COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
9e Chambre C
ARRÊT SUR CONTREDIT
DU 18 NOVEMBRE 2011
N° 2011/ 779
Rôle N° 09/14511
[U] [I]
C/
SA SOCOMA
Grosse délivrée le :
à :
-Me Luc ALEMANY, avocat au barreau de MARSEILLE
-Me Frédéric MARCOUYEUX, avocat au barreau de MARSEILLE
Copie certifiée conforme délivrée aux parties le :
Décision déférée à la Cour :
Contredit formé sur le jugement du Conseil de prud'hommes - Formation de départage de MARSEILLE en date du 09 Juin 2009, enregistré au répertoire général sous le n° 07/2673.
DEMANDEUR AU CONTREDIT
Monsieur [U] [I], demeurant [Adresse 1]
comparant en personne, assisté de Me Luc ALEMANY, avocat au barreau de MARSEILLE
DEFENDEUR AU CONTREDIT
SA SOCOMA, demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Frédéric MARCOUYEUX, avocat au barreau de MARSEILLE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 27 Septembre 2011 en audience publique devant la Cour composée de :
Monsieur Christian BAUJAULT, Président de Chambre
Monsieur Patrick ANDRE, Conseiller
Mme Catherine VINDREAU, Conseiller
qui en ont délibéré
Greffier lors des débats : Madame Florence ALLEMANN.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 18 Novembre 2011.
ARRÊT
CONTRADICTOIRE,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 18 Novembre 2011.
Signé par Monsieur Christian BAUJAULT, Président de Chambre et Madame Florence ALLEMANN, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
M. [U] [I] a été embauché en qualité d'employé de bureau par la SOCIETE COOPERATIVE DE MANUTENTION (SOCOMA) selon contrat à durée déterminée en date du 31 août 1993.
Cet emploi va se poursuivre dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée.
A compter du 24 juin 2003, il est devenu administrateur de cette société, puis en date du 11 avril 2006, il a été nommé en qualité de directeur général délégué de la SOCOMA.
Par ailleurs, le 2 janvier 2004, il a été nommé gérant de la SOCIETE NOUVELLE DE L'ETABLISSEMENT THERMAL DE CAMOINS LES BAINS, filiale de la SOCOMA.
Convoqué à un entretien préalable par lettre du 8 août 2007, le 27 août 2007, M. [U] [I] a été licencié par la SOCOMA pour divergences d'appréciation sur la politique de gestion de l'entreprise et sur les méthodes de travail et le management à appliquer.
Cet emploi est soumis à l'accord d'entreprise du 1er octobre 1990.
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Le 1er octobre 2007, M. [U] [I] a saisi le Conseil de Prud'hommes de Marseille pour demander la requalification du contrat de travail à durée déterminée en contrat à durée indéterminée et contester le licenciement qu'il considère comme entaché de nullité au motif qu'il bénéficiait du statut de délégué du personnel.
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Par jugement de départage en date du 9 juin 2009, le Conseil de Prud'hommes de Marseille a:
- renvoyé les parties devant le bureau de jugement pour qu'il soit statué exclusivement sur la demande de la requalification du contrat de travail à durée déterminée ,
- fait droit à l'exception d'incompétence pour le surplus des demandes et dit que le Conseil de Prud'hommes est incompétent rationae materiae pour connaître des autres demandes au profit du tribunal de grande instance de Marseille.
Le 19 juin 2009, M. [I] a formé contredit de cette décision.
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Au visa de ses conclusions écrites et réitérées lors des débats, et auxquelles la Cour se réfère quant aux prétentions et moyens invoqués, M. [I] soutient qu'en l'état du contrat de travail avec la SOCOMA, le Conseil de Prud'hommes est compétent pour examiner ses demandes. Il réclame la somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
A l'appui du contredit, M. [I] soutient à titre principal que la SOCOMA est soumise non pas aux règles du droit commun de la loi du 10 septembre 1947, faute d'avoir mis en oeuvre les formalités afférentes, mais aux dispositions de la loi du 19 juillet 1978 sur le statut des SCOP dont il ressort que sans perdre le bénéfice du contrat de travail, tout associé peut être nommé gérant, directeur général, membre du conseil d'administration, et qu'il a donc pu cumuler les différents statuts au sein de la société. Il considère que sa désignation en qualité de directeur général n'est pas conforme aux règles légales, se trouve être contraire aux statuts de la SOCOMA, que le mandat social est fictif au regard de l'omniprésence du président M. [V] qui n'a cessé de le diriger et de l'encadrer. Il affirme qu'il existe un lien de subordination avec la société du fait notamment de fonctions distinctes du mandat social. Il soutient que la novation du contrat de travail n'est pas démontrée.
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Au visa de ses conclusions écrites et réitérées lors des débats, et auxquelles la Cour se réfère quant aux prétentions et moyens invoqués, la SOCOMA demande la confirmation du jugement et réclame la somme de 15.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile. Elle conteste l'existence d'un contrat de travail cumulé avec le mandat social dont l'appelant a bénéficié à partir de 2003 en soutenant que ce dernier faisait partie de l'équipe dirigeante de la société. En outre, elle fait valoir la novation contractuelle entre les parties à la suite de la délégation dans le cadre du mandat social.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la recevabilité du contredit
L'examen des éléments produits aux débats tant en ce qui concerne la formalité du contredit, au regard de la nature et de la date de notification du jugement, rend ce recours recevable en la forme.
Sur la compétence
Aux termes de l'article L1411-1 du code du travail, le conseil de prud'hommes règle par voie de conciliation les différends qui peuvent s'élever à l'occasion de tout contrat de travail soumis aux dispositions du présent code entre les employeurs, ou leurs représentants, et les salariés qu'ils emploient. Il juge les litiges lorsque la conciliation n'a pas abouti.
Il est constant que M. [I] a été engagé par la SOCOMA selon contrat de travail à durée déterminée en date du 31 août 1993 en qualité d'employé de bureau chargé de la centralisation de l'administration portuaire pour une durée de douze mois, que les relations contractuelles se sont prolongées dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée, et qu'il a été nommé en qualité d'administrateur de la SOCOMA le 24 juin 2003, mandat social renouvelé en 2005 pour une durée de quatre ans, puis directeur général délégué selon décision du 11 avril 2006 du conseil d'administration.
Au regard de l'argumentaire développé par l'appelant sur le statut des sociétés coopératives ouvrières de production (SCOP), il doit être considéré que dans la mesure où la SOCOMA, dont il n'est pas contesté qu'elle était soumise initialement au dispositif légal de la loi du 19 juillet 1978, modifiée par la loi du 13 juillet 1992, dérogatoire au statut des coopératives de droit commun prévu par la loi du 10 septembre 1947, n'a pas demandé ni donc obtenu une autorisation ministérielle pour sortir de ce cadre légal au moment où elle a procédé à une modification de ses statuts pour dépendre du statut de droit commun des coopératives, le dispositif spécifique à la SCOP, tel que prévu par la loi du 19 juillet 1978, lui reste applicable notamment dans les liens contractuels à l'égard de M. [I].
Le fait que la SOCOMA ait été radiée par arrêté ministériel du 17 janvier 2006 de la liste des sociétés coopératives ouvrières de production pour non respect des dispositions du décret du 10 novembre 1993 est sans incidence sur ce qui précède dans la mesure où cette radiation n'a qu'une conséquence d'ordre fiscal qui empêche la société de prétendre à certains avantages fiscaux sans pour autant priver les mandataires sociaux du droit de cumuler leur mandat avec un contrat de travail.
L'article 15 de la loi du 19 juillet 1978 dispose que sans perdre le bénéfice de son contrat de travail, tout associé peut être nommé en qualité de gérant, membre du conseil d'administration, et ajoute que les règles des articles L 225-22 et L 225-85 du code de commerce ne sont pas applicables aux sociétés coopératives ouvrières de production, de telle sorte que le principe du cumul entre un mandat social et un contrat de travail est possible pour M. [I].
Pour conclure à la disparition du lien de subordination initial de M. [I], la SOCOMA invoque la novation contractuelle du fait de l'absorption du contrat de travail antérieur par le mandat social dont a bénéficié l'appelant en arguant du fait qu'il aurait été intégré à l'équipe dirigeante.
Toutefois, aux termes de l'article 1273 du code civil, la novation ne se présume point; il faut que la volonté de l'opérer résulte clairement de l'acte, voire des faits et actes intervenus entre les parties.
