COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
14e Chambre
ARRÊT AU FOND
DU 07 DÉCEMBRE 2011
N° 2011/1230
Action intentée contre le Fonds d'Indemnisation des Victimes de l'Amiante (Loi 2000-1257 du 23/12/2000 Décret 2001-963 du 23/10/2001)
Rôle N° 10/10760
[I] [V]
C/
FIVA FONDS D'INDEMNISATION DES VICTIMES DE L'AMIANTE
Grosse délivrée le :
à :
Me Catherine BRACCINI, avocat au barreau de MARSEILLE
Me Alain TUILLIER, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
Copie certifiée conforme délivrée aux parties le :
DEMANDEUR
Monsieur [I] [V], demeurant [Adresse 2]
représenté par Me Catherine BRACCINI, avocat au barreau de MARSEILLE
DEFENDERESSE
FIVA Fonds d'Indemnisation des Victimes de l'Amiante, demeurant [Adresse 1]
représenté par Me Alain TUILLIER, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 09 Novembre 2011, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Jean-Luc CABAUSSEL, Conseiller, chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Madame Bernadette AUGE, Président
Madame Florence DELORD, Conseiller
Monsieur Jean-Luc CABAUSSEL, Conseiller
Greffier lors des débats : Monsieur Kamel BENKHIRA.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 07 Décembre 2011.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 07 Décembre 2011
Signé par Madame Bernadette AUGE, Président et Monsieur Kamel BENKHIRA, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le diagnostic d'épaississements pleuraux a été porté sur la personne de [I] [V], le 14 décembre 2002, alors qu'il était âgé de 53 ans.
La Caisse Primaire d'Assurance Maladie (CPAM) a reconnu cette maladie au titre du risque professionnel et a fixé le taux d'Incapacité Permanente Partielle à 10 %.
[I] [V] a saisi le Fonds d'Indemnisation des Victimes de l'Amiante (FIVA) d'une demande d'indemnisation.
N'ayant pas reçu d'offre d'indemnisation dans le délai de six mois prévu par l'article 25 du décret du 23 octobre 2001, il a présenté un recours devant la Cour de céans.
Puis, par lettre recommandée avec accusé de réception datée du 19 mai 2011, le FIVA lui a présenté une offre d'indemnisation se décomposant ainsi :
- préjudice fonctionnel : 3 001,71 €
- préjudice extrapatrimonial :
* préjudice moral : 18 400 €
* préjudice physique : 600 €
* préjudice d'agrément : 2 800 €
Estimant cette offre insuffisante [I] [V] a formé un recours.
Devant la Cour il a fait déposer par son Conseil des conclusions écrites développées oralement à la barre, aux termes desquelles il demande :
- de noter son accord sur le montant de son préjudice fonctionnel à la somme de 3 001,71 € ;
- de condamner le FIVA à lui verser les sommes suivantes au titre de son préjudice extrapatrimonial :
* préjudice moral : 25 000 €
* préjudice physique : 20 000 €
* préjudice d'agrément : 15 000 €
Il sollicite en outre que les sommes à venir soient assorties de l'intérêt légal à compter du 16 mai 2005, date à laquelle le FIVA aurait dû formaliser son offre, et que lui soit allouée une somme sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Le FIVA a fait déposer par son Conseil des conclusions écrites développées oralement à la barre aux termes desquelles il demande à la Cour :
- de noter que le requérant avait saisi entre temps le TASS des Bouches du Rhône d'une action en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur, qui a rendu une décision en date du 1er mars 2007, confirmée par arrêt de la cour de céans du 8 octobre 2009, et qu'un pourvoi contre cet arrêt a abouti à une décision de la cour de cassation du 9 décembre 2010, cassant ledit arrêt et renvoyant devant la cour autrement composée ;
- qu'ainsi le recours en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur est pendant à ce jour, que cette décision à intervenir est susceptible d'influer sur l'offre du FIVA et qu'ainsi un sursis à statuer doit être prononcé ;
SUR CE
Sur la demande de sursis à statuer
Attendu qu'aux termes de l'article 53 IV de la loi du 23 décembre 2000, dans les six mois à compter d'une demande d'indemnisation, le fonds présente au demandeur une offre d'indemnisation ;
