COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
15e Chambre A
ARRÊT AU FOND
DU 20 JANVIER 2012
N° 2012/34
Rôle N° 10/20657
[V] [U]
C/
SA CIFRAA
Grosse délivrée
le :
à : la SCP BOTTAI-GEREUX-BOULAN
la SCP SIDER
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Juge de l'Exécution du Tribunal de Grande Instance de TOULON en date du 16 Novembre 2010 enregistré au répertoire général sous le n° 09/03164.
APPELANT
Monsieur [V] [U]
né le [Date naissance 1] 1956 à [Localité 11], demeurant [Adresse 2]
représenté par la SCP BOTTAI GEREUX BOULAN, avoués à la Cour, assisté de Me Jacques GOBERT, avocat au barreau de MARSEILLE
INTIME
CREDIT IMMOBILIER DE FRANCE RHONE ALPES AUVERGNE (CIFRAA), agissant en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège, demeurant [Adresse 4]
représenté par la SCP SIDER, avoués à la Cour, assisté de Me François KUNTZ, avocat au barreau de LYON
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 23 Novembre 2011 en audience publique. Conformément à l'article 785 du Code de Procédure Civile, Madame France-Marie BRAIZAT, Président, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Madame France-Marie BRAIZAT, Président
Monsieur Christian COUCHET, Conseiller
Monsieur Olivier BRUE, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : M. Alain VERNOINE.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 20 Janvier 2012.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 20 Janvier 2012,
Signé par Madame France-Marie BRAIZAT, Président et M. Alain VERNOINE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
FAITS, PROCEDURE, PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Par acte notarié reçu par Maître [B], notaire à [Localité 5], le 29 décembre 2003, le Crédit Immobilier de France Financière Rhône Ain (dit CIFFRA) a consenti à Monsieur [U] un prêt de 198.000 euros pour l'achat d'un bien en l'état futur d'achèvement, sis à [Adresse 8], lieu dit [Localité 12].
Puis, par acte notarié du 23 mars 2004, reçu par Maître [C], notaire à [Localité 9], le CIFFRA a consenti à Monsieur [U] un deuxième prêt d'un montant de 86.200 euros pour l'acquisition d'un bien en l'état futur d'achèvement situé sur la commune de [Localité 7].
Des échéances de ces prêts étant demeurées impayées, le Crédit Immobilier de France Rhône Alpes Auvergne (CIFRAA), venant aux droits du Crédit Immobilier de France Financière Rhône Ain, s'est prévalu de la déchéance du terme par lettre du 29 octobre 2008.
Puis il a, le 17 avril 2009, pris une inscription d'hypothèque judiciaire dénoncée le 22 avril 2009 sur les droits indivis de Monsieur [U] sur un bien situé à [Adresse 2].
C'est dans ces conditions que, le 20 mai 2009, les époux [U] ont assigné le CIFRAA devant le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Toulon en sollicitant :
- à titre principal la radiation de l'inscription d'hypothèque,
- à titre subsidiaire, le sursis à exécution de toute mesure d'exécution et notamment l'inscription d'hypothèque,
- la condamnation du CIFRAA à payer les frais de mainlevée de l'inscription d'hypothèque et à payer également 5.000 euros à titre de dommages et intérêts.
Par jugement du 16 novembre 2010, le juge de l'exécution a :
- rejeté l'exception d'incompétence soulevée par le CIFRAA,
- débouté Monsieur [U] de ses demandes,
- débouté le CIFRAA de sa demande de dommages et intérêts,
- condamné Monsieur [U] à payer au CIFRAA 1.500 euros à titre de dommages et intérêts.
Monsieur [U] a interjeté appel de cette décision le 18 novembre 2010.
Aux termes de ses conclusions signifiées le 16 mars 2011, il demande à la Cour de :
' - constater les irrégularités substantielles, notamment concernant la rédaction des clauses de représentation des parties et l'annexion des pièces essentielles, qui affectent la force exécutoire du titre et qui sont de nature à disqualifier l'acte sous seing privé et à lui faire perdre sa force exécutoire,
- dire et juger que l'acte n'est pas régulier car il n'établit pas la réalité des pouvoirs du clerc de notaire représentant la banque,
- dire et juger que l'acte est irrégulier faute d'annexion à l'acte de la procuration des emprunteurs et faute de dépôt de cette procuration au rang des minutes du notaire,
- dire et juger qu'une simple secrétaire notariale ne pouvait signer l'acte de prêt n'ayant pas les qualités requises,
En conséquence,
- dire et juger que le CIFRAA ne dispose pas d'un titre exécutoire à l'encontre de Monsieur [U],
En conséquence,
- réformer la décision du juge de l'exécution près le tribunal de grande instance de Toulon,
- ordonner la mainlevée et la radiation aux frais de la banque, de l'inscription d'hypothèque judiciaire provisoire,
- renvoyer la banque à agir au fond sur la validité de son acte.
A titre subsidiaire,
- constater qu'une information pénale est en cours à l'encontre de APOLLONIA et de tous autres, notamment des chefs de faux en écritures, y compris de faux en écritures publiques, laquelle a donné lieu à la mise en examen des notaires rédacteurs des actes, dont l'exécution est poursuivie, à tort par la banque,
- dire et juger que l'acte ne peut sans manifestement altérer sa validité, constater à la fois que dans la procuration, l'acceptation de l'offre de prêt est en date du 02 décembre 2003, et indiquer dans son acte de prêt que cette même acceptation est en date du 08 décembre 2003,
- constater la violation manifeste de la Loi SCRIVENER et l'existence des faux,
- dire et juger que la validité de l'acte s'en trouve ainsi entachée et qu'il y a une atteinte à la force exécutoire de ce dernier,
- ordonner la mainlevée et la radiation de l'inscription d'hypothèque judiciaire provisoire aux frais de la banque,
En toute occurrence,
- dire et juger que la banque ne pouvait ignorer l'irrégularité évidente de son titre,
- dire et juger que de ce fait, elle ne pouvait, sans engager sa responsabilité, entreprendre des mesures d'exécution au moyen d'un titre contenant de graves irrégularités,
- dire et juger que la saisie-attribution est abusive au visa de l'article 22 de la loi de 1991,
En conséquence,
- ordonner la mainlevée et la radiation de la mesure conservatoire aux frais de la banque,
Par ailleurs, condamner la banque pour son acharnement injustifié et inadmissible compte tenu de l'irrégularité manifeste de son acte, au paiement d'une somme de 10.000 euros au titre des légitimes dommages et intérêts, notamment compte tenu du caractère très vexatoire de cette mesure au regard des circonstances de fait décrites qui ont engendré un préjudice moral considérable,
- condamner la Banque au paiement d'une somme de 5.000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile'.
Par conclusions du 24 mars 2011, Madame [U] s'est désistée de son appel, désistement constaté par ordonnance du conseiller de la mise en état en date du 05 avril 2011.
Par conclusions notifiées le 13 mai 2011, le CIFRAA sollicite la confirmation du jugement entrepris et la condamnation de Monsieur [U] à lui payer la somme de 5.000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile .
Le 29 novembre 2011, le conseil de Monsieur [U] a adressé une note à la Cour.
MOTIFS DE LA DECISION
Attendu que la note adressée en cours de délibéré le 19 novembre 2011 par le conseil de Monsieur [U], sans autorisation de la Cour, sera déclarée irrecevable en application de l'article 445 du Code de procédure civile ;
Sur la compétence du juge de l'exécution
Attendu que le CIFRAA prétend que le juge de l'exécution serait incompétent pour statuer sur la validité du titre exécutoire en l'absence de mesure d'exécution forcée ;
Attendu que selon l'article L213-6 du Code de l'organisation judiciaire, 'le juge de l'exécution connaît de manière exclusive des difficultés relatives aux titres exécutoires et des contestations qui s'élèvent à l'occasion de l'exécution forcée, même si elles portent sur le fond du droit, à moins qu'elles n'échappent à la compétence des juridictions de l' ordre judiciaire. Dans les mêmes conditions, il autorise les mesures conservatoires et connaît des contestations relatives à leur mise en oeuvre' ;
Attendu qu'ainsi, le juge de l'exécution était bien compétent pour connaître de la contestation relative au caractère exécutoire des actes de prêt notarié fondant l'inscription d'hypothèque litigieuse ;
Sur la régularité de l'acte de prêt reçu le 29 décembre 2003 par Maître [B]
Attendu que Monsieur [U] a, par acte notarié du 02 décembre 2003 reçu par Maître [B], notaire à [Localité 5], donné procuration à tout clerc de l'étude de ce dernier pour le représenter lors de l'acquisition du bien immobilier sis à [Adresse 8], et lors de la signature du prêt destiné à cet achat ;
Attendu que l'article 8 du décret du 26 novembre 1971 relatif aux actes établis par les notaires et applicable en l'espèce avant sa modification par décret du 10 avril 2005, dispose que 'les procurations sont annexées à l'acte, à moins qu'elles ne soient déposées aux minutes du notaire rédacteur de l'acte. Dans ce cas, il est fait mention dans l'acte du dépôt de la procuration au rang des minutes' ;
Attendu que l'acte de prêt notarié du 29 décembre 2003 reçu par Maître [B], notaire à [Localité 5], passé entre le CIFRAA (prêteur) et Monsieur [U] (emprunteur) porte la mention suivante en page 2 :
'l'emprunteur est ici non présent mais représenté par Madame [N] [M], clerc de notaire, domiciliée professionnellement à [Adresse 6], en vertu des pouvoirs qu'il lui a conférés suivant procuration authentique reçue par Maître [L] [B], notaire soussigné, le 02 décembre 2003" ;
Attendu qu'il n'est pas indiqué que la procuration est annexée à l'acte ni qu'elle est déposée au rang des minutes du notaire ;
Qu'à cet égard, il sera relevé que les dispositions du 26 novembre 1971 n'opèrent pas de distinction de ce chef entre les actes déposés 'au rang des minutes' et les copies exécutoires ;
Attendu que cette irrégularité essentielle porte atteinte à la force exécutoire de l'acte qui sert de fondement à l'inscription d'hypothèque provisoire litigieuse ; que cet acte ne vaut que comme écriture privée en vertu de l'article 1318 du Code civil et non pas comme un titre exécutoire au sens de l'article 3-4° de la loi du 09 juillet 1991;
Attendu que la banque ne pouvait donc valablement inscrire une hypothèque provisoire en vertu de ce seul acte, sans autorisation préalable du juge de l'exécution, conformément aux dispositions des articles 67 et 68 de la loi du 09 juillet 1991 ;
Attendu que le jugement sera réformé sur ce point, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens relatifs à la régularité de l'acte du 29 décembre 2003 ;
Sur la régularité de l'acte de prêt notariés reçu le 23 mars 2004 par Maître [C], notaire à [Localité 9]
Attendu que Monsieur [U], par acte notarié du 04 février 2004, reçu par Maître [B], notaire à [Localité 5], a donné procuration à tout clerc ou employé de l'office notarial sis à [Adresse 10] pour le représenter lors de l'acquisition du bien immobilier sis à [Localité 7] et lors de la signature du prêt destiné à cet achat ;
Attendu que Monsieur [U] invoque comme pour le prêt du 02 décembre 2003 le défaut d'annexion de cette procuration à l'acte de prêt notarié du 23 mars 2004, reçu par Maître [C], notaire à [Localité 9] ;
Attendu que l'acte de prêt du 23 mars 2004 mentionne, en page 2 que Monsieur [U] est 'représenté par Maître [Y] [G], clerc de notaire de l'office notarial sis à [Adresse 10], en vertu d'une procuration authentique reçue en brevet par Maître [L] [B], notaire à [Localité 5] le 04 février 2004.
