COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
4e Chambre A
ARRÊT SUR RENVOI DE CASSATION
ARRÊT AU FOND
DU 15 FÉVRIER 2013
N° 2013/ 60
Rôle N° 11/22187
S.C.I. YVHER
C/
[R] [S]
Grosse délivrée
le :
à :
MePhilippe Laurent SIDER
la SCP COHEN-GUEDJ
Arrêt prononcé sur saisine de la Cour suite à l'arrêt rendu par la Cour de Cassation le 08 novembre 2011, n° 1322 F-D qui a cassé et annulé l'arrêt rendu le 18 mai 2010 par la 4èmechambre B de la Cour d'Appel de céans enregistré au répertoire général sous le n° RG 06/03803.
DEMANDEUR SUR RENVOI DE CASSATION
S.C.I. YVHER, [Adresse 7], prise en la personne de son représentant légal en exercice,
représentée par Me Philippe-Laurent SIDER, avocat au barreau D'AIX-EN-PROVENCE aux lieu et place de Me Jean-Michel SIDER, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, lui-même aux lieu et place de
S.C.P. SIDER, avoués au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, ayant la SELARL BRUNEL - CASTELLACCI, avocats au barreau de NICE,
DÉFENDEUR SUR RENVOI DE CASSATION
Maître [R] [S]
né le [Date naissance 1] 1953 à [Localité 8] (ALGERIE), demeurant [Adresse 2]
représenté la S.C.P. COHEN L ET H GUEDJ, avocats au barreau D'AIX-EN-PROVENCE,
ayant la S.C.P. FRANCK-BERLINER-DUTERTRE-LACROUTS, avocats au barreau de NICE,
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 10 janvier 2013 en audience publique et solennelle devant la Cour composée de :
Monsieur Jean-Paul ASTIER, Président
Monsieur Georges TORREGROSA, Conseiller
Madame Sylvaine ARFINENGO, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Marion ASTIE.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 15 février 2013.
ARRÊT
Contradictoire,
Magistrat rédacteur : Monsieur Jean-Paul ASTIER, Président,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 15 février 2013
Signé par Monsieur Georges TORREGROSA, Président, pour Monsieur Jean-Paul ASTIER, président empêché et Monsieur Alain VERNOINE , greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
FAITS ET PROCÉDURE
Par acte du 13 août 1976 la Commune de [Localité 10] a donné des terrains jouxtant ceux de la concession portuaire à bail à construction à la Société fermière du nouveau port de SAINT JEAN CAP FERRAT ; ce bail était consenti pour une durée de trente ans à compter du 1er novembre 1975 pour la construction d'un complexe commercial ; l'acte stipulait qu'au terme de cette période la Commune laisserait aux occupants des locaux la possibilité de continuer d'en jouir en qualité de locataire pendant vingt ans ; par acte de Maître [S], notaire, du 5 avril 1989 la S.C.I. YVHER a acquis le droit de jouissance de deux lots compris dans ce complexe commercial, moyennant le prix de 600.000 francs soit 91.469,41 euros ; celle-ci n'ayant pas justifié de l'occupation de ses lots à l'expiration du bail à construction, la Commune l'a assignée pour voir ordonner son expulsion et fixer l'indemnité d'occupation ; la S.C.I. YVHER a mis en cause Maître [S] pour le voir condamner à la garantir de toutes condamnations et à lui payer des dommages et intérêts ;
Par jugement du 19 mai 2009 le Tribunal de grande instance de NICE a statué ainsi.:
'Ordonne l'expulsion des lieux de la S.C.I. YVHER, ainsi que de tous occupants éventuels de son chef sous astreinte de 150 euros par jour de retard à compter de la signification de la présente décision, des cellules 201 et 202.
Condamne la S.C.I. YVHER au paiement de la somme de 1 500 euros par mois et par cellule à compter du 1er novembre 2005 jusqu'à complète libération des lieux en parfait état d'entretien, à titre d'indemnité d'occupation.
Déboute la S.C.I. YVHER de l'ensemble de ses demandes à l'encontre de Maître [S].
Ordonne l'exécution provisoire de la présente décision nonobstant appel et sans caution.
