COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
1re Chambre B
ARRÊT AU FOND
DU 13 DECEMBRE 2012
HF
N° 2012/751
Rôle N° 11/22316
[K] [E]
C/
[H] [U]
SARL GLOBAL PATRIMOINE SYSTEM
Grosse délivrée
le :
à :
Me Jean-marie JAUFFRES
Me Philippe-laurent SIDER
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Grande Instance de NICE en date du 15 Décembre 2011 enregistré au répertoire général sous le n° 09/06896.
APPELANT
Monsieur [K] [E]
né le [Date naissance 2] 1939 à [Localité 8],
demeurant [Adresse 1]
représenté Me Jean-marie JAUFFRES, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, plaidant par Me Christiane COTTO, avocat au barreau de NICE.
INTIMES
Monsieur [H] [U]
né le [Date naissance 3] 1966 à [Localité 9],
demeurant [Adresse 4]
représenté par Me Philippe-laurent SIDER, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, plaidant par Me Jean-François SALPHATI, avocat au barreau de PARIS
SARL GLOBAL PATRIMOINE SYSTEM
dont le siège social est sis [Adresse 4], prise en la personne de son gérant domicilié audit siège social.
représentée par Me Philippe-laurent SIDER, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, plaidant par Me Jean-François SALPHATI, avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 08 Novembre 2012 en audience publique. Conformément à l'article 785 du Code de Procédure Civile, Monsieur François GROSJEAN, Président , a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Monsieur François GROSJEAN, Président
Monsieur Hugues FOURNIER, Conseiller
Mme Danielle DEMONT-PIEROT, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Mme Dominique COSTE.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 06 Décembre 2012 et qu'à cette date le délibéré par mise à disposition au greffe était prorogé au 13 D2CEMBRE 2012.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 13 Décembre 2012,
Signé par Monsieur François GROSJEAN, Président et Mme Dominique COSTE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS
Monsieur [E], retraité et souffrant d'une déficience de vision quasi totale (95 %), décidait, à compter de 2001, de s'en remettre au conseil de monsieur [U], courtier en assurances, pour la gestion de son patrimoine composé jusqu'alors de valeurs mobilières, placées dans un PEA et divers comptes titres en actions.
Il souhaitait en particulier acquérir avec sa mère un appartement dans le but de le louer, moyennant un loyer modeste, à une connaissance de cette dernière, qu'elle désirait avantager.
Pour ce faire, une SCI était constituée entre sa mère et lui, et il souscrivait un prêt in fine d'une durée de huit ans, adossé à un contrat d'assurance-vie d'un montant de 1.000.000 francs, placé en actions.
Il souscrivait par la suite, toujours sur les conseils de monsieur [U], trois autres contrats d'assurance-vie, tous investis en actions, en 2001, 2003, et 2004, pour un montant total de 471.669,95 euros (220.669,95 + 51.000 + 200.000).
Monsieur [U] et une société Global Patrimoine System (dont il était semble-t-il le dirigeant) continueront de conseiller monsieur [E] après la souscription des contrats.
Ce dernier finissait par subir des pertes importantes dues à la dégradation des marchés boursiers, à tel point qu'il ne put rembourser à son échéance de 8 ans le capital de son prêt in fine et fut contraint, pour y pourvoir, de procéder à un rachat anticipé de 70.498 euros sur un autre contrat d'assurance-vie.
Devant l'ampleur des pertes, il faisait réaliser un 'audit', puis assignait le 11 décembre 2009 monsieur [U] et la société Global Patrimoine System (GPS) devant le tribunal de grande instance de Nice en paiement de dommages et intérêts.
Vu son appel le 30 décembre 2001 du jugement prononcé le 15 décembre 2011 l'ayant débouté et condamné aux dépens et au paiement d'une indemnité de 4.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
Vu ses conclusions signifiées le 3 août 2012, et les conclusions notifiées par monsieur [U] et la société GPS le 4 octobre 2012;
Vu la clôture prononcée le 25 octobre 2012;
*
En appel la discussion porte sur la qualité de profane de monsieur [E] en matière de placements boursiers, sur sa vulnérabilité due en particulier à son handicap et l'incidence de cette vulnérabilité sur la connaissance qu'il a eue du risque boursier auquel il souscrivait, sur le manquement de monsieur [U] à son obligation, de s'informer et d'informer, de conseil, à son devoir d'alerte, ou encore à son obligation de gestion prudente, sur un arbitrage opéré en décembre 2006 sans l'accord de monsieur [E] en faveur d'un unique produit 'Best Manager Tonic' particulièrement risqué, sur le préjudice en lien de causalité.
MOTIFS
1) Si le niveau de sa déficience visuelle interdisait à monsieur [E] de prendre utilement connaissance des mentions portées sur les documents contractuels qu'il souscrivait relativement aux risques boursiers encourus, et s'il pesait dans cette mesure sur monsieur [U] une obligation majorée d'information et de conseil, aucune faute ne peut cependant être retenue à son encontre, concernant la souscription initiale des quatre contrats d'assurance-vie, dès lors qu'il n'est ni allégué (même s'il est soutenu, de façon vague et abstraite, que les placements en assurance-vie auraient porté sur des 'supports financiers hautement spéculatifs', ou encore que ces placements auraient été 'très spécifiques') ni justifié que ledits contrats auraient été investis à l'origine sur des supports par nature plus risqués que ceux sur lesquels les précédents placements (PEA et autres comptes titres, notamment à la Caisse d'Epargne et au CCF) de monsieur [E] avaient porté, et dont il avait déjà pu mesurer la réactivité à l'aléa boursier, puisqu'il avait souhaité les réorienter en se tournant vers monsieur [U], et qu'on ne peut faire grief à ce dernier de ne pas avoir conseillé de diversifier les placements et de placer une partie de l'épargne dans des supports sécurisés, alors qu'il ressort du témoignage de madame [S] (dont il n'y a aucunement lieu de douter de la sincérité), qui avait présenté, quand elle exerçait sa profession de clerc de notaire, monsieur [E] à monsieur [U], lequel était à l'époque le 'conseil en gestion de patrimoine de plusieurs de (ses) clients', que le premier s'était plaint devant elle, en 2000, d'avoir subi des 'pertes très importantes' et que son objectif 'affirmé' était de 'retrouver les sommes perdues'.
2) Il ne peut non plus être reproché à monsieur [U] de ne pas avoir alerté monsieur [E] sur la nécessité de modifier les supports au vu des pertes croissantes d'année en année, alors qu'aucune donnée chiffrée n'est fournie sur des pertes avant l'année 2009 (y compris dans le rapport d'audit de monsieur [D]), et qu'il est d'usage chez les professionnels de la bourse de conseiller, dans les époques de moins-value, et dans la mesure du possible, de ne pas fixer les pertes et d'attendre la remontée des cours.
Monsieur [E] ne peut pas faire encore grief à monsieur [U], en ce qui concerne la gestion du troisième contrat 'Fipavie Ingénierie', d'avoir réalisé un arbitrage, sans son accord, au profit d'un seul produit très risqué 'Best Manager Tonic', alors qu'il est justifié qu'il a signé la demande d'arbitrage, que si l'arbitrage a été effectivement demandé au profit d'un seul produit, les placements antérieurs au titre de ce contrat, dont il ne conteste pas à cet égard la pertinence, avaient porté également sur un seul titre, et que la nature spécialement risquée du produit en question n'est pas démontrée, de seules allusions péjoratives sur la rigueur professionnelle de la banque (Oddo) qui le commercialisait étant dépourvues de toute portée.
3) Monsieur [E] reproche également à monsieur [U] de lui avoir conseillé de réaliser son opération immobilière par la souscription d'un prêt in fine adossé à un contrat d'assurance-vie reposant sur des supports non sécurisés, alors, au surplus, qu'il avait largement de quoi la financer sur ses fonds propres.
Monsieur [U] ne réplique pas précisément sur la difficulté soulevée en se bornant à faire valoir que le recours à un prêt in fine répondait aux préoccupations d'ordre fiscal de monsieur [E].
Le reproche de monsieur [E] est fondé.
Il était en effet fautif de la part de monsieur [U], indépendamment du souhait de monsieur [E] de 'se refaire', auquel il a été répondu par ailleurs par la souscription, sur des placements spéculatifs en actions, des trois autres contrats d'assurance-vie, de conseiller de garantir le paiement in fine de la totalité du prêt d'acquisition de l'immeuble par un placement non sécurisé et spéculatif.
S'il avait donné le conseil de garantir ce paiement par un placement sécurisé, il y avait une forte chance que monsieur [E] le suive, sachant qu'un tel montage ne diminuait en rien l'avantage fiscal attendu par ce dernier.
Le préjudice qui en est résulté consiste dans une perte de chance de n'avoir pas été contraint, pour faire face au règlement, à son échéance, du prêt in fine, de procéder à un rachat anticipé, pour un montant de 70.498 euros, sur un autre contrat (Skandia), et de supporter les intérêts de 5,24 % l'an pendant trois ans contractuellement prévus dans ce cas de figure, et doit être fixé, compte tenu de l'ensemble de ces éléments, à la somme de 70.000 euros.
Monsieur [U] et la société GPS doivent en conséquence être condamnés in solidum au paiement de la somme de 70.000 euros avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt conformément aux dispositions de l'article 1153-1 du Code civil.
4) Monsieur [U] et la société GPS supportent in solidum les dépens de première instance et les dépens d'appel.
Il est équitable de les condamner in solidum à payer à monsieur [E] une somme de 4.000 euros sur le fondement en première instance et en appel des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
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Il suit de l'ensemble de ce qui précède que le jugement doit être infirmé en toutes ses dispositions.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Statuant publiquement et contradictoirement, par arrêt mis à disposition au greffe
Infirme le jugement.
Statuant à nouveau,
Condamne in solidum monsieur [U] et la société Global Patrimoine System à payer à monsieur [E] la somme de 70.000 euros avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.
Dit que monsieur [U] et la société Global Patrimoine System supporte les dépens de première instance et les dépens d'appel.
Dit qu'il sera fait application au profit de Me JAUFFRES, avocat, des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.
Condamne in solidum monsieur [U] et la société Global Patrimoine System à payer à monsieur [E] une somme de 4.000 euros sur le fondement en première instance et en appel des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRESIDENT