COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
14e Chambre
ARRÊT AU FOND
DU 30 NOVEMBRE 2011
N°2011/1162
Rôle N° 09/10755
CPAM DU VAR
C/
[E] [C]
SARL ALP'BAT
DRJSCS
GROUPAMA SUD
Grosse délivrée le :
à :
Me Jacques DEPIEDS, avocat au barreau de MARSEILLE
Me Christine MOUROUX-LEYTES, avocat au barreau de TOULON
Me Thierry MARIGNAN, avocat au barreau de MONTPELLIER
Copie certifiée conforme délivrée aux parties le :
Décision déférée à la Cour :
Arrêt de Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de VAR en date du 17 Avril 2009,enregistré au répertoire général sous le n° 20601186.
APPELANTE
CPAM DU VAR, demeurant [Adresse 3]
représenté par Me Jacques DEPIEDS, avocat au barreau de MARSEILLE
INTIMES
Monsieur [E] [C], demeurant [Adresse 2]
représenté par Me Christine MOUROUX-LEYTES, avocat au barreau de TOULON substitué par Me Pierric MATHIEU, avocat au barreau de TOULON
SARL ALP'BAT, demeurant [Adresse 4]
représentée par Me Thierry MARIGNAN, avocat au barreau de MONTPELLIER
INTERVENANT VOLONTAIRE
GROUPAMA SUD, demeurant [Adresse 6]
représentée par Me Thierry MARIGNAN, avocat au barreau de MONTPELLIER
PARTIE(S) INTERVENANTE(S)
DRJSCS, demeurant [Adresse 1]
non comparant
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 02 Novembre 2011, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Florence DELORD, Conseiller, chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Madame Bernadette AUGE, Président
Madame Florence DELORD, Conseiller
Monsieur Jean-Luc CABAUSSEL, Conseiller
Greffier lors des débats : Monsieur Kamel BENKHIRA.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 30 Novembre 2011.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 30 Novembre 2011
Signé par Madame Bernadette AUGE, Président et Monsieur Kamel BENKHIRA, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La société Alp'Bat dont le siège social se trouve dans le Vaucluse, est spécialisée dans les travaux acrobatiques et Monsieur [C], titulaire du certificat d'aptitude aux travaux en hauteur, a été embauché en février 2002 en qualité d'ouvrier d'exécution, au sein de l'agence du Sud-Est ([Adresse 4]), composée de deux personnes, lui-même et Monsieur [O].
Monsieur [O] a fait un devis de remise en état de la façade d'un immeuble d'habitation situé à [Localité 5], et les deux hommes se sont présentés sur les lieux le 6 octobre 2004 pour commencer les travaux.
Vers 9 heures 30, Monsieur [C] qui travaillait en hauteur tandis que son collègue était resté en bas a fait une chute du deuxième étage et a été grièvement blessé.
La Caisse Primaire d'Assurance Maladie a reconnu le caractère professionnel de l'accident et un taux d'incapacité de 85 % a été fixé à compter du 13 février 2007.
Monsieur [T], gérant de la société Alp'Bat, a été reconnu coupable et condamné pénalement du chef de blessures involontaires par jugement du tribunal correctionnel de Toulon.
La Cour d'Appel a confirmé sa culpabilité le 12 septembre 2011 mais a modifié sa peine.
Monsieur [C] a engagé une action contre son employeur afin de faire reconnaître sa faute inexcusable.
Par jugement du 17 avril 2009, le Tribunal des Affaires de sécurité sociale du Var a reconnu la faute inexcusable de la société Alp'Bat, a fixé la majoration de la rente au maximum à dater de la déclaration d'accident du travail, a ordonné une expertise médicale de la victime et condamné l'employeur à une provision de 40 000 euros à valoir sur le préjudice corporel, outre 1000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La Caisse a fait appel du jugement sur le seul point de la date de départ de la majoration de la rente, en demandant qu'elle soit fixée au 13 février 2007.
La Société Alp'Bat a fait un appel incident et par ses conclusions reprises oralement à l'audience du 2 novembre 2011, son gérant, Monsieur [T] et la compagnie d'assurance Groupama, intervenant volontairement, ont demandé à la Cour d'infirmer le jugement et de rejeter les demandes de Monsieur [C].
Par ses conclusions du 2 novembre reprises oralement à l'audience, Monsieur [C] a demandé à la Cour de confirmer le jugement sauf à modifier la date de la majoration de la rente au 13 février 2007.