Condamne la S.C.I. YVHER au paiement respectivement à Maître [S] et à la Commune de [Localité 10] de la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile, ainsi qu'aux entiers dépens distraits au profit de la S.C.P. FRANCK - BERLINER - DUTERTRE' ;
La S.C.I. YVHER ayant relevé appel de cette décision, par arrêt du 18 mai 2010 la Cour d'appel de céans a statué ainsi :
'Confirme le jugement du tribunal de grande instance de Nice du 19 mai 2009 en toutes ses dispositions,
Vu l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la S.C.I. Yvher à payer à la commune de [Localité 10] et à Maître [S] la somme de mille cinq cents euros chacun,
Condamne la S.C.I. Yvher aux dépens qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile' ;
La S.C.I. YVHER ayant formé un pourvoi à l'encontre de cette décision, par arrêt du 8 novembre 2011 la Cour de cassation a statué ainsi :
'Vu l'article 1382 du code civil ;
Attendu que pour rejeter les demandes de la S.C.I. Yvher contre M. [S], notaire, l'arrêt, qui relève, par motifs propres et adoptés, que l'acte du 5 avril 1989 comportait une référence expresse à la durée de la concession portuaire, soit cinquante années à compter du 1er janvier 1972, consentie à la société du Nouveau Port de Saint Jean Cap Ferrat et amodiée au profit de la société Fermière du Nouveau Port de Saint Jean Cap Ferrat, cette dernière étant par ailleurs titulaire du bail à construction portant sur des terrains annexes et que le notaire a ainsi opéré une confusion entre les lots dépendant de bâtiments ayant des régimes juridiques différents, la S.C.I. Yvher étant dite cessionnaire de droits de jouissance pour la durée de la concession et non pour celle du bail à construction, retient que la S.C.I. Yvher ne démontre pas que cette erreur ait été déterminante lors de la conclusion du contrat, ni que, si elle avait été informée de la durée réelle des droits de jouissance qu'elle acquérait, elle n'aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions différentes, et que n'est pas établi un lien de causalité entre la faute invoquée et le préjudice allégué ;
Qu'en statuant ainsi, alors que, par suite de l'erreur du notaire, la S.C.I. Yvher était restée dans l'ignorance de l'existence et des stipulations du bail à construction, n'avait été informée ni de la durée, ni de la consistance des droits qu'elle acquérait, et n'avait pas été ainsi à même de satisfaire à la condition d'occupation effective des lots à la date d'expiration du bail à construction pour pouvoir bénéficier de titres locatifs délivrés par la commune, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a débouté la S.C.I. Yvher de sa demande dirigée contre M. [S], l'arrêt rendu le 18 mai 2010, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ; remet, en conséquence. sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée ...' ;
La S.C.I. YVHER ayant saisi la Cour d'appel de renvoi par déclaration du 23 décembre 2011, au terme de dernières conclusions du 26 décembre 2012 qui sont tenues pour intégralement reprises ici, elle formule les demandes suivantes :
'Vu le bail à construction en date du 13 août 1976 avec effet rétroactif au 1er novembre 1975 entre la Commune de [Localité 10] et la Société FERMIERE DU NOUVEAU PORT DE SAINT JEAN CAP FERRAT,
Vu l'article 1382 du Code civil,
Vu l'arrêt de la Cour de cassation en date du 8 novembre 2011,
Constater que Me [S] a commis une faute engageant sa responsabilité,
Condamner Me [S] à payer à la S.C.I. YVHER la somme de 1.012.503,95 euros au titre du préjudice subi,
Le condamner au paiement de la somme de 7.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, distraits au profit de Me SIDER, avocat à la Cour d'AIX EN PROVENCE' ;
Au terme de dernières conclusions du 21 mai 2012 qui sont tenues pour intégralement reprises ici, Maître [S] formule les demandes suivantes :
'Dire et juger que le manquement d'information retenu contre Maître [S] n'a pas généré de préjudice direct, certain et actuel pour la S.C.I. YVHER.
Dire et juger que les demandes indemnitaires présentées par la S.C.I. YVHER sont sans lien causal avec le défaut d'information de Maître [S], mais uniquement lié au fait qu'à la date du 30 Octobre 2005 la S.C.I. YVHER n'a pu justifier d'aucune exploitation effective des lots ni par elle même, ni par un locataire de son fait.
Constater en tant que de besoin que les indemnités sollicitées ne correspondent à aucun préjudice réel, certain né et actuel, et que l'évaluation ne repose sur aucun élément sérieux.
Déclarer en outre la S.C.I. YVHER irrecevable à faire valoir un préjudice moral.
Débouter la S.C.I. YVHER de ses demandes, ou en tous cas, les réduire à leur juste mesure.
Statuer ce que de droit sur les dépens, ceux d'appel distraits au profit de S.C.P. Hervé COHEN, Laurent COHEN, Paul GUEDJ, Jean-Philippe MONTERO et Maud DAVAL-GUEDJ Avocats associés près la Cour d'Appel d'Aix en Provence qui en ont fait l'avance' ;
L'ordonnance de clôture a été rendue le 10 janvier 2013 avant l'ouverture des débats ;
MOTIFS DE LA DÉCISION
L'acte du 5 avril 1989 stipule que le cédant confère la jouissance des lots 1 et 2 à la S.C.I. YVHER 'pendant une durée égale à celle de la concession' portuaire, soit 'cinquante années à compter du 1er janvier 1972', au lieu d'une durée égale à celle du bail à construction, soit trente années à compter du 1er novembre 1975 ; en opérant ainsi une confusion entre des régimes juridiques différents, Maître [S] a commis une faute, ce qu'il ne conteste d'ailleurs pas ;
Par suite de l'erreur du notaire, la S.C.I. YVHER est restée dans l'ignorance de l'existence et des stipulations du bail à construction, n'a pas été informée de la durée des droits qu'elle acquérait, et n'a pas été à même de satisfaire à la condition d'occupation effective des lots à la date d'expiration du bail à construction pour pouvoir bénéficier de titres locatifs délivrés par la Commune ; il en est résulté pour elle un préjudice dont elle est en droit d'obtenir réparation ;
La réclamation de la S.C.I. YVHER porte sur des frais de procédure, des indemnités d'occupation, une perte de loyers et un préjudice moral ; ce dernier chef de demande sera d'emblée écarté, dès lors qu'il ne s'applique pas à la personne morale elle-même, mais à ses associés ;
S'agissant des frais de procédure, la S.C.I. YVHER fait valoir que la faute de Maître [S] ne lui ayant pas permis de se mettre en conformité avec le bail à construction, elle a dû faire face à des poursuites judiciaires ; or bien qu'ayant été informée dès le mois de septembre 2005 de la fin prochaine du bail, et ne pouvant justifier d'aucune occupation effective des lots à la date d'expiration de ce dernier, sachant dès lors pertinemment qu'elle ne remplissait pas la condition requise pour bénéficier de titres locatifs délivrés par la Commune, la S.C.I. YVHER a choisi de se maintenir dans les lieux, nonobstant une mise en demeure de restituer les locaux du 16 février 2006 ; c'est donc son attitude, et non la faute du notaire, qui est à l'origine de la procédure engagée par la Commune pour voir ordonner son expulsion et fixer l'indemnité d'occupation ; la S.C.I. YVHER sera en conséquence déboutée de sa demande à ce titre en ce qu'elle tend à l'octroi de dommages et intérêts ;
S'agissant des indemnités d'occupation, la S.C.I. YVHER rappelle qu'elle a été condamnée à payer à la Commune 1 500 euros par mois et par lot à compter du 1er novembre 2005, soit une somme totale de 204 000 euros au 30 juin 2011 (cf. le protocole d'accord transactionnel du 19 juillet 2011) ; mais là encore c'est son refus de libérer les lieux, alors qu'elle n'ignorait pas que le bail à construction avait pris fin, et que faute de pouvoir justifier d'une occupation effective des lots à la date d'expiration de ce dernier, elle ne remplissait pas la condition requise pour bénéficier de titres locatifs délivrés par la Commune, et non l'erreur de Maître [S], qui est à l'origine de cette condamnation ; la demande de la S.C.I. YVHER à ce titre sera donc rejetée ;
S'agissant de la perte de loyers, celle-ci soutient qu' 'à compter du 1er novembre 2005 (elle) a été privée de toute ressource du fait de l'absence de loyer versé par ses locataires' ; or il est constant que les lots 1 et 2 n'étaient pas occupés à la date d'expiration du bail à construction, sans quoi la faute du notaire n'aurait eu aucune conséquence ; cette argumentation ne peut donc être retenue ; la S.C.I. YVHER prétend par ailleurs obtenir 'la totalité des loyers jusqu'au 31 octobre 2025' ; or par protocole d'accord transactionnel du 19 juillet 2011 elle a accepté que la Commune consente un droit d'occupation des lots 1 et 2 du 1er juillet 2011 au 31 octobre 2025 'à la S.A.R.L. TIP TOP YACHTING PLAISANCE occupant du chef de la S.C.I. YVHER', et indique dans ses conclusions : 'Les associés de la S.C.I. YVHER et de la S.A.R.L. TIP TOP sont les mêmes ... (Ils) ont opté pour le montage classique S.C.I. et S.A.R.L. d'exploitation dès l'origine' ; le préjudice de la S.C.I. YVHER ne consiste donc que dans la perte d'une chance de satisfaire à la condition d'occupation effective des lots à la date d'expiration du bail à construction, et de bénéficier ainsi de titres locatifs délivrés par la Commune pour la période comprise entre le 30 octobre 2005 et le 1er juillet 2011 ; les pièces du dossier permettent d'en évaluer le montant à 50 000 euros ; le jugement entrepris sera donc réformé dans les rapports entre la S.C.I. YVHER et Maître [S], et ce dernier condamné à payer la somme susvisée à titre de dommages et intérêts ;
La S.C.I. YVHER a engagé des frais irrépétibles dont il serait inéquitable de lui laisser supporter intégralement la charge ; il convient de lui allouer la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Maître [S] qui succombe doit supporter les dépens ;
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Statuant publiquement, contradictoirement, en dernier ressort, par mise à disposition au Greffe,
Réforme le jugement entrepris dans les rapports entre la S.C.I. YVHER et Maître [S], et statuant à nouveau,
Condamne Maître [S] à payer à la S.C.I. YVHER :
- la somme de 50.000 euros à titre de dommages et intérêts ;
- la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Rejette toutes autres demandes ;
Condamne Maître [S] aux dépens, et dit que ceux d'appel pourront être recouvrés directement par Maître SIDER conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile ;
LE GREFFIERLE PRÉSIDENT P/J-P ASTIER , PRÉSIDENT EMPÊCHÉ
A.VERNOINE G. TORREGROSA