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13/09/2011 | FRANCE | N°10/09412

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 6e chambre b, 13 septembre 2011, 10/09412


COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE

6e Chambre B



ARRÊT AU FOND

DU 13 SEPTEMBRE 2011



N° 2011/









Rôle N° 10/09412







[N] [W] [H] [S] [U]





C/



[Z] [X] [Y] [O] épouse [U]

































Grosse délivrée

le :

à :la SCP DE SAINT FERREOL - TOUBOUL



la SCP TOLLINCHI - PERRET-VIGNERON - BARADAT-BUJOLI-TOLLINCH

I







Décision déférée à la Cour :



Jugement du Tribunal de Grande Instance de MARSEILLE en date du 15 Mars 2010 enregistré(e) au répertoire général sous le n° 05/7448.





APPELANT



Monsieur [N] [W] [H] [S] [U]



né le [Date naissance 1] 1947 à [Localité 8]



de nationalité Française,


...

COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE

6e Chambre B

ARRÊT AU FOND

DU 13 SEPTEMBRE 2011

N° 2011/

Rôle N° 10/09412

[N] [W] [H] [S] [U]

C/

[Z] [X] [Y] [O] épouse [U]

Grosse délivrée

le :

à :la SCP DE SAINT FERREOL - TOUBOUL

la SCP TOLLINCHI - PERRET-VIGNERON - BARADAT-BUJOLI-TOLLINCHI

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal de Grande Instance de MARSEILLE en date du 15 Mars 2010 enregistré(e) au répertoire général sous le n° 05/7448.

APPELANT

Monsieur [N] [W] [H] [S] [U]

né le [Date naissance 1] 1947 à [Localité 8]

de nationalité Française,

demeurant [Adresse 5]

représenté par la SCP DE SAINT FERREOL-TOUBOUL, avoués à la Cour,

assisté de Me Myrtho BRUSCHI, avocat au barreau de MARSEILLE

INTIMEE

Madame [Z] [X] [Y] [O] épouse [U]

née le [Date naissance 2] 1950 à [Localité 9]

de nationalité Française,

demeurant [Adresse 5]

représentée par la SCP TOLLINCHI VIGNERON TOLLINCHI, avoués à la Cour,

assistée de Me Pascal CERMOLACCE, avocat au barreau de MARSEILLE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 16 Juin 2011 en Chambre du Conseil. Conformément à l'article 785 du Code de Procédure Civile, Chantal GAUDINO, Conseiller a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.

La Cour était composée de :

Monsieur Jean-Pierre CHAMPRENAULT, Président

Madame Dominique KLOTZ, Conseiller

Madame Chantal GAUDINO, Conseiller

qui en ont délibéré

Greffier lors des débats : Madame Marie-Sol ROBINET.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aura lieu par mise à disposition au greffe le 13 Septembre 2011.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 13 Septembre 2011.

Signé par Monsieur Jean-Pierre CHAMPRENAULT, Président et Madame Marie-Sol ROBINET, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

[N] [U] et [Z] [O] ont contracté mariage le [Date mariage 3] 1971 par devant l'Officier d'Etat Civil de la commune de [Localité 11] (Bouches du Rhône), sans contrat préalable.

Deux enfants sont issus de leur union, aujourd'hui majeurs.

[Z] [O] a présenté le 8 juillet 2005 une requête en divorce.

Par ordonnance de non-conciliation en date du 21 novembre 2005, le Juge aux affaires familiales de [Localité 9] a autorisé les époux à introduire l'instance et statué sur les mesures provisoires sollicitées, à savoir :

- attribué à l'épouse la jouissance du domicile conjugal

- débouté [Z] [O] de sa demande de pension alimentaire et de provision ad litem.

Par acte du 7 février 2006, suivi d'un acte du 12 novembre 2007 qui annule et remplace le précédent, [Z] [O] a assigné son mari sur le fondement de l'article 242 du Code Civil. [N] [U] a formé une demande reconventionnelle sur le même fondement.

Par jugement en date du 15 mars 2010, le Juge aux affaires familiales de [Localité 9] a :

- prononcé le divorce aux torts exclusifs du mari, relevant à son encontre des violences et des activités sexuelles débridées et déviantes ayant généré des frais importants qui ont obéré les finances du ménage

- ordonné la liquidation des intérêts patrimoniaux

- condamné le mari à verser à son épouse, sur le fondement de l'article 1382 du Code Civil, la somme de 20 000€ à titre de dommages et intérêts en réparation des préjudices moral et financier subis

- attribué préférentiellement à l'épouse le bail emphytéotique consenti la 18 mai 1982 aux époux sur la villa constituant le domicile conjugal

- condamné le mari à verser à son épouse une prestation compensatoire en capital de 50 000€, dans un délai de trois ans à compter du prononcé de la décision

[N] [U] a formé appel de cette décision par déclaration au greffe de la Cour d'Appel de céans en date du 19 mai 2010. [Z] [O] a constitué avoué le 2 juillet 2010.

Dans ses conclusions du 8 juin 2011, [N] [U] s'inscrit en faux contre les violences alléguées, et les activités sexuelles hors norme qui lui sont prêtées. Il reproche à son épouse sa violence, se traduisant par des injures, du dénigrement et du harcèlement, ainsi que son absence de participation aux charges du ménage. Le divorce sera donc prononcé aux torts exclusifs de l'épouse, laquelle sera par conséquent déboutée de sa demande de dommages et intérêts . Comme il a subi pendant des années l'attitude vexatoire et les méchancetés de sa conjointe, il demande à ce qu'elle soit condamnée à lui payer la somme de 50 000€ de dommages et intérêts. Il procède à l'analyse de la situation des parties et en conclut qu'il n'existe aucune disparité justifiant de l'octroi d'une prestation compensatoire. Il fait valoir que les époux sont tous deux bénéficiaires d'un bail emphytéotique qui ne peut être attribué préférentiellement à l'un ou à l'autre. Il demande à la Cour de constater que la villa se compose de deux appartements de 75 m2 avec des entrées différentes, et qu'il demande à bénéficier de l'une ou de l'autre partie pour la louer. Si le bail devait être attribué en totalité à [Z] [O], il sollicite une récompense et indemnité, qui selon expert, s'élève à la somme de 306 327€.

Il requiert enfin l'allocation de la somme de 4000€ par application de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

Dans ses écritures en date du 16 mai 2011, [Z] [O] forme appel incident et sollicite de la Cour qu'elle condamne son mari à lui verser la somme de 94 000€ à titre de prestation compensatoire, et la somme de 1 318 561€ à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral et financier causé par son mari qui non content d'exercer des violences à son encontre et de mener une vie sexuelle débridée, a aussi dépensé l'argent du ménage pour assouvir ses vices ce qui a empêché le couple de faire des investissements financiers, et a donc constitué une perte de chance. Elle énonce tous les sacrifices qu'elle a faits pour sa famille, et le peu de retour de la part du mari qui ne passait aucun de ses temps libres avec les siens, mais préférait fréquenter les lieux de plaisir et y dilapider ses revenus, si bien que le couple était constamment à découvert et devait sempiternellement recourir au crédit.

Elle s'oppose fermement à la demande du mari de diviser la maison en deux lieux de vie pour pouvoir continuer à bénéficier du bail emphytéotique dont les époux sont tous deux titulaires. Elle sollicite la confirmation de la décision déférée sur l'attribution préférentielle de ce bail, et propose de verser à son mari pour le remplir de ses droits, la soulte qu'a fixée l'expert [V] , soit la somme de 2742€.

[N] [U] sera condamné à lui payer la somme de 3000€ au titre des frais irrépétibles.

[Z] [O] a également signifié le 9 juin des conclusions de rejet des écritures du mari, estimant qu'elles étaient tardives.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 16 juin 2011.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la recevabilité de l'appel

La recevabilité de l'appel n'est pas contestée. Aucun élément n'est fourni à la Cour lui permettant de relever d'office la fin de non recevoir tirée de l'inobservation du délai de recours. L'appel sera déclaré recevable.

Sur la procédure

[Z] [O] demande à la Cour d'écarter des débats les conclusions du mari en date du 8 juin 2011, au motif qu'elles auraient été prises la veille de la clôture et qu'elles seraient tardives.

Il est vrai qu'un calendrier de procédure a été établi par le magistrat de la mise en état le 23 février 2011, prévoyant la clôture de l'instruction à la date du 9 juin. Mais dans les faits, l'avoué de l'appelant a sollicité le 23 mai 2011 le report de la date de clôture au motif qu'il n'était pas en mesure de conclure en réplique des 48 pages de conclusions qui venaient de lui être notifiées, car son adversaire n'avait toujours pas communiqué ses pièces. Le magistrat de la mise en état a accédé à sa demande et reporté la date de la clôture au jour de l'audience.

Dès lors, la demande de [Z] [O] sera rejetée.

Au fond

Sur le prononcé du divorce

Aux termes de l'article 242 du Code Civil, le divorce peut être demandé par l'un des époux lorsque des faits constitutifs d'une violation grave ou renouvelée des devoirs et obligations du mariage sont imputables à son conjoint, et rendent intolérable le maintien de la vie commune.

[Z] [O] fait grief à son époux d'avoir exercé à son encontre des violences, d'avoir opté pou une sexualité déviante et dissolue, injurieuse pour le conjoint, et d'avoir dépensé à son seul profit l'argent du ménage.

Quoi qu'en dise [N] [U], le premier grief est parfaitement établi par les certificats médicaux versés aux débats et les plaintes déposées par son épouse.

Le 4 octobre 2005, [Z] [O] s'est présentée à la brigade de gendarmerie de [Localité 7] pour y déposer plainte contre son mari. Elle expliquait que le 27 septembre 2005,alors que s'était engagée entre les deux conjoints une discussion sur l'emploi du temps du mari pour la journée, ce dernier avait démarré son véhicule et l'avait volontairement heurtée au genou gauche. Elle était allée consulter au service des urgences du centre hospitalier d'[Localité 6] le surlendemain et s'était vue délivrer un certificat médical relevant une érosion cutanée superficielle prérotulienne gauche, et une douleur à la palpation, et fixant l'incapacité totale de travail à 2 jours.

La procédure était continuée par les services de police de [Localité 9] qui entendaient les deux protagonistes. [N] [U] soutenait n'avoir jamais heurté son épouse et affirmait qu'elle s'était blessée toute seule la veille des faits présumés en tapant de rage dans son véhicule qui en avait été légèrement endommagé. Les constatations policières ne confortaient pas ses assertions, car aucun dégât n'était relevé sur le véhicule. Par ailleurs, [Z] [O] produisait d'autres certificats médicaux en date des 3 et 5 octobre 2005 délivrés suite aux consultations rendues nécessaires par la persistance des douleurs au genou, ainsi qu'un certificat du 29 août 2005 établi par le service des urgences d'[Localité 6] qui relevait une contusion des 2ème, 3ème et 4ème doigt de la main gauche suite à une agression physique par son mari (sur laquelle il ne lui a jamais été demandé d'explications ). Ces faits ont paru au Ministère Public suffisamment caractérisés pour ordonner une médiation pénale, à laquelle l'épouse a refusé de se rendre si bien que le parquet s'est trouvé contraint de classer l'affaire sans suite, en l'absence de tout témoin.

[Z] [O] produit aux débats d'autres certificats médicaux, non remis à la police, qui démontrent qu'ensuite de ces faits, elle s'est vue prescrire des antalgiques, a subi un IRM, des soins pendant 30 jours, et 15 séances de rééducation. Elle s'est également retrouvée en arrêt de travail. De telles complications confortent bien la version de l'épouse sur un choc frontal violent au genou.

Il apparaît d'ailleurs, que ce n'est pas seulement lorsqu'elle a envisagé de divorcer que [Z] [O] s'est trouvée confrontée à la violence de son mari : en 1998, il lui a donné un coup de pied dans le postérieur qu'il a reconnu devant les services de police, et l'association SOS Femmes, bien connue pour recevoir les appels des femmes soumises à l'agressivité de leur compagnon, atteste en novembre 2005 du suivi dans leurs locaux de l'intimée depuis septembre 2002.

A l'appui du second grief, [Z] [O] produit un constat d'huissier établi au domicile familial les 24 août, 9 septembre, 12 et 24 octobre 2005.

Maître [M] a trouvé dans la chambre de l'époux 'le répertoire des clubs échangistes, couples, mixtes, gays -édition 2005/2006", un billet manuscrit inséré dans la revue portant des indications relatives à des établissements de plaisirs parisiens (Le Dom Juan, le Royal Théâtre Lolita etc....) dont les coordonnées correspondaient à des clubs figurant dans la revue, ainsi que deux bandes dessinées érotiques.

Il a également parcouru six agendas dans lesquels il a relevé diverses mentions qui ne laissent aucun doute sur les frasques sexuelles du mari :

- des adresses de clubs libertins, de saunas et hammam érotiques, de massages sensuels dans le sud de la France mais aussi à [Localité 10]

- des mentions sur des rites érotiques (rasage, épilation totale, port d'accessoires...)

- des mentions sur des pratiques sexuelles de type sado-masochistes , ou mettant en scène plusieurs partenaires

- des petites annonces en vue de rencontres érotiques

- des annotations sur les attraits physiques de personnes rencontrées

- des rendez-vous galants

[N] [U] fait valoir que les indications manuscrites auraient été portées de la main de l'épouse.

Mais certaines mentions de lieux ou les coordonnées précises de personnes ne correspondaient pas nécessairement aux annonces du répertoire des clubs érotiques cité plus haut, et il n'aurait pas été difficile alors de démontrer, si cela relevait de la pure imagination de l'épouse, la forgerie.

Par ailleurs, le talon d'un chèque émis le 5 juillet 2005 portait l'indication d'une personne dénommée [I] dont le nom apparaissait à plusieurs reprises sur le dernier agenda, laquelle enseignait aux termes de la même brochure 'la voie du tao par le massage sensuel'.... Il s'agissait d'un acompte pour une réservation à un stage de trois week-ends, dont le but avoué (selon la brochure remise par l'appelant lui-même) était l'intensification et l'allongement à l'envie des moments de plaisir et d'extase.....

Par cela même, le grief est établi.

[Z] [O] reproche enfin à son mari d'avoir dilapidé l'argent du ménage pour assouvir ses passions secrètes.

En l'occurrence, les deux époux ont fait procéder chacun par un cabinet d'expertise comptable à l'analyse des revenus et dépenses du couple, l'un pour démontrer le coût du comportement déviant du mari, l'autre pour apporter la preuve qu'il participait aux charges du ménage.

Aucune de ces expertises n'emporte vraiment la conviction, chaque partie ayant remis au cabinet mandaté les documents qui confortaient sa thèse.

Cependant, nul n'ignore que les plaisirs interdits sont coûteux, et il est certain que les déplacements, les entrées dans les clubs privés et l'achat de nombreux objets dans des magasins spécialisés ont obéré les finances du ménage.

De son côté, [N] [U] fait grief à son épouse d'avoir adopté à son égard, et vis à vis des tiers, un comportement violent, injurieux et de s'être livrée à son endroit à du harcèlement. C'est ce comportement qui à ses dires, expliquerait qu'elle ait dû renoncer à ses activités de masseur-kinésithérapeute, car elle se trouvait systématiquement en opposition avec ses associés et faisait régner une ambiance délétère au sein de son cabinet.

L'attitude négative de [Z] [O] au travail n'est pas établie, à supposer encore qu'elle aurait pu constituer une violation des devoirs et obligations du mariage.

Sur le plan familial, il résulte d'attestations émanant de la famille [U], que l'épouse ne participait plus (ou très peu) aux réunions familiales depuis 1995 et qu'elle tenait des propos désagréables à certains membres.

Certes, le fait de refuser d'entretenir des relations avec la famille de son conjoint peut constituer une attitude injurieuse. Mais en l'occurrence, la distance que l'épouse a mis entre elle et la famille de son mari est intervenue après 24 ans de mariage, et personne n'indique comment est intervenu ce brusque changement d'attitude. Par ailleurs, [N] [U] s'est accommodé de cette attitude pendant dix ans . Il ne peut donc être considéré que ce comportement rendait intolérable le maintien du lien conjugal.

Il lui reproche également la non contribution aux charges du mariage.

Certes l'épouse faisait virer son salaire non sur le compte joint, mais sur un compte personnel ouvert à la BNP. Mais l'étude de ce compte pour la période 2000/2004 montre des achats récurrents dans des grandes surfaces (Auchan, Intermarché, Géant Casino...), des magasins de meubles (Alinéa, But..), de bricolage (Bricorama) ou de vêtements (Kiabi, H&M), toutes dépenses typiques de la vie familiale. Dès lors, le grief n'est pas établi.

