COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
9e Chambre A
ARRÊT AU FOND
DU 22 SEPTEMBRE 2011
N° 2011/581
Rôle N° 09/06143
[Z] [N]
C/
SOCIETE COMMERCIALE DE TELECOMMUNICATION (SCT TELECOM SA)
Grosse délivrée
le :
à :
Me Jérôme ACHILLI, avocat au barreau de MARSEILLE
Me Patrick CAILLET, avocat au barreau de PARIS
Copie certifiée conforme délivrée le :
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de prud'hommes - Formation de départage de MARSEILLE en date du 19 Mars 2009, enregistré au répertoire général sous le n° 06/897.
APPELANT
Monsieur [Z] [N],
demeurant [Adresse 3]
représenté par Me Jérôme ACHILLI, avocat au barreau de MARSEILLE
INTIMEE
SOCIETE COMMERCIALE DE TELECOMMUNICATION (SCT TELECOM SA), demeurant [Adresse 1]
représentée par Me Patrick CAILLET, avocat au barreau de PARIS
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 20 Juin 2011 en audience publique devant la Cour composée de :
Monsieur Michel VANNIER, Président
Monsieur Gilles BOURGEOIS, Conseiller
Madame Laure ROCHE, Conseiller
qui en ont délibéré
Greffier lors des débats : Madame Fabienne MICHEL.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 22 Septembre 2011..
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 22 Septembre 2011.
Signé par Monsieur Michel VANNIER, Président et Madame Fabienne MICHEL, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
RAPPEL DES FAITS ET PROCÉDURE :
Par contrat de travail en date du 10 février 2003, monsieur [N] a été engagé pour une durée indéterminée en qualité de directeur de l'agence de [Localité 2] au sein de la société Sct Telecom (Sct), courtier en fourniture de services téléphoniques, pour une rémunération mensuelle de 3.000,00 euros qui était portée, au dernier état de la relation contractuelle, à la somme de 6.496,47 euros.
Un protocole d'accord a été signé le 31 mars 2005 par monsieur [D], ex commercial de Sct, madame [B], ex salariée de Sct et monsieur [N], à l'époque toujours dans les liens contractuels avec Sct ; ce protocole ,enregistré à la recette des impôts le 1er avril 2005, révèle que les signataires souhaitaient travailler ensemble au sein d'une société de télécommunications, que monsieur [D] avait décidé de créer à cet effet une société (qui seraVertigo Telecom (Vertigo) au capital de 40.000,00 euros divisé en 4000 parts et que madame [B] et monsieur [N] souhaitaient en être ultérieurement les associés, 2001 parts devant alors être prises par monsieur [N] qui devait devenir gérant de cette société; les statuts de Vertigo, déposés le 25 avril 2003, indiquent que la société a pour objet une activité de prestation de services en matière de télécommunications : Vertigo est donc concurrente de Sct.
Monsieur [N] a été mis à pied à titre conservatoire à compter du 25 décembre 2005 pui il a été licencié pour faute lourde par lettre recommandée en date du 30 janvier 2006 les faits qui lui sont reprochés étant qualifiés par l'employeur de concurrence déloyale, détournement de clientèle et débauchage du personnel de Sct.
Par jugement en date du 19 mars 2009, le juge du départage du conseil de prud'hommes de Marseille a débouté monsieur [N] de l'ensemble de ses demandes et a rejeté la demande reconventionnelle de Sct au titre de la clause de non concurrence.
L'une et l'autre parties ont régulièrement interjeté appel de cette décision et l'affaire a été appelée une première fois à l'audience du 20 septembre 2010. En cours de délibéré, monsieur [N] a fait déposer l'arrêt rendu le 13 octobre 2010 par la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Aix-en-Provence qui a confirmé l'ordonnance de non-lieu rendue le 10 juin 2008 par le juge d'instruction du tribunal de grande instance de Marseille dans l'information suivie contre monsieur [N] suite à la plainte avec constitution de partie civile déposée à son encontre du chef d'abus de confiance par la Sct.
