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25/10/2011 | FRANCE | N°09/00195

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 14e chambre, 25 octobre 2011, 09/00195


COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE

14e Chambre



ARRÊT AU FOND

DU 25 OCTOBRE 2011



N°2011/1042



Rôle N° 09/00195





S.A. INTRAMAR





C/



CPAM DES BOUCHES DU RHONE

[Y] [U]

[Y] [U]

[A] [T]



FIVA

DRJSCS

























Grosse délivrée le :

à :





Me Frédéric MARCOUYEUX,



CPAM DES BOUCHES DU RHONE



SCP

TUFFAL NERSON - DOUARRE



SCP RACINE ET GUASCO









Copie certifiée conforme délivrée aux partiesle :





Décision déférée à la Cour :



Jugement du Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de BOUCHES DU RHONE en date du 18 Décembre 2008,enregistré au répertoire général sous le n° 20701563.





APPELANT...

COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE

14e Chambre

ARRÊT AU FOND

DU 25 OCTOBRE 2011

N°2011/1042

Rôle N° 09/00195

S.A. INTRAMAR

C/

CPAM DES BOUCHES DU RHONE

[Y] [U]

[Y] [U]

[A] [T]

FIVA

DRJSCS

Grosse délivrée le :

à :

Me Frédéric MARCOUYEUX,

CPAM DES BOUCHES DU RHONE

SCP TUFFAL NERSON - DOUARRE

SCP RACINE ET GUASCO

Copie certifiée conforme délivrée aux partiesle :

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de BOUCHES DU RHONE en date du 18 Décembre 2008,enregistré au répertoire général sous le n° 20701563.

APPELANTE

S.A. INTRAMAR, demeurant [Adresse 3]

représentée par Me Frédéric MARCOUYEUX, avocat au barreau de MARSEILLE

INTIMES

CPAM DES BOUCHES DU RHONE, demeurant [Adresse 6]

représenté par Mme [N] [G] en vertu d'un pouvoir spécial

Monsieur [Y] [U] liquidateur judiciaire de la S.A. SOMOTRANS, demeurant [Adresse 4]

représenté par la SCP TUFFAL NERSON - DOUARRE, avocats au barreau de PARIS

Monsieur [Y] [U] mandataire ad'hoc (Société MANUCAR), demeurant [Adresse 4]

représenté par la SCP TUFFAL NERSON - DOUARRE, avocats au barreau de PARIS

Monsieur [A] [T], demeurant [Adresse 2]

représenté par la SCP RACINE ET GUASCO, avocat au barreau de MARSEILLE

PARTIE(S) INTERVENANTE(S)

FIVA, demeurant [Adresse 8]

non comparant

DRJSCS, demeurant [Adresse 1]

non comparant

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 20 Septembre 2011 en audience publique devant la Cour composée de :

Madame Bernadette AUGE, Président

Madame Florence DELORD, Conseiller

Monsieur Jean-Luc CABAUSSEL, Conseiller

qui en ont délibéré

Greffier lors des débats : Monsieur Kamel BENKHIRA.

Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 25 Octobre 2011.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 25 Octobre 2011

Signé par Madame Bernadette AUGE, Président et Monsieur Kamel BENKHIRA, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCÉDURE - PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

[A] [T] né le [Date naissance 5]1921 a exercé l'activité de docker professionnel, titulaire de la carte G sur le port de Marseille.

Le 21 septembre 2004, il a fait une déclaration de maladie professionnelle en visant la maladie inscrite au tableau n°30 caractérisée par l'apparition de plaques pleurales. La maladie a été reconnue et prise en charge à titre professionnel le 3 décembre 2004 sous le numéro de maladie professionnelle 030ABJ920. Le taux d'IPP a été fixé à 5% le 2 décembre 2005.

Le 28 décembre 2004, Monsieur [T] a fait une déclaration de maladie professionnelle caractérisée par une incapacité ventilatoire restrictive modérée, reconnue et prise en charge sous le numéro de maladie professionnelle 030AAJ61. Le taux d'IPP a été fixé à 15%.

La Caisse Primaire d'Assurance Maladie a été saisie d'une demande de conciliation qui n'a pas abouti.

Le 18 mai 2007, Monsieur [T] a saisi le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale des Bouches du Rhône aux fins de faire reconnaître la faute inexcusable des sociétés INTRAMAR, SOMOTRANS et MANUCAR et par jugement en date du 18 décembre 2008, le tribunal à fait droit à son action, a ordonné la majoration de la rente servie au maximum prévu par la loi, a dit que cette majoration suivra le cas échéant l'évolution du taux d'IPP et lui a alloué les sommes de 15.000 euros au titre de l'indemnisation des souffrances endurées et de 2.500 euros au titre du préjudice d'agrément, outre 1.000 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

La SA INTRAMAR a relevé appel du jugement.

Par des écritures soutenues oralement à la barre auxquelles il convient de se référer, la société demande l'infirmation du jugement.

Elle soutient pour l'essentiel à l'appui de son recours que la preuve de l'exposition au risque de son fait n'est pas rapportée, à supposer démontrée préalablement sa qualité d'employeur. Elle conteste une faute inexcusable qui lui serait imputable dès lors qu'elle ne pouvait avoir conscience du danger et qu'elle avait pris toutes les mesures de prévention et de protection sur un site où la manutention d'amiante représentait moins de 0,1% des volumes. Elle ajoute ne pas être une société professionnelle ou utilisatrice de l'amiante.

Elle invoque enfin la force majeure dès lors qu'elle n'était pas renseignée sur le risque, qu'elle avait l'obligation réglementaire de manutentionner les navires reçus par l'autorité portuaire et enfin qu'aucune mesure utile ne pouvait être prise en l'état d'un travail en plein air et de la diffusion extrême et naturelle du produit.

Elle soutient que la procédure diligentée par la Caisse primaire d'Assurance Maladie lui est inopposable, que les demandes indemnitaires ne sont pas fondées en leur quantum et elle demande que les condamnations soient inscrites au compte spécial.

La société SOMOTRANS par des écritures soutenues à la barre et auxquelles il convient de se référer, a formé appel incident et demande l'infirmation du jugement en l'absence de preuve d'une faute inexcusable et le déboutement de [A] [T].

A titre subsidiaire, elle soutient que celui-ci n'a pas été exposé aux risques lorsqu'il était à son service et que cette exposition aux risques est le fait d'un tiers.

Elle demande qu'il soit prouvé que Monsieur [T] n'a pas reçu d'indemnisation du FIVA correspondant aux sommes réclamées et conclut à la réduction de celles-ci.

Elle invoque l'inopposabilité à son égard des condamnations prononcées tant au titre de la maladie professionnelle qu'à celui de la faute inexcusable.

Elle demande de constater que [A] [T] a eu plusieurs employeurs et qu'en conséquence, les sommes dues au titre de la maladie professionnelle devront être inscrites au compte spécial.

[A] [T] fait valoir qu'en sa qualité de docker effectuant, pour plusieurs entreprises, de la manutention, il a été exposé aux poussières d'amiante à l'occasion du transbordement ou de la manipulation de sacs de jute contenant ce produit.

Il affirme qu'aucun moyen de protection individuelle utile n'a été mis en place, alors que les employeurs auraient dû avoir conscience du danger, et que les règles relatives à la protection des salariés n'ont pas été respectées.

Il sollicite la confirmation du jugement en ce qu'il a retenu la faute inexcusable des sociétés INTRAMAR, SOMOTRANS et MANUCAR mais forme appel incident sur le montant de son indemnisation. Il demande à la Cour de prononcer la majoration de la rente et fixe l'indemnisation de son préjudice à 30.000 euros en réparation du préjudice physique, 40.000 euros en réparation du préjudice moral et 15.000 euros en réparation du préjudice d'agrément Il réclame également la condamnation des sociétés appelantes au paiement de la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

La Caisse primaire d'Assurance Maladie des Bouches du Rhône s'en remet sur l'existence d'une faute inexcusable et sur la majoration de la rente Elle demande l'infirmation de la décision en ce qu'elle a alloué à Monsieur [T] une majoration de la rente sur la base d'un taux d'IPP de 15 % alors que ce taux est relatif à une autre pathologie ' fibrose' sur laquelle ne portait pas le recours introduit en reconnaissance de faute inexcusable.

La société MANUCAR, prise en la personne de son liquidateur Me [U] ne comparaît pas.

