COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
11e Chambre B
ARRET SUR RENVOI DE CASSATION
ARRÊT AU FOND
DU 24 JANVIER 2013
N°2013/40
Rôle N° 12/05711
[M] [Y]
C/
[P] [N]
Grosse délivrée
le :
à : COHEN
MAGNAN
Arrêt en date du 24 Janvier 2013 prononcé sur saisine de la Cour suite à l'arrêt rendu par la Cour de Cassation le 6 mars 2012, qui a cassé et annulé l'arrêt n° 11/100 rendu le 25 février 2011 par la Cour d'Appel d'AIX EN PROVENCE (11°Chambre A).
DEMANDEUR SUR RENVOI DE CASSATION
Monsieur [M] [Y]
né le [Date naissance 1] 1923 à [Localité 6]
de nationalité Française,
demeurant [Adresse 2]
représenté par la SCP COHEN L ET H GUEDJ, avocats au barreau d'AIX-EN-PROVENCE,
plaidant par Me Pierre BELLAIS, avocat au barreau de MARSEILLE
DEFENDERESSE SUR RENVOI DE CASSATION
Madame [P] [N]
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2012/4495 du 25/04/2012 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de AIX-EN-PROVENCE)
née le [Date naissance 3] 1953 à [Localité 9]
de nationalité Française,
demeurant [Adresse 4]
représentée par la SCP PAUL ET JOSEPH MAGNAN, avocats au barreau d'AIX-EN-PROVENCE,
plaidant par Me Nicolas SIMON DE KERGUNIC, avocat au barreau de GRASSE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 785,786 et 910 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 04 Décembre 2012, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame COLENO, présidente, chargée du rapport, qui a fait un rapport oral à l'audience, avant les plaidoiries.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme Catherine COLENO, Présidente
Monsieur Michel JUNILLON, Conseiller
Mme Anne CAMUGLI, Conseiller
Greffier lors des débats : Madame Laure METGE.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 24 Janvier 2013.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 24 Janvier 2013
Signé par Mme Catherine COLENO, Présidente de Chambre et Madame Laure METGE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
Par acte du 1° juillet 2001 M.[Y] a donné à bail à Mme [N] des locaux situés [Adresse 5], dans lesquels celle-ci a installé une galerie de peinture.
Estimant que ce bail était un bail d'habitation à titre exclusif, et que Mme [N] était en infraction avec le clauses du bail, M.[Y] a saisi le tribunal d'instance de Draguignan, d'une demande en résiliation de ce bail.
Par jugement du 2 mars 2010 le tribunal d'instance de Draguignan a jugé que la commune intention des parties était de conclure un bail à usage mixte ou professionnel, a débouté M.[Y] de ses demandes et l'a condamné à payer à Mme [P] [N] la somme de 3.000 euros à titre de dommages et intérêts et 2.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Pour statuer ainsi et interpréter le contrat le premier juge a relevé que le local loué n'était pas équipé de salle d'eau, que les rubriques habitation n'étaient pas renseignées, que la locataire était domiciliée à une autre adresse, que les locaux avaient déjà été antérieurement loués à usage commercial, que le bailleur avait autorisé l'installation d'une vitrine, et qu'enfin celui-ci habitant [Localité 8] était à même de se convaincre de l'utilisation qui avait été faite des lieux.
Par acte du 4 mars 2010 M.[Y] a relevé appel de la décision.
Par arrêt du 25 février 2011 la cour d'appel d'Aix-en-Provence a confirmé la décision sauf en ce qui concerne la condamnation de M. [M] [Y] au paiement de la somme de 3.000 euros à titre de dommages et intérêts et a rejeté cette demande.
Par arrêt du 6 mars 2012 la cour de cassation a cassé cet arrêt au motif que la cour d'appel s'était prononcée sur des conclusions de l'intimée déposées après l'ordonnance de clôture.
M.[Y] a saisi la cour de renvoi par déclaration du 26 mars 2012.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
M.[Y] par conclusions du 16 novembre 2012 auxquelles il est fait expressément référence pour le détail de l'argumentation conclut à l'infirmation de la décision et demande à la cour de résilier le bail en raison du non respect par Mme [N] de la destination des lieux, d'ordonner son expulsion, de fixer l'indemnité d'occupation à 1.000 euros par mois et de condamner Mme [N] à lui payer la somme de 30.000 euros à titre de dommages et intérêts outre 1.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Il soutient que Mme [N] a unilatéralement modifié le contrat en rayant la rubrique habitation principale et en cochant la rubrique profession autorisée artiste peintre, que le décret de 2002 concernant les logements décents n'est pas applicable, et que le locataire a méconnu la destination des lieux.