Par arrêt en date du 25 novembre 2010, cette cour a ordonné la réouverture des débats et a renvoyé l'affaire à l'audience du 20 juin 2011.
Monsieur [N] demande à la cour de dire et juger que son licenciement pour faute lourde est illégitime, que la clause de non concurrence est nulle et de condamner en conséquence Sct à lui payer les sommes suivantes, avec intérêts à compter du jour de la demande en justice et capitalisation:
- 4.469,21 euros de rappel de salaire sur mise à pied conservatoire et 446,92 euros de congés payés afférents,
- 19.489,43 euros d'indemnité de préavis et 1.948,94 euros de congés payés afférents,
- 7.016,19 euros d'indemnité de licenciement,
- 138.930,00 euros de dommages-intérêts,
- 5.996,75 euros de rappel d'indemnité de congés payés,
- 770,12 euros de remboursement de frais professionnels,
- 1.580,32 euros de complément de salaire pendant la période de maladie,
- 3.000,00 euros de dommages-intérêts au titre de la nullité de la clause de non concurrence,
- 5.000,00 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Sct conclut à la confirmation du jugement déféré en ce qu'il a jugé que le licenciement de monsieur [N] reposait sur une faute lourde mais à son infirmation quant à la clause pénale et elle demande à la cour de condamner le salarié à lui payer les sommes suivantes:
- 64.282,71 euros en application de la clause de non concurrence,
- 22.311,97 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, il y a lieu de se référer au jugement du conseil des prud'hommes et aux écritures déposées, oralement soutenues à l'audience du 20 juin 2011.
MOTIFS DE LA DECISION :
1 - sur le licenciement :
La faute lourde est la faute d'une exceptionnelle gravité qui révèle chez le salarié l'intention de nuire à son employeur.
En l'espèce, le protocole d'accord du 31 mars 2005 démontre que monsieur [N] a directement participé à la création de Vertigo, entreprise concurrente de Sct, ce que ne vient pas démentir la pseudo renonciation à ce protocole qui aurait été signée par messieurs [D] et [N] le 12 avril 2005, document qui n'a aucune date certaine; en outre il est établi notamment par un certain nombre de procédures de licenciement de salariés de Sct et de transactions passées ensuite avec leur employeur, encore par les attestations et témoignages produits que monsieur [N], après la création de Vertigo, est intervenu malignement pour faire rompre au préjudice de l'employeur plusieurs contrats de travail de salariés de Sct qu'il a fait ensuite embaucher ou a tenté de faire embaucher par Vertigo et qu'il a enfin détourné une partie de la clientèle de son employeur au profit de la nouvelle entreprise au fonctionnement de laquelle il a pris une part active.
En cause d'appel, monsieur [N] ne saurait utilement contester les témoignages et remettre en cause les preuves matérielles réunies à son encontre en invoquant l'arrêt de la chambre de l'instruction près la cour d'appel d'Aix-en-Provence du 13 octobre 2010 (frappé d'un pourvoi en cassation) qui a confirmé l'ordonnance de non lieu rendu le 10 juin 2008 par le magistrat instructeur dans l'information diligentée contre messieurs [N] et [D] du chef d'abus de confiance; en effet, la chambre de l'instruction a motivé sa décision non sur des considérations de fait mais uniquement sur des considérations de droit pénal ainsi que le révèlent les motifs ci-après de sa décision:
'[...] Il résulte de l'ensemble des éléments de la procédure ci-dessus rappelés que [L] [D] et [Z] [N] ont incontestablement détourné une partie de la clientèle de la société SCT Télécom. Toutefois, la clientèle n'est pas un bien susceptible d'être détourné, et son détournement ne saurait donc constituer le fondement d'une poursuite pénale du chef d'abus de confiance'.
