COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
9e Chambre C
ARRÊT AU FOND
DU 09 NOVEMBRE 2012
N°2012/ 1183
Rôle N° 11/13384
RTM
C/
[T] [L]
Grosse délivrée le :
à :
-Me Béatrice DUPUY, avocat au barreau de MARSEILLE
- Me Roger VIGNAUD, avocat au barreau de MARSEILLE
Copie certifiée conforme délivrée aux parties le :
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MARSEILLE en date du 28 Juin 2011, enregistré au répertoire général sous le n° 10/1281.
APPELANTE
RTM, demeurant [Adresse 1]
représentée par Me Béatrice DUPUY, avocat au barreau de MARSEILLE
INTIME
Monsieur [T] [L], demeurant [Adresse 2]
représenté par Me Roger VIGNAUD, avocat au barreau de MARSEILLE substitué par Me Géraldine CHIAIA, avocat au barreau de MARSEILLE
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COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 25 Septembre 2012, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Patrick ANDRE, Conseiller, chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Monsieur Christian BAUJAULT, Président de Chambre
Monsieur Patrick ANDRE, Conseiller
Madame Catherine VINDREAU, Conseiller
Greffier lors des débats : Madame Florence ALLEMANN-FAGNI.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 09 Novembre 2012
ARRÊT
CONTRADICTOIRE,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 09 Novembre 2012
Signé par Madame Catherine VINDREAU, Conseiller et Madame Florence ALLEMANN-FAGNI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DU LITIGE
La Régie des Transports de Marseille (RTM), après avoir embauché [T] [L] à compter du 18 Juin 2003 en qualité de conducteur receveur par contrat à durée déterminée dont le terme était fixé au 31 Août 2003 pour remplacer un salarié absent, a conclu avec lui, le 5 Janvier 2004, un contrat à durée indéterminée, à temps plein et soumis à la convention collective nationale des réseaux de transports publics urbains de voyageurs.
[T] [L] bénéficiait d'une autorisation d'absence pour suivre une formation CAP Froid et Climatisation dispensée du 28 Septembre 2009 au 25 Juin 2010 par l'organisme de formation GRETA, dans le cadre d'un congé individuel de formation mis en place par le Fonds de Gestion du Congé Individuel de Formation - FONGECIF; durant cette période, l'agent restait rémunéré par la RTM.
Par courrier du 10 Janvier 2010, [T] [L] mettait fin à sa formation, invoquant des problèmes de santé.
Le centre GRETA Marseille- ville avisait la RTM par lettres des 12 Janvier et 9 Mars 2010 que [T] [L] avait bénéficié d' arrêts de travail maladie justifiés du 23 au 28 Novembre 2009 et du 30 Novembre au 4 Décembre 2009, qu'il n'avait été présent sur son lieu de formation que les lundi 7 (toute la journée) et mardi 8 Décembre 2009 (en mâtinée), qu'il avait été absent depuis lors jusqu' au 18 Décembre 2009, date de fermeture du centre et qu'il avait fait parvenir sa démission de la formation par télécopie du 12 Janvier 2010, la reprise des cours étant intervenue le 4 Janvier 2010.
Après avoir mis par écrit [T] [L] en demeure de donner des explications sur ses absences, affirmant d'avoir reçu aucun justificatif de sa part et faisant suite au rapport rédigé le 11 Mars 2010 par la direction des ressources humaines de l'entreprise demandant une sanction disciplinaire sévère, la RTM, qui envisageait la rupture de la relation de travail, convoquait par pli recommandé du 12 Mars 2010 [T] [L] devant le chef de service chargé de l'instruction des conseils de discipline (2 Avril 2010), pour un entretien préalable fixé au 7 Avril 2010 et devant le conseil de discipline programmé le 9 Avril 2010 ; à la suite du rapport du chargé de l'instruction, à l'issue des rencontres et après réception des avis émis par le conseil de discipline, l'employeur notifiait à [T] [L], par lettre en date du 14 Avril 2010, son licenciement pour faute grave, lui reprochant des absences injustifiées remontant aux 12,13 et 19 Novembre et à la période comprise entre le 8 Décembre 2009 et le 4 Janvier 2010.
La rémunération mensuelle brute de base de [T] [L], qui occupait, au moment de la rupture du contrat de travail, un emploi d'agent de mission réservée, s'élevait à 1.668,20 Euros.
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[T] [L] saisissait, le 22 Avril 2010, le Conseil de Prud'hommes de Marseille pour obtenir la condamnation de son employeur à lui payer de dommages et intérêts pour licenciement abusif et vexatoire.
Dans ses conclusions ultérieures, il exposait n'avoir commis aucune faute dans la mesure où il avait bénéficié d'arrêts de travail préconisés par le médecin du 23 Novembre 2009 au 3 Janvier 2010 et qu'il n'avait pas été absent les 12,13 et 18 Novembre 2009 ; il faisait valoir en tout état de cause que les faits reprochés étaient prescrits puisque remontant à plus de 2 mois avant l'engagement de la procédure et que le paiement des indemnités de préavis et de licenciement par l'employeur confirmait l'absence de toute faute ; il soutenait enfin que la décision de licenciement était excessive en raison de ses états de service, de son ancienneté et de l'absence d'antécédents disciplinaires.
[T] [L] y précisait la nature et le montant de ses demandes, à savoir :
- un rappel de salaire sur retenues indues : 90,82 Euros,
- les congés payés afférents à ce rappel : 9,08 Euros,
- des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 40.000 Euros.
Il sollicitait, en outre, la fixation des intérêts sur les sommes allouées à compter du jour de la demande en Justice, la capitalisation de ces intérêts, la délivrance, sous astreinte de 50 Euros par jour de retard à partir de la notification du jugement, d'une attestation Pôle Emploi, d'un certificat de travail, d'un bulletin de salaire et d'un reçu pour solde de tout compte rectifiés et conformes à la décision à intervenir; il chiffrait à 2.500 Euros le montant de ses prétentions en application des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
Pour sa part, expliquant que les faits reprochés étaient réels et graves et qu'ils n'étaient pas prescrits, la Régie des Transports de Marseille concluait au rejet des demandes de [T] [L] ; subsidiairement, elle indiquait que les absences injustifiées constituaient pour le moins une cause réelle et sérieuse de licenciement.
La juridiction prud'homale a rendu sa décision le 28 Juin 2011 ; les premiers juges, considérant le licenciement opéré comme étant sans cause réelle et sérieuse, ont condamné la Régie des Transports de Marseille à payer à [T] [L] les sommes suivantes :
- dommages et intérêts pour licenciement abusif : 22.248 Euros,
- application des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile : 1.000 Euros.
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La Régie des Transports de Marseille a, par pli recommandé expédié le 20 Juillet 2011, régulièrement relevé appel du jugement rendu par le Conseil de Prud'hommes de Marseille.
Dans ses écritures déposées le 25 Septembre 2012 et reprises oralement, l'appelante conclut à la réformation du jugement entrepris, au caractère légitime du licenciement pour faute grave fondé sur des faits établis, réels et non prescrits, à titre subsidiaire à l'existence d'une cause réelle et sérieuse de rupture et en toute hypothèse au rejet des demandes de [T] [L], qui a perçu au moment de la rupture du contrat de travail le paiement d'une indemnité de préavis et d'une indemnité de licenciement.
En réplique, dans ses écritures déposées le 17 Juillet 2012 et dans ses explications verbales fournies lors des débats, [T] [L] conclut à la réformation de la décision déférée et reprenant pour l'essentiel les moyens, arguments et conclusions de première instance forme des demandes identiques à celles présentées devant le Conseil de Prud'hommes à l'exception de la délivrance sous astreinte des documents sociaux de rupture qu'il renonce à réclamer en appel.
Pour un plus ample exposé des moyens, arguments et prétentions des parties, il convient de se référer à leurs conclusions écrites qui ont été soutenues oralement à l'audience du 25 Septembre 2012.
MOTIFS DE LA DECISION
Le contrat de travail de [T] [L] a été suspendu lors de la formation du salarié mais cette suspension temporaire ne générait que la dispense d'exécuter une prestation de travail pour le compte de l'employeur ; il restait rémunéré par son employeur et ne bénéficiait que d'une autorisation d'absence pour suivre la formation envisagée ; il était stipulé dans l'autorisation donnée par la Régie des Transports de Marseille que [T] [L] avait des obligations envers la régie et devait notamment réintégrer l'entreprise durant les périodes d'interruption de la formation et fournir les attestations de présence mensuelle ; en outre, de manière plus générale, l'obligation de loyauté s'imposait toujours à [T] [L] qui ne pouvait commettre des agissements fautifs contraires aux intérêts de la RTM.
[T] [L] restait donc soumis à l'autorité de son employeur qui pouvait sanctionner un comportement fautif déloyal.
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Concernant la prescription des faits reprochés à [T] [L], il ressort des pièces communiquées par les parties que la Régie des Transports de Marseille a eu connaissance des premières absences de son salarié par l'envoi d'un courrier du GRETA en date 11 Novembre 2009 qui ne fournissait que des informations laconiques ;
le 12 Janvier 2010, le GRETA portait pour la première fois à la connaissance de l'employeur de manière précise les absences de son agent les jeudi 12, vendredi 13 et vendredi 19 Novembre 2009 et ce dans un courrier explicatif auquel était jointe l'attestation de présence établie par l'organisme de formation pour le mois de Novembre 2009 ; ce courrier du 12 Janvier 2010 précisait également les dates d'absences de [T] [L] au cours du mois de Décembre 2009 dans une attestation datée elle-aussi du 12 Janvier 2010 relative au mois de Décembre 2009, à savoir entre le lundi 8 et le vendredi 18 Décembre 2009 : l'employeur mettait alors en demeure son salarié de s'expliquer par lettre recommandée du 16 Février 2010; aucune réponse n'était donnée par celui-ci ; par une seconde lettre du 9 Mars 2010, le GRETA détaillait les dates d'absence, de présence et d'arrêts de travail maladie de [T] [L] de Novembre 2009 à Janvier 2010.
La Régie des Transports de Marseille a engagé la procédure de licenciement en convoquant [T] [L] par lettre recommandée expédiée le 12 Mars 2010 ainsi que l'atteste l'avis d'envoi en recommandé n°1A 033 578 4779 3.
La Cour rappelle que :
- l'article 641 du Code de Procédure Civile stipule que lorsqu'un délai est exprimé en mois, ce délai expire le jour du dernier mois qui porte le même quantième que le jour de la notification qui fait courir le délai,
- le délai de deux mois imparti à l'employeur en matière disciplinaire ne court que lorsque l'employeur a eu connaissance de la réalité, de la nature et de l'ampleur des faits reprochés au salarié.
Ainsi, les absences reprochées à [T] [L] n'étaient pas prescrites lors de l'engagement des poursuites (12 Mars 2010) par la Régie des Transports de Marseille, qui n'a été avisée sérieusement et pour partie des absences du salarié en toute hypothèse que le 12 Janvier 2010.
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Dans la lettre de rupture du 14 Avril 2010 adressée à [T] [L] et qui fixe les limites du litige, la Régie des Transports de Marseille faisait les reproches suivants : 'des absences injustifiées les 12,13 et 19 Novembre 2009 et du 8 Décembre 2009 au 3 Janvier 2010 ' que l'employeur considérait comme des fautes graves.
S'agissant des absences des 12, 13 et 19 Novembre 2009, la RTM, qui a la charge d'établir la preuve des faits reprochés, justifie ce grief par l'attestation de présence émanant du centre de formation concernant [T] [L] durant le mois de Novembre 2009, document où ne figurent pas les émargements de l'intéressé à ces trois dates et sont inscrites, par contre, les mentions 'absent '; aucun élément ne permet de donner crédit aux dires du salarié qui prétend avoir été présent lors de ces trois journées alors que l'employeur a produit un procès-verbal de déclarations faites par [T] [L], le 2 Avril 2010, au cours de l'instruction de son dossier et que celui -ci a signé en écrivant 'lu et approuvé' selon lequel il a indiqué : 'je reconnais qu'en ce qui concerne mes absences des 12 , 13 et 19 Novembre 2009, je n'ai pu fournir les justificatifs du fait que je me trouvais, à ce moment là dans une situation difficile'; en raison du défaut de pièces justifiant les absences et d'un abandon de formation sans motif et sans information de l'employeur, le grief est établi.
S'agissant de l'absence de [T] [L] entre le 8 le 18 Décembre 2009, [T] [L] produit une copie d'avis initial d'arrêt de travail du 8 Décembre 2009 prescrivant un arrêt jusqu'au 18 Décembre 2009 ; cette copie avait été communiquée lors de l'enquête d' Avril 2010 par [T] [L] qui avait alors affirmé avoir fait le nécessaire auprès des organismes compétents ; force est de relever que l'organisme de formation n'a jamais fait parvenir ce document à l'employeur dans l'hypothèse où [T] [L] lui aurait procurer l'arrêt, ainsi que le démontrent les correspondances du GRETA de Mars 2010; en outre, le salarié est resté très évasif sur l'identité des 'organismes compétents' ayant été destinataires de l'avis d'arrêt de travail ; [T] [L], soumis à l'obligation d'informer mensuellement son employeur de sa présence au centre de formation, a commis, en laissant la régie dans l'ignorance de sa situation personnelle, un agissement fautif caractéristique d'une absence injustifiée au moment des faits et constitutif pour le moins d'une cause réelle et sérieuse de rupture du contrat de travail.
S'agissant de son absence entre le 18 Décembre 2009 et le 3 Janvier 2010, période de fermeture du centre de formation, [T] [L] ne la conteste pas ; cependant il a soutenu qu'il pensait se trouver en période de vacances scolaires ;
or, il avait connaissance dans l'autorisation d'absence donnée par la régie, document qui lui avait été remis, que pendant les périodes d'interruption de sa formation, il ne relevait plus de l'organisme et devait convenir avec son employeur de l'organisation de cette période d'interruption : réintégration dans l'entreprise pour travailler ou prise de congés payés acquis ; aucune démarche n'a été entreprise par [T] [L] pour informer l'employeur de l'interruption de sa formation et prendre en commun une décision pour la période concernée à venir ; la Régie des Transports de Marseille n'a jamais autorisé [T] [L] à prendre des congés payés ; le grief est établi.
La formation entreprise était coûteuse et restait à la charge de l'employeur en cas de défaillance de son salarié.
L'accumulation d'agissements fautifs par [T] [L] a constitué une faute grave rendant impossible le maintien du salarié dans l'entreprise ; le paiement d'une indemnité de préavis par la Régie des Transports de Marseille à [T] [L], dispensé de l'exécuter par l'employeur, n'implique pas que ce dernier ait renoncé à se prévaloir de la faute grave.
Dans ces conditions, était justifié le licenciement de [T] [L] qui reposait sur des griefs établis pouvant être qualifiés de faute grave.
Il convient d'infirmer le jugement déféré sur ce point et de rejeter les demandes en dommages et intérêts présentées par [T] [L] au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse.
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Fort légitimement, la Régie des Transports de Marseille a procédé en Mai 2010 a une retenue sur salaire pour les absences injustifiées de [T] [L] et donc non rémunérées du mois de Décembre 2009 ; [T] [L] doit être débouté de sa demande de rappel de salaire et des congés payés y afférents.
Sur ce point, le jugement querellé sera confirmé.
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Ne sera maintenue la somme allouée à [T] [L] par les premiers juges pour les frais irrépétibles de première instance ; l'équité en la cause commande de débouter [T] [L] de sa demande en appel fondée sur les dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
[T] [L], qui succombe, supportera tous les dépens.
PAR CES MOTIFS
LA COUR, statuant par décision prononcée par mise à disposition au greffe, contradictoirement et en matière prud'homale,
Reçoit l'appel régulier en la forme,
Réforme le jugement déféré rendu le 28 Juin 2011 par le Conseil de Prud'hommes de Marseille en ce qu'il a condamné la Régie des Transports de Marseille :
- à payer à [T] [L] les sommes suivantes:
- dommages et intérêts pour licenciement abusif : 22.248 Euros ,
- application des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile : 1.000 Euros,
- supporter les dépens,
Statuant à nouveau,
Dit que le licenciement de [T] [L], opéré par la Régie des Transports de Marseille, reposait sur une faute grave du salarié,
Déboute [T] [L] de toutes ses demandes de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
Confirme pour le surplus la décision entreprise,
Y ajoutant,
Déboute [T] [L] de sa demande formulée au titre des frais irrépétibles,
Condamne [T] [L] aux dépens de première instance et d'appel.
LE GREFFIERPour le président empéché
Mme VINDREAU en ayant délibéré