COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
15e Chambre A
ARRÊT AU FOND
DU 30 NOVEMBRE 2012
N° 2012/566
Rôle N° 11/19532
SA RECORD BANK
C/
[L] [U] épouse [A]
[N] [D] veuve [U]
[V] [U]
Grosse délivrée
le :
à : la SCP Sébastien BADIE Roselyne SIMON-THIBAUD & Sandra JUSTON
la SELARL BOULAN CHERFILS IMPERATORE
Me Elie MUSACCHIA
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Juge de l'exécution du Tribunal de Grande Instance d'AIX-EN-PROVENCE en date du 17 Octobre 2011 enregistré au répertoire général sous le n° 11/3256.
APPELANTE
SA RECORD BANK anciennement AGF BELGIUM BANK SA agissant poursuites et diligences de son représentant légal en exercice y domicilié, demeurant [Adresse 5]
représentée par la SCP BADIE SIMON-THIBAUD JUSTON, avocats au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, plaidant par Me Eric SIMONNET, avocat au barreau de PARIS, substitué par Me VIZIOZ, avocat au barreau de PARIS
INTIMEES
Madame [L] [U] épouse [A]
née le [Date naissance 1] 1947 à [Localité 16], demeurant [Adresse 15]
représentée par la SELARL BOULAN / CHERFILS / IMPERATORE, avocats au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, plaidant par Me François MARCHIANI, avocat au barreau de MARSEILLE
Madame [N] [D] épouse [U]
née le [Date naissance 4] 1925 à [Localité 17] (ITALIE), demeurant [Adresse 6]
représentée par la SELARL BOULAN / CHERFILS / IMPERATORE, avocats au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, plaidant par Me François MARCHIANI, avocat au barreau de MARSEILLE
Madame [V] [U]
née le [Date naissance 7] 1953 à [Localité 16], demeurant [Adresse 3]
représentée par Me Elie MUSACCHIA, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, ayant pour avocat Me Julie SAVI, avocat au barreau de MARSEILLE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 24 Octobre 2012 en audience publique. Conformément à l'article 785 du Code de Procédure Civile, Madame Françoise BEL, Conseiller, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Monsieur Olivier COLENO, Président
Monsieur Christian COUCHET, Conseiller
Madame Françoise BEL, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : M. Alain VERNOINE.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 30 Novembre 2012
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 30 Novembre 2012,
Signé par Monsieur Olivier COLENO, Président et M. Alain VERNOINE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Le 11 décembre 2001, [H] [U], atteinte d'une maladie grave, vendait en viager à son voisin, [C] [P], une maison d'habitation qu'elle possédait à [Localité 10]. Elle décédait le [Date décès 2] 2002.
Elle laissait pour lui succéder son frère [I], lequel décédait le [Date décès 8] 2005 laissant pour recueillir sa succession [N] [D] son épouse et les deux enfants issus de son union avec cette dernière, mesdames [L] et [V] [U].
La SA Record Bank prêtait à [C] [P] par acte notarié du 18 décembre 2006 rectifié le 19 décembre 2006 la somme en principal de 120.000 € remboursable en quarante trimestrialités du 15 décembre 2006 au 5 janvier 2017, prêt garanti par une hypothèque conventionnelle prise sur le bien immobilier appartenant à l'emprunteur et situé à [Localité 10].
Cette hypothèque a été publiée au 1er bureau de la Conservation des hypothèques d'Aix-en-Provence le 22 décembre 2006 volume 2006 V 7308.
Saisi sur assignation à la requête de [N] [D] veuve [U] et de [L] [U], délivrée le 13 septembre 2006 à [C] [P], le tribunal de grande instance de Marseille prononçait l'annulation de la vente entre [H] [U] et [C] [P], décision confirmée par arrêt de la cour d'appel d' Aix-en-Provence du 5 novembre 2009, au motif que le prix, fixé à la somme de 99'091,86 €, payable sans bouquet et sous forme de rente viagère annuelle de seulement 7'317,55 €, n'avait aucun caractère réel et sérieux et que la vente était dépourvue de tout caractère aléatoire, ce qui justifiait son annulation, décision publiée le 4 novembre 2010.
L'assignation en nullité de vente a été publiée le 15 mars 2007 au 1er bureau de la Conservation des hypothèques d'Aix-en-Provence volume 2007 D 5138.
[C] [P] ayant cessé de régler les échéances du prêt, la SA Record Bank a fait délivrer un commandement de payer valant saisie vente en date du 1 er avril 2009 régulièrement publié au 1er bureau de la Conservation des hypothèques d'Aix-en-Provence volume 2009 S 28 le 23 avril 2009 .
Les causes du commandement n'ayant pas été réglées la SA Record Bank a assigné [C] [P] devant le juge de l'exécution par acte du 19 juin 2009, mentionné en marge du commandement le 24 juillet et, par jugement du 21 septembre 2009 le juge de l'exécution a ordonné la vente aux enchères publiques à l'audience du 11 janvier 2010.
A la suite de l'annulation de la vente consentie par [H] [U] à [C] [P], la SA Record Bank a sollicité la caducité et la mainlevée du commandement de payer valant saisie immobilière.
La SA Record Bank a fait délivrer un premier commandement de payer valant valant saisie immobilière signifié les 19 et 21 janvier 2011 à [N] [D] veuve [U], [L] [U] épouse [A] et [V] [U], en leur qualité de tiers détenteurs d'un bien immobilier ayant appartenu à [C] [P] puis a fait délivrer, en raison d'une omission d'annexer les renseignements hypothécaires, un second commandement de payer valant saisie immobilière en date du 24 février 2011 régulièrement publié au 1er bureau de la Conservation des hypothèques d'Aix-en-Provence le 16 mars 2011 volume 2011 S 19 et repris pour ordre le 8 avril 2011 volume 2011 S 33.
[N] [D] veuve [U], [L] [U] épouse [A] et [V] [U] ayant formé opposition à chacun des commandements et la SA Record Bank ayant poursuivi la procédure de saisie immobilière, les instances ont été jointes pour être jugées ensemble à l'audience d'orientation tenue le 19 septembre 2011.
Par jugement du 17 octobre 2011 le juge de l'exécution du tribunal de grande instance d'Aix en Provence a constaté la nullité du commandement valant saisie signifié aux consorts [U] le 24 février 2011 et publié le 8 avril 2011 au motif qu'une erreur commune ne peut être évoquée, et que le droit des consorts [U], préexistant en date à l'inscription d'hypothèque en vertu de l'effet rétroactif de l'annulation, ceux-ci ne pouvaient avoir la qualité de tiers détenteur soumis aux droits de suite, et a ordonné la mainlevée du commandement valant saisie vente du 24 février 2011.
Par déclaration du 16 novembre 2011 la SA Record Bank a interjeté appel du jugement du 17 octobre 2011 et par ordonnance du 25 novembre 2011 a été autorisée à assigner à jour fixe les intimées Mesdames [N] [D] veuve [U], [V] [U], [L] [U] épouse [A] pour le 29 février 2012 .
Vu les dernières conclusions déposées signifiées le 9 février 2012 par Madame [N] [D] veuve [U] et [L] [U] épouse [A] tendant à :
- débouter la SA Record Bank de toutes ses fins et conclusions , les concluantes n'étant ni débitrices, ni tiers détenteurs et leur acquisition de propriété étant antérieure à l'inscription d'hypothèque laquelle ne leur est donc pas opposable, la théorie de l'apparence ne pouvant leur être opposée et du fait qu'elles ne tiennent pas leurs droits du même propriétaire que la SA record Bank
- confirmer le jugement entrepris du 17 octobre 2011 en ce qu'il a constaté la nullité du commandement valant saisie et ordonner en conséquence la nullité dudit commandement
- ordonner qu'il soit fait mention de cette caducité en marge de la copie du commandement publié au bureau des hypothèques
- condamner la SA Record Bank à 15'000 € à titre de dommages intérêts pour procédure abusive en instance et en appel et à 6'000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi que les entiers dépens de première instance et d'appel avec distraction.
Vu les conclusions responsives et récapitulatives déposées et signifiées de 28 février 2012 de Mme [V] [U] tendant à :
- confirmer le jugement rendu le 17 octobre 2011 par le juge de l'exécution,
- reconventionnellement condamner la SA record Bank à lui payer 5'000 € de dommages intérêts pour procédure abusive et 3000 € sur le fondement de l'articles 700 du code de procédure civile
Les intimées soutiennent qu'elles sont propriétaires du bien depuis le décès de leur auteur, par l'effet rétroactif de l'annulation du contrat de vente, et que l'hypothèque est réputée n'avoir jamais existé.