En définitive, seul le comportement du mari a constitué des violations graves ou renouvelées aux devoirs et obligations du mariage, rendant intolérable le maintien du lien conjugal. C'est donc à bon droit que le premier juge a prononcé le divorce à ses torts exclusifs.

Sur les dommages et intérêts

Aux termes de l'article 1382 du Code Civil, tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

En l'espèce, le délitement du lien conjugal étant imputable au mari, [Z] [O] est recevable à faire valoir le préjudice moral et financier que lui ont occasionné les violences dont elle a été victime, et aussi l'attitude débridée du mari particulièrement injurieuse pour une épouse qui à l'évidence, accordait beaucoup d'importance à l'institution du mariage.

Elle fait valoir également un préjudice financier spécifique, lié aux activités sexuelles du mari, sur le fondement d'une étude accomplie à sa demande par le cabinet Syrec, dont les conclusions sont vivement critiquées par l'époux et l'officine qui a étudié à la demande de celui-ci les finances du ménage.

Comme l'a relevé de façon pertinente le premier juge, si certaines dépenses étaient aisément identifiables (achats dans des magasins spécialisés, entrées dans les saunas, ou des clubs...) d'autres étaient sujettes à diverses interprétations. Par ailleurs, il est établi par les pièces versées en procédure, que le mari était impliqué dans des activités politiques locales et associatives, si bien qu'il a pu être conduit à effectuer des dépenses à ce titre (ce que l'épouse admet dans ses écritures, sans remettre en question les choix du mari).

Certes il est étonnant que vu les ressources du couple et l'absence quasi-totale de charge de logement (qui obère pour la plupart des ménages français, les revenus du tiers) ainsi qu'il sera vu ci-après, qu'en 34 ans de vie commune, les époux ne soient pas parvenus à épargner ou acquérir comme l'aurait fait une majorité de concitoyens, un bien immobilier qui aurait pu leur procurer des revenus fonciers et payer les études de leurs enfants sans recourir à des prêts.

Toutefois, il ne peut être imputé au seul mari cet état de fait, dans la mesure où l'analyse à laquelle a procédé le cabinet Syrec ne porte que sur les dernières années de la vie commune, qu'il n'a pu être parfaitement établi que les ressources du couple aient été englouties du fait des dépenses du mari et qu'a été omis l'emploi par l'épouse de l'héritage qu'elle a reçu en 1996. Par ailleurs, l'étude ramène la gestion d'un bon père de famille à l'acquisition d'un bien immobilier, alors que le couple aurait pu aussi faire d'autres choix : acquisition de meubles anciens, objets d'art, tableaux, achat d'or ou de bijoux, souscription de contrats d'assurance vie...... Dès lors, le raisonnement que tient le cabinet Syrec d'une valorisation du capital qui aurait pu être investi dans l'immobilier à la somme de 1 318 561€, relève d'un parti pris et ne peut servir de fondement à une indemnisation.

Il apparaît raisonnable dans ces conditions de ne retenir que le préjudice moral et financier occasionné par les violences et le préjudice moral généré par les activités sexuelles du mari et d'accorder à l'épouse la somme de 20 000€.

En ce qui concerne [N] [U], il fait état quant à lui d'un dommage crée par l'attitude injurieuse et vexatoire de l'épouse, ainsi que par le fait que le soir même de l'ordonnance de référé-violences, elle a posé devant le palier un petit baluchon de ses affaires, et qu'il s'est trouvé contraint de recourir aux services d'un huissier pour récupérer divers effets.

Quels que soient les torts, le Juge aux affaires familiales peut accorder à l'un ou l'autre des époux des dommages et intérêts, en lien direct avec les circonstances de la séparation ou la procédure de divorce.

L'attitude vexatoire et injurieuse de l'épouse tout au long de la vie commune, en est restée au stade des allégations, comme il a été vu plus haut.

Pour prouver l'attitude injurieuse de [Z] [O] le soir de l'ordonnance de référé -violences, [N] [U] produit aux débats la photographie prise de nuit d'un tas placé sur un trottoir devant une clôture, dans lequel on peut apercevoir ce qui pourrait s'apparenter à un blouson en tissu.

En l'absence de tout autre élément, ce seul cliché est insuffisant pour établir qu'il s'agit d'effets vestimentaires appartenant à l'intéressé et qu'ils se trouvent devant le domicile conjugal.

Enfin, il est exact que [N] [U] s'est présenté le 13 mai 2006 au domicile conjugal (attribué à l'épouse par l'ordonnance de non-conciliation du 21 novembre 2005) en compagnie d'un huissier de justice pour y récupérer divers effets. Toutefois, il ne peut être fait grief à l'épouse de n'avoir pas remis spontanément les objets réclamés par le mari (pour l'essentiel des livres) car l'ordonnance de non-conciliation ne précisait rien de particulier à ce sujet, et dans la mesure où elle avait été victime de violences de sa part, elle craignait sans doute de se retrouver en tête à tête avec lui lorsqu'il viendrait prendre des objets.

En conséquence, [N] [U] sera débouté de sa demande de dommages et intérêts.

Sur l'attribution préférentielle du droit au bail emphytéotique relatif au domicile conjugal

Il sera rappelé que le domicile conjugal a été attribué à l'épouse depuis le 7 novembre 2005, date de l'ordonnance de référé-violences diligentée par [Z] [O] sur le fondement de l'article 220-1 du Code Civil.

Il résulte de la procédure que le 18 mai 1982, une dame [A] [D] a donné à bail emphytéotique aux époux [U] une villa avec terrain attenant, sise à [Localité 7], moyennant une redevance annuelle de 3000F.

Le 21 octobre 1994, la soeur de la bailleresse qui était décédée le [Date décès 4] de la même année, a délivré en sa qualité d'héritière, un legs particulier aux deux enfants du couple [U], à savoir la villa occupée par leurs parents aux termes du bail emphytéotique précité.

Les écritures de l'intimée permettent de comprendre que ce bien appartient en fait à sa famille.

[Z] [O] demande l'attribution préférentielle de ce bail, [N] [U] s'y oppose, affirmant qu'il n'est pas de la compétence du Juge aux affaires familiales d'attribuer à l'un ou l'autre des époux préférentiellement ledit bail.

En l'espèce, le premier juge a fait application de l'article 1751 du Code Civil qui dispose que le droit au bail qui sert effectivement à l'habitation des deux époux, peut être attribué en considération des intérêts sociaux ou familiaux en cause, par le juge du divorce à l'un des époux sous réserve des droits à récompense ou à indemnité au profit de l'autre époux.

Toutefois, l'emphytéose est régie par les article L451-1 et suivants du code rural et de pêche, et la jurisprudence est venue à plusieurs reprises rappeler la spécificité de ce type de bail : les règles qui régissent le louage ordinaire n'ont jamais été applicables au louage emphytéotique.

Dès lors, l'article 1751 du Code Civil n'est pas ici applicable.

[Z] [O] devra en conséquence être déboutée de sa demande, le juge du divorce n'étant pas compétent en l'espèce.

Sur la prestation compensatoire

Il résulte des articles 270 et suivants du Code Civil que l'un des époux peut être tenu de verser à l'autre une prestation destinée à compenser autant qu'il est possible, la disparité que la rupture du mariage crée dans les conditions de vie respectives. La prestation compensatoire est fixée selon les besoins de l'époux à qui elle est versée et les ressources de l'autre en tenant compte de la situation au moment du divorce et de l'évolution de celle-ci dans un avenir prévisible. Pour ce faire, le juge prend en considération un certain nombre d'éléments non limitativement énumérés par l'alinéa 2 de l'article 271 du Code Civil.

[N] [U] est âgé de 63 ans. Il a rencontré en 1977 un grave problème de santé (carcinome du testicule droit) ayant conduit à une lymphadénectomie et une exérèse. En 1981, il a subi une uretérolyse droite et une iléo-trasversostomie suivies d'une chimiothérapie.

[Z] [O] est âgée de 61 ans. Elle a effectué le 3 novembre 2010 une déclaration de maladie professionnelle pour un syndrome canal carpien gauche, suite à une accident de voiture dont elle a été victime le 28 octobre 2010.

Le couple s'est marié le [Date mariage 3] 1971 et s'est séparé en novembre 2005. La vie commune dans les liens du mariage a duré près de 35 ans.

Le couple a eu deux enfants nés en 1973 et 1976 et qui ne sont donc plus à la charge des parents.

[N] [U] occupe un emploi de gestionnaire dans un grand hôpital marseillais. Il a déclaré au titre des revenus 2010, la somme de 48 271€ soit un revenu mensuel net de 4022€.

Ses charges sont principalement constituées de son loyer : 650€, la moitié de la redevance annuelle du bail emphytéotique : 228€, la moitié de la taxe foncière : 210€/an, et les frais de la vie courante : 1000€/mois environ. Il est redevable de l'IRPP : 7731€

Il devrait prendre sa retraite en 2012. Le montant de sa pension n'est pas encore connu. L'épouse soutient sans en rapporter la preuve qu'il percevra une indemnité importante de départ à la retraite (trois ans de salaires).

[Z] [O] travaille dans l'éducation nationale. En 2009, elle a perçu des salaires à hauteur de 33 817€ et des heures supplémentaires exonérées : 3566€, soit un revenu mensuel de 3115.25€. Elle occupe le domicile conjugal et est donc redevable comme son mari de la moitié de la redevance : 228€/an. Ses autres charges sont deux crédits personnels : CASDEN : 149.48€, et Crédit Mutuel : 75€, les mensualités EDF : 145€, et Eaux de [Localité 9] : 27€, les cotisations d'assurance voiture et habitation : 136.52€:mois, la taxe foncière : 209.50€/an et la taxe d'habitation : 578€/an. Elle est redevable de l'IRPP : 2355€/an.

Elle affirme voir changé d'orientation professionnelle quand son mari a été atteint de son premier cancer en 1977 et de s'être sacrifiée pour sa famille en prenant la voie de l'enseignement. Son mari soutient au contraire que c'est à cause de son très mauvais caractère qu'elle a été obligée d'abandonner la carrière de kinésithérapeute qu'elle avait entreprise, car elle se disputait de façon incessante avec ses associés. Aucun des deux ne rapporte la preuve de ses assertions. Toutefois, il convient de remarquer que le relevé de carrière de [Z] [O] ne mentionne une interruption que pendant la période correspondant dans son curriculum vitae, à celle de ses études. Ni les deux cancers de son mari, ni la naissance de ses enfants n'ont été à l'origine d'un arrêt dans le cursus professionnel.

Le couple n'a acquis aucun bien immobilier.

Aucun des deux ne déclare de valeurs mobilières. L'épouse prétend sans en rapporter la preuve que son mari détiendrait un plan d'épargne entreprise qui ne serait pas commune, car le contrat conclu entre l'organisme collecteur et l'entreprise exclurait le conjoint.

Au vu de ces éléments, il n'apparaît pas que la rupture du lien conjugal crée une disparité dans les conditions de vie de l'épouse. Certes sa retraite sera moindre que celle de son mari, mais la prestation compensatoire n'a pas pour office d'égaliser les situations financières. Par ailleurs, s'il y a différence de revenus entre les époux, il s'agit d'un choix de l'épouse qui aurait pu poursuivre sa carrière de kinésithérapeute sans doute plus rémunératrice que les fonctions d'enseignante.

En conséquence, la décision du premier juge sera infirmée et l'épouse déboutée de sa demande.

Sur les dépens

Ils seront mis à la charge de [N] [U] aux torts exclusifs duquel le divorce est prononcé.

Aucune considération d'équité ne commande en l'espèce l'application de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant en audience publique , contradictoirement, après débats hors la présence du public

En la forme

Reçoit l'appel

Déboute [Z] [O] de sa demande de rejet des conclusions de son mari déposées le 8 juin 2011

Au fond

Confirme la décision querellée sur le prononcé du divorce et les dommages et intérêts

Y ajoutant

Déboute [N] [U] de sa demande de dommages et intérêts

Infirme la décision pour le surplus

Et statuant à nouveau

Déclare [Z] [O] irrecevable en sa demande d'attribution préférentielle

Déboute [Z] [O] de sa demande de prestation compensatoire

Déboute chacun des époux de sa demande de frais irrépétibles

Dit que [N] [U] supportera les dépens de l'appel, distraits au profit de la SCP TOLLINCHI, PERRET-VIGNERON et BARADAT-BUJOLI-TOLLINCHI, avoués près la Cour d'Appel de céans

Le Greffier,Le Président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : 6e chambre b
Numéro d'arrêt : 10/09412
Date de la décision : 13/09/2011

Références :

Cour d'appel d'Aix-en-Provence 6B, arrêt n°10/09412 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2011-09-13;10.09412 ?
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