COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
9e Chambre A
ARRÊT AU FOND
DU 18 NOVEMBRE 2011
N°2011/747
Rôle N° 11/03477
[W] [Y]
C/
Société REAGROUP PROVENCE LANGUEDOC ROUSSILLON
Grosse délivrée le :
à :
Me Marie-Dominique POINSO-POURTAL, avocat au barreau de MARSEILLE
Me Jean-Claude PERIE, avocat au barreau de MARSEILLE
Copie certifiée conforme délivrée le :
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MARSEILLE en date du 27 Mars 2009, enregistré au répertoire général sous le n° 07/2430.
APPELANT
Monsieur [W] [Y],
demeurant [Adresse 3]
comparant en personne,
assisté de Me Marie-Dominique POINSO-POURTAL, avocat au barreau de MARSEILLE
INTIMEE
Société REAGROUP PROVENCE LANGUEDOC ROUSSILLON devenue SOCIETE RENAULT RETRAIL GROUP SA prise en la personne de son représentant légal domiclié en cette qualité au siègesocial sis, [Adresse 1]
représentée par Me Jean-Claude PERIE, avocat au barreau de MARSEILLE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 03 Octobre 2011, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Laure ROCHE, Conseiller, chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Monsieur Michel VANNIER, Président
Monsieur Gilles BOURGEOIS, Conseiller
Madame Laure ROCHE, Conseiller
Greffier lors des débats : Madame Fabienne MICHEL.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 18 Novembre 2011.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 18 Novembre 2011
Signé par Monsieur Michel VANNIER, Président et Madame Fabienne MICHEL, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le 8 avril 2009, monsieur [W] [Y] a régulièrement interjeté appel du jugement rendu le 27 mars 2009 par le Conseil des Prud'hommes de Marseille qui l'a débouté de l'ensemble de ses demandes à l'encontre de la société Renault Retail Group.
La longueur de la procédure s'explique par des renvois ordonnés à la demande des parties et une radiation.
***
Monsieur [Y] a été embauché à compter du 1° mars 1962, en qualité de chef des ventes de véhicule d'occasion par la société Forum Renault Viano .Son contrat de travail a ensuite été transféré à la société Réagroup Provence , devenue Renault Retail Group.
Par une lettre du 10 mars 2006, l'employeur l'a avisé de sa mise à la retraite à la date du 30 juin 2006.
Monsieur [Y] soutient que la rupture de son contrat de travail doit être requalifiée en licenciement en faisant valoir, à titre principal, que la disposition de la convention collective nationale des services de l'automobile (CCNSA) qui prévoit la possibilité de mettre à la retraite un salarié âgé de 60 à 65 ans s'il a droit à une retraite à taux plein est entachée d'une nullité d'ordre public.
A titre subsidiaire, il soutient que la société Renault Retail ne justifie pas qu'elle a respecté les conditions fixées par la CCNSA pour la mise à la retraite d'un salarié âgé de 60 à 65 ans, ayant droit à une retraite à taux plein.
Il demande la condamnation de l'employeur à lui verser les sommes suivantes :
-indemnité compensatrice de préavis : 28809,93euros
-congés payés afférents : 2881euros
-indemnité conventionnelle de licenciement : 118120,71 euros
- dommages et intérêts pour non respect de la procédure de licenciement : 6494,75 euros
- dommages et intérêts pour préjudice moral : 60000 euros
-indemnité prévue par les articles L 1235-2 et L1235-3 du code du travail : 57260 euros
-dommages et intérêts pour perte de revenus entre 60 et 70 ans : 252872 euros
-dommages et intérêts pour perte de revenus entre 70 et 85 ans : 230400 euros
-dommages et intérêts pour perte d'avantages en nature : 57600 euros
-dommages et intérêts pour perte de l'intéressement : 19640 euros
-article 700 du Code de Procédure Civile : 4000 euros
La société Renault Retail Group réplique que les dispositions de la CCNSA sont conformes aux prescriptions légales, qu'elle a parfaitement respecté ces dispositions et que la mise à la retraite de monsieur [Y] ne peut donc être critiquée .Elle conclut que le jugement déféré doit être confirmé et monsieur [Y] condamné à lui verser la somme de 1500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties il convient de se référer à leurs conclusions écrites qui ont été soutenues oralement à l'audience du 3 octobre 2011.
MOTIFS
L'article 1.24 de la CCNSA prévoit que la mise à la retraite d'un salarié âgé de 60 à 65 ans et titulaire du nombre de trimestre nécessaire pour obtenir une pension à taux plein, est possible lorsqu'elle est accompagnée d'une embauche en contrepartie, qui ne doit pas être rompue par l'employeur avant deux ans, sinon ce dernier devra procéder à une nouvelle embauche dans un délai de six mois à compter de la date d'expiration du contrat de travail. Si les conditions de mise à la retraite ne sont pas remplies, la rupture du contrat de travail à l'initiative de l'employeur constitue un licenciement.
C'est à tort que monsieur [Y] soutient que cette disposition est contraire à celles de l'article L 1237-4 du code du travail aux termes de laquelle sont nulles toutes stipulations d'une convention ou d'un accord collectif de travail prévoyant une rupture de plein droit du contrat de travail d'un salarié en raison de son âge ou du fait qu'il serait en droit de bénéficier d'une pension de vieillesse.