En l'espèce, en l'état du contrat de travail à durée indéterminée en vigueur antérieurement au 24 juin 2003, il ne résulte des explications et des pièces produites aucune preuve d'une novation contractuelle de la situation juridique de M. [I] du fait du mandat social d'administrateur pour lequel il a été nommé en 2003, puis de son affectation comme directeur général délégué.
Il est rappelé que l'existence d'un lien de subordination, qui doit s'analyser, non pas selon la volonté exprimée par les parties, ni par la dénomination que celles-ci ont donné à la convention, mais uniquement à partir des éléments de fait correspondant à l'exercice de l'activité en cause, est caractérisée par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné.
La charge de la preuve du caractère fictif du contrat de travail incombe à la SOCOMA.
Outre le fait que M. [I] a été embauché en 1993 dans le cadre d'un contrat de travail à durée déterminée d'employé de bureau non contesté par la SOCOMA quant à sa nature juridique, qui s'est prolongé par la suite en contrat à durée indéterminée sans qu'un terme n'ait été mis à cet engagement, autrement que par la lettre de licenciement notifiée le 27 août 2007 par la SOCOMA, il résulte des pièces produites que des bulletins de salaires ont été établis par l'intimée jusqu'au 28 août 2007, date de l'attestation ASSEDIC remplie par la SOCOMA, que M. [I] était affilié au régime de retraite des salariés, qu'il bénéficiait de l'intéressement de l'entreprise au titre de sa qualité de salarié, et que le 28 décembre 2006 comme en atteste le procès-verbal des élections au sein de la SOCOMA, il a été élu comme membre suppléant du personnel à la fois en qualité de représentant du personnel au comité d'entreprise et de délégué du personnel.
Le fait que l'appelant soit détenteur à hauteur d'actions de la SOCOMA n'est pas de nature à remettre en cause l'existence d'un lien de subordination, et la nomination aux fonctions de directeur général délégué n'est pas en soi un obstacle pour continuer à bénéficier de la qualité de salarié s'il est démontré que dans le cadre de ces fonctions, ce lien de subordination existait envers le président de la société.
Or, si le procès-verbal du conseil d'administration de la société en date du 11 avril 2006 indique que parallèlement à la mise en place de deux directeurs généraux délégués dont le poste dévolu à M. [I], M. [V], président directeur général, devait faire valoir ses droits à la retraite à compter du 1er avril 2006, il résulte des faits de la cause que l'appelant a continué à exercer ses fonctions sous l'autorité du représentant légal de la société.
En effet, contrairement à l'argumentation de l'intimée, la réalité du lien de subordination résulte des pièces suivantes:
- lettre du 11 mai 2007 de M. [V], président qui formule une demande précise aux deux directeurs généraux délégués pour avoir leurs propositions,
- courriel du 9 juillet 2007 du second directeur général délégué qui fait état d'une demande de M. [V] sur un compte rendu de l'exploitation,
- note à M. [V] de M. [I] du 9 juin 2007 dans laquelle il est demandé l'acquisition de matériels de surveillance et de tracteurs,
- note du 7 juillet 2007 de M. [I] à M. [V] dans laquelle il propose l'engagement de frais pour 16.500 euros HT,
- échanges de courriers entre M. [V] et des partenaires commerciaux,
- texte de l'intervention de M. [V] lors de l'AG du 20 juin 2007,
- courriels du 13 juillet 2006 sur l'intervention technique de M. [I],
- note de M. [V] du 5 février 2007,
- courriels du 3 et 19 janvier 2007 de P. [F] à M. [I],
- courriels des 20 février 2007, 15 mars 2007, 27 mars 2007,
- dépôt de plainte du 19 juin 2007,
- note de service du 9 juillet 2007 de M. [I],
L'analyse de ces documents qui montre que l'exécution des fonctions dévolues à M. [I], en ce compris des fonctions techniques distinctes de l'activité spécifique de directeur général délégué, s'effectuait sous l'autorité de M. [V], président de la SOCOMA qui supervisait le travail de M. [I] comme celui de M. [G] autre directeur général délégué, est confirmée par les attestations établies par plusieurs salariés: [C] [Z], [H] [D], [S] [N], [T] [X], [K] [B] et [L] [E], lesquels évoquent notamment le rôle de responsable d'exploitation occupé par M. [I] qui était sous l'autorité de M. [V].