Dans ce contexte, le courrier recommandé adressé par monsieur [N] à son employeur le 8 décembre 2005 (donc postérieurement à la création de Vertigo, au débauchage d'une partie du personnel et au détournement de clientèle), missive dans laquelle il ne craint pas de faire état d'une situation professionnelle devenue pour lui intolérable, n'est en réalité qu'une ultime manoeuvre destinée à déstabiliser définitivement son employeur.
Les faits commis par monsieur [N], directeur d'agence, consistant à créer une société concurrente de celle de son employeur, à détourner sa clientèle au profit de Vertigo et à débaucher une partie de son personnel sont bien constitutifs d'une faute lourde.
Monsieur [N] sera donc débouté de ses demandes au titre d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse y compris de celles au titre des congés payés et de rappel de salaire relative au complément de salaire pendant sa période de maladie du 4 janvier au 1er février 2006 donc au cours de sa mise à pied.
2 - sur la clause de non concurrence :
L'article 12 du contrat de travail établit une clause de non concurrence d'une durée de deux ans dans les départements 06, 13 et 83 rémunérée mensuellement et il prévoit qu'en cas de violation de cette clause monsieur [N] devra payer une indemnité forfaitaire d'un montant égal au montant de sa rémunération des douze derniers mois.
Cette clause de non concurrence, dont il importe peu qu'elle soit conforme à la convention collective, est nulle du fait que la contre-partie pécuniaire a été versée au salarié pendant l'exécution du contrat et non postérieurement à sa rupture et cette nullité entache tout autant la clause pénale qui y est attachée ; c'est donc à bon droit que le premier juge a débouté Sct de sa demande de ce chef.
Il reste que cette clause nulle a nécessairement causé grief au salarié et la cour lui alloue de ce chef la somme de 250,00 euros de dommages-intérêts qui produira intérêts au taux légal à compter de la présente décision.
3 - sur les autres demandes :
Monsieur [N] dont il est établi qu'il travaillait en réalité pour une entreprise concurrente de celle de son employeur, ne démontre pas que les frais dont il réclame le remboursement ont été engagés au profit de Sct.
Il reste que l'employeur, qui ne soutient pas que l'intéressé n'a effectué aucun travail pour son compte au cours des mois de novembre et décembre 2005, doit fournir au salarié, comme il les réclame à bon droit, les relevés d'information de chiffre d'affaire mensuel voix et dégroupages de monsieur [N] et du pool ainsi que la copie des contrats qu'il a conclus pour le compte de Sct au cours de la période du 1er octobre au 25 décembre 2005, seuls documents permettant de calculer le montant de ses commissions, mais il n'y a pas lieu en l'état d'ordonner cette production sous astreinte.
Il ne sera pas fait droit à la demande tendant à mettre à la charge de l'intimé les sommes que pourrait retenir l'huissier de justice instrumentaire.
Il n'est pas inéquitable que monsieur [N] soit condamné à payer à Sct la somme de 5.000,00 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant par arrêt contradictoire prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant préalablement été avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
Confirme le jugement déféré en ce qu'il a jugé que le licenciement de monsieur [N] reposait sur une faute lourde et l'a débouté de ses demandes au titre d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, de ses frais professionnels et du complément de salaire pendant la période de préavis,
Le confirme encore en ce qu'il a débouté la société Sct Télécom de sa demande reconventionnelle au titre de la clause de non concurrence,
L'infirme pour le surplus et y ajoutant :
Condamne la société Sct :
- à payer à monsieur [N] la somme de 250,00 euros de dommages-intérêts au titre de la clause de non concurrence nulle, cette somme produisant intérêts au taux légal à compter de la présente décision,
- à produire à monsieur [N] les relevés d'information de chiffre d'affaire mensuel voix et dégroupages de monsieur [N] et du pool ainsi que la copie des contrats qu'il a conclus pour le compte de Sct au cours de la période du 1er octobre au 25 décembre 2005,
Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,
Condamne monsieur [N] à payer à la société Sct Telecom la somme de 5.000,00 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et le condamne aux dépens.
LE GREFFIERLE PRÉSIDENT