'en 2007, époque à laquelle il a eu connaissance de la gravité et du caractère irréversible de sa maladie (cancer du péritoine), alors qu'il était âgé de 75 ans.

Il est décédé deux ans plus tard, après de nombreux traitements longs et douloureux parfaitement décrits par le Tribunal, qui lui ont causé des souffrances physiques et morales et ont considérablement réduit les agréments qu'il pouvait espérer de l'existence après sa retraite.

Le préjudice moral de son épouse qui a vu son mari décliner et souffrir, avant de le perdre au bout de 50 ans de mariage ne peut être contesté.

Le Tribunal avait fixé les indemnités de la manière suivante:

-souffrances physiques et morales: 90000 euros

-préjudice d'agrément: 15000 euros

et pour le préjudice moral de Madame [S], à titre personnel: 35000 euros

Compte tenu de l'âge de la victime et des éléments médicaux du dossier, la Cour considère que les sommes fixées par les premiers juges pour l'indemnisation de ces préjudices sont satisfactoires.

La Cour confirme le jugement déféré et fait droit à la demande d'application de l'article 700 du code de procédure civile comme indiqué au dispositif du présent arrêt.

Sur la garantie de la société Kaefer Wanner

Le CEA a demandé à la Cour de déclarer la société Kaefer Wanner tenue de le garantir de toute condamnation, en faisant valoir qu'il s'agissait de l'ancien employeur de M.[S].

Cette demande est infondée puisque M.[S] a travaillé sur le site du CEA à Cadarache pendant toute la période considérée et que son dernier employeur était bien le CEA.

PAR CES MOTIFS

La Cour statuant en matière de sécurité sociale,

Confirme le jugement duTribunal des Affaires de sécurité sociale des Bouches du Rhône en date du19 juillet 2011 sauf en ce que la société Kaefer Wanner a été mise hors de cause.

Et statuant à nouveau:

Dit que la maladie professionnelle dont était atteint M.[S] et qui a causé son décès est la conséquence, également d'une faute inexcusable commise par la société Wanner Isofi, aux droits de laquelle vient la SAS Kaefer Wanner,

Déclare opposable à la SAS Kaefer Wanner la décision de la Caisse Primaire d'assurance maladie du 5 juillet 2008 de prendre en charge la maladie de M.[S]

Lui déclare inopposable la décision de la Caisse du 6 mai 2009 de prise en charge de son décès,

Dit que la CPAM pourra récupérer également auprès de la société Kaefer Wanner, solidairement avec le CEA, les sommes allouées au titre de la maladie professionnelle de M.[S],

Et y ajoutant:

Condamne in solidum la SAS Kaefer Wanner et le Commissariat à l'Energie Atomique et aux Energies Alternatives à payer à Madame [S] la somme de 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ,

Déboute Madame [S] de ses autres demandes.

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : 14e chambre
Numéro d'arrêt : 11/14651
Date de la décision : 13/03/2013

Références :

Cour d'appel d'Aix-en-Provence 14, arrêt n°11/14651 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2013-03-13;11.14651 ?
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