COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
9e Chambre C
ARRÊT AU FOND
DU 21 DECEMBRE 2012
N° 2012/ 1284
Rôle N° 11/03919
[U] [R]
C/
CAF DES BOUCHES DU RHONE
LE PREFET DE REGION P.A.C.A
Agence Régionale de Santé PACA
Grosse délivrée le :
à :
-Me Elsa BARTOLI, avocat au barreau de MARSEILLE
- Me Marie-Josèphe JAULIN, avocat au barreau de MARSEILLE
Copie certifiée conforme délivrée aux parties le :
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MARSEILLE en date du 28 Janvier 2011, enregistré au répertoire général sous le n° 09/4265.
APPELANT
Monsieur [U] [R], demeurant [Adresse 3]
représenté par Me Elsa BARTOLI, avocat au barreau de MARSEILLE substitué par Me Djaouida KIARED, avocat au barreau de MARSEILLE
INTIMES
CAF DES BOUCHES DU RHONE, demeurant [Adresse 7]
représentée par Me Marie-Josèphe JAULIN, avocat au barreau de MARSEILLE
LE PREFET DE REGION P.A.C.A, demeurant [Adresse 2]
non comparant
Agence Régionale de Santé PACA, demeurant [Adresse 1]
non comparante
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 13 Novembre 2012 en audience publique devant la Cour composée de :
Monsieur Louis DABOSVILLE, Président de Chambre
Monsieur Patrick ANDRE, Conseiller qui a rapporté
Madame Catherine VINDREAU, Conseiller
qui en ont délibéré
Greffier lors des débats : Madame Florence ALLEMANN-FAGNI.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 21 Décembre 2012.
ARRÊT
CONTRADICTOIRE,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 21 Décembre 2012.
Signé par Monsieur Patrick ANDRE, Conseiller et Madame Florence ALLEMANN-FAGNI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DU LITIGE
[U] [R] a été embauché par la Caisse d'Allocations Familiales des Bouches-du-Rhône le 1er Février 1973 en qualité d'agent spécialisé ; le 1er Février 2005, à la suite d'une nouvelle réforme de la classification des emplois, [U] [R], qui exerce un emploi d'organisateur dans la filière technique, bénéficiait du niveau 7S, coefficient 350 avec 50 points d'expérience et 83 points de compétence ; [U] [R] a le statut de cadre.
[U] [R], au dernier état de la relation contractuelle de travail, est au coefficient 360 avec toujours 50 points d'expérience mais 99 points de compétence depuis le 1er Janvier 2012 ; son salaire mensuel brut s'élève à 3.712,16 Euros.
Par ailleurs, depuis 1990, [U] [R] exerce des activités syndicales au sein de la CGT et a eu divers mandats de représentant du personnel : délégué du personnel titulaire, membre du comité d'entreprise, suppléant, délégué syndical, membre du CHSCT ; au titre de ses activités, il bénéficie de 85 heures de délégation par mois ; pour le reste de son temps, il fait fonction de permanent syndical.
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[U] [R] a saisi, le 14 Décembre 2009, le Conseil de Prud'hommes de Marseille pour obtenir la condamnation de son employeur à lui verser des dommages et intérêts pour discrimination (300.000 Euros) ; il sollicitait, en outre, l'application des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
Le salarié exposait qu'en raison de ses activités syndicales il avait été victime de discrimination consistant notamment dans les faits qu'il avait été maintenu au niveau 7 depuis 1993, qu'il n'avait obtenu aucun point de compétence depuis 2003 à la différence de salariés appartenant à une autre organisation syndicale et qu'il n'avait pas bénéficié d'entretiens d'évaluation et ce en violation des dispositions conventionnelles de 2004 et aux dispositions de l'accord national de 2008 relatif à l'exercice du droit syndical.
En conséquence, [U] [R] se disait être en droit d'obtenir réparation de son préjudice matériel et moral ainsi que de son préjudice de carrière, eu égard au déroulement entravé de sa carrière, des pertes financières qu'il subirait dans sa retraite et d'un ressentiment de sa mise à l'écart et de défiance de son employeur à son égard.
[U] [R] réclamait, enfin, la fixation des intérêts sur les sommes allouées à compter du jour de la demande en Justice et la capitalisation de ces intérêts.
Pour sa part, la Caisse d'allocations familiales des Bouches-du-Rhône concluait au rejet des demandes de [U] [R] et à sa condamnation au titre des frais irrépétibles.
