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18/10/2012 | FRANCE | N°12/10149

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 9e chambre a, 18 octobre 2012, 12/10149


COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE

9e Chambre A



ARRÊT AU FOND

DU 18 OCTOBRE 2012



N° 2012/688













Rôle N° 12/10149





[G] [X]





C/



[T] [K]

CGEA IDF OUEST

CGEA AGS DE MARSEILLE

Syndicat UNION LOCALE DES SYNDICATS CGT DE LA CIOTTAT

















Grosse délivrée

le :

à :

Me Cyril MICHEL, avocat au barreau de MARSEILLE



Me Benoît HOV

ASSE, avocat au barreau de PARIS



Me Michel FRUCTUS, avocat au barreau de MARSEILLE,



Me Arnaud CLERC, avocat au barreau de PARIS,



Me Coralie FRANC, avocat au barreau de PARIS





Copie certifiée conforme délivrée aux parties le :





Décision déférée à la Cour :



Jugem...

COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE

9e Chambre A

ARRÊT AU FOND

DU 18 OCTOBRE 2012

N° 2012/688

Rôle N° 12/10149

[G] [X]

C/

[T] [K]

CGEA IDF OUEST

CGEA AGS DE MARSEILLE

Syndicat UNION LOCALE DES SYNDICATS CGT DE LA CIOTTAT

Grosse délivrée

le :

à :

Me Cyril MICHEL, avocat au barreau de MARSEILLE

Me Benoît HOVASSE, avocat au barreau de PARIS

Me Michel FRUCTUS, avocat au barreau de MARSEILLE,

Me Arnaud CLERC, avocat au barreau de PARIS,

Me Coralie FRANC, avocat au barreau de PARIS

Copie certifiée conforme délivrée aux parties le :

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MARSEILLE en date du 15 Décembre 2011.

APPELANT

Monsieur [G] [X], demeurant [Adresse 5]

représenté par Me Cyril MICHEL, avocat au barreau de MARSEILLE

INTIMES

SELAFA MJA prise en la personne de Maître [T] [K], mandataire liquidateur de la société NORMED, demeurant [Adresse 2]

représenté par Me Benoît HOVASSE, avocat au barreau de PARIS

CGEA IDF OUEST, demeurant [Adresse 4]

représenté par Me Michel FRUCTUS, avocat au barreau de MARSEILLE, Me Arnaud CLERC, avocat au barreau de PARIS, Me Coralie FRANC, avocat au barreau de PARIS

CGEA AGS DE MARSEILLE, demeurant [Adresse 1]

représenté par Me Michel FRUCTUS, avocat au barreau de MARSEILLE, Me Arnaud CLERC, avocat au barreau de PARIS, Me Coralie FRANC, avocat au barreau de PARIS

Syndicat UNION LOCALE DES SYNDICATS CGT DE LA CIOTTAT, demeurant [Adresse 3]

représentée par Me Cyril MICHEL, avocat au barreau de MARSEILLE

PARTIE(S) INTERVENANTE(S)

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 14 Juin 2012 en audience publique devant la Cour composée de :

Monsieur Michel VANNIER, Président de chambre

Monsieur Christian BAUJAULT, Président de Chambre

Madame Bernadette BERTHON, Président de chambre

conformément à l'ordonnance du 6 mars 2012 de Madame le Premier Président de la Cour d'Appel d'Aix-en-Provence

qui en ont délibéré

Greffier lors des débats : Mme Nadège LAVIGNASSE.

Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 18 Octobre 2012.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 18 Octobre 2012.

Signé par Monsieur Michel VANNIER, Président et Mme Nadège LAVIGNASSE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :

M. [X] a été employé de 1943 à 1946, puis du 16 septembre 1950 au 28 mai 1983 en qualité de charpentier, chef d'équipe puis enfin de contremaître et chef d'atelier sur le site de [Localité 10], son dernier employeur étant la SA CHANTIER DU NORD ET DE LA MEDITERRANÉE (ci-après NORMED), qui a repris en 1982 l'activité chantiers navals de trois autres sociétés mais qui a été mise en redressement judiciaire par jugement du tribunal de commerce de Paris en date du 30 juin 1986, puis en liquidation judiciaire selon un second jugement du 27 février 1989, Me [D], puis la SELAFA MJA en la personne de Me [K] à partir du 10 juin 2003 ayant été désignés successivement en qualité de liquidateur de la société.

L'ancien salarié n'a pas bénéficié du dispositif de l'ACAATA.

*******

Le 15 février 2011, il a saisi le conseil de prud'hommes de Marseille pour réclamer la réparation des préjudices qu'il disait avoir subis du fait de son exposition à l'amiante (préjudice d'anxiété et préjudice économique).

Le CGEA-AGS de l'Île de France Ouest et le CGEA-AGS du Sud Est ont été appelés dans la cause.

******

Par jugement en date du 15 décembre 2011, le conseil de prud'hommes a débouté le requérant et l'Union locale des syndicats CGT de La Ciotat de leurs demandes et a mis le CGEA-AGS hors de cause.

******

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 22 décembre 2011 réceptionnée au greffe de la cour d'appel le 29 décembre 2011, l'ancien salarié et l'Union locale CGT ont interjeté appel de cette décision.

******

L'ancien salarié, qui s'oppose aux exceptions procédurales et aux arguments soulevés par le CGEA-AGS, demande l'infirmation du jugement et réitère avoir subi des préjudices du fait de son exposition à l'inhalation de fibres d'amiante au sein de la NORMED, dont il réclame indemnisation à hauteur des sommes suivantes sur le fondement de l'obligation de sécurité de l'employeur :

- dommages et intérêts pour préjudice d'anxiété : 15.000,00 euros,

- dommages et intérêts pour préjudice causé par les bouleversements dans les conditions d'existence : 15.000,00 euros.

Il conclut à la garantie du CGEA-AGS et demande la condamnation du liquidateur à lui payer la somme de 1.000,00 euros au titre de ses frais irrépétibles.

******

L'Union locale CGT, intervenante volontaire, demande que sa créance au passif de la liquidation judiciaire de la NORMED soit fixée à la somme de 10.000,00 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice matériel et moral ; elle sollicite en outre la condamnation du liquidateur à lui payer 1.000,00 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

******

La SELAFA MJA, prise en la personne de Me [K], ès qualités, conclut à la confirmation du jugement en ce qu'il a déclaré la demande présentée par l'ancien salarié au titre du préjudice d'anxiété comme étant prescrite et donc irrecevable ; concernant les demandes de l'Union locale CGT, il soutient que cette organisation syndicale n'a subi aucun préjudice propre et distinct et que le contentieux ne relève pas d'une atteinte portée à l'intérêt collectif de la profession qu'elle représente.

******

Le CGEA-AGS demande la confirmation du jugement.

In limine litis, cet organisme conclut à l'irrecevabilité des demandes sur le fondement de l'article 41 de la loi du 28 décembre 1998 relatif à l'ACAATA, à l'incompétence de la juridiction prud'homale au profit du tribunal des affaires de sécurité sociale des Bouches-du-Rhône et du FIVA dans la mesure où le salarié invoque une contamination à l'amiante et/ou un préjudice physique.

Il s'oppose au demeurant à la garantie des sommes réclamées et soutient que les créances éventuellement transférées entre les sociétés apporteuses et la NORMED sont de nature commerciale et comme telles insusceptibles de bénéficier de sa garantie ; subsidiairement, il soulève la prescription de l'action initiale pour les salariés dont les contrats de travail ont été rompus plus de trente années avant la saisine de la juridiction prud'homale ; plus subsidiairement, il soutient que la demande est irrecevable au motif qu'il n'est pas partie à l'information judiciaire instruite au tribunal de grande instance de Paris contre les anciens dirigeants de la NORMED.

En ce qui concerne le préjudice lié aux bouleversements dans les conditions d'existence, il fait valoir que la perte de chance n'est pas indemnisable ainsi que l'absence de preuve de la réalité du préjudice invoqué et réfute les attestations produites par les salariés au visa de l'article 202 du code de procédure civile.

Au sujet du préjudice d'anxiété, il s'oppose à la demande dont la réalité n'est pas démontrée.

Subsidiairement, sur les préjudices, il considère que le comportement fautif de l'employeur n'est pas démontré, que la preuve ne peut résulter de l'obligation de sécurité à la charge de l'employeur et qu'aucun lien de causalité n'est établi entre faute alléguée et préjudices.

Enfin, il soutient que les préjudices allégués ne découlant ni de l'exécution, ni de la rupture du contrat de travail, sa garantie ne peut être réclamée et qu'il doit être mis hors de cause.

Plus subsidiairement, il explique que la naissance du préjudice d'anxiété ne pouvant être né que lors de la saisine du conseil de prud'hommes, soit postérieurement à l'ouverture de la procédure collective, la demande ne lui est pas opposable, et conclut à la même analyse pour le préjudice relatif aux bouleversements dans les conditions d'existence par rapport, notamment, au décret du 7 juillet 2000 applicable à la NORMED.

À toutes fins utiles, il demande une réduction des indemnisations en faveur du requérant et fait valoir les limites de légales de sa garantie qui ne saurait couvrir les demandes du syndicat Cgt lesquelles, au demeurant, ne sont étayées ni en fait ni en droit.

Pour un plus ample exposé des faits de la procédure, des moyens et prétentions des parties, il y a lieu de se référer à la décision déférée et aux écritures déposées, oralement reprises à l'audience du 14 juin 2012.

MOTIFS DE LA DECISION :

Sur la recevabilité de l'appel

L'examen des éléments produits aux débats tant en ce qui concerne la formalité de la déclaration d'appel que le respect du délai légal applicable à ce recours, au regard de la date de notification du jugement, rend cet appel recevable en la forme.

Sur les exceptions et fins de non recevoir soulevées par le CGEA

1 - sur l'exception d'incompétence

Aux termes de l'article L. 1411-1 du code du travail, le conseil de prud'homme règle par voie de conciliation les différends qui peuvent s'élever à l'occasion de tout contrat de travail soumis aux dispositions du présent code entre les employeurs, ou leurs représentants, et les salariés qu'ils emploient. Il juge les litiges lorsque la conciliation n'a pas abouti.

Le CGEA qui relève que l'ancien salarié de la NORMED formule une prétention fondée sur la reconnaissance de sa qualité de victime de contamination du fait de l'exposition à l'amiante soutient que celle-ci doit s'analyser en une demande de reconnaissance de maladie professionnelle qui ressort de la compétence soit du FIVA sur le fondement de l'article 53 de la loi du 23 décembre 2000, soit de la juridiction en matière de sécurité sociale au visa de l'article L. 451-1 du code de la sécurité sociale, quand bien même aucune pathologie n'a été constatée au jour des débats.

À titre subsidiaire, cet organisme considère que même si la qualification de contamination n'est pas retenue, la compétence prud'homale doit être écartée au motif que les préjudices invoqués sont présentés comme résultant directement d'une exposition à l'amiante de telle sorte qu'ils relèvent de la compétence du FIVA en application de l'article susvisé ou de l'ACAATA en l'absence de pathologie constatée.

Pour s'opposer à cette exception, l'ancien salarié de la NORMED fait valoir que les préjudices réclamés ne sont pas du ressort de la juridiction de sécurité sociale puisque ses préjudices naissent de la seule exposition à l'amiante indépendamment de toute constatation de maladie professionnelle et que le FIVA n'a pas vocation à indemniser le préjudice né de la seule exposition à l'amiante avant le déclenchement d'une pathologie liée à cette exposition.

Il est constant entre les parties que l'ancien salarié de la NORMED n'invoque aucune des pathologies visées à l'article 1er de l'arrêté du 5 mai 2002 dont le constat vaut justification de l'exposition à l'amiante dans le cadre du FIVA et ne fonde pas sa demande dans le cadre de la notion de faute inexcusable de son ancien employeur au regard de la compétence du tribunal des affaires de sécurité sociale.

Il s'en déduit qu'il n'existe aucun motif de nature à retenir la compétence soit du FIVA soit de la juridiction de sécurité sociale.

En outre, dans la mesure où le demandeur fonde ses réclamations indemnitaires sur les manquements de l'employeur à son obligation de sécurité de résultat et donc sur l'exécution entre les parties du contrat de travail qui relève de la compétence de la juridiction prud'homale, l'exception d'incompétence d'attribution doit être rejetée.

2 - sur la fin de non recevoir pour défaut d'intérêt à agir du salarié

L'ancien salarié n'ayant pas bénéficié du dispositif ACAATA, la fin de non recevoir pour défaut d'intérêt à agir fondée, selon le CGEA, sur la règle de l'enrichissement sans cause est sans objet.

Le CGEA invoque également une cause d'irrecevabilité des demandes au motif qu'il n'est pas justifié de l'absence de constitution de partie-civile de l'ancien salarié dans le cadre de l'instance pénale qui aurait été diligentée à l'encontre de la NORMED dans laquelle il n'est pas partie.

Or, sans méconnaître la règle édictée par l'article 4 du code de procédure pénale, les éléments avancés par le CGEA ne sont pas de nature à fonder sa prétention sur ce point.

3 - sur la fin de non recevoir pour cause de prescription

Le CGEA soutient que les salariés dont les contrats de travail ont été rompus depuis plus de trente ans avant la saisine du Conseil de Prud'hommes sont irrecevables dans leur action qui est atteinte par la prescription trentenaire.

Toutefois, au visa d'une part de l'article 2262 ancien du code civil et d'autre part des articles 2219 et suivants du code civil issus de la loi du 17 juin 2008 relative à la prescription, constatation faite en l'espèce à partir des éléments produits aux débats que le contrat de travail de l'ancien salarié de l'employeur concerné par la présente instance n'a cessé qu'à une date postérieure au 7 juillet 1981 retenue par le CGEA dans ses écritures réitérées lors des débats comme étant le point de départ de la prescription, et en tout cas postérieurement à la reprise du contrat au sein de la société NORMED créée le 24 décembre 1982, eu égard à la date de saisine du Conseil de Prud'hommes telle que mentionnée ci-dessus, la fin de non recevoir tirée de la prescription n'est pas fondée.

Le jugement déféré sera donc infirmé.

Sur la responsabilité

Il est constant que le principe de la responsabilité civile implique la démonstration de l'établissement d'une faute d'autrui, d'un préjudice et d'un lien de causalité entre-eux qui justifie le droit à réparation de l'intégralité des dommages subis.

La société Les Chantiers du Nord et de la Méditerranée, appelée NORMED, a été créée le 24 décembre 1982 à la suite du regroupement à travers la Société de Participation et de Constructions Navales (SPCN) des branches navales de trois autres sociétés, la Société Industrielle et Financières des Chantiers de France Dunkerque, la Société des Chantiers Navals de La Ciotat (CNC) et la Société des Constructions Navales et Industrielles de la Méditerranée (CNIM).

Comme précédemment indiqué, la NORMED a été mise en règlement judiciaire le 30 juin 1986 puis en liquidation judiciaire le 27 février 1989.

Il n'est pas remis en cause que l'activité de la société qui a conduit à l'utilisation de l'amiante comme matériaux de réparation et de construction navale a pu exposer des salariés à des inhalations aux poussières d'amiante lors de l'exercice de leur emploi, d'autant que par arrêté en date du 7 juillet 2000, l'activité de réparation et de construction navale a été inscrite sur la liste des établissements permettant de donner lieu à la mise en oeuvre de l'ACAATA au profit des salariés concernés sur la période comprise entre 1946 et 1989, dans le cadre du dispositif prévu par la loi du 23 décembre 1998.

Il est admis par la communauté scientifique que les poussières d'amiante ont été identifiées comme vecteur potentiel de maladies professionnelles dès 1945 et 1950 par l'inscription de pathologies liées à l'amiante au tableau des maladies professionnelles, que de nombreux documents, études et rapports publiés depuis le début du XX° siècle apportent la preuve d'une connaissance bien antérieure à 1976 des dangers de l'amiante et qu'une pathologie liée à l'inhalation de poussières peut se révéler de nombreuses années plus tard.

Si l'obligation de sécurité mise à la charge de l'employeur a été codifiée par l'article L. 230-2 ancien du code du travail, devenu L. 4121-1, dont la rédaction est issue de la loi du 31 décembre 1991, il n'en demeure pas moins que sur le fondement de la responsabilité contractuelle résultant de l'article 1147 du code civil, ainsi qu'au visa des dispositions règlementaires prises antérieurement en matière de sécurité telles qu'évoquées par le demandeur (loi du 12 juin 1893, décret d'application du 11 mars 1894, décert du 13 décembre 1948, décret du 17 août 1977), la carence d'un employeur dans la mise en oeuvre des mesures de prévention des risques auxquels un salarié est exposé pendant l'exercice de son emploi, en l'espèce le fait de ne pas avoir pris les précautions suffisantes pour éviter une exposition potentiellement nocive aux poussières d'amiante, est constitutive d'un manquement à ses obligations contractuelles de nature à engager sa responsabilité et à justifier la réparation intégrale des préjudices subis.

Or, au regard des éléments produits aux débats, y compris au regard des dispositions prévues par le décret du 17 août 1977 sur les mesures d'hygiène par rapport à l'exposition à l'amiante, il n'est pas sérieusement contesté, tant par le liquidateur de la NORMED que par le CGEA que, d'une part, l'employeur n'a pas pris les mesures nécessaires pour éviter de telles expositions au cours de la période considérée et, d'autre part, que la nature de l'emploi exercé par cet ancien salarié l'a exposé à de telles inhalations nocives, d'autant que le compte rendu de la réunion du comité d'entreprise de la SNC du 11 avril 1998 auquel se réfère le CGEA fait état des interrogations des salariés sur les conséquences des poussières d'amiante sur le site de la Ciotat sans que la réponse apportée à l'époque par l'employeur ('Il y a tout de même des nécessités techniques qui nous amènent à utiliser certains produits, par exemple l'amiante, qui ne peuvent être remplacés par d'autres moins nocifs') ait pris la mesure de la gravité du problème pour l'avenir, la lettre de la Caisse Régionale d'Assurance Maladie du Sud-Est du 17 janvier 1985, également invoquée par le CGEA, aux termes de laquelle l'amiante n'était plus utilisée à cette date dans l'établissement de [Localité 11] ne concernant pas l'établissement de [Localité 10] où était employé l'ancien salarié.

La dangerosité de ces expositions est attestée par les témoignages produites aux débats, non utilement contestés, dequels il résulte que l'amiante était utilisée sur tout le chantier sans que les salariés exposés aient bénéficié de protections suffisantes et que de nombreux salariés ont été affectés par des pathologies liées à l'amiante dont beaucoup seraient décédés.

Il s'ensuit que les manquements fautifs imputés à l'employeur sont établis quand bien même cet ancien salarié n'est atteint à ce jour d'aucune pathologie résultant de l'exposition à des poussières d'amiante, de telle sorte qu'il importe d'analyser les prétentions sur les préjudices allégués.

Sur les préjudices allégués par le salarié

* en ce qui concerne le préjudice d'anxiété

Le CGEA comme le liquidateur soutiennent qu'aucun élément probant n'est produit pour établir la réalité du préjudice d'anxiété et son lien avec un manquement fautif de l'employeur.

L'ancien salarié réitère sa prétention en invoquant le fait qu'il a été exposé à l'inhalation aux poussières d'amiante générant un état d'anxiété légitime due à la crainte permanente d'être atteint d'une pathologie due à cette situation du fait du caractère cancérigéne de ce produit scientifiquement établi. Il conteste l'argument de la partie adverse sur la nécessité de justifier d'un suivi médical pour prétendre à l'établissement d'un préjudice d'anxiété.

Or, alors que la réalité de l'exposition de cet ancien salarié aux poussières d'amiante au cours de l'exercice de son emploi pendant plusieurs années sur l'un des sites de la société NORMED, formellement visée au titre des entreprises concernées par les pathologies en rapport avec l'amiante, et pour lesquelles le dispositif spécifique de l' ACAATA a été mis en place dans le cadre de la loi du 23 décembre 1998, n'est pas sérieusement contesté, et que cette situation a mis en évidence les manquements fautifs de l'employeur dans l'exécution du contrat de travail, il est parfaitement compréhensible que dans ces circonstances, quand bien même aucune maladie n'a été constatée à ce jour en lien avec l'exposition, cet ancien salarié soit confronté à une situation d'inquiétude permanente face au risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'amiante, indépendamment des contrôles et examens médicaux réguliers et nécessaires ayant en fait pour effet que d'aggraver l'angoisse initiale.

En l'état des éléments produits aux débats, le préjudice d'anxiété doit être réparé à hauteur de la somme de 8.000,00 euros.

* en ce qui concerne le préjudice économique :

La cour ne peut que constater que l'ancien salarié n'a pas réitéré sa prétention initiale au titre préjudice économique.

* en ce qui concerne le préjudice lié au bouleversement dans les conditions d'existence

L'ancien salarié a présenté une demande nouvelle au titre du préjudice lié au bouleversement dans les conditions d'existence dont il affirme qu'il serait un préjudice spécifique, résultant de son exposition à l'amiante, qui ne saurait être confondu avec le préjudice économique et qui serait caractérisé par son impossibilité d'anticiper sereinement son avenir compte tenu du changement dans ses conditions de vie dû à sa contamination à l'amiante. Il fait notamment valoir la reconnaissance par d'autres juridictions de ce préjudice dont il demande réparation.

Tant le liquidateur que le CGEA s'opposent à cette prétention qui serait insuffisamment démontrée, ce dernier faisant valoir que le bouleversement décrit par l'ancien salarié serait soit hypothétique et non indemnisable, soit constituerait un cumul d'indemnisation avec le préjudice d'anxiété.

Sans méconnaître le principe constant de la réparation intégrale des préjudices subis du fait du comportement fautif d'autrui, la seule affirmation par cet ancien salarié selon laquelle il aurait subi un dommage spécifique, selon lui distinct de celui réparé au titre du préjudice d'anxiété, sans même établir précisément en quoi ses conditions d'existence ont été perturbées depuis la prise de connaissance des risques de son exposition à l'amiante dans le cadre de l'emploi qu'il a exercé au sein de la NORMED, ne peut justifier une indemnité complémentaire dans la mesure où, au vu de ses explications, il ressort qu'il ne fait qu'invoquer, à travers cette nouvelle prétention, une argumentation résultant des conséquences de l'anxiété qu'il a légitimement ressentie du fait des manquements mis à la charge de l'employeur et dont il sera indemnisé par la somme fixée en sa faveur par la cour au titre du préjudice d'anxiété. En outre, à supposer qu'il y ait eu bouleversement dans les conditions d'existence, il ne démontre pas qu'il en est résulté un dommage nécessitant une réparation en lien direct avec les manquements susvisés de son ancien employeur, les divers aléas de la vie de tout individu pouvant à eux seuls générer ce genre de bouleversements sans pour autant justifier dédommagement sur le fondement de la responsabilité civile.

En conséquence de quoi la demande doit être écartée.

Sur l'opposabilité de la créance du salarié à L'UNEDIC DÉLÉGATION AGS-CGEA

Pour s'opposer à la garantie du paiement des sommes allouées à l'ancien salarié, le CGEA soutient, sur le fondement de l'article L. 3253-8 du code du travail, que l'indemnité réparant le préjudice d'anxiété ne peut être de nature contractuelle, qu'elle n'est pas en lien avec l'exécution du contrat de travail mais qu'elle ne peut que résulter de l'obligation de l'obligation légale de sécurité de résultat de l'employeur.

A titre subsidiaire, cet organisme fait valoir, en l'état de l'ouverture de la procédure collective de la NORMED le 30 juin 1986, suivie de sa liquidation judiciaire le 27 février 1989, que la naissance de la créance relative au préjudice d'anxiété, qui est celle de la réalisation du dommage, exclusion faite de la période d'exposition à l'amiante qui n'équivaut qu'à un risque, ne peut qu'être postérieure à ces deux dates, le ressentiment d'anxiété et donc la conscience du risque étant lié à l'incertitude de l'avenir sur une mauvaise nouvelle découlant des visites médicales, de telle sorte que la garantie doit être écartée. Il soutient, en l'absence de précisions de l'ancien salarié qui ne justifie pas avoir pris conscience du risque auparavant, que la date de prise en compte de ce préjudice doit correspondre à celle de la saisine du Conseil Prud'hommes.

Toutefois, dans la mesure où le préjudice d'anxiété subi par le salarié découle, non pas de l'obligation de sécurité édictée par l'article L. 4121-1 du code du travail, mais du manquement contractuel fautif de l'employeur ci-dessus caractérisé, lequel résulte de l'exposition à l'amiante au cours de l'exécution du contrat de travail, soit antérieurement à l'ouverture de la procédure collective de la société NORMED, compte tenu de la durée du contrat de travail de cet ancien salarié au sein de cette société, au visa des règles de garantie susvisées, aucun obstacle ne s'oppose à l'opposabilité au CGEA de la créance fixée au titre du préjudice d'anxiété, créance au demeurant salariale et non commerciale comme soutenu à tort par ailleurs par l'UNEDIC, l'article 11 du traité d'apport partiel d'actif prévoyant en effet que la SPCN reprend sans recours contre la société apporteuse les obligations contractées par cette dernière en application des contrats de travail dans les conditions prévues aux articles L. 122-12 et L. 132-7 du code du travail concernant le personnel employé dans l'activité apportée.

Cette garantie doit prendre effet dans les limites légales prévues par les dispositions applicables à la date de rupture du contrat de travail.

En cas de défaut de disponibilité des fonds entre les mains du liquidateur de la NORMED, celui-ci devra transmettre un état de créance à l'UNEDIC DÉLÉGATION AGS-CGEA d' ILE DE FRANCE OUEST et de [Localité 12] dans le délai d'un mois suivant la notification de la présente décision.

Sur les demandes de l'Union locale CGT

Aux termes de l'article L.2132-3 du code du travail, les syndicats peuvent devant toutes les juridictions exercer tous les droits réservés à la partie civile relativement aux faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession qu'ils représentent.

En l'espèce, il n'est pas sérieusement contestable que les manquements de la NORMED ci-dessus caractérisés, par leur ampleur et leur répercussion sur la santé des salariés concernés, ont causé un préjudice aux intérêts collectifs de la profession représentée par le syndicat CGT, préjudice qui sera réparé par l'octroi d'un euro à titre de dommages et intérêts, cette somme ne bénéficiant pas de la garantie des AGS.

Sur l'application de l'article 700 du code de procédure civile

Il convient d'allouer au salarié la somme de 100,00 euros au titre de ses frais irrépétibles de première instance et d'appel confondus.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant par décision prononcée par mise à disposition au greffe, contradictoirement et en matière prud'homale,

Déclare l'appel recevable en la forme,

Rejette l'exception d'incompétence et les fins de non recevoir de l'UNEDIC DÉLÉGATION AGS-CGEA d' ILE DE FRANCE OUEST et de MARSEILLE,

Infirme le jugement du conseil de prud'hommes de Marseille du 15 décembre 2011,

Statuant à nouveau,

Fixe la créance de M. [X] au passif de la S.A. NORMED représentée par la SELAFA MJA en la personne de M° [K], ès qualités de liquidateur, à la somme de HUIT MILLE EUROS (8.000,00 euros) au titre du préjudice d'anxiété,

Dit que l'UNEDIC DÉLÉGATION AGS-CGEA d' ILE DE FRANCE OUEST et de MARSEILLE ne devra procéder à l'avance des créances visées aux articles L. 3253-8 du code du travail que dans les termes et les conditions résultant des dispositions des articles L. 3253-19 à L. 3253-21 du même code, et sous les limites du plafond de garantie applicable, en vertu des articles L. 3253-17 et D. 3253-5 du code du travail, et payable sur présentation d'un relevé de créances par le liquidateur dans le délai d'un mois suivant la notification de la présente décision et sur justification par celui-ci de l'absence de fonds disponibles entre ses mains pour procéder à leur paiement en vertu de l'article L. 3253-20 de ce code,

Fixe la créance de l'Union locale CGT au passif de la liquidation judiciaire de la NORMED à la somme de un euro (1 euro) et dit que cette somme ne bénéficie pas de la garantie des AGS,

Y ajoutant,

Déboute M. [X] de sa demande indemnitaire au titre du préjudice lié au bouleversement dans les conditions d'existence,

Fixe la créance de M. [X] au passif de la S.A. NORMED représentée par la SELAFA MJA en la personne de M° [K], ès qualités de liquidateur, à la somme de CENT HEUROS (100,00 euros) au titre des frais irrépétibles somme ne bénéficiant pas de la garantie des AGS,

Dit que les dépens seront pris en frais privilégiés par le liquidateur.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : 9e chambre a
Numéro d'arrêt : 12/10149
Date de la décision : 18/10/2012

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2012-10-18;12.10149 ?
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