COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
3e Chambre B
ARRÊT AU FOND
DU 28 JUIN 2012
N° 2012/349
Rôle N° 11/07144
SAS HYPERGRASSE
C/
SA COSEPI FRANCE
Grosse délivrée
le :
à : SCP ERMENEUX
Me R. BUVAT
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Commerce de GRASSE en date du 17 Janvier 2011 enregistré au répertoire général sous le n° 09/216.
APPELANTE
S.A.S. HYPERGRASSE
RCS GRASSE B 440 237 667
prise en la personne de son représentant légal en exercice
sise [Adresse 1]
représentée par la SCP ERMENEUX-CHAMPLY - LEVAIQUE, avocats au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
plaidant par Me Gilles TOBIANA, avocat au barreau de GRASSE
INTIMEE
S.A. COSEPI FRANCE
RCS MANOSQUE B 388 208 639
prise en la personne de son représentant légal en exercice
sise [Adresse 7]
représentée par Me Robert BUVAT, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
constitué aux lieu et place de la SELARL LIBERAS BUVAT MICHOTEY, avoués à la cour
plaidant par Me Claude TREFFS, avocat au barreau d'ALPES DE HAUTE PROVENCE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 22 Mai 2012 en audience publique. Conformément à l'article 785 du Code de Procédure Civile, Madame Christine DEVALETTE, Présidente, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Madame Christine DEVALETTE, Présidente
Monsieur Gilles ELLEOUET, Conseiller
Monsieur Michel CABARET, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Lydie BADEL.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 28 Juin 2012
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 28 Juin 2012,
Signé par Madame Christine DEVALETTE, Présidente et Madame Lydie BADEL, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
La société HYPERGRASSE est propriétaire d'un important local commercial [Adresse 2] dans lequel elle exploite un commerce à l'enseigne LECLERC.
Le 6 novembre 2007, elle a confié à la société COSEPI les travaux d'agrandissement de son local pour 1 900 000euros HT(lot gros oeuvre)
La maîtrise d'oeuvre de l'opération a été confiée à la société SECOBAT SUD , le bureau de contrôle à la société CETTE APAVE SUDEUROPE.
Le chantier a accusé un certain retard et le 5 novembre 2008 un procès -verbal de réception avec réserves a été signé par les parties ;le même jour , le maître d'oeuvre a adressé une liste détaillée des réserves et précisé que la société HYPERGRASSE refusait les deux escaliers, non conformes au marché (escaliers métalliques et non en béton armé)
Les réserves auraient été levées sauf une, concernant un des escaliers, selon procès-verbal de constat du 28 novembre 2008.
Le 3 novembre 2008, la société COSEPI a mis en demeure la société HYPERGRASSE de lui payer le montant des situations impayées, soit 247 372,11euro, déduction faite du compte prorata géré par le maître d'ouvrage .
Par ordonnance de référé du 10 avril 2009 du tribunal de commerce de GRASSE , la société HYPER GRASSE a été condamnée à payer cette somme à titre provisionnel et cette décision a été confirmée par arrêt du 6 mai 2010.
Conformément au CCAG la société COSEPI a notifié au maître d'ouvrage , avec copie à la SECOBAT , son mémoire définitif le 2 janvier 2009, mémoire prenant en compte les conséquences financières du paiement tardif des situations par le maître d'ouvrage
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 24 aoû2009, elle a mis en demeure la société HYPER GRASSE de se prononcer sur ce mémoire définitif pour un montant de 363 073,01 euros, complété par les éléments adressés au maître d'oeuvre le 24 août 2009.
Le maître d'oeuvre a adressé un décompte général à la société HYPERGRASSE qui par courrier du 14 octobre 2009, recommandé avec accusé de réception, a formulé à la société COSEPI son désaccord en produisant la copie du décompte général définitif signé du maître d'ouvrage et du maître d'oeuvre.
Le décompte général définitif a été notifié le 28 octobre 2009 à la société COSEPI.
Par exploit du 27 octobre 2009, la société HYPERGRASSE a assigné la société COSEPI à lui payer la somme de 61700 euros , représentant , selon devis , le coût de remplacement des deux escaliers non conformes , cette dernière demandant reconventionnellement le rejet de cette prétention et la condamnation de la société HYPER GRASSE à lui verser la somme de 433 077,75euro ,outre dommages intérêts et indemnité de procédure. Par la suite , la société COSEPI a ramené sa demande à la somme de 363 073,01euros, après déduction de la somme de 61700 € réclamée par la société HYPERGRASSE.
Par jugement du 17 janvier 2011, le tribunal de commerce de GRASSE a débouté la société HYPERGRASSE de toutes ses demandes et l'a condamnée à payer la somme de 363 073,01euros, avec intérêts au taux légal à compter du jugement et capitalisation des intérêts , outre 10 000 euros de dommages intérêts( non reprise dans le dispositif) et 5000 euros d'indemnité de procédure. Le jugement a été assorti de l'exécution provisoire sur les deux premières condamnations.
Par déclaration du 19 avril 2011, la société HYPERGRASSE a interjeté appel du jugement .
Vu les conclusions déposées et notifiées le 22 mai 2012 par la société HYPERGRASSE ;
Vu les conclusions déposées et notifiées par la société COSEPI le 21 mai 2012 ;
Vu l'ordonnance de clôture prononcée à l'audience du 22 mai 2012, après révocation de la clôture initiale et nouvelle clôture prononcées avec accord des parties.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la procédure
Dans ses dernières écritures, la société HYPERGRASSE demande à titre principal, au visa de l'article 455 du code de procédure civile , non pas la nullité du jugement pour défaut de réponse à un moyen, mais la réformation de ce jugement , ce qui dans le cadre d'un appel réformation est inopérant , la Cour étant conduite à examiner tous les moyens , repris ou nouveaux des parties .
Sur le fond
Par motifs pertinents que la Cour adopte, le tribunal a exactement débouté la société HYPERGRASSE de sa demande , non soutenue en dernier lieu en cause d'appel, bien que la réformation totale du jugement soit sollicitée, en paiement à hauteur de 61700€ du coût de replacement des deux escaliers non conformes à la commande . En effet , même si cette commande portait sur des escaliers en béton , cette non conformité évidente qui était connue du maître de l'ouvrage et du maître d'oeuvre puisque la variante 'escalier métallique' avait été visée dans le procès-verbal de chantier du 2 septembre 2008 et validée par l'APAVE , a été définitivement acceptée lors de la réception de l'ouvrage le 5 novembre 2008 qui ne formule pas de réserve sur ce point mais seulement sur le positionnement d'un des escaliers hélicoïdal (réserve n°19).
Le délai de parfait achèvement étant expiré , la responsabilité contractuelle de la société COSEPI du fait de l'absence persistante de levée de cette réserve doit être retenue , cette dernière ne contestant ni le bien fondé de cette réserve qui impose un léger déplacement de celui-ci pour l'ajuster avec l'entrée supérieure, ni le coût qui a été chiffré par elle-même dans son devis du 2 janvier 2009 à 28 000€HT, soit 33 488€TTC.
Dans le cadre de sa responsabilité contractuelle, la société COSEPI ne peut , par ailleurs , s'exonérer de son obligation d'indemniser le maître d'ouvrage des réserves non levées ,au motif que la société HYPER
GRASSE , qui sollicitait, à l'origine, le remplacement pur et simple des deux escaliers métalliques, lui a refusé à l'époque l'accès au chantier pour lever la réserve.
S'agissant d'une condamnation indemnitaire , il n'y a pas lieu de prévoir, en revanche, d'indexation sur l'indice BT 01 mais des intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.
Concernant les dispositions applicables à l'établissement du mémoire et du décompte général définitif , la société appelante fait valoir que la société COSEPI ne peut lui opposer un retard de contestation de son DGD, qui facture des suppléments de prestations et des surcoûts financiers , alors que la norme AFNOR sur laquelle s'appuierait ce moyen de tardiveté , a été limitée par la volonté des parties qui ont mis en premier document le marché à forfait, et alors que les dispositions d'ordre public de l'article 1793, qui prohibent le supplément de prix dans ce type de marché, prévalent sur les dispositions de la norme AFNOR . Elle soutient que la société COSEPI ne peut invoquer un bouleversement de l'économie du contrat pour des retards qui ne sont pas imputables au maître d'ouvrage mais à des intempéries et à d'autres entreprises et notamment à son propre sous-traitant.
De son côté , la société COSEPI considère que la société HYPERGRASSE est doublement irrecevable à contester son DGD notifié le 2 janvier 2009, car cette contestation a été formalisée par un conseil de cette société et était tardive au regard de la norme AFNOR contractuellement visée. Elle soutient que les dispositions d'ordre public de l'article 1793, du code civil ne constituent pas un obstacle à une demande, non pas de paiement de travaux supplémentaires, mais de coûts financiers dus aux retards et contraintes consécutives à la défaillance d'une entreprise COLAS qui n'est pas son sous-traitant, surcoûts ayant au demeurant modifié l'économie du contrat.
Le décompte général définitif sur lequel le tribunal a retenu la prétention de la société COSEPI en paiement intégral du solde à hauteur de 363 073,01€TTC est constitué, hors solde du marché :
-par des surcoûts pour retards ( 29 900€TTC au titre d'un arrêt de chantier ,somme réclamée par la société KP1, sous-traitante de la société COSEPI et 281 652,02€ pour retards dus aux intempéries ou autres entreprises) ,
- par des prestations supplémentaires (22 425€ pour la mise en place d'un hérisson),
- par des intérêts de retard ( 24 327,75€)sur le solde de marché( qui a ensuite donné lieu à des intérêts au taux légal dans le cadre de l'instance en référé).
Or , la société HYPERGRASSE est non seulement recevable mais bien fondée à contester un tel décompte général , bien que cette contestation ait été formulée tardivement par rapport au délai de 15 jours prévu par la norme AFNOR expressément visée au CCAG , dés lors qu'il contrevient aux dispositions contractuelles et d'ordre public.
En effet par le biais de ce qu'elle qualifie de 'coûts et moyens mis en oeuvre du fait des retards pris par le chantier' , la société COSEPI ne peut aller à l'encontre de la volonté commune des parties qui, selon le CCAG, a placé le marché stipulé' à prix net , global, forfaitaire et non révisable ', même en cas d'imprévision technique , de retard, de mauvaise exécution ou mauvaise interprétation des autres entreprises, en tête des documents contractuels. En l'absence de réclamation de l'entrepreneur pour ces surcoûts sous forme de devis ou avenants soumis au maître d'oeuvre et acceptés par le maître d'ouvrage en cours de chantier , la société COSEPI ne pouvait établir un DGD, après la réception des travaux , intégrant des surcoûts non acceptés constituant en fait des pénalités de retard non contractuellement prévues , ou la facturation de prestations supplémentaires (pose d'un hérisson), et encore moins des intérêts de retard sur solde de marché, dont le mode de calcul n'est pas précisé et qui ne sont pas contractuellement prévus, les intérêts au taux légal sur ce solde assortissant, ultérieurement, la condamnation provisionnelle prononcée dans le cadre de l'ordonnance de référé .
Elle ne peut non plus s'exonérer des dispositions d'ordre public de l'article 1793 du code civil, qui prohibent le supplément de prix dans le cadre d'un marché à forfait et qui prévalent à cet égard sur la norme AFNOR P 03 -001,dés lors qu'elle n'établit pas , à partir d'une facturation, certes conséquente ( puisqu'elle représente 14,5% du marché) mais unilatérale , un bouleversement de l'économie générale du contrat en raison de modifications demandées par le maître d'ouvrage ou de circonstances imputables à celui -ci , étant rappelé que des circonstances extérieures à l'entreprise soumise au forfait , mais nullement imprévisibles, telles que les intempéries ou la défaillance d'autres entreprises(en l'espèce les problèmes de plate -forme réalisée par l'entreprise COLAS), ne sont pas de nature à écarter le caractère forfaitaire du contrat.
Le jugement qui a, dans ces conditions, condamné la société HYPERGRASSE à payer à la société COSEPI la somme 363 073,01€ en supplément du prix global et forfaitaire, doit être infirmé, y compris sur l'indemnité de procédure , étant observé que la condamnation à dommages intérêts n'est pas reprise dans le dispositif du jugement .
Au demeurant , faute de caractérisation d'un quelconque abus de l'une ou l'autre des parties dans son droit d'agir ou de se défendre en justice , la société COSEPI , comme la société HYPERGRASSE en appel , doivent être déboutées de leurs demandes de ce chef.
La société COSEPI doit être condamnée à payer à la société HYPERGRASSE une indemnité de procédure de 3000€.
PAR CES MOTIFS
La Cour ,
Statuant publiquement par arrêt contradictoire
Infirme le jugement entrepris;
Et statuant à nouveau,
Condamne la société COSEPI FRANCE à payer à la société HYPERGRASSE la somme de 33 488€TTC outre intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ;
Condamne la société COSEPI FRANCE à payer à la société HYPERGRASSE la somme de 3000€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile;
Déboute les parties du surplus de leurs demandes;
Condamne la société COSEPI FRANCE aux dépens de première instance et d'appel avec droit de recouvrement direct conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
LA GREFFIERELA PRESIDENTE