En effet, la CCNSA ne prévoit pas une rupture de plein droit dés lors que le salarié réunit certaines conditions d'âge et de nombre de trimestre validés, mais une possibilité pour l'employeur de mettre le salarié à la retraite, sous réserve qu'il embauche en contrepartie un autre salarié, dans des conditions précisées par la convention collective.
Monsieur [Y] était âgé de 60 ans lors de sa mise à la retraite et pouvait bénéficier d'une pension vieillesse à taux plein.
Il convient en conséquence de vérifier si l'employeur a respecté les dispositions conventionnelles relatives à la contrepartie de sa mise à la retraite.
L'employeur indique qu'il a embauché à cet effet, le 13 mars 2006, madame [T], comptable.
Monsieur [Y] était vendeur de véhicules et travaillait à [Localité 2] alors que madame [T] a été affectée à l'établissement de [Localité 4].
S'il est exact que la convention collective n'exige pas que le nouveau salarié soit embauché dans le même lieu et pour les mêmes fonctions que le salarié mis à la retraite et que les contreparties d'embauche s'apprécient au niveau de l'entreprise lorsque celle-ci comporte deux établissements ou plus, il appartient à l'employeur de démontrer que la nouvelle embauche est en lien avec la mise à la retraite .
La convention collective prévoit que sur le registre unique du personnel ou sur le document qui en tient lieu , la mention du nom du salarié embauché devra être portée à côté de celle du salarié mis à la retraite et réciproquement .
La société Renault Retail Group n'a pas respecté cette prescription de sorte qu'il est impossible de vérifier l'existence d'un lien entre l'embauche de madame [T] et la mise à la retraite de monsieur [Y], laquelle pourrait être tout autant liée à l'une des 716 embauches réalisées par l'employeur durant les six mois ayant précédé le départ de l'intéressé et les six mois l'ayant suivi ,puisque tel est le délai fixé par la convention collective pour l'embauche en contrepartie.
Le fait que le nombre d'embauche en 2006 a été supérieur à celui des départs à la retraite au sein de la société Renault Retail n'est pas davantage de nature à établir le lien entre le départ de monsieur [Y] et l'embauche de madame [T].
La rupture du contrat de travail de monsieur [Y] s'analyse donc en un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.
L'intéressé percevait un salaire de 5517,34 euros lorsqu'il a quitté la société Renault Retail .Il avait une ancienneté de plus de 44 ans et demi.
Il fait valoir que sa mise à la retraite prématurée et injustifiée l'a privé d'un emploi dans lequel il s'épanouissait et donnait toute satisfaction, ainsi qu'il résulte des fiches de résultat de l'agence, du compte rendu d'entretien professionnel et des documents d'audit élogieux qu'il produit.
Eu égard aux éléments dont dispose la cour, la société Renault Retail sera condamnée à verser à monsieur [Y] les sommes suivantes :
-indemnité compensatrice de préavis : monsieur [Y] étant cadre, a droit à 3 mois de salaire soit 16552,02euros
-congés payés afférents : 1655,22euros
-indemnité conventionnelle de licenciement : la convention collective prévoit pour les salariés âgés de 57 à 65 ans ayant plus de dix d'ancienneté, 2/10 de mois par année à compter de la date d'entrée dans l'entreprise, plus 1/10 de mois par année au-delà de 10 ans , outre éventuellement un capital de fin de carrière dans le cas ou l'indemnité de licenciement est inférieure au plafond annuel de la sécurité sociale .
Il a droit à une indemnité d'un montant de 67864 euros et ne peut prétendre au capital de fin de carrière car cette indemnité est supérieure au plafond annuel de la sécurité sociale.
- indemnité pour non respect de la procédure de licenciement : la société Renault Retail Group employant plus de 10 salariés, cette indemnité ne se cumule pas avec les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
-dommages et intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse rt irrégularité d eprocédure : le licenciement de monsieur [Y] lui a causé un préjudice économique tenant à la perte de revenus, d'intéressement et d'avantages en nature et à une diminution de sa pension de retraite ainsi qu'un préjudice moral résultant de la déstabilisation nécessairement causée par un licenciement injustifié .Toutefois monsieur [Y], qui est à ce jour âgé de 65 ans, ne peut réclamer réparation de ces préjudices jusqu'à l'âge de 85 ans qu'il n'atteindra pas forcément .
La cour dispose des éléments lui permettant de fixer le montant des dommages et intérêts réparant la totalité du préjudice causé par la rupture du contrat de travail, toutes causes confondues, à la somme de 150000 euros
La société Renault Retail Group devra en outre verser à monsieur [Y] 1800 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant publiquement par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe
Vu l'article 696 du code de procédure civile
Infirme le jugement déféré
Dit que la rupture du contrat de travail de monsieur [Y] s'analyse en un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse
Condamne la société Renault Retail Group à verser à monsieur [Y] les sommes suivantes :
-indemnité compensatrice de préavis : 16552,02euros
-congés payés afférents : 1655,22euros
-indemnité conventionnelle de licenciement : 67 864 euros
-dommages et intérêts pour licenciement irrégulier etdépourvu de cause réelle et sérieuse :150000 euros
-article 700 du code de procédure civile : 1800 euros
Déboute monsieur [Y] de ses autres demandes et la société Renault Retail Group de sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile
Dit que les dépens seront supportés par la société Renault Retail Group.
Le Greffier Le Président