La DRJSCS et le FIVA, avisés, ne comparaissent pas, étant précisé que le FIVA a été saisi d'une demande d'indemnisation en cours d'examen.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Attendu qu'à l'audience, les appelants tant à titre principal qu'à titre incident se désistent de leur recours à l'encontre de la société MANUCAR; qu'il convient de constater ce désistement;

Sur la faute inexcusable

Attendu qu'en vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu envers celui-ci à une obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les maladies professionnelles contractées par ce salarié du fait des produits fabriqués ou utilisés dans l'entreprise; que le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable, au sens de l'article L.452-1 du Code de la Sécurité Sociale , lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver;

Attendu qu'il est indifférent que la faute inexcusable commise par l'employeur ait été la cause déterminante de la maladie du salarié; qu'il suffit qu'elle en soit la cause nécessaire pour que la responsabilité de l'employeur soit engagée, alors même que d'autres fautes auraient concouru au dommage;

Attendu qu'il incombe enfin au demandeur de rapporter la preuve que l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé son salarié;

Sur la qualité d'employeur des société en cause

Attendu qu'il résulte des pièces versées aux débats par les parties que jusqu'à la loi du 9 juin 1992, les dockers étaient des journaliers, titulaires de la carte G, affectés quotidiennement par le Bureau Central de la Main d'Oeuvre ( BCMO)au service des entreprises de manutention, en fonction des besoins de ces entreprises; que postérieurement à ce texte, les dockers ont été classés en deux catégories, à savoir d'une part professionnels mensualisés ou intermittents et d'autre part occasionnels; que le contrat de travail liant le docker intermittent à son employeur est conclu pour la durée d'une vacation ( 4 heures) ou d'un shift ( 8 heures) et qu'il s'agit d'un CDD de type particulier puisqu'il peut être prorogé ou renouvelé sans limite d'aucune sorte;

Attendu que [A] [T] après avoir été journalier est devenu professionnel intermittent; que sa qualité de docker n'est contestée par aucune des sociétés en cause;

Attendu que la société INTRAMAR est acconier sur le port de MARSEILLE depuis 1956 et la société SOMOTRANS depuis 1969;

Attendu que sous l'ancien statut comme sous le nouveau, l'employeur a toujours été l'acconier, le BCMO ne constituant qu'un service administratif organisant pour le compte des employeurs la gestion générale de l'embauche des dockers intermittent;

Attendu qu'en effet, l'entreprise de manutention, en fonction de la nature et des quantités de marchandise à traiter indique au BCMO, le nombre et la qualification des individus devant lui être affectés; que durant la vacation, le docker se trouve dans un lien de subordination avec l'acconier qui, par l'intermédiaire de son chef d'équipe, contrôle la présence de chaque docker, lui affecte un poste ou une tâche et peut, en cas de difficulté interrompre son travail; que par ailleurs, le paiement indirect des salaires et cotisations salariales et patronales afférentes, effectué par la Caisse des Compensation des Congés Payés ( CCCP), mandataire de l'employeur, la délivrance des bulletins de paie mentionnant le code de l'employeur confirment ce lien;

Attendu que [A] [T] verse aux débats trois attestations que rien ne conduit la Cour à écarter qui font état de l'activité de celui-ci pour le compte des sociétés en cause;

Attendu qu'il s'agit des attestations suivantes :

- [J] [I] : 'je certifie avoir travaillé en qualité de docker à plusieurs reprises avec monsieur [T] [A] de 1970 à 1979. Nous avons manipulé, à bord des navires, des sacs d'amiante sans protection et sans avoir été informé des dangers auxquels nous avons été exposés et ceci dans plusieurs entreprises portuaires (notamment MANUCAR, RODRIGUES etc...)',

- [J] [S] : 'je certifie avoir travaillé avec M. [T] [A] de 1964 à 1979 sur le port de Marseille en tant que docker et avoir manipulé sur les bateaux des sacs d'amiante sans protection et sans avoir été averti des dangers que l'on encourait dans plusieurs entreprises (INTRAMAR, SOMOTRANS, RODRIGUES, UPA) du port',

- [L] [P] : ' je certifie avoir travaillé avec M. [A] [T] sans protection pour les sociétés UPA, RODRIGUES ELI, MANUCAR, INTRAMAR, sans être informé des dangers, des années 1970 à 1993. En effet nous avons manipulé à bord des navires des sacs d'amiante sans protection et sans avoir été informés des dangers encourus';

Attendu que [A] [T] a également produit un relevé de salaire pour la période du 1er février 1978 au 31 janvier 1979 établissant qu'il a bien exercé l'activité de docker durant cette période;

Attendu que l'ensemble de ces éléments permet de retenir que Monsieur [T] a bien été docker entre 1964 et 1993 et qu'il a travaillé durant cette période pour les compte des trois sociétés en cause;

Sur l'exposition au risque

Attendu que les sociétés en cause soutiennent qu'il n'est pas établi qu'elles aient été l'employeur de [A] [T] au moment où ce dernier a été exposé aux risques tels que décrits au tableau des maladies professionnelles et qu'il n'est pas possible de déterminer l'employeur chez lequel l'exposition au risque a provoqué la maladie ;

Que cependant, si les sociétés en cause ne sont pas des entreprises fabriquant ou utilisant de l'amiante, elles ont cependant été amenées à en faire manipuler par leurs préposés lors des opérations de chargement ou de déchargement des navires ou au cours d'autres opérations de manutention ;

Attendu qu'il résulte du rapport du comité paritaire d'hygiène et de sécurité-manutention portuaire produit aux débats et dont la teneur n'est pas discutée, qu'entre 1965 et 1998, environ 243.307 tonnes d'amiante ont transité par le port, soit en vrac de 1960 à 1980, soit en sacs de jute ou de papier soit ensuite en containers ; que toujours selon ce rapport, 'aucun poste de travail ne peut être certain d'avoir échappé au risque : dockers de bord, de terre, chauffeurs, grutiers, pointeurs, chefs d'équipe, contremaître, chefs de service, personnel d'entretien et mécaniciens' ;

Attendu que pour ce qui concerne plus particulièrement les sociétés en cause, les allégations de la société SOMOTRANS sont démenties par l'attestation établie le 29 décembre 2009 par [H] [V] qui a travaillé dans cette entreprise en qualité d'employée administrative spécialisée du 21 janvier 1980 au 30 avril 1997 et qui atteste : ' mon poste de travail se situait sur les quais, dans les hangars. J'étais taxatrice, c'est-à-dire que comme d'autre collègues, nous avions tous les manifestes des navires qui passaient dans nos mains. J'étais donc au courant que la société SOMOTRANS manipulait de l'amiante en grande quantité. Cette amiante était déchargée par les dockers et arrivait soit en vrac soit dans des sacs dans une poussière quasi permanente' ; que contrairement à ce que soutient la société SOMOTRANS, l'installation d'un bungalow pour les facturiers seulement après l'année 1996, n'exclue pas que ces salariés aient effectué leur activité sur les quais ou dans les hangars et ne remet pas en cause la valeur probante de l'attestation ;

Attendu que cette attestation est confortée par celle d'[L] [M] employé en qualité de contremaître et chef d'équipe par les sociétés INTRAMAR et SOMOTRANS de 1956 à 1988 qui indique le 12 avril 2011: 'j'ai dirigé des équipes de dockers sur des travaux de déchargement de navires d'amiante soit en vrac ou en sac de jute ou en papier. Les sacs de jute étaient poreux et laissaient échapper la poussière d'amiante. Les sacs en papier se déchiraient à la manipulation. Nous mettions les sacs sur palettes... De nombreux sacs se déchiraient et à la fin des opérations nous ramassions le vrac au sol avec des balais et des pelles pour remplir les bennes...les sacs d'amiante restaient pendant une durée indéterminée dans les hangars et la poussière volait dans les courants d'air et au passage des engins, tous les dockers qui travaillaient à proximité les respiraient sans avoir connaissance du danger...on peut dire que jusqu'en 1993, tous les dockers ont manipulé l'amiante' ;

Attendu que par ailleurs les attestations produites par [A] [T] et reprises ci-dessus, mentionnent toutes que celui-ci a manipulé des sacs d'amiante ;

Attendu que l'ensemble des ces attestations est à rapprocher de celle établie par le docteur [F] [C] médecin de la manutention portuaire selon lequel : 'Sur le port de [Localité 7], l'amiante a transité sous forme de vrac et autre conditionnement à partie de 1957 puis en conteneur jusque dans les années 2.000... les différentes formes de conditionnement, de transport et de manutention se révèlent aussi dangereuses les unes que les autres quant aux conséquences sur la santé des salariés. Les ouvriers dockers transportaient directement les sacs d'amiante à l'aide de crochets pour les tirer et inhalaient les fibres d'amiante. Parfois le minerai était déchargé directement des navires en vrac puis était manutentionné à la benne et à la pelle. Les conducteurs d'engins entreposaient ces sacs à l'intérieur des hangars (espaces confinés) ou les stockaient dans des wagons ouverts à proximité directe des navires...' ;

Attendu que les sociétés appelantes intimées ne produisent aucun élément venant contredire le contenu des documents versés aux débats par [A] [T] ;

Attendu que même si le niveau quantitatif de manipulation de l'amiante reste faible par rapport au volume global de trafic du port de Marseille (- de 0,1%), la répétition de ce type de manipulation sur une durée importante soit près de trente ans pour ce qui concerne Monsieur [T] , crée le caractère habituel exigible d'une exposition au risque, dès lors que ce produit est entreposé sous différentes formes qui en tout état de cause impliquent a minima, un environnement général et constant de travail dans un milieu toxique dû aux poussières résiduelles (à bord ou à quai) résultant de la manipulation de sacs y compris du fait éventuel d'autres sociétés (86 entreprises d'aconage ayant exercé de 1957 à 1993) travaillant à proximité immédiate, ce qui reste sans incidence sur l'obligation faite à l'employeur de préserver la santé de ses salariés, même occasionnels ;

Attendu que [A] [T] établit donc qu'il a été exposé à l'amiante de façon habituelle alors qu'il travaillait pour le compte des sociétés en cause ;.

Sur la conscience du danger

Attendu que, comme le soutient [A] [T], les dangers de l'amiante sont connus depuis plusieurs décennies et ont donné lieu par le décret du 3 octobre 1951 à la création du tableau n°30 propre à l'asbestose, fibrose pulmonaire consécutive à l'inhalation des poussières d'amiante ; que les travaux mentionnés comme susceptibles de provoquer ces maladies étaient 'travaux exposant à l'inhalation de poussières d'amiante et notamment cardage, filature et tissage de l'amiante' ;

Que cependant, les sociétés de manutention portuaire n'utilisaient pas l'amiante comme matière première pour leurs propres activités et ne participaient pas à l'activité industrielle de fabrication ou de transformation de l'amiante ; qu'elles procédaient uniquement à une manipulation de divers produits dont l'amiante ;

Que par ailleurs, les travaux et rapports de scientifiques français et étrangers ne peuvent suffire à établir la preuve de la nécessaire conscience du danger pour chacune des entreprises concernées, laquelle doit être caractérisée par des éléments objectifs et implique la démonstration d'un manquement ;

Qu'au vu de l'ensemble des pièces produites, il apparaît acquis qu'aucun document antérieur à 1999, provenant d'organismes professionnels ouvriers ou patronaux, de la médecine de prévention, du port organe de coordination et de police ou de tout autre organe interne à la profession, n'a été produit, permettant de pointer le risque dont l'évidence a été exposée lors de la mise en place d'un dispositif d'allocation ACAATA aux dockers, notamment à propos de la détermination des conditions d'accès au dispositif (condition liée à la manipulation de sacs) ;

Qu'enfin, s'agissant de la période antérieure à 1977, rien ne permet, si l'on se replace à la période à laquelle la victime a pu être au contact des substances incriminées, en l'état des connaissances scientifiques de l'époque et surtout de l'absence de preuve de leur diffusion à des entreprises de ce type, de retenir que ses employeurs successifs avaient ou auraient dû avoir conscience du danger auquel son salarié était exposé ;

Attendu en revanche, qu'à compter de 1977, les entreprises se sont trouvées soumises au décret 77-949 du17 août 1977 qui a mis à leur charge diverses obligations, résultant de la manipulation ou de l'utilisation de l'amiante à l'air libre dans des locaux ou sur des chantiers ;

Que les dispositions des articles 4-8 et 9 de ce décret apparaissent directement applicables à l'entreprise d'acconage en raison du caractère occasionnel et de courte durée de la manipulation par les dockers ou les conducteurs d'engins ;

Attendu que s'ajoute à cette réglementation nationale une réglementation internationale spécifique aux entreprises d'acconage, issue de l'application de l'article 4 de la Convention OIT n°152 portant Convention sur la sécurité et l'hygiène dans la manutention portuaire, adoptée le 25 juin 1979, entrée en vigueur le 05 décembre 1981 et transposée en droit interne par le décret 86-1274 du 10 décembre 1986 ;

Que ces réglementations protectrices contre les risques présentés notamment par les substances dangereuses manipulées (art 4-1c et 2 l,m et o de la convention) bien que la convention ne soit pas spécifique à l'amiante, associées aux prescriptions rappelées plus haut pouvaient ou auraient dû être connues d'entreprises normalement informées des obligations juridiques nationales comme internationales ; qu'aucun élément du débat ne vient d'ailleurs réfuter ces points alors même que les primes de salissures dont bénéficiait le docker intègrent une notion de dangerosité des produits manipulés ;

Attendu que [A] [T] a travaillé selon les attestations pour le compte de la société INTRAMAR de 1964 à 1993, pour le compte de la société SOMOTRANS de 1964 à 1979 et pour le compte de MANUCAR de 1970 à 1993 ;

Qu'en conséquence , il apparaît que ces sociétés auraient dû avoir conscience du danger représenté par l'amiante ne serait-ce que par l'obligation d'affichage (article 18 du décret) d'un plan de prévention et l'obligation de prévenir l'organisme de contrôle, en l'occurrence le Bureau de Prévention du PAM, du fait de la manipulation d'amiante (article 10) ;

Sur l'absence de mesures nécessaires à la protection des salariés

Attendu que les attestations précédemment citées de [J] [I], [J] [S] et [L] [P] [K] font état de l'absence de mesures de protection individuelles au cours de la manipulation des sacs contenant de l'amiante ainsi que de cette substance en vrac ;

Attendu que la société SOMOTRANS n'établit nullement qu'elle avait mis à disposition des salariés les moyens de protection individuelle ;

Attendu que le fait que les dockers travaillaient en plein air ne constitue pas une cause exonératoire, dès lors que l'acconier est responsable du transbordement et donc de l'intervention dans les cales puis à quai sous les hangars de stockage des produits transbordés.

Enfin, s'agissant de la force majeure invoquée en résultant, il conviendra de ne pas confondre les rapports existants entre les entreprises d'acconage et leur autorité de tutelle ou de gestion du port et ceux existant entre l'employeur et le salarié, étant en outre précisé que le silence des autorités portuaires et des organismes représentatifs n'est pas de nature à exonérer l'employeur des obligations issues des textes applicables. ;

Attendu que les sociétés en cause ont bien commis une faute inexcusable à l'origine de la maladie de [A] [T] ;

Sur l'opposabilité de la reconnaissance de maladie professionnelle

Attendu que la Caisse a procédé à l'enquête auprès de la CCCP en qualité de dernier employeur ; que cependant cette dernière ne peut être considérée comme étant l'un des employeurs de [A] [T], la Caisse ne prétendant d'ailleurs pas que la CCCP ait disposé d'un quelconque pouvoir de direction à l'égard de celui-ci ;

Attendu qu'en cas de pluralité d'employeurs, ceux-ci, à l'exception du dernier ou de l'actuel employeur ne peuvent se prévaloir à titre principal du caractère non contradictoire de la procédure qui a été régulièrement menée et ne peuvent que contester le caractère professionnel de la maladie en cas d'action en reconnaissance de la faute inexcusable ;

Que cependant, il en va autrement en cas d'irrégularité affectant la procédure à l'encontre du dernier employeur, qui dans les rapports entre la Caisse et les employeurs affecte l'ensemble de la procédure diligentée aux fins de reconnaissance de la maladie ;

Attendu que la procédure de prise en charge ne peut dans les rapports entre la Caisse et les employeurs être déclarée opposable à ceux-ci ;

Attendu que les sommes versées à la victime seront inscrites au compte spécial ;

Sur la réparation des préjudices

Attendu que [A] [T] a fait une demande de reconnaissance de maladie professionnelle le 19 août 2004 sur la base de deux certificats médicaux établis le même jour soit le 13 février 2004 par le même médecin et faisant état pour l'un 'd'insuffisance respiratoire mixte et calcifications' et pour l'autre d'une 'maladie n° 30B plaques pleurales calcifiées hémi thoraciques et insuffisance respiratoire mixte' ; que cette déclaration mentionnait: maladie professionnelle n°30 ;