Cette situation démontre que même si M. [V], président directeur général, a accepté de faire valoir ses droits à la retraite, il a continué à exercer une autorité hiérarchique envers M. [I] dans le cadre de la fonction de directeur général délégué de ce dernier, lequel a continué par ailleurs à assumer son activité de responsable d'exploitation, de manière distincte, de telle sorte que la modification des statuts invoquée par l'intimée ne permet pas d'écarter la persistance du lien de subordination susvisé.
Au regard de ce qui précède, le seul fait que selon le contenu de courriers ou d'attestations ou produits par l'intimée, M. [I] ait été présenté par M. [V], ou perçu par des salariés ou des partenaires extérieurs de la SOCOMA comme successeur présumé de son oncle, président directeur général, ou comme exerçant un rôle de dirigeant au sein de la société, ne permet pas de caractériser l'absence de lien de subordination, alors qu'il ressort des éléments produits que l'appelant restait en permanence sous l'autorité de M. [V], qu'il ne faisait qu'accompagner aux différentes réunions, sans pour autant disposer d'un réel pouvoir autonome.
Le fait que dans ses fonctions, M. [I] ait pu exercer une autorité sur le personnel, situation en adéquation avec son rôle de responsable d'exploitation et de directeur général délégué, ne suffit pas à exclure le lien de subordination envers M. [V].
L'attestation d'[J] [A], commissaire aux comptes, dans laquelle ce dernier indique que son cabinet a été en relation professionnelle avec M. [I] en sa qualité de dirigeant de diverses sociétés du groupe SOCOMA est sans effet sur l'argumentation de l'intimée puisqu'il est constant que l'appelant était par ailleurs gérant de la SNEF, filiale de la SOCOMA, sans que ce statut l'empêche d'être sous le lien de subordination du représentant légal de cette société. Il en est d'ailleurs de même en ce qui concerne l'attestation de [P] [W], directeur de la SNEF, sur l'activité de gérant de l'appelant au sein de cette société.
La lettre du 4 octobre 2007 adressée par M. [I] à M. [G] en vue de l'organisation de l'assemblée générale de la SNEF ne peut être analysée comme la démonstration d'un rôle de dirigeant au sein de la SOCOMA dans la mesure où ce courrier concerne la SNC NOUVELLES DE L'ETABLISSEMENT THERMAL DE CAMOINS LES BAINS dont l'appelant est le gérant et non la SOCOMA elle-même.
Enfin, sans préjuger des motifs retenus, en décidant de procéder au licenciement de M. [I], la SOCOMA a démontré à nouveau la réalité du lien de subordination qu'elle entendait exercer sur l'appelant, et l'intimée est mal fondée à invoquer la réponse de ce dernier dans laquelle celui-ci considère la convocation à l'entretien préalable comme un artifice alors que ce propos selon la lettre du 16 août 2007, n'a pour objet que de contester les griefs retenus à son encontre, sans autre incidence a priori.
Par conséquent, l'ensemble des éléments susvisés conduit à retenir la persistance après juin 2003 d'un lien de subordination entre M. [I] et la SOCOMA, qui n'est pas incompatible avec le mandat d'administrateur dont l'appelant bénéficie de telle sorte que c'est à tort que le jugement critiqué a considéré que la juridiction prud'homale était incompétente pour connaître du litige.
Il s'en déduit que l'exception d'incompétence n'est pas fondée.
Sur l'application de l'article 700 du code de procédure civile
L'équité ne justifie pas au regard des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile de faire droit aux demandes des parties dans le cadre du contredit.
PAR CES MOTIFS
LA COUR, statuant sur le contredit par décision prononcée par mise à disposition au greffe, contradictoirement et en matière prud'homale,
Infirme le jugement de départage du 9 juin 2009 du Conseil de Prud'hommes de Marseille,
Statuant à nouveau
Rejette l'exception d'incompétence d'attribution telle que présentée par la SOCOMA.
Y ajoutant
Dit n'y avoir lieu à faire application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.
Condamne la SOCOMA aux dépens de l'instance sur contredit.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT