COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
11e Chambre A
ARRÊT AU FOND
DU 15 FÉVRIER 2013
N° 2013/ 082
Rôle N° 05/09169
SARL FREMO
C/
SARL CHICANE
[W] [H]
Grosse délivrée
le :
à :
SCP LATIL PENARROYA-LATIL ALLIGIER
Me Bernard KUCHUKIAN
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Grande Instance de MARSEILLE en date du 01 Avril 2005 enregistré au répertoire général sous le n° 01/03021.
APPELANTE
SARL FREMO
dont le siège est situé au [Adresse 3]
représentée par la SCP LATIL PENARROYA-LATIL ALLIGIER, avocats au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, la SCP BARBIER J., BARBIER Y., BARBIER H., avocats au barreau de MARSEILLE
INTIMÉS
SARL CHICANE
dont le siège est situé au [Adresse 8]
représentée par Me Bernard KUCHUKIAN, avocat au barreau de MARSEILLE
Monsieur [W] [H]
né le [Date naissance 1] 1957 à [Localité 7],
demeurant [Adresse 2]
comparant en personne, assisté de Me Bernard KUCHUKIAN, avocat au barreau de MARSEILLE
S.C.I. M3
dont le siège social est : [Adresse 2]'
[Localité 7]
représentée par Me Bernard KUCHUKIAN, avocat au barreau de MARSEILLE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 16 Janvier 2013 en audience publique. Conformément à l'article 785 du Code de Procédure Civile, Monsieur Daniel ISOUARD, Président, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Monsieur Daniel ISOUARD, Président
Monsieur Jean-Claude DJIKNAVORIAN, Conseiller
Madame Sylvie PEREZ, Conseillère
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Jessica FREITAS.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 15 Février 2013
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 15 Février 2013,
Signé par Monsieur Daniel ISOUARD, Président et Sylvaine MENGUY greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
EXPOSÉ DU LITIGE E :
Le 24 mai 2000 la société FREMO a donné en location deux locaux commerciaux situés à [Adresse 8] à la société CHICANE qui les occupait déjà. Puis le 10 et 18 juillet 2000 elle a conclu avec Monsieur [H] qui était également de gérant de la société CHICANE, une promesse de vente synallagmatique de ces locaux pour un prix de 400 000 francs (60 979,61 €).
Ces deux contrats ont donné lieu à un litige et par jugement du 1er avril 2005 le tribunal de grande instance de Marseille, après avoir retenu la validité du bail, a condamné Monsieur [H] à payer à la société FREMO diverses sommes au titre d'indemnité d'occupation et de loyers et a ordonné sous réserve du paiement du prix la vente par la société FREMO à Monsieur [H] des lots visés dans l'acte des 10 et 18 juillet 2000 devant Maître [U], notaire, rejetant la rescision pour lésion des 7/12ièmes.
Le 28 avril 2005 la société FREMO a interjeté appel et par arrêt du 22 novembre 2007, cette cour a définitivement statué sur le différend relatif à l'occupation et à la validité du bail qu'elle a reconnue et retenant une présomption de lésion a désigné un collège de trois experts pour déterminer la valeur de l'immeuble.
Ce collège a déposé son rapport le 4 mars 2009 estimant l'immeuble à la somme de 123 000 euros, valeur qui écartait la lésion des 7/12ièmes.
Par arrêt du 1er juillet 2010 cette Cour a désigné un nouveau collège de trois experts mettant à la charge de la société FREMO le montant de la consignation de la provision sur les honoraires des experts. Celle-ci n'a consigné qu'en partie le complément de provision réclamé par les trois experts qui ont déposé un rapport en l'état de leurs opérations concluant à une valeur de l'immeuble objet de la promesse de vente de 108 000 euros.
La société FREMO sollicite la réouverture des opérations d'expertise reprochant au collège d'experts de ne pas avoir analysé les actes de comparaison fournis et commis les mêmes errements que les experts précédents. À défaut elle demande l'annulation de ce rapport qui ne respecte pas le principe du contradictoire, le collège n'ayant pas établi le pré-rapport contrairement à ce que leur demandait l'arrêt de la Cour afin de recueillir les observations des parties et d'y répondre.