L'organisme précisait que son salarié s'était vu normalement appliquer les accords de classification, en application desquels il avait été promu au niveau 7 à compter du 1er Janvier 1993 puis au niveau 7S à compter du 1er Février 2005 ; il faisait valoir que les entretiens annuels d'évaluation n'avaient été rendus obligatoires qu'à la suite du protocole d'accord du 30 Novembre 2004 entré en vigueur en Février 2005, que si [U] [R] n'avait pas bénéficié d'un tel entretien en 2005, son cas était celui de l'ensemble des agents de la caisse ; s'agissant du grief quant à l'attribution de points de compétence, la caisse mettait en exergue l'absence de proposition par son chef de service, lui-même membre de la CGT, d'attribution de tels points et d'autre part le fait que [U] [R] n'avait jamais été désigné en qualité de permanent syndical par son organisation ; au surplus, l'employeur soutenait que les comparaisons de [U] [R] entre sa situation et celles d'autres salariés, cadres et syndicalistes, n'étaient pas fondées puisqu'il omettait l'appartenance à des filières différentes, l'exercice de fonctions différentes et les candidatures de certains salariés à des postes vacants permettant des changements de qualification.
Le Conseil de Prud'hommes a rendu sa décision le 28 Janvier 2011 ; les premiers juges ont considéré que [U] [R] ne rapportait pas la preuve d'une discrimination syndicale et l'ont intégralement débouté ; ils ont également rejeté la demande reconventionnelle de la Caisse d'Allocations Familiales des Bouches-du-Rhône.
+++++
Appel régulier a été relevé par [U] [R], par pli recommandé expédié le 1er Mars 2011, la décision ayant été notifiée le 1er Février précédent.
Dans ses écritures déposées et rappelées oralement, [U] [R] conclut à la réformation du jugement entrepris et demande des dommages et intérêts en réparation de son préjudice résultant de la discrimination syndicale pour un montant de 384. 000 Euros ; il maintient que cette discrimination repose sur l' absence d'entretiens d'évaluation, d'attribution de points de compétence et d'évolution professionnelle , ces carences étant mises en évidence par la comparaison de sa situation professionnelle avec celles d'autres salariés.
En réplique, dans ses écritures comme dans ses explications verbales fournies à l'audience, la Caisse d'Allocations Familiales des Bouches-du-Rhône concluent à la confirmation de la décision querellée et au rejet des prétentions de [U] [R] et, à titre infiniment subsidiaire, à la réduction du montant des dommages et intérêts réclamés par l'appelant ; elle précise, lors des débats, renoncer à sa demande ayant trait à l'irrecevabilité de l'appel interjeté par [U] [R].
Pour un plus ample exposé des moyens, arguments et prétentions des parties, il convient de se référer à leurs conclusions écrites qui ont été soutenues oralement à l'audience du 13 Novembre 2012.
MOTIFS DE LA DECISION
Aux termes de l'article L.1132-1 du code du travail, aucun salarié ne peut faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L.3221-3, de mesures de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation en raison de ses activités syndicales; de même, l'article L.2141-5 du code du travail interdit à l'employeur de prendre en considération l'appartenance à un syndicat ou l'exercice d'une activité syndicale pour arrêter ses décisions en matière notamment de conduite et de répartition du travail, d'avancement, de rémunération et d'octroi d'avantages sociaux.
Selon l'article L.1134-1 du code du travail, en cas de litige, le salarié concerné présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte, au vu desquels, il incombe à l'employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, et le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.
En l'espèce, [U] [R] invoque les faits suivants :
- l'absence d'entretiens d'évaluation,
- l'absence d'évolution professionnelle, l'attribution de l'échelon 7 en Février 1993 n'étant que la conséquence de la nouvelle classification des emplois et non d'une décision de le promouvoir, sa situation actuelle que le fruit de la classification mise en place en 2005,
- l'absence d'attribution de nouveaux points de compétence aux motifs allégués par l'employeur que permanent syndical en incapacité de contribuer à l'activité de son secteur, il était impossible de qualifier et d'évaluer son travail.
Pour étayer ses affirmations, l'appelant produit notamment :
- le courrier en date du 6 Mars 2008 adressée à la direction de la Caisse de P. VERDI , directeur du système d'information et responsable hiérarchique de [U] [R] qui parlait d'une stagnation de celui-ci après l'instauration des points de compétence conditionnés par la tenue d'un entretien annuel et résultant de son impossibilité d'évaluer son collègue qui n'était pas en capacité de contribuer à l'activité du secteur et cependant de l'octroi de points à des militants syndicaux sur une dotation spéciale hors quota des secteurs de la Caisse,
- la lettre expédiée par la direction générale à [U] [R] , le 18 Mars 2008 lui indiquant qu'il n'était pas possible de lui attribuer de points de compétence en l'absence de constat de sa contribution au fonctionnement de son service
- les documents comparatifs relatifs à 6 salariés appartenant à une autre organisation syndicale,
- les pièces relatives au protocole d'accord de Février 2008 sur l'exercice du droit syndical imposant un entretien périodique d'évaluation au bénéfice du salarié syndicalement mandaté,
- un tableau de la direction récapitulant les points d'évolution donnés au titre de l'année 2010 à des salariés mandatés,
- les notes de services de Décembre 2005 à Octobre 2010 concernant l'attribution de points de compétence et l'identité des bénéficiaires et les notes de services de 2009 et 2011 relatives à des mesures salariales.