Vu les dernières conclusions déposées signifiées le 28 février 2012 de la SA Record Bank tendant notamment à :
- dire et juger l'appelant bien-fondé et recevable en son appel,
- dire et juger que le commandement de payer valant saisie immobilière signifié le 24 février 2011 est fondé sur un titre valable, en l'espèce l'inscription d'hypothèque conventionnelle publiée le 22 décembre 2006 au profit de la société record Bank et est parfaitement régulier,
- fixer la créance à la somme de 143.633,51 € en principal, frais et intérêts et accessoires, arrêtée provisoirement à la date du 30 septembre 2010
- dans l'hypothèse où la vente forcée serait ordonnée en fixer la date et les modalités
- dans l'hypothèse où la vente amiable serait autorisée, en fixer les modalités
- condamner les intimées à 3000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens avec application de l'article 699 du code de procédure civile.
La banque fait valoir l'erreur légitime constituée par l'ignorance de l'existence d'une assignation en annulation de l'acte de vente, la publication de l'assignation étant postérieure à la publication de la constitution de l'hypothèque conventionnelle, ce qui justifie la persistance de son droit d'hypothèque malgré l'annulation du titre du constituant, et la mise en oeuvre de son droit de suite sur l'immeuble en quelques mains qu'il passe.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la nullité du commandement valant saisie immobilière du 24 février 2011 :
Les dispositions de l'article 30 1. alinéa 4 du décret du 4 janvier 1955 sont sans application en l'espèce à défaut de l'une des quatre conditions de leur application puisque les droits concurrents sur le même immeuble n'ont pas été acquis d'un même auteur par les deux parties qui s'opposent. Le fait que l'annulation ait été obtenue d'une instance contre M. [P] ne confère pas celui-ci la qualité d'auteur des droits des consorts [U].
C'est à bon droit que le premier juge a rappelé que si l'annulation du titre de propriété de [C] [P] opère anéantissement rétroactif, ce qui implique, par application de l'article 2413 du Code civil (2124 ancien), anéantissement de l'hypothèque conventionnelle qu'il avait consentie alors qu'il n'avait dès lors pas la capacité d'aliéner l'immeuble qu'il y soumettait, en revanche la nullité du titre du propriétaire apparent est sans influence sur la validité de la constitution d'hypothèque par lui consentie dès lors que la cause de la nullité serait demeurée et devait nécessairement être ignorée de tous, le tiers de bonne foi agissant sous l'empire de l'erreur commune tenant alors ses droits non pas du propriétaire apparent ni du propriétaire véritable mais par l'effet de la loi.
À cet égard, le banquier qui est tenu de faire la preuve de l'erreur légitime dont il prétend se prévaloir, se borne à invoquer outre l'intervention du notaire pour l'établissement de l'acte constitutif hypothèque, du seul défaut de publication, alors et y compris lors de l'inscription de l'hypothèque, de l'assignation en annulation de la vente.
C'est par une exacte application de la loi et une juste appréciation des faits que le premier juge a retenu qu'il ne faisait pas ainsi la preuve de l'existence d'une erreur légitime, alors d'une part que l'acte de prêt du 19 décembre 2006 contenant affectation hypothécaire décrit le titre de M.[P] comme résultant d'une acquisition en viager du 11 décembre 2001 suivi du décès le [Date décès 2] 2002 de la crédit rentière, deux mois après seulement, d'autre part qu'il est constant que, ce même 19 décembre 2006, l'emprunteur avait d'ores et déjà reçu assignation en annulation de vente depuis le 13 septembre 2006, ce qui ne permet pas de retenir que le banquier, qui ne prétend pas avoir seulement interrogé l'emprunteur sur les conditions d'acquisition de l'immeuble et l'absence de contestation de son titre, aurait procédé au minimum de vérification sur la qualité des droits qu'il acquérait.
À cet égard et en sa qualité de professionnel du crédit, il n'est pas recevable à prétendre s'abriter derrière les charges, de vérification notamment, qui incombent à l'officier ministériel rédacteur de l'acte.
Il s'ensuit que le titre en vertu duquel le banquier prétend agir est inexistant, et que, sans qu'il soit besoin de répondre aux autres moyens, le jugement est confirmé en toutes ses dispositions.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
Vu l'article 700 du code de procédure civile,
Rejette la demande de Mesdames [N] [D] veuve [U] ,[L] [U] épouse [A] et de [V] [U],
Rejette la demande de la société Record Bank,
Condamne la société Record Bank aux entiers dépens , ceux d'appel recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
LE GREFFIER, LE PRESIDENT,