Cette procuration est annexée à la minute de l'acte d'acquisition de Monsieur [U], reçu par Maître [D] [C] ce jour' ;
Attendu que la procuration donnée par Monsieur [U] avait plusieurs objets puisqu'elle a été délivrée pour la souscription du prêt mais également pour la conclusion de l'acte de vente; qu'elle ne pouvait donc être annexée qu'à l'un des deux actes, en l'occurrence l'acte de vente du même jour, référence à cette procuration étant alors portée dans le second acte ;
Attendu que Monsieur [U] ne prétend pas que sa procuration n'aurait pas été annexée à l'acte de vente, ne conteste pas la réalité de cette procuration ni l'avoir signée ;
Que le moyen est donc infondé ;
Attendu que Monsieur [U] prétend encore s'agissant de l'acte reçu par Maître [C], que la procuration donnée par le CIFRAA n'est pas annexée à l'acte authentique de prêt, ne reproduit pas les mentions de la procuration définissant l'étendue des pouvoirs et il conteste en outre la chaîne de délégation de pouvoirs ;
Mais attendu que l'acte de prêt mentionne que le prêteur est représenté par Monsieur [W], clerc de notaire, en vertu des pouvoirs qui lui ont été conférés par Monsieur [K], aux termes d'une procuration sous seing privé en date à [Localité 9] du 12 mars 2004, 'procuration annexée à la minute des présentes après mention' ;
Attendu que le contenu de la procuration n'a pas à être reproduit intégralement dans l'acte de prêt;
Attendu que les délégations successives de pouvoirs y sont précisées ;
Attendu en outre que la chaîne des délégations de pouvoir est produite par l'intimé ;
Attendu qu'à supposer même constituées les irrégularités alléguées, seul le CIFRAA aurait eu un intérêt à les soulever ;
Qu'il a au contraire exécuté l'acte en débloquant les fonds ;
Que ce moyen n'est pas pertinent et doit être écarté ;
Attendu en conséquence que l'inscription d'hypothèque provisoire a été valablement inscrite sur le fondement de l'acte notarié de prêt du 23 mars 2004 ;
Que cette hypothèque provisoire ne pourra donc garantir que le paiement des sommes dues par Monsieur [U] au titre de ce prêt ;
Sur l'article 700 du Code de procédure civile et les dépens
Attendu qu'aucune considération d'équité ne justifie l'application de l'article 700 du Code de procédure civile, pas plus en première instance qu'en appel ;
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement, contradictoirement,
Déclare irrecevable la note en délibéré déposée le 29 novembre 2011 par le conseil de Monsieur [U],
Infirme le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a rejeté l'exception d'incompétence soulevée par la société Crédit Immobilier de France Rhône Alpes Auvergne,
Statuant à nouveau,
Dit que l'acte de prêt notarié du 29 décembre 2003, qui ne constitue pas un titre exécutoire, ne peut servir de fondement à l'inscription d'hypothèque provisoire prise le 17 avril 2009 sur le bien situé à [Adresse 2], cadastré section AY n° [Cadastre 3] auprès de la Conservation des hypothèques de [Localité 13], 2ème bureau, sous les références volume 2009 V n° 1087, régularisée le 14 mai 2009 sous les références volume 2009 V n° 1298,
Valide l'inscription d'hypothèque précitée uniquement en ce qu'elle a été prise en vertu de l'acte notarié du 23 mars 2004 et qu'elle garantie le paiement des sommes dues au titre de ce prêt,
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile,
Dit que chaque partie conservera la charge de ses frais de première instance et d'appel, ces derniers pouvant être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.
LE GREFFIER, LE PRESIDENT,