Mme [N] par conclusions du 16 novembre 2012 demande à la cour de condamner M. [M] [Y] à lui payer:
- 5.000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral
- 2.800 euros pour préjudice financier,
- 6.151,80 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile outre 3.000 euros pour procédure abusive.
Elle expose que la destination résultant du bail écrit est équivoque car l'exemplaire du bailleur n'est pas renseigné alors que celui du preneur comporte un usage professionnel, que l'usage qui a été fait conforte cette destination professionnelle, qu'elle a remis sa carte d'artiste peintre, que les locaux n'étaient pas aménagés pour l'habitation puisqu'ils ne comportaient ni cuisine ni salle d'eau, qu'en 2004 M.[Y] a fait délivrer un commandement visant un bail commercial, que ce n'est qu'en 2009 que M.[Y] a feint de découvrir l'utilisation à usage de galerie,
que le local était antérieurement loué à usage commercial, et n'a pas fait l'objet d'une demande de déspécialisation par le bailleur.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 22 novembre 2012.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la nécessité d'interpréter la convention.
Les deux exemplaires de baux présentés par les parties ont en commun la soumission du contrat aux dispositions de la loi du 6 juillet 1989.
Cette loi s'applique tant aux locaux à usage d'habitation, qu'aux locaux à usage mixte professionnel et d'habitation principale, de sorte que la seule référence à la loi du 6 juillet 1989, n'est pas décisive quant à la destination des locaux.
M. [M] [Y] fait grief à Mme [P] [N] d'avoir rayé la rubrique habitation principale sur l'exemplaire du bail qu'elle détient, et d'avoir ajouté la mention, profession autorisée artiste peintre.
Il est certain que ces mentions ne se retrouvent pas sur l'original produit par M. [M] [Y], mais force est de constater que cet original comporte deux rubriques 'habitation principale' et 'professionnel et habitation principale' dont aucune n'est cochée, ce qui induit que l'utilisation à usage mixte professionnel n'était pas explicitement exclue, et que l'utilisation à usage exclusif d'habitation n'était pas davantage imposée par les stipulations du bail.
Le bail vise en outre la production d'un certificat d'inscription au répertoire national dont la production ne se justifiait pas en matière de bail d'habitation, et Mme [N] est domiciliée à une autre adresse que celle du bail litigieux, si bien qu'il existe même au vu de l'original produit par M.[Y] une incertitude quant à la destination des lieux envisagée par les parties, qui nécessite qu'il soit procédé à l'interprétation de la convention pour rechercher cette commune intention.
A cet égard le premier juge pour qualifier le contrat de bail mixte a utilement retenu les éléments liées à la nature des lieux loués, dépourvus de salle d'eau, et à leur utilisation antérieure, puisqu'il résulte d'une attestation de la mairie de [Localité 8] du 8 octobre 2009, que le local situé [Adresse 5] a toujours été à usage commercial et professionnel depuis 1975.
Cette commune intention se trouve en outre et surtout confortée par les écrits de M. [M] [Y]:
D'un part celui ci a fait délivrer le 14 octobre 2004 un commandement de payer visant l'existence d'un bail commercial. S'agissant d'un acte délivré par son mandataire et sur ses instructions, M. [M] [Y] ne saurait utilement objecter qu'il est étranger aux énonciations qu'il comporte.
Par ailleurs par note manuscrite du 10 septembre 2005 a autorisé Mme [P] [N] à poser une vitrine dans le magasin qu'elle occupe.
Le terme de 'magasin', employé par le bailleur lui même démontre qu'il ne considérait pas le local comme l'habitation de Mme [P] [N] .
Enfin par note écrite du 6 septembre 2006 M.[Y] a autorisé la pose d'un store déroulant. A cette note écrite est joint un croquis qui figure la façade du local, et en particulier le store considéré, sur lequel figure très visiblement la mention 'Atelier De REZ Galerie' ce qui confirme que non seulement l'utilisation des lieux louées était connue du bailleur, mais qu'il avait autorisé des agencements pour en favoriser la signalétique.
Dans ces conditions M. [M] [Y], ne peut soutenir que la commune intention des parties était de conclure un bail à usage exclusif d'habitation, et le premier juge interprétant la convention des parties a considéré à juste que les parties avaient entendu conclure un bail à usage mixte professionnel et d'habitation.