Elle prétend que la valeur du local doit s'apprécier libre de toute occupation en raison des liens existant entre Monsieur [H] et la société CHICANE et que dès lors le prix de vente est lésionnaire. Elle soutient également la nullité de la vente pour vil prix.
Si la vente était reconnue valable, elle demande que sa date soit fixée à celle de cet arrêt et non pas celle du jugement attaqué car celui-ci l'a ordonnée sous réserve du paiement du prix qui n'est pas intervenu.
Monsieur [H] et la société CHICANE concluent à la confirmation du jugement attaqué en ce qu'il a reconnu le principe de la vente en fixant sa date au 1er avril 2005, jour de ce jugement au motif que le versement du prix n'est pas une condition de la validité de la vente. Ils demandent que cet arrêt vaille vente au profit de la société M. 3 qui s'est substituée à Monsieur [H] et sa publication au bureau des hypothèques.
La société M. 3 intervient volontairement à l'instance et réclame la confirmation du principe de la vente et demande que cet arrêt vaille vente à son profit.
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MOTIFS DE LA DÉCISION :
Sur la rescision pour lésion :
L'article 1674 du Code civil énonce : 'Si le vendeur a été lésé de plus de sept douzièmes dans le prix de l'immeuble, il a le droit de demander la rescision de la vente, quand même il aurait expressément renoncé dans le contrat à la faculté de demander cette rescision, et qu'il aurait déclaré donner la plus-value'.
La preuve de la lésion ne peut être admise que par jugement (article 1677 du Code civil) et ne peut se faire que par un rapport de trois experts, qui sont tenus de dresser un seul procès-verbal commun, et de ne former qu'un seul avis (article 1678 du Code civil).
L'article 280 du Code de procédure civile dispose qu'à défaut de consignation complémentaire, l'expert dépose son rapport en l'état et il ressort de l'article 271 du même code qu'alors l'instance est poursuivie sauf à ce qu'il soit tiré toute conséquence de l'abstention ou du refus de consigner.
Le second collège d'experts a demandé le 4 janvier 2012 un complément de provision sur les honoraires et par ordonnances des 18 juin et 19 juillet 2012 le magistrat chargé du contrôle de l'expertise a fixé ce complément à la somme de 11 341,35 euros devant être consigner pour 6 000 euros avant le 30 juillet et pour le solde de 5 341,35 euros avant le 15 septembre 2012. Seule un complément de provision de 2 000 euros a été versé par la société FREMO à qui cette consignation incombait.
En réalité ce collège d'expert avait informé les parties le 30 janvier 2012 que l'avancement de ses travaux à cette date ne permettait pas d'aboutir à une valeur supérieure à celle retenue par le premier collège d'expert (123 000 €).
En ne consignant pas le complément de provision d'expertise, la société FREMO s'est privée de la faculté qui lui était offerte de rapporter la preuve de la lésion et de pouvoir contredire utilement l'estimation effectuée par le premier collège d'experts.
En absence de ce complément de consignation, il ne peut être demandé aux experts de reprendre et de terminer leur mission.
Certes le rapport déposé du second collège d'experts ne présente pas la valeur d'un rapport d'expertise judiciaire puisque les experts qui n'ont pas achevé leur mission, ne fournissent pas les éléments de comparaison sur lesquels ils fondent leur avis et n'ont pas répondu aux dires des parties notamment à celui de la société FREMO.
Ainsi sa demande d'annulation par la société FREMO s'avère sans objet.
Cependant l'avis qu'ils émettent a été formé après deux visites des lieux dont l'une pour procéder à leur relevé métrique et l'examen des pièces versées par les parties. Il constitue un élément sérieux pour apprécier l'existence de la lésion.
Tout d'abord c'est vainement que la société FREMO soutient que la valeur du local doit s'apprécier comme étant libre de toute occupation au motif que la société CHICANE, la locataire, est dirigée par Monsieur [H], l'acheteur et son porteur de parts majoritaires à la date de la vente. En d'effet d'une part malgré leurs liens, ces deux derniers constituent des personnes juridiquement distinctes et d'autre part et surtout un bien s'évalue selon sa situation lors de la vente et non pas d'après les conséquences que celle-ci aura au profit de l'acheteur. Or lors de la promesse de vente les locaux litigieux faisaient l'objet d'un bail commercial qui datait de quelques semaines et les droits que ce type de bail procure à son titulaire créent une baisse de la valeur des locaux qu'il convient de fixer à 30 % pour rapport à celle de locaux libres.
Cela dit la Cour dispose pour rechercher la lésion :
- d'un rapport de Madame [P] établi le 8 février 1999 à la demande la société FREMO aboutissant à une valeur au mètre carré comprise entre 1 044 euros et 1 067,14 euros selon l'exposition alors la promesse de vente aboutit selon les modalités de ce rapport, à un prix de 762,25 euros le mètre carré qui n'excède pas la lésion des 7/12ièmes,
- du rapport du premier collège d'experts judiciaires nommés par l'arrêt du 22 novembre 2007 qui estime la valeur des locaux à la somme de 123 000 euros, ce qui écarte également la lésion des 7/12ièmes,
- de l'avis émis par le second collège d'experts désignés par l'arrêt du 1er juillet 2010 qui évalue les locaux à la somme de 108 000 euros, inférieure à l'estimation précédente et qui elle non plus ne permet pas de retenir la lésion.
Contre ces avis la société FREMO produit une consultation effectuée par Madame [D], expert immobilier, à sa demande. Dans un premier avis du 23 octobre 2012, Madame [D] bien que ne retenant qu'un abattement de 25 % pour occupation commerciale, aboutit à une valeur de 121 000 euros qui ne permet pas de retenir la lésion [prix de vente 60 980 €, seuil de la lésion 50 416 € (121 000 € × 5/12)]. Puis dans un second avis du 12 décembre 2012, modifiant la superficie retenue dont elle avait cependant admis le bien fondé, elle obtient une valeur occupée de 147 000 euros qui permet la rescision pour lésion [seuil de la lésion de 61 250 € (147 000 € × 5/12)].
Il convient de relever la difficulté qu'a rencontré la société FREMO pour avoir un avis d'un expert aboutissant à la lésion des sept douzièmes puisque son propre expert a dû s'y reprendre à deux fois. L'avis de Madame [D] ne peut être retenu. Tout d'abord la décote qu'elle applique pour occupation commerciale (25 %) est trop faible, celle de 30 % retenue par la Cour apparaissant le minimum et dans ce cas là même sa seconde évaluation qui se fonde sur une valeur libre de 203 000 euros n'est pas lésionnaire (valeur occupée 142 000 € seuil de la lésion 59 208 € (142 000 € × 5/12). Ensuite son calcul de la superficie applique des coefficients de pondération dont le sérieux ne peut être retenu.
Les valeurs résultant d'un jugement d'expropriation et des avis d'agents immobiliers ne peuvent servir d'éléments valables car elles concernent la valeur des immeubles à une date éloignée de la promesse de vente après que le quartier ait bénéficié d'une importante rénovation qui a entraîné une hausse de l'immobilier.
En réalité ni les estimations amiables effectuées à la demande de la société FREMO, ni l'expertise du premier collège d'experts judiciaires, ni l'avis du second collège d'experts judiciaires que la société FREMO n'a pas permis d'achever sa mission, n'aboutissent à une valeur de l'immeuble permettant de retenir la lésion des sept douzièmes.
La société FREMO doit être déboutée de sa demande de rescision pour lésion.
Sur le vil prix :
Selon l'article 1582 du Code civil 'la vente est une convention par laquelle l'un s'oblige à livrer une chose, et l'autre à la payer'. Le prix constitue une condition de la vente et il doit être réel. Le vil prix correspond à un prix dérisoire s'approchant de son inexistence.
Un prix faible n'est pas un vil prix et ne permet pas l'annulation de la vente.
La promesse de vente des 10 et 18 juillet 2000 prévoit un prix d'environ la moitié de la valeur des locaux qui en font l'objet, supérieur aux cinq douzièmes de cette valeur. Son prix, s'il apparaît faible, ne peut être qualifié de vil et causer la nullité de cette vente.
Sur la date de la vente :
L'article 1583 du Code civil énonce : 'Elle (la vente) est parfaite entre les parties, et la propriété acquise de droit à l'acheteur à l'égard du vendeur, dès qu'on est convenu de la chose et du prix, quoique la chose n'ait pas encore été livrée ni le prix payé'.
La promesse de vente des 10 et 18 juillet 200 stipule qu'elle devra être réitérée par acte authentique devant notaire au plus tard le 30 septembre 2000 et que le transfert de propriété et de jouissance s'opérera à la date de cet acte.
Compte tenu des dispositions légale et contractuelle, la date d'effet de la vente ne peut être fixée après le 1er avril 2005, date du jugement attaqué, demandée Monsieur [H] et la société CHICANE, et peu importe l'absence de paiement du prix qui ne peut que constituer une cause de résolution de la vente.
Cette vente s'opérera au profit de la société M. 3 que Monsieur [H] s'est substitué comme la promesse de vente le lui permettait et il convient de dire que cet arrêt vaudra vente.
La société FREMO doit être condamnée à payer à Monsieur [H], à la société CHICANE et à la société M. 3 la somme de 1 500 euros à chacun au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
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PAR CES MOTIFS :
Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort ;
Vu le jugement du 1er avril 2005 du tribunal de grande instance de Marseille et les arrêts de cette Cour du 22 novembre 2007 et 1er juillet 2010 ;
Statuant à nouveau sur les points non jugés ;
Déboute la société FREMO de ses demandes en rescision pour lésion et en annulation de la promesse de vente des 10 et 18 juillet 2000 ;
Constate la vente des locaux litigieux à compter du 1er avril 2005 au profit de la société M. 3 substituant Monsieur [H] pour un prix de 60 979, 60 euros ;
Dit que cet arrêt vaut vente ;
Dit que la vente porte sur :
- le lot n° 156 soit un local au rez-de-chaussée avec 107/10 000ièmes,
- le lot n° 170 soit un dépôt magasin avec 40/10 000ièmes,
situés dans un immeuble en copropriété à [Adresse 9], cadastré 801 Belsunce, section I [Cadastre 10] pour 11 ares 25 centiares,
donnant lieu à règlement de copropriété de Maître [K], notaire à [Localité 7] du 31 août 1960, dont une expédition a été publiée au 1er bureau des hypothèques de [Localité 7], le 3 novembre 1960, vol 3078 n° 40,
modifié aux termes de deux actes du même notaire, le 1er mars 1963, publié le 4 avril 1963, vol 3599 n° 22 puis le 19 juillet 1966 publié le 15 novembre 1966, vol 4838 n° 3,
avec dépôt de pièces du procès-verbal d'assemblée générale du 23 avril 1991, fait par le syndic de la copropriété par acte du même notaire du 21 juillet 1993, publié le 9 septembre 1993, vol. 93 P n° 5059,
appartenant à la société FREMO par suite d'acquisition du 24 octobre 1994 par-devant Maître [B] [S], notaire associé à [Localité 7], dont une expédition a été publiée au 1er bureau des hypothèques de [Localité 7], le 7 décembre 1994, vol. 94 P n° 6888 ;
Autorise la publication de cet arrêt au 1er bureau des hypothèques de [Localité 7] ;
Condamne la société FREMO à payer à Monsieur [H], la société CHICANE et la société M. 3 la somme de 1 500 euros à chacun au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Condamne la société FREMO aux dépens et dit qu'ils seront recouvrés conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT