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05/09/2012 | FRANCE | N°09/05048

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 10e chambre, 05 septembre 2012, 09/05048


COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE

10e Chambre



ARRÊT AU FOND

DU 05 SEPTEMBRE 2012



N° 2012/318













Rôle N° 09/05048







[X] [C] épouse [N]





C/



ETABLISSEMENT FRANCAIS DU SANG - E.F.S.

Société HOSPITALIERE D'ASSURANCES MUTUELLES - S.H.A.M.

CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DU VAR



ONIAM OFFICE NATIONAL D'INDEMINISATION DES ACCIDENTS MEDICAUX , DES AFFECTIONS IATROGENES, NOSOCOMIALES



















Grosse délivrée

le :

à :













Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal de Grande Instance de MARSEILLE en date du 15 Janvier 2009 enregistré au répertoire général sous le n° 05/5434.



APPELAN...

COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE

10e Chambre

ARRÊT AU FOND

DU 05 SEPTEMBRE 2012

N° 2012/318

Rôle N° 09/05048

[X] [C] épouse [N]

C/

ETABLISSEMENT FRANCAIS DU SANG - E.F.S.

Société HOSPITALIERE D'ASSURANCES MUTUELLES - S.H.A.M.

CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DU VAR

ONIAM OFFICE NATIONAL D'INDEMINISATION DES ACCIDENTS MEDICAUX , DES AFFECTIONS IATROGENES, NOSOCOMIALES

Grosse délivrée

le :

à :

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal de Grande Instance de MARSEILLE en date du 15 Janvier 2009 enregistré au répertoire général sous le n° 05/5434.

APPELANTE

Madame [X] [C] épouse [N]

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 09/4034 du 22/04/2009 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de AIX EN PROVENCE)

née le [Date naissance 1] 1949 à [Localité 10], demeurant [Adresse 17]

représentée par la SCP BADIE - SIMON-THIBAUD - JUSTON, avocats au barreau d'AIX EN PROVENCE constituée aux lieu et place de la SCP MJ DE SAINT FERREOL ET COLETTE TOUBOUL, avoués,

assistée de Me Philippe CAMPS, avocat au barreau de NICE substitué par Me Laure FRANCHITTO, avocat au barreau de TOULON

INTIMEES

ETABLISSEMENT FRANCAIS DU SANG - E.F.S. prise en la personne de son représentant légal y domicilié, demeurant [Adresse 3]

représenté par la SELARL BOULAN / CHERFILS / IMPERATORE, avocats au barreau d'AIX-EN-PROVENCE constituée aux lieu et place de la SCP BOTTAI GEREUX BOULAN, avoués,

assisté de la SELARL CAMPOCASSO & ASSOCIES, avocats au barreau de MARSEILLE substituée par Me Julie MOREAU, avocat au barreau de MARSEILLE,

Société HOSPITALIERE D'ASSURANCES MUTUELLES - S.H.A.M. prise en la personne de son représentant légal y domicilié, [Adresse 2]

représentée par la SCP BOISSONNET ROUSSEAU, avocats au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

ayant Me VERSINI, avocat au barreau de PARIS

CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DU VAR prise en la personne de son représentant légal y domicilié

demeurant [Adresse 5]

représentée par la SCP PAUL ET JOSEPH MAGNAN, avocats au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

PARTIE INTERVENANTE

ONIAM OFFICE NATIONAL D'INDEMINISATION DES ACCIDENTS MEDICAUX , DES AFFECTIONS IATROGENES, NOSOCOMIALES, prise en la personne de son Directeur, [Adresse 4]

représenté par la SCP J F JOURDAN - P G WATTECAMPS, avocats au barreau d'AIX-EN-PROVENCE,

assisté de Me Patrick DE LA GRANCE, avocat au barreau de PARIS substitué par Me Camille PARPEX, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 06 Juin 2012 en audience publique. Conformément à l'article 785 du Code de Procédure Civile, Mme Brigitte VANNIER, Présidente, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.

La Cour était composée de :

Mme Brigitte VANNIER, Présidente

Madame Laure BOURREL, Conseiller

Madame Patricia TOURNIER, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Madame Geneviève JAUFFRES.

Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 05 Septembre 2012

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 05 Septembre 2012,

Signé par Mme Brigitte VANNIER, Présidente et Madame Geneviève JAUFFRES, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

I - Exposé du litige :

En 1975 madame [X] [N] a été victime d'une chute et s'est blessée au genou droit.

Elle a subi plusieurs interventions chirurgicales, à l'occasion desquelles elle a reçu des transfusions de produits sanguins.

En 1996 il a été découvert qu'elle avait été contaminée par le virus de l'hépatite C.

Après avoir obtenu la désignation d'un expert en référé, madame [N] a fait assigner devant le tribunal de grande instance de Marseille l'Etablissement français du sang (l'EFS), la société AXA courtage, la société hospitalière d'assurances mutuelles (la SHAM), en présence de la caisse primaire d'assurance maladie du Var (la CPAM), à l'effet de voir condamner l'EFS à l'indemniser de l'intégralité de ses préjudices.

Par jugement du 15 janvier 2009 assorti de l'exécution provisoire le tribunal a :

- mis hors de cause la société AXA

- déclaré l'EFS tenu d'indemniser madame [N] des préjudices résultant de sa contamination par le virus de l'hépatite C

- déclaré prescrite l'action en garantie de l'EFS à l'encontre de la SHAM

- fixé le préjudice corporel subi par madame [N] ainsi qu'il suit :

° dépenses de santé actuelles : 11'438,62 € prises en charge par la CPAM

° déficit fonctionnel temporaire : 200 €

° souffrances endurées : 5000 €

° préjudice d'agrément : 2000 €

- condamné in solidum l'EFS et la SHAM à payer à madame [N] la somme de 7200€ à titre de dommages et intérêts

- condamné in solidum l'EFS et la SHAM à payer à la CPAM la somme de 11'438,70€ avec intérêts au taux légal à compter du 5 janvier 2008

- condamné in solidum l'EFS et la SHAM à payer à madame [N] la somme de 1000€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile

- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires

- condamné in solidum l'EFS et la SHAM aux dépens en ce compris les frais d'expertise et les dépens de l'instance de référé.

Madame [N] a interjeté appel de ce jugement.

Elle s'est ensuite désistée de son appel à l'encontre de la société AXA, ce désistement ayant été déclaré parfait par ordonnance du conseiller de la mise en état du 8 juin 2010.

Madame [N] demande à la cour de :

- dire que la responsabilité de l'EFS est acquise s'agissant de sa contamination post transfusionnelle

- prenant acte de l'intervention volontaire de l'ONIAM, substitué à l'EFS à compter du 1er juin 2010 dans les contentieux en cours, le condamner à réparer son préjudice aux lieu et place de l'EFS.

S'agissant de l'indemnisation de ce préjudice elle demande à la cour de :

- dire que sa contamination et l'asthénie qui en est résultée sont à l'origine de l'impossibilité où elle s'est trouvée de reprendre toute activité professionnelle à compter de l'année 1990, date à laquelle elle a été consolidée de ses blessures au genou

- dire que la sarcoïdose dont elle est atteinte est la conséquence de son hépatite C

- dire que la laparotomie qu'elle a subie est également liée à son hépatite C

en conséquence :

- infirmer le jugement en ce qu'il n'a pas retenu son préjudice dû au retentissement professionnel, à la perte de ses droits à la retraite, au préjudice esthétique découlant de sa contamination

- l'infirmer en ce qu'il a manifestement sous-évalué ses souffrances endurées et son déficit fonctionnel permanent et en ce qu'il a rejeté sa demande de réparation d'un préjudice extra patrimonial évolutif

- fixer son indemnisation ainsi qu'il suit :

° perte de gains professionnels : 77'805 €

° incidence professionnelle : 55'616 €

° perte de droits à la retraite : 123'781 €

° souffrances endurées : 20'000 €

° déficit fonctionnel permanent : 150'000 €

° préjudice esthétique : 30'000 €

° préjudices extra patrimonial évolutif : 50'000 €

- condamner l'ONIAM au paiement de ces sommes

- subsidiairement ordonner une expertise comptable

- condamner l'ONIAM au paiement de la somme de 3000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La CPAM demande confirmation du jugement et partant la condamnation du tiers responsable et de son assureur à lui payer la somme de 11'438,62 € correspondant aux dépenses de santé actuelles qu'elle a prises en charge ainsi que celle de 966 € au titre de l'indemnité forfaitaire prévue à l'article L.376-1 du code de la sécurité sociale.

L'EFS demande à la cour de constater qu'en application de l'article IV de la loi n° 2008-1330 du 17 décembre 2008 et de l'article 8 du décret n° 2010-251, l'ONIAM lui est substitué à compter du 1er juin 2010 dans les contentieux en cours relatifs à l'indemnisation des préjudices résultant d'une contamination par le virus de l'hépatite C causée par une transfusion de produits sanguins ou une injection de médicaments dérivés du sang et qu'en application de l'article L. 1221-14 du code de la santé publique les victimes de ces préjudices sont indemnisées par l'ONIAM.

Il demande en conséquence qu'il soit jugé que l'ONIAM répond seul des conséquences dommageables résultant pour madame [N] de sa contamination par le virus de l'hépatite C, si la responsabilité de l'EFS est retenue, et de rejeter les demandes dirigées par madame [N] et par la CPAM contre lui.

S'agissant des relations entre lui et son assureur la SHAM, il demande à la cour de juger que le délai de prescription biennale lui est inopposable et que la SHAM devra garantir sa responsabilité.

L'ONIAM, intervenu volontairement à l'instance, conclut à la confirmation du jugement déféré.

Il demande à la cour de constater que la SHAM ne conteste pas la recevabilité de l'action directe exercée par madame [N] contre elle et de juger que la substitution de l'ONIAM ne peut bénéficier à la SHAM, assureur de l'EFS, de sorte que c'est la SHAM qui devra assurer l'indemnisation du préjudice de madame [N].

Il conclut également que l'action directe de la CPAM, subrogée dans les droits de la victime à l'encontre de la SHAM, est recevable et il en déduit que le jugement doit être confirmé en ce qu'il a mis à la charge de la SHAM l'indemnisation de madame [N] et le remboursement de la créance de la caisse.

Subsidiairement, dans l'hypothèse où la cour entrerait en voie de condamnation à son encontre, il lui demande de constater que madame [N] est guérie de son hépatite C et consolidée depuis le 1er octobre 2001, qu'elle présente des séquelles hépatiques minimes, que la sarcoïdose qu'elle a présentée en 2001 ne peut être reliée de façon certaine à sa contamination par le virus de l'hépatite C ni à ses traitements antiviraux, qu'en toute hypothèse sa sarcoïdose est quiesçante et que l'expert a exclu tout déficit fonctionnel permanent imputable à la pathologie hépatique de la patiente.

Il demande en conséquence à la cour de rejeter la demande d'indemnisation d'un déficit fonctionnel permanent ou à titre subsidiaire de dire qu'il n'excède pas 5 %.

Il conclut que les prétentions de madame [N] à l'indemnisation d'un préjudice esthétique sont nouvelles en appel et en tout état de cause non justifiées.

Il conteste l'existence d'un lien de causalité entre l'absence de reprise par madame [N] de ses activités professionnelles et sa pathologie hépatique et conclut au rejet de ses demandes d'indemnisation d'une incidence professionnelle et d'une perte de droits à la retraite, sans qu'il y ait lieu d'ordonner une expertise.

Il s'oppose à l'indemnisation d'un préjudice évolutif.

Il conclut à la confirmation du jugement s'agissant de l'indemnisation des souffrances endurées et du déficit fonctionnel temporaire.

La SHAM demande confirmation du jugement en ce qu'il a jugé prescrite l'action en garantie de l'EFS dirigée contre elle.

Elle demande que le jugement soit réformé en ce qu'il l'a condamnée solidairement avec l'EFS à indemniser madame [N] et que cette condamnation soit mise à la charge de l'ONIAM.

Elle réclame en conséquence la restitution des sommes qu'elle a payées en vertu de l'exécution provisoire dont le jugement était assorti.

À titre subsidiaire elle demande la confirmation du jugement s'agissant du quantum des condamnations prononcées en faveur de madame [N] et de la CPAM.

Elle réclame la condamnation de tout succombant au paiement de la somme de 3000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et des moyens des parties, la Cour se réfère à la décision critiquée et aux dernières conclusions déposées par les parties (par madame [N] le 24 janvier 2012, par l'EFS le 31 janvier 2012, par l'ONIAM le 13 janvier 2012, par la SHAM le 31 janvier 2012, par la CPAM le 31 janvier 2012).

L'ordonnance de clôture a été rendue le 23 mai 2012.

II - Motifs :

Sur la procédure

Les conclusions de la SHAM notifiées et déposées le 1er juin 2012, postérieurement à l'ordonnance de clôture seront écartées des débats.

Il en sera de même de celles notifiées et déposées par la CPAM le 5 juin 2012, ainsi que des pièces qui leur sont annexées.

L'ONIAM sera reçu en son intervention volontaire.

Sur l'obligation à indemnisation de madame [N]

L'EFS ne saisit la cour d'aucun moyen à l'encontre du jugement en ce qu'il a décidé qu'il était responsable de la contamination de madame [N] par le virus de l'hépatite C.

Le jugement sera donc confirmé de ce chef.

L'EFS fait cependant valoir à bon droit que le jugement doit être infirmé en ce qu'il l'a condamné à indemniser madame [N] des conséquences dommageables de cette contamination.

En effet, l'article 67 IV de la loi n° 2008-1330 du 17 décembre 2008 dispose que les victimes contaminées par le virus de l'hépatite C suite à une transfusion de produits sanguins ou à une injection de produits dérivés du sang sont indemnisées par l'ONIAM aux lieu et place de l'EFS dans les contentieux en cours, dès lors qu'ils n'ont pas donné lieu à une décision irrévocable à la date du 1er juin 2010, date de l'entrée en vigueur du texte.

L'ONIAM demande que son obligation soit exécutée par la SHAM qui était l'assureur du centre de transfusions sanguines du Var ayant délivré le sang contaminé, sachant que l'EFS est venu aux droits de centre de transfusion et qu'il bénéficie du contrat d'assurance de celui-ci.

Cependant, contrairement à l'EFS, l'ONIAM, qui est obligé à indemnisation par l'effet de la loi, n'est pas le bénéficiaire du contrat souscrit auprès de la SHAM et ne peut donc revendiquer le bénéfice de son application.

L'ONIAM exécutera donc son obligation légale d'indemnisation à l'égard de madame [N]

Le législateur ayant, dans les procédures tendant à l'indemnisation des préjudices mentionnés à l'article L.1221-14 du code de la santé publique, en cours à la date de l'entrée en vigueur de l'article 67 IV de la loi du 17 décembre 2008, entendu substituer l'ONIAM à l'EFS tant à l'égard de l'organisme social que des victimes, c'est également l'ONIAM qui aura la charge du remboursement des prestations servies par la CPAM à madame [N], en dépit du fait que la CPAM persiste à réclamer la condamnation du tiers responsable et de son assureur.

Sur le montant de l'indemnisation de madame [N]

Il ressort du rapport d'expertise que madame [N], née le [Date naissance 1] 1949, a été traitée une première fois par Interferon à partir du mois de mars 1996 et pendant une année.

Ce traitement a été émaillé de complications cliniques (asthénie, dyspnée, myalgies, sécheresse muqueuse, syndrome dépressif) et a échappé au bout de 5 mois.

En avril 2001 madame [N] a commencé un nouveau traitement Interferon pégilé et Ribavirine qui a été interrompu en octobre 2001 en raison de l'apparition d'un tableau abdominal douloureux aigu non expliqué et du développement d'une sarcoïdose incluant un érythème noueux, qui a régressé suite à cet arrêt.

L'expert considère que la sarcoïdose a pu être déclenchée par le traitement par Interferon chez cette patiente aux antécédents familiaux de maladie auto-immune et porteuse d'un terrain favorisant l'apparition de cette pathologie.

Une laparotomie exploratrice n'a permis de visualiser qu'un kyste ovarien qui a été enlevé, sans expliquer la totalité des douleurs abdominales qui ont perduré et dont l'origine a été rattachée, sans certitude absolue, à des problèmes de transit.

Des analyses réalisées en octobre 2001 et réitérées avril 2002 et en mai 2003 ont montré que, même interrompu, le second traitement avait permis aux transaminases de redevenir normales et à l'ARN du virus de l'hépatite C de disparaître.

Une biopsie n'a d'ailleurs trouvé que des lésions minimes, ce qui a conduit l'expert à conclure à la certitude d'une réponse biochimique prolongée.

L'expert considère par suite que madame [N] est consolidée depuis le 1er octobre 2001.

Il n'a pas retenu d'incapacité permanente partielle en constatant non seulement que l'ARN du VHC était négatif mais encore que la sarcoïdose était quiesçante.

Les conclusions du rapport d'expertise sont les suivantes :

- l'incapacité temporaire a été totale pendant les deux hospitalisations nécessitées par la réalisation des ponctions biopsies, soit pendant 4 jours

- la consolidation est acquise le 1er octobre 2001

- il n'existe pas de déficit fonctionnel permanent

- le préjudice lié à la douleur est de 3/7 compte tenu des ponctions biopsies, des effets indésirables de l'Interferon, des explorations étiologiques de la sarcoïdose, du syndrome dépressif secondaire à l'hépatite

- le préjudice esthétique est nul

- le préjudice d'agrément est à documenter.

L'expert ne se prononce pas sur l'éventualité d'un préjudice professionnel, mais il signale que madame [N], qui était atteinte d'une incapacité permanente partielle de 33% en raison des séquelles de son accident du 14 octobre 1975, n'avait pas repris au jour de l'expertise son emploi de serveuse, son taux d'incapacité de travail, toutes causes confondues ayant été porté à 53% en 1999.

La cour dispose ainsi des éléments lui permettant de déterminer le préjudice de madame [N] qui doit être réparé dans son intégralité, sans perte ni profit pour aucune des parties.

Pour déterminer les sommes devant revenir à la victime il doit en outre, en application de l'article 31 de la loi 5 juillet 1985, être tenu compte des débours du tiers payeur, qui doivent être pris en considération poste par poste pour les seules indemnités qui réparent des préjudices qu'il a pris en charge.

I- Préjudices patrimoniaux

A- temporaires

- dépenses de santé actuelles :

La CPAM produit une créance de 11.438,62 € dont l'ONIAM conteste l'imputabilité à la contamination par le virus de l'hépatite C, en faisant valoir que peuvent y être incluses des dépenses induites par la sarcoïdose.

Il sera en premier lieu observé que la sarcoïdose a été diagnostiquée au mois d'octobre 2001 à l'occasion d'une hospitalisation d'abord à l'hôpital de [Localité 11], puis à celui de la [18].

Or la dernière hospitalisation figurant sur l'état des débours de la caisse est en date du 4 septembre 2001 et les derniers frais médicaux et pharmaceutiques sont en date du 1er octobre 2001.

Les débours dont la caisse demande remboursement ne peuvent donc pas être rattachés à la sarcoïdose.

En toute hypothèse l'analyse de l'expert qui considère que la sarcoïdose a pu être déclenchée par le traitement par Interferon chez une patiente présentant un terrain favorable à l'apparition de cette maladie auto-immune, est confirmée par les médecins du service de médecine interne du professeur [F], qui, le 15 mai 2009, écrivent au médecin de madame [N] que la 'sarcoïdose systémique a été induite par le traitement par Interferon', ce qui conduit la cour à retenir l'imputabilité de cette maladie à la contamination par le virus de l'hépatite C.

Il sera donc fait droit à la demande de la caisse tendant à la confirmation du jugement, sauf à dire que le débiteur de l'indemnisation est l'ONIAM.

Il ne revient rien à la victime de ce chef.

- pertes de gains professionnels actuels :

Ce poste de préjudice vise à compenser les répercussions du dommage sur la sphère professionnelle de la victime jusqu'à sa consolidation, l'évaluation étant faite au regard de la preuve apportée par la victime de sa perte de revenus.

Madame [N] réclame à ce titre une somme de 77.805 € correspondant au montant des indemnités journalières qu'elle aurait dû percevoir entre le 15 octobre 1990 et le 1er octobre 2001, si ces indemnités ne lui avaient pas été supprimées à compter du 15 octobre 1990 (date de la consolidation de sa blessure au genou), en raison de son absence de reprise d'activité qu'elle impute à l'asthénie consécutive à sa contamination par le virus de l'hépatite C, contamination qu'elle situe en 1990.

L'ONIAM objecte à juste titre que, sous couvert d'une demande d'indemnisation de sa perte de gains professionnels actuels, madame [N] ne saurait réclamer réparation de la perte de la qualité d'assurée sociale due à son absence de reprise du travail postérieurement à la consolidation de son genou blessé en 1975.

Il ajoute encore exactement que la preuve n'est pas rapportée d'un lien de causalité entre l'absence de reprise du travail et la contamination.

En effet il ressort de la décision de la CPAM que la perte par madame [N] de sa qualité d'assurée sociale le 16 octobre 1990 ne résulte que de son absence de reprise du travail après l'accident du 14 octobre 1975, à l'exclusion de toute autre cause.

Au demeurant, les séquelles de cet accident suffisent à expliquer l'absence de reprise par madame [N] de sa profession de serveuse, puisque le 19 novembre 1990 madame [N] a été déclarée consolidée par la CPAM avec un taux d'incapacité permanente partielle de 33%, lié à une blessure au genou, ce qui n'est pas compatible avec l'exercice d'un emploi qui impose une station debout prolongée et une parfaite mobilité.

D'ailleurs le classement de madame [N] en invalidité par la COTOREP porte la mention spécifique 'station debout pénible'.

En outre, à supposer que la contamination de madame [N] par le virus de l'hépatite C se soit produite lors de la dernières de ses transfusions en 1990, il n'est pas démontré qu'elle avait induit chez madame elle une asthénie avant l'année 1994.

Ce n'est en effet que du 11 février 1994 que datent les premières analyses démontrant l'existence d'une hépatite et les raisons qui ont conduit le médecin de madame [N] à les prescrire ne sont pas connues, l'attestation du docteur [O] qui, près de dix ans plus tard, a remis un certificat à sa patiente indiquant que 'elle n'a pu reprendre une quelconque activité étant constamment fatiguée', ne permettant pas de pallier cette absence de preuve puisque le docteur [O] n'était pas le prescripteur des analyses sanguines de 1994 et qu'il ne précise pas s'il fonde son opinion sur des renseignements puisés dans le dossier de sa patiente ou s'il se fait simplement l'écho de ses affirmations.

Enfin, le taux d'incapacité permanente partielle de madame [N] n'a été porté à 53% par le tribunal du contentieux de l'incapacité qu'en 1999, soit 5 ans après ces premières analyses.

Pour cet ensemble de raisons tenant d'une part à l'absence de gains de madame [N] au 19 novembre 1990, date constituant le point de départ de sa réclamation, et même au mois de février 1994, date de mise en évidence de l'hépatite, d'autre part à l'absence de démonstration de ce que madame [N] aurait pu, de façon certaine, reprendre son travail de serveuse à l'une ou l'autre de ces dates, enfin à l'absence de lien de causalité démontré entre l'absence de reprise du travail et la contamination par le virus de l'hépatite C, le premier juge doit être approuvé d'avoir rejeté la demande tendant à l'indemnisation d'une perte de gains professionnels actuels.

B- permanents

- incidence professionnelle :

Ce poste a pour objet d'indemniser les incidences périphériques du dommage touchant la sphère professionnelle de la victime tels le préjudice subi par elle en raison de sa dévalorisation sur le marché du travail, sa perte de chance professionnelle, l'augmentation de la pénibilité de l'emploi qu'elle occupe, le préjudice consécutif à l'abandon de la profession qu'elle occupait et la perte de retraite.

Madame [N] réclame à ce titre l'indemnisation d'une perte de chance professionnelle et d'une perte de retraite qu'elle calcule à nouveau par référence au montant des indemnités journalières qu'elle aurait pu percevoir mais qu'elle n'a pas perçues à partir de la consolidation de son état consécutif à sa contamination, le 1er octobre 2001.

Outre qu'il est singulier de calculer un préjudice professionnel à partir de prestations qui sont versées en cas d'arrêt maladie, il ne peut qu'être constaté que madame [N] a été consolidée sans séquelle, que ce soit en raison de son hépatite ou de sa sarcoïdose, de sorte qu'elle ne peut prétendre avoir perdu une chance de retrouver un emploi, et corollairement de se constituer des droits à la retraite, par suite de sa contamination par le virus de l'hépatite C.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a débouté madame [N] de ses demandes, sans qu'il y ait lieu d'ordonner quelque expertise que ce soit.

II- Préjudices extra-patrimoniaux

A- Temporaires

- déficit fonctionnel temporaire :

Le déficit fonctionnel temporaire inclut, pour la période antérieure à la consolidation, la perte de qualité de la vie et des joies usuelles de la vie courante ainsi que le préjudice temporaire d'agrément pendant l'incapacité fonctionnelle totale ou partielle.

Madame [N] ne saisit la cour d'aucun moyen à l'encontre des dispositions du jugement qui ont fixé son déficit fonctionnel temporaire total correspondant à ses deux périodes d'hospitalisation à la somme de 200 € dont l'ONIAM demande conformation.

Elle ne réclame en outre aucune indemnisation au titre du déficit fonctionnel temporaire partiel induit par les effets de l'hépatite et par le traitement.

Le jugement sera donc confirmé de ce chef.

- souffrances endurées :

Ce poste de préjudice indemnise les douleurs physiques et morales endurées par la victime du fait de ses blessures et des soins qu'elle a subis depuis l'accident jusqu'à la consolidation.

Ces souffrances incluent les douleurs physiques dues aux biopsies et aux investigations rendues nécessaires tant par l'hépatite que par la sarcoïdose.

Elles incluent également les troubles physiques consécutifs aux deux traitements par Interferon.

Elles incluent encore, jusqu'à la consolidation, les souffrances morales consécutives au fait, pour madame [N], de se savoir contaminée par le virus de l'hépatite C, puis atteinte de sarcoïdose et les troubles psychologiques liés au traitement.

Elles ne comportent pas en revanche les souffrances liées à la laparotomie dès lors qu'aucun élément médical ne permet de rattacher de façon directe et certaine les douleurs abdomino-pelviennes de madame [N] qui ont rendu cette intervention nécessaire à sa contamination ou à son traitement.

Cotées 3/7 par l'expert, les souffrances de madame [N] imputables à sa contamination seront réparées par la somme de 10.000 €.

B- Permanents

- déficit fonctionnel permanent :

Le déficit fonctionnel permanent inclut pour la période postérieure à la date de consolidation les atteintes aux fonctions physiologiques, la perte de la qualité de la vie et les

troubles ressentis par la victime dans ses conditions d'existence personnelles familiales et sociales.

L'expert n'ayant pas retenu de déficit fonctionnel permanent et madame [N] ne versant aucun document médical de nature à infirmer cette conclusion, elle sera déboutée de sa demande d'indemnisation à ce titre.

- préjudice d'agrément :

Le préjudice d'agrément vise exclusivement à l'indemnisation du préjudice postérieur à la consolidation, lié à l'impossibilité pour la victime de pratiquer régulièrement une activité spécifique sportive ou de loisirs.

Le tribunal a alloué à madame [N] la somme de 2.000 € au titre de son préjudice d'agrément occasionné par son traitement par Interferon.

Il s'agit donc d'un préjudice antérieur à la consolidation, mais ce chef de la décision n'est contesté ni par madame [N] ni par l'ONIAM, de sorte qu'il ne peut être que confirmé.

- préjudice esthétique :

Madame [N] réclame la somme de 30.000 € en réparation du préjudice que lui cause sa cicatrice de laparotomie.

Contrairement à ce que prétend l'ONIAM cette demande qui constitue le complément de celles soumises au premier juge est recevable.

Cependant dans la mesure où les douleurs abdomino-pelviennes qui ont justifié cette intervention n'ont pas été rattachées de façon certaine à la contamination ou à son traitement, il ne peut être fait droit à cette demande.

- préjudice spécifique de contamination :

Ce préjudice comprend l'ensemble des préjudices de caractère personnel tant physiques que psychiques résultant de la contamination, notamment les perturbations et craintes éprouvées, toujours latentes, concernant l'espérance de vie et la crainte des souffrances, le risque de toutes les affections opportunistes consécutives à la découverte de la contamination, les perturbations de la vie sociale, familiale et sexuelle et les dommages esthétiques et d'agrément générés par les traitements et soins subis.

L'expert a indiqué que madame [N] était en 'réponse biochimique et prolongée', mais pas expressément qu'elle était guérie de son hépatite.

Il a signalé l'existence de contrôles semestriels et madame [N] établit qu'elle a été hospitalisée quelques jours au cours des années 2002, 2004, 2005, 2006, 2008 et 2009 par suite d'une affection de longue durée, ce qui démontre la réalité du suivi qu'elle invoque.

En outre les examens pratiqués en juin 2009 au CHU de la Timone démontrent qu'elle était également suivie pour sa sarcoïdose.

Perdure donc même après consolidation la nécessité de procéder à des contrôles, ce qui justifie les craintes de madame [N] quant à la possibilité d'une évolution péjorative de sa maladie.

Il reste qu'en l'absence de positivisation de l'ARN du virus de l'hépatite C depuis 2001 et en l'absence de réveil de la sarcoïdose, ces craintes ne peuvent être que modérées, de sorte que l'indemnisation du préjudice spécifique de contamination sera fixée à 20.000 €.

Au total l'ONIAM versera à madame [N] la somme de 32.200 €.

L'ONIAM versera à la CPAM la somme fixée au dispositif du jugement déféré.

Le présent arrêt infirmatif constituant le titre ouvrant droit à restitution des sommes versées en exécution du jugement il n'y a pas lieu de faire spécialement droit à la demande de la SHAM tendant à ce que madame [N] soit condamnée à lui rembourser les sommes qu'elle lui a versées.

Sur les rapports de l'EFS et de la SHAM

Bien que l'EFS ne soit pas condamné à indemniser madame [N], il demande à la cour d'infirmer le jugement qui a dit que son action tendant à voir juger que la SHAM devrait le garantir des conséquences de la mise en jeu de sa responsabilité était prescrite, la SHAM demandant pour sa part à la cour de confirmer le jugement de ce chef.

L'EFS verse aux débats le contrat d'assurance dont il est le bénéficiaire et qui a été conclu le 1er janvier 1971 entre la SHAM et le centre de transfusions sanguines.

A l'article 16 de ses conditions générales figure au chapitre 'prescription' le rappel de ce que toutes les actions dérivant du contrat sont prescrites par deux ans à compter de l'événement qui y donne naissance, dans les conditions déterminées dans les articles 25,26 et 27 de la loi du 13 juillet 1930.

N'y figurent pas les mentions rendues obligatoires par l'article R.112-1 du code des assurances relatives aux causes d'interruption de la prescription biennale prévues désormais à l'article L.114-2 du même code et aucun avenant au contrat n'est venu assurer l'information de l'assuré lorsque sont entrées en vigueur les dispositions de l'article réglementaire sus dit.

Il suit de là que le délai de prescription biennale est inopposable à l'assuré, de sorte que le jugement sera infirmé en ce qu'il a décidé l'inverse.

*

L'ONIAM versera à madame [N] la somme de 2.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile et à la CPAM celle de 966 € prévue aux articles L.376-1 et L.454-1 du code de la sécurité sociale.

Il ne sera pas fait application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au profit de la SHAM.

L'ONIAM supportera les dépens de première instance qui comprendront ceux de l'instance en référé et le coût de l'expertise judiciaire et les dépens d'appel.

Par ces motifs :

LA COUR :

- Ecarte des débats les conclusions de la SHAM notifiées et déposées le 1er juin 2012 et celles notifiées et déposées par la CPAM le 5 juin 2012, ainsi que des pièces qui leur sont annexées

- Reçoit l'ONIAM en son intervention volontaire

- Confirme le jugement déféré en ce qu'il a déclaré l'EFS responsable de la contamination de madame [N] par le virus de l'hépatite C, fixé le préjudice de madame [N] à 200 € s'agissant de son déficit fonctionnel temporaire et à 2000 € s'agissant de son préjudice d'agrément, ainsi qu'en ce qu'il a fixé la créance la CPAM à la somme de 11'438,70€ avec intérêts au taux légal à compter du 5 janvier 2008

- L'infirme pour le surplus

Statuant à nouveau des chefs infirmés

- Fixe le préjudice total de madame [N] à la somme de 32.200 €

- Met cette somme à la charge de l'ONIAM

- Met à la charge de l'ONIAM le paiement de la créance de la CPAM

- Déboute l'ONIAM de sa demande tendant à voir la SHAM condamnée à prendre en charge le paiement de l'indemnisation de madame [N] et le remboursement de la créance de la CPAM

- Dit que le délai de prescription biennale invoqué par la SHAM est inopposable à l'EFS

- Dit que l'ONIAM versera à madame [N] la somme de 2.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile et à la CPAM celle de 966 € prévue aux articles L.376-1 et L.454-1 du code de la sécurité sociale.

- Rejette toutes demandes plus amples ou contraires

- Dit que l'ONIAM Il supportera les dépens de première instance qui comprendront ceux de l'instance en référé et le coût de l'expertise judiciaire et les dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 code de procédure civile et aux lois sur l'aide juridictionnelle.

Le Greffier,Le Président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : 10e chambre
Numéro d'arrêt : 09/05048
Date de la décision : 05/09/2012

Références :

Cour d'appel d'Aix-en-Provence 10, arrêt n°09/05048 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2012-09-05;09.05048 ?
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