Attendu que le 3 décembre 2004, la Caisse primaire d'Assurance Maladie a reconnu la maladie professionnelle n° 030ABJ920 soit plaques pleurales avec effet au 13 février 2004 ; que le 28 décembre 2004, elle a reconnu la maladie professionnelle n°030AAJ61 avec effet au 13 février 2004 ; qu'au titre de ces deux reconnaissances elle a ouvert deux dossiers n° 04221313 2 pour la première et 04021313 4 pour la seconde ;

Attendu que la notification de l'attribution de la rente sur la base d'un taux d'incapacité de 15% au titre de la maladie professionnelle n°030AAJ61 est intervenue le 22 août 2005 ; que la notification de l'attribution d'une indemnité en capital sur la base d'un taux d'incapacité de 5% au titre de la maladie professionnelle n° 030ABJ920 est intervenue le 2 décembre 2005 ;

Attendu que la demande de convocation à la tentative de conciliation adressée par [A] [T] à la Caisse primaire d'Assurance Maladie vise le dossier n° 04021313 4 correspondant selon la Caisse primaire d'Assurance Maladie à la maladie n° 030AAJ61 ; que le procès-verbal de carence vise seulement la maladie professionnelle n°30 du 13 février 2004 ;

Attendu que [A] [T], a saisi le 4 mai 2007 le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale d'une demande de reconnaissance de faute inexcusable à l'origine de la maladie professionnelle N°30 reconnue le 13 février 2004 ; qu'il a demandé la majoration du capital qui lui avait été alloué ; que son conseil par des conclusions déposées devant cette juridiction a visé le diagnostic de plaques pleurales, une prise en charge au 24 janvier 2005 avec notification d'une rente de 15% ; qu'il a demandé la majoration de la rente accordée à son client ;

Attendu que dès lors que la demande de tentative de conciliation porte sur la maladie enregistrée sous le numéro de dossier 04021313 4 soit 030AAJ61 et que les conclusions devant le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale contiennent une demande de majoration de la rente , le fait que dans sa requête, à laquelle était annexée le procès-verbal de carence, [A] [T] ait mentionné la majoration du capital au lieu de la majoration de la rente et qu'il ait visé la maladie n°30, ne permet pas de considérer qu'il n'a pas présenté de demande au titre de la maladie ayant donné lieu à une incapacité de 15% et ce d'autant plus que chacun des rapports d'évaluation par le praticien conseil pour les deux maladies mentionnent ' maladie professionnelle n°30" ;

Attendu que le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a accordé la majoration de la rente ;

Attendu que le diagnostic de la maladie de [A] [T] a été posé alors que celui-ci était âgé de 82 ans ; qu'actuellement âgé de 86 ans ; il se plaint de difficultés respiratoires et de douleurs thoraciques ;

Attendu qu'il présente également une anxiété légitime de l'évolution vers des formes plus graves de sa maladie, renforcée par un sentiment d'injustice lié à l'irrévocabilité de celle-ci ;

Attendu que les activités habituelles d'un homme de son âge sont restreintes du fait de sa maladie ;

Attendu qu'eu égard à ces éléments, la Cour considère que l'appréciation faite par le premier juge de l'indemnisation des préjudices de Monsieur [T] est parfaitement justifiée et doit être confirmée ;

Attendu que les sociétés INTRAMAR et SOMOTRANS seront condamnées solidairement à payer à Monsieur [T] la somme de 1.000 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile .

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire, et en matière de sécurité sociale,

Constate le désistement des appelants à l'égard de la société MANUCAR,

Confirme le jugement entrepris ;

Condamne solidairement les sociétés INTRAMAR et SOMOTRANS à payer à [A] [T] la somme de 1.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile, en sus de celle allouée en première instance de ce chef.

LE GREFFIERLE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : 14e chambre
Numéro d'arrêt : 09/00195
Date de la décision : 25/10/2011

Références :

Cour d'appel d'Aix-en-Provence 14, arrêt n°09/00195 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2011-10-25;09.00195 ?
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