S'agissant d'un bail à usage d'habitation et professionnel, la destination des locaux à usage mixte n'implique pas par elle même l'obligation d'utiliser les lieux loués à chacun des usages prévus dans la convention, si bien que l'utilisation par Mme [P] [N] des locaux pour un usage professionnel, fut il exclusif, ne contrevenait pas à la destination contractuelle des lieux loués.
Dans ces conditions aucune faute à ce titre de la locataire n'étant démontrée, la demande en résiliation du bail présentée par M. [M] [Y] a été à juste titre rejetée et la décision sera confirmée.
M. [M] [Y] fait en second lieu grief à Mme [P] [N] d'avoir transformé les lieux sans l'accord du bailleur.
Il est démontré par les pièces du dossier que Mme [P] [N] a demandé et obtenu l'accord du bailleur pour la pose d'un volet roulant et d'une vitrine . M. [M] [Y] n'identifie pas les autres transformations matérielles qu'il incrimine, ni les travaux de transformation qui auraient été engagés. En conséquence son grief n'est pas fondé et sera rejeté.
Sur les demandes accessoires.
Le rejet de la prétention principale de M.[Y] justifie le rejet de ses prétentions accessoires.
Le tribunal d'instance de Draguignan devant lequel Mme [N] ne bénéficiait pas de l'aide juridictionnelle lui a alloué à juste titre la somme de 2.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ce chef de décision sera confirmée.
Le caractère abusif de la procédure conduit par M. [M] [Y] qui n'a fait qu'exercer les voies de recours prévus par la loi n'est pas démontré, la décision déférée qui alloue à Mme [P] [N] la somme de 3.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive sera infirmée, et les demande de Mme [P] [N] qu'il s'agisse de celle présentée en première instance ou en cause d'appel seront rejetées.
Le pourvoi de M. [M] [Y] ayant été accueilli devant la cour de cassation, les sommes qu'il a perçues au titre de l'article 700 du code de procédure civile ne constitue pas un préjudice qui lui est imputable et peuvent donner lieu à indemnisation au profit de Mme [P] [N] au titre d'un préjudice financier subi par celle-ci.
Les frais du constat établi le 1° juillet 2009 que Mme [P] [N] a fait diligenter pour les besoins de sa défense, constituent des frais irrépétibles exposés dans le cadre de la première instance, dont le coût a nécessairement été pris en considération dans l'arbitrage fait par le premier juge de l'indemnité allouée au titre de l'article 700 code de procédure civile.
Il n'y a donc pas lieu à allocation d'une indemnisation au titre d'un prétendu préjudice financier.
En ce qui concerne son préjudice moral, c'est à juste titre que Mme [P] [N] fait valoir l'incertitude et la précarité dans laquelle elle s'est trouvée à la suite de la mise en cause injustifiée par M. [M] [Y] des conditions de jouissance de son bail.
Il convient de lui accorder à ce titre la somme de 2.000 euros à titre de dommages et intérêts.
Le succès de la prétention de Mme [P] [N] au fond justifie qu'elle soit indemnisée des frais irrépétibles exposés pour l'ensemble de la procédure. Au vu des justificatifs produits, il convient de lui allouer la somme de 6.151,80 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Par application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, M.[Y] sera condamné à payer à Mme [N], bénéficiaire de l'aide juridictionnelle totale, la somme de 2.500 euros.
PAR CES MOTIFS
la Cour statuant contradictoirement
Confirme la décision déférée sauf en ce qu'elle a condamné M.[M] [Y] à payer à Mme [P] [N] la somme de 3.000 euros à titre de dommages et intérêts pour abus de procédure,
statuant à nouveau, rejette cette demande,
y ajoutant,
Déboute M.[Y] de ses demandes,
condamne M.[M] [Y] à payer à Mme [P] [N] la somme de 2.000 euros à titre de dommages et intérêts et la somme de 6.151,80 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
Rejette la demande de Mme [N] au titre du préjudice financier, et sa demande en dommages et intérêts pour procédure abusive,
condamne M.[Y] par application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 à payer à Mme [N] bénéficiaire de l'aide juridictionnelle totale la somme de 2.500 euros,
Condamne M.[Y] aux dépens avec application de l'article 699 du code de procédure civile au bénéfice de la SCP Magnan avocat.
LE GREFFIER LE PRESIDENT