qu'une indemnisation complémentaire est susceptible d'être accordée dans le cadre d'une procédure pour faute inexcusable de l'employeur ;
Attendu alors qu'une cour d'appel saisie à la fois d'un recours fondé sur l'article 53 IV susvisé, et d'une demande d'indemnisation du chef de faute inexcusable, doit surseoir à statuer dans l'attente d'une décision définitive sur la reconnaissance de la faute inexcusable ;
Qu'en effet, le FIVA saisi d'une demande d'indemnisation d'un préjudice causé par l'exposition à l'amiante, doit dans son offre d'indemnisation, indiquer l'évaluation retenue pour chaque chef de préjudice, ainsi que le montant des indemnités qui reviennent au demandeur, compte tenu bien évidemment des prestations énumérées à l'article 29 de la loi du 5 juillet 1985, mais aussi des indemnités de toute nature reçues ou à recevoir d'autres débiteurs du chef du même préjudice ;
Attendu qu'en l'espèce, outre le recours devant le FIVA, [I] [V] avait saisi entre temps le TASS des Bouches du Rhône d'une action en reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur ; que cette juridiction a rendu une décision en date du 1er mars 2007, confirmée par arrêt de la cour de céans du 8 octobre 2009 ; qu'un pourvoi contre cet arrêt a alors abouti à une décision de la cour de cassation du 9 décembre 2010 qui a cassé ledit arrêt et renvoyé devant la cour autrement composée ;
Qu'ainsi le recours en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur est pendant à ce jour, et que cette décision à intervenir est susceptible d'influer sur l'offre du FIVA ;
Attendu toutefois que la décision à intervenir sur la reconnaissance éventuelle de la faute inexcusable de l'employeur est susceptible de n'avoir une incidence que sur la seule indemnisation du déficit fonctionnel ;
Qu'en conséquence, ce n'est que sur ce dernier chef qu'il doit être nécessairement sursis à statuer ;
Qu'il y a lieu ainsi de rappeler que le FIVA avait formulé ses offres sur le préjudice personnel du requérant, et de constater que la cour est en possession des éléments nécessaires pour statuer sur les demandes concernant ce préjudice personnel ; que le sursis à statuer ne sera donc ordonné que sur l'évaluation du déficit fonctionnel de [I] [V] ;
Sur les préjudices extra patrimoniaux
Attendu que l'affection dont souffre [I] [V] a été constatée le 14 décembre 2002 alors qu'il était âgé de 53 ans et que cette affection se trouve caractérisée par l'apparition de plaques pleurales ayant conduit à constater une incapacité permanente partielle (IPP) de 10 % ;
Attendu que les éléments médicaux produits aux débats sont, principalement :
- plusieurs radiographies du thorax des 6 mai 2005, 8 mars et 27 octobre 2006, faisant apparaître un « épaississement pleural intéressant les plèvres pariétales ' opacité d'allure pleurale ' épaississement pleural de l'apex droit ;
- un certificat médical du docteur [H] du 13 mai 2011 mentionnant notamment « une incapacité ventilatoire obstructive sévère » ;
Qu'il ressort également des documents produits au dossier, que ces troubles et pathologies ne proviennent pas exclusivement de l'exposition à l'amiante, et qu'un surpoids ainsi qu'un tabagisme ont été notés ;
Attendu que ces éléments permettent à la Cour de considérer :
- d'une part en réaffirmant que la pathologie en question, marqueur d'exposition revêtant un caractère souvent asymptomatique sur le plan médical, est une affection objectivement constituée, dont la caisse a définitivement reconnu l'existence ; que dans ces conditions, le principe de réparation de souffrances physiques ne saurait être remis en cause mais doit être mesuré à l'aune des conséquences effectivement constatées ;
- d'autre part, qu'il ne peut être utilement discuté, en présence d'une constance des données recueillies quant à cette pathologie, que cette affection induit un syndrome subjectif, constitué par un sentiment d'injustice associé à l'irrévocabilité de la maladie, dont le niveau et la permanence sont les éléments caractéristiques d'un préjudice moral nécessairement indemnisable ;
- enfin, que la réparation d'un poste de préjudice d'agrément vise exclusivement à l'indemnisation du préjudice lié à l'impossibilité pour la victime de pratiquer régulièrement une activité spécifique sportive ou de loisir quels qu'en soient sa nature et son niveau d'intensité, et ne peut se rattacher à la perte de qualité de vie et des joies usuelles de la vie courante, laquelle est déjà indemnisée par la caisse au titre du déficit fonctionnel ; qu'ainsi la réparation de ce préjudice impose la démonstration de l'ampleur du préjudice subi par la victime au jour où la juridiction statue ;
Qu'en effet, il échet de rappeler qu'à la différence de l'indemnisation des maladies professionnelles issues de la législation de la sécurité sociale, et présentée devant le juge du contentieux général, l'indemnisation proposée par le FIVA est effectuée dans le respect du principe de la réparation intégrale et donc inclut dans la réparation du déficit fonctionnel, outre l'incapacité fonctionnelle partielle ou totale, les pertes de qualité de la vie et des joies usuelles de la vie courante ainsi que les troubles ressentis par la victime dans ses conditions d'existence personnelles, familiales et sociales ;
Attendu qu'en ce sens les attestations et pièces produites émanant de proches de la victime ou de relations, confirment l'existence de troubles tels que rappelés, justifiant la réparation d'un préjudice dont l'indemnisation doit être à la mesure de l'importance des souffrances physiques et morales subies ;
Attendu qu'en l'espèce le préjudice d'agrément n'est allégué par le requérant que par l'évocation de la perte de la qualité de vie et des joies usuelles de la vie courante ; qu'ainsi, tel que rappelé ci-dessus, ces éléments ne peuvent être considérés comme justifiant un préjudice spécifique indemnisable à ce titre au-delà de la proposition du FIVA; que la somme proposée de 2 800 € par le FIVA ne pourra donc qu'être confirmée ;
Attendu que dans ces conditions, les éléments produits par les parties, la qualification de l'affection et ses conséquences - tant physiques qu'au niveau des contraintes occasionnées - apparaissent suffisants pour éclairer la Cour et permettre de statuer ;
Qu'il résulte en conséquence de tout ce qui précède qu'il sera alloué à [I] [V] au titre de son préjudice extrapatrimonial, la somme de 28 000 € incluant celle de 25 200 € au titre des souffrances physiques et morales et celle de 2 800 € susvisée au titre du préjudice d'agrément ;
Sur l'application de l'article 700 du Code de procédure civile
Attendu que le recours s'avère partiellement fondé, il y a lieu d'allouer à [I] [V] la somme de 1 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Statuant par arrêt contradictoire rendu en audience publique et en dernier ressort, par application de l'article 53 de la loi n°2000-1257 du 23 décembre 2000 et les dispositions du décret n°2001-963 du 23 octobre 2001,
Déclare le recours recevable,
Ordonne sursis à statuer sur le seul préjudice fonctionnel de [I] [V],
Confirme l'offre du Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante s'agissant du préjudice d'agrément de [I] [V],
Fixe le montant du préjudice du susnommé au titre des souffrances physiques et morales à la somme de 25 200 €,
Dit que ces sommes porteront intérêt au taux légal à compter du 16 mai 2005, date à laquelle le FIVA aurait dû formaliser son offre,
Dit que le FIVA versera en outre à [I] [V] la somme de 1 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
Dit que les dépens de la présente instance sont à la charge du FIVA par application de l'article 31 du décret susvisé,
Dit que le présent arrêt sera notifié par les soins du greffe en application de l'article 33 du même décret, par LRAR aux parties à l'instance et à leurs avocats.
LE GREFFIERLE PRÉSIDENT