En l'état des explications et des pièces fournies, [U] [R] établit l'existence matérielle de faits pouvant laisser présumer l'existence d'une discrimination à son encontre.
La caisse fait valoir que [U] [R] a été promu conformément aux accords de classification du 14 Mai 1992 et 30 Novembre 2004, que [U] [R] a bénéficié des mêmes possibilités de promotion que les autres salariés, que son organisation syndicale n'a pas demandé de lui attribuer des points de compétence.
La Caisse d'Allocations Familiales des Bouches-du-Rhône produit en particulier :
- les deux protocoles d'accord sus-énoncés, la fiche de classification de [U] [R] au niveau 7 le 1erJanvier 1993, la notification de sa situation au 1er Février 2005 (niveau 7S-coefficient 350 -points d'expérience 50 et de compétence 83), permettant de constater que l'intéressé a été correctement classé,
- les textes relatifs à la promotion d'un salarié faisant ressortir la nécessité d'une candidature à un poste déclaré vacant pour bénéficier d'un avancement,
- les courriers d'organisations syndicales relatifs aux demandes d'attribution de points de compétence à ses représentants, dans lesquels [U] [R] n'était pas mentionné,
- les dispositions du protocole d'accord instaurant un entretien annuel d'évaluation d'accompagnement à partir seulement de Février 2005,
- les documents relatifs à l'évolution de carrière de 6 salariés cités par [U] [R] démontrant leur rattachement à la filière management alors que celui-ci était affecté au secteur technique, les candidatures de certains à des appels de candidatures sur des postes vacants, les diplômes universitaires dont d'autres étaient titulaires,
- la liste des 27 salariés recrutés en 1973 par la caisse faisant apparaître que [U] [R] avait obtenu une classification un niveau supérieur à 25 de ses collègues,
- les fiches de deux cadres de la filière technique faisant ressortir un déroulement de carrière similaire à celui de [U] [R],
- les fiches de deux salariés ,titulaires de mandats de l'organisation syndicale qui serait avantagée, aux dires de [U] [R], établissant un déroulement de carrière moins avantageux que celui de [U] [R],
- les documents utiles démontrant que les syndicalistes CGT n'avaient pas rencontré de difficultés dans leur promotion,
- le protocole d'accord sur l'exercice du droit syndical du 1er Février 2008 conforme aux règles édictées par l'article L.2141-5 du code du travail.
L'employeur démontre que les faits matériellement établis par [U] [R] sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.
C'est avec pertinence que le Conseil de Prud'hommes a considéré qu'il n'y avait pas discrimination, n'étant pas, en effet, établie une réelle différence de traitement comparativement à des salariés placés dans une situation identique exerçant les mêmes fonctions tandis que [U] [R] se comparait à des agents appartenant au syndicat SNFOCOS, relevant d'une filière différente, n'exerçant pas les mêmes fonctions, ayant des niveaux de formations différents lors de leur embauche ou acquis en cours de carrière et ayant pour certains choisi de se porter candidat à des postes vacants ; les premiers juges ont estimé avec raison que des critères objectifs expliquaient les différences mentionnées par [U] [R] et qu'aucun des éléments qu'il invoquait ne venait confirmer la réalité d'une discrimination basée sur des motifs syndicaux.
Le jugement est confirmé à cet égard sur ce point et [U] [R] est débouté de la totalité de ses demandes.
L'équité commande de ne pas appliquer les dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
[U] [R], qui succombe, supporte les dépens.
PAR CES MOTIFS
LA COUR, statuant par décision prononcée par mise à disposition au greffe, contradictoirement et en matière prud'homale
Reçoit l'appel régulier en la forme,
Confirme le jugement entrepris rendu le 28 Janvier 2011 par le Conseil de Prud'hommes de Marseille dans toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Déboute la Caisse d'Allocations Familiales des Bouches-du-Rhône et [U] [R] de leurs demandes respectives formulées au titre des frais irrépétibles,
Condamne [U] [R] aux dépens.
LE GREFFIERPour le Président empéché,
M. ANDRE en ayant délibéré