Il a demandé la condamnation de la société Alp'Bat à 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La DRJSCS régulièrement avisée n'a pas comparu.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur l'appel de la SARL Alp'Bat
Dans ses conclusions, Monsieur [C] se présente lui-même comme « ouvrier cordiste ».
Il travaillait pour la société Alp'Bat depuis deux ans au moment de sa chute, mais il avait un diplôme spécifique et une expérience de huit ans.
La société Alp'Bat a versé aux débats les documents attestant de ses activités très spécifiques, puisque ses interventions sont sollicitées pour effectuer des travaux en hauteur au moyen de cordes, d'échafaudages ou de nacelles et qu'elle effectue des actions de formation régulières (attestations de plusieurs salariés et mentions sur le « document unique » produit par l'appelante).
Les pièces versées aux débats permettent de constater que le jour des faits, Monsieur [C] est monté seul sur le toit de l'immeuble et a décidé seul de la manière de s'installer avant de procéder à son travail sur la façade, son collègue Monsieur [O], qui n'aurait pas dû travailler ce jour-là, ayant décidé de l'accompagner pour ne pas le laisser seul sur le chantier.
Les auditions ont révélé que Monsieur [O] avait le statut d'ouvrier comme Monsieur [C], sans doute plus ancien que lui puisqu'embauché en 2000, mais n'avait pas reçu délégation de l'employeur en matière de sécurité.
La présence d'un autre ouvrier disponible pour avertir les services de secours en cas d'accident, était donc conforme aux prescriptions réglementaires, contrairement à ce que prétend l'intimé.
Par ailleurs, il n'est pas contestable que dans ce contexte, l'intervenant, spécialement diplômé et formé à ce type de travaux, garde son pouvoir de décision quant à la manière dont il s'organise.
Il est établi que la chute s'est produite pour trois raisons cumulées :
- Monsieur [C] a utilisé une seule corde et d'une longueur de 25 mètres alors qu'il travaillait sur la façade d'un immeuble de deux étages, soit une hauteur totale bien inférieure à la longueur de la corde, alors qu'une deuxième corde de sécurité est obligatoire et sert à accrocher le harnais de sécurité ;
- après avoir enroulé et attaché la corde autour de la cheminée existante (et dont la solidité n'a pas été mise en cause), il a ensuite bloqué cette corde dans l'angle de la toiture sans aucune accroche de sécurité ni fixation par le moyen habituel (piton enfoncé dans la maçonnerie et mousqueton) ;
- il a commencé à travailler dasn le vide, sans avoir attaché son harnais de sécurité à un élément fixe de la façade (à défaut de deuxième corde de sécurité).
Monsieur [O] a déclaré aux services de police qu'il avait suggéré à son collègue de prendre une deuxième corde de sécurité et un piton pour fixer les cordages, tous équipements présents dans le véhicule de la société, mais que Monsieur [C] a refusé estimant qu'il n'en avait pas besoin.
En voyant glisser la corde de l'angle de la toiture, Monsieur [O] a crié pour le prévenir et celui-ci a alors tenté mais trop tard d'accrocher son harnais de sécurité à un store situé devant lui.
La corde s'étant trouvée libérée sur toute sa longueur, Monsieur [C] a chuté du deuxième étage.
L'enquête de police a confirmé que l'immeuble s'élevait de deux étages sur rez de chaussée, d'une hauteur approximative de 9 mètres avec toiture-terrasse et jardins privatifs au rez de chaussée.
Les enquêteurs ont constaté que la corde ayant servi à la victime était toujours attachée à la cheminée et pendait le long de la façade.
Ils ont attesté du bon état apparent du matériel utilisé : corde, harnais de sécurité et escarpolette.
Ils ont achevé leurs constations à 11 heures 40 en présence de Monsieur [O], sans autres investigations, convoquant le témoin pour audition le lendemain à 10 heures dans les locaux du commissariat.
Les agents de l'Inspection du Travail ont établi un procès-verbal en notant qu'ils n'avaient pas pu constater la présence des équipements de sécurité sur place ou dans le véhicule.
Cette observation est sans intérêt puisqu'ayant été avisés immédiatement de l'accident par les services de police, soit vers 9 heures 30, ils ne se sont rendus sur les lieux que dans l'après-midi (vers 16 heures), alors que les lieux avaient été dégagés.
Aucune injonction n'a été faite à Monsieur [O] de présenter ou de laisser le véhicule de la société à la disposition des enquêteurs.
Monsieur [C] est sans doute fondé à soutenir que son employeur lui imposait un rythme de travail soutenu, d'autant que le dossier révèle qu'il était envisagé de fermer l'agence du Var, et que son licenciement avait été engagé puis annulé.
Cependant, sa compagne de l'époque a fait une déclaration précisant qu'il n'avait jamais parlé de problèmes concernant le matériel (procès-verbal de police n° 2004-4193-8).
Lui-même n'a d'ailleurs jamais prétendu que le jour de l'accident, soit ce 6 octobre 2004, il n'aurait pas eu le matériel de sécurité nécessaire à sa disposition.
Il n'a pas davantage contesté avoir refusé la suggestion de Monsieur [O] d'utiliser une deuxième corde et un piton pour fixer sa corde dans la façade.
Par attestation du 4 août 2008, Monsieur [P] a rapporté la confidence de Monsieur [C] qui lui a avoué avoir fait une faute dans la manière de « passer la corde ».
Monsieur [H], coordinateur de sécurité et membre des jurys de certification de qualification professionnelle des techniciens cordistes, sans aucun lien avec l'employeur, a attesté que la manière dont Monsieur [C] avait procédé « n'était pas conforme au vu des techniques retenues et validées par la profession ce qui entraîne de fait une mise en danger personnelle inacceptable ».
Monsieur [C] n'a remis en cause ni le contenu ni la validité de ces attestations ni la bonne foi de leurs rédacteurs.
L'inspecteur du travail a considéré qu'un échafaudage ou un appareil de levage motorisé auraient dû être utilisés ce jour-là le chantier devant durer plus d'une journée car la configuration des lieux le permettait, ce qu'a contesté Monsieur [T], qui a ajouté que le coût des travaux aurait été plus élevé.
La durée du chantier était, selon les termes du rapport de l'inspection du travail « d'environ 15 jours », mais la société Apl'Bat est spécialisée dans les travaux dits « acrobatiques » qui peuvent donc être effectués précisément au moyen de cordages (façades élevées, arbres etc...: voir sa documentation commerciale jointe au dossier assortie du document unique de mars 2003 mis à jour à mars 2004).
La cause de l'accident résultant, non pas d'une absence de matériel, mais de la décision du salarié de ne pas utiliser la totalité du matériel mis à sa disposition par l'employeur et qui aurait permis d'assurer sa sécurité, il a commis une imprudence caractérisée au regard des règles de sécurité dont il avait une parfaite connaissance, par son diplôme, sa formation et son expérience.
Cette imprudence a été aggravée par sa décision de ne pas fixer son harnais de sécurité à un point d'ancrage sécurisé, alors qu'il avait la possibilité d'utiliser, au moins les équipements fixés sur la façade (balcons et stores) à défaut de deuxième corde.
Dès lors la durée totale du chantier est indifférente et, n'eût-il duré qu'une journée, pour nettoyer les entourages de fenêtres par exemple, l'accident se serait produit de la même manière.
La Cour rappelle que, si l'employeur est tenu à l'égard de son salarié d'une obligation de sécurité, obligation de résultat, par application de l'article L 452-1 du code de la sécurité sociale, l'existence d'une faute inexcusable de l'employeur ne se présume pas, même en cas de condamnation pénale pour blessures involontaires, et c'est au salarié de rapporter la preuve que son employeur l'a exposé à un danger dont il avait ou aurait dû avoir conscience, et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.
En l'espèce, la Cour constate que la victime n'a pas rapporté cette preuve d'une faute inexcusable.
En conséquence, la Cour infirme le jugement et déboute l'intimé de toutes ses demandes.
Sur l'appel de la Caisse Primaire d'Assurance Maladie
L'appel, limité à la date d'effet de la majoration de rente, devient sans objet puisqu'en l'absence de reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur, il n'y a pas lieu à majoration de rente.
PAR CES MOTIFS
La Cour statuant en matière de sécurité sociale,
Infirme le jugement déféré,
Et statuant à nouveau,
Déboute Monsieur [C] de toutes ses demandes,
Constate que l'appel de la Caisse devient sans objet.
LE GREFFIERLE PRÉSIDENT