COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
6e Chambre B
ARRÊT AU FOND
DU 06 SEPTEMBRE 2011
N° 2011/487
Rôle N° 07/15409
[O] [L] [R]
C/
[G] [P] [Y] épouse [R]
Grosse délivrée
le :
à : la SCP SIDER
la SCP DE SAINT FERREOL - TOUBOUL
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Grande Instance de GRASSE en date du 03 Septembre 2007 enregistré(e) au répertoire général sous le n° 04/07558.
APPELANT
Monsieur [O] [L] [R]
né le [Date naissance 1] 1949 à [Localité 8] (GABON)
de nationalité Française,
demeurant [Adresse 13]
représenté par la SCP SIDER, avoués à la Cour,
assisté de Me Rose-Marie ROSTAGNO-BERTHIER, avocat au barreau de GRASSE
INTIMEE
Madame [G] [P] [Y] épouse [R]
née le [Date naissance 3] 1947 à [Localité 5] (ALGERIE),
demeurant [Adresse 13]
représentée par la SCP DE SAINT FERREOL-TOUBOUL, avoués à la Cour,
assistée de Me Sophie BOCQUET-HENTZIEN, avocat au barreau de GRASSE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 09 Juin 2011 en Chambre du Conseil. Conformément à l'article 785 du Code de Procédure Civile, Dominique KLOTZ, Conseiller a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Monsieur Jean-Pierre CHAMPRENAULT, Président
Madame Dominique KLOTZ, Conseiller
Madame Chantal GAUDINO, Conseiller
qui en ont délibéré
Greffier lors des débats : Madame Marie-Sol ROBINET.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aura lieu par mise à disposition au greffe le 06 Septembre 2011.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 06 Septembre 2011.
Signé par Monsieur Jean-Pierre CHAMPRENAULT, Président et Madame Marie-Sol ROBINET, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Vu le jugement rendu le 03/09/2007 par le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de GRASSE sous le n°07/00578
Vu l'appel interjeté le 20/09/2007 par [O] [R]
Vu l'ordonnance du conseiller de la mise en état du 09/06/2008 prescrivant une expertise comptable confiée à [T] [V]
Vu l'ordonnance de remplacement d'expert en date du 23/06/2008
Vu le rapport de Monsieur [N] déposé le 10/10/2010
Vu les conclusions récapitulatives de l'appelant notifiées le 01/06/2011
Vu les conclusions récapitulatives de [G] [Y] signifiées le 01/06/2011
Vu la révocation de l'ordonnance de clôture en date du 01/06/2011 et la clôture à nouveau le 09/06/2011, préalablement aux débats
EXPOSE DU LITIGE
[G] [Y] et [O] [R] se sont mariés le [Date mariage 4]/1971, devant l'officier d'état civil de la ville de [Localité 9] (GERS). Un contrat de séparation des biens a préalablement été dressé par Maître [F], notaire à [Localité 9], le 28/10/1971.
Trois enfants sont issus de cette union. Ils sont majeurs et autonomes.
[G] [Y] a présenté une requête en divorce le 26/11/2004. L'ordonnance de non conciliation a été rendue le 06/04/2005. Le magistrat conciliateur a attribué la jouissance du domicile conjugal à l'épouse à titre gratuit et condamné [O] [R] à lui verser une pension alimentaire de 5 000 euros par mois, le tout au titre du devoir de secours.
[O] [R], qui ne versait que partiellement cette pension, a été condamné pour abandon de famille le 13/02/2007. Par jugement du 23/10/2007, il a toutefois été dispensé de peine, la pension ayant été intégralement payée dans l'intervalle.
L'assignation en divorce a été délivrée à la demande de l'épouse le 03/06/2006, sur le fondement des articles 237 et 238 du code civil.
Le jugement entrepris prononce le divorce des époux pour altération définitive du lien conjugal et condamne [O] [R] à payer à [G] [Y] une prestation compensatoire sous forme d'un capital de 300 000 euros.
Le premier juge retient :
-la durée du mariage 36 ans et celle de la vie commune 32 ans,
-les revenus annuels de l'épouse, psychiatre au centre hospitalier de [Localité 10], soit 80 500 euros en 2006 (6 708,33 par mois), le fait qu'elle a toujours travaillé à temps complet pendant le mariage, qu'elle percevra une retraite de 2 794 euros à compter du mois d'octobre 2007 et qu'elle va recueillir avec ses trois s'urs divers biens immobiliers ainsi qu'un capital de 730 000 euros dépendant de la succession de sa mère, qu'enfin il n'est pas établi qu'elle a acquis un terrain au nom de son fils au moyen d'économies réalisées pendant le mariage,
-que les revenus du mari, médecin psychiatre exerçant à titre libéral, sont de 159 101 euros en 2006 (13 258,42 euros par mois), qu'ils sont moindres qu'en 2005 car il a contracté un emprunt pour racheter ses locaux professionnels en SCI et pour rembourser une dette fiscale ; le premier juge ne retient pas la charge alléguée d'une aide financière aux enfants dont il n'est pas démontré qu'ils ne sont pas en mesure de subvenir à leurs besoins ; il constate que le mari possède quatre immeubles en propre pour une valeur de 410 000 euros, des parts d'une SCI d'une valeur de 600 000 euros ainsi que les parts de la SELARL dans laquelle il exerce son activité professionnelle de médecin, qu'il supporte des charges de 7 900 euros par an pour ce patrimoine ; le premier juge note par ailleurs que les droits à la retraite de [O] [R] sont de 2 619 euros en 2009 mais qu'il ne produit pas d'éléments sur sa retraite complémentaire ;
-il existe un bien indivis d'une valeur de 2,1 millions d'euros selon une expertise datant de 2003.
Pour le premier juge, la disparité résulte du fait que le mari a pu se constituer un patrimoine personnel au détriment du paiement des impôts du ménage, en faisant supporter à son épouse une charge fiscale plus lourde que celle qu'elle aurait du acquitter, ce qui a privé [G] [Y] de la possibilité de se constituer elle aussi un patrimoine.
[O] [R] a interjeté appel général de cette décision le 20/09/2007.
Par ordonnance du 09/06/2008, le conseiller de la mise en état a ordonné une expertise comptable confiée à Monsieur [V], avec pour mission d'établir la charge fiscale personnelle de chaque époux entre 1996 et 2007 et de calculer pour chacun le règlement effectif de ces charges. Par ordonnance du 23/06/2008, Monsieur [V] a été remplacé par Monsieur [N]. Celui-ci a déposé son rapport le 10/10/2010.
[O] [R] qui conteste le bien fondé de sa condamnation à verser une prestation compensatoire, demande en premier lieu à la cour de se placer à la date du 20/01/2011 pour statuer sur le principe de la disparité. Il fait valoir qu'il a limité son recours par conclusions du 11/01/2008, que son épouse a conclu à la confirmation sur le prononcé du divorce le 20/01/2011 et il se fonde sur un arrêt de la cour de cassation en ce sens, en date du 15/12/2010.
Il sollicite d'autre part l'homologation du rapport de l'expert, demande à la cour de statuer sur le contentieux fiscal et de dire d'une part que son épouse est seule à l'origine de la dette fiscale de 432 000 euros et d'autre part de dire qu'il ne lui doit rien, ce que démontrerait le rapport de Monsieur [N] ; il conclut enfin au débouté de la demande de prestation compensatoire. Il réclame la somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles de procédure. Selon lui, les dépens et les frais d'expertise de 32 000 euros doivent être mis à la charge de l'intimée.
Il relève que son épouse a délibérément choisi de prendre sa retraite à 60 ans, que pendant le mariage elle a refusé un poste de chef de service pour bénéficier d'une plus grande liberté, que lui-même a pris seul en charge l'essentiel des frais des enfants qui ont poursuivi des études supérieures, que son épouse détient un patrimoine de l'ordre de 330 000 euros qui lui procure un revenu foncier, qu'elle acquis un bien immobilier au nom de son fils ce qui montre qu'elle avait une épargne. Il estime que le couple a délibérément choisi de régler le crédit immobilier concernant le domicile conjugal, plutôt que de s'acquitter de sa dette fiscale, laquelle s'élevait à 371 000 euros en 1995.
Il rappelle sa situation personnelle : il a tiré de son travail un revenu de 96 962 euros en 2009 et ne possèderait plus qu'un seul studio d'une valeur de 120 000 euros à [Localité 7], puisqu'il a vendu les autres biens pour payer la dette fiscale et la pension alimentaire due en vertu de l'ordonnance de non conciliation.
Dans ses dernières écritures du 01/06/2011, [G] [Y] relève appel incident de ce jugement sur la prestation compensatoire et réclame de ce chef une somme de 400 000 euros ainsi que 5 000 euros au titre des frais irrépétibles.
Elle soutient qu'il ressort du rapport d'expertise, qu'elle critique par ailleurs, qu'elle a supporté pendant le mariage, du fait de l'incurie de Monsieur [R], une charge fiscale bien plus importante que celle qui lui incombait à titre personnel, le mari ayant privilégié l'accroissement de son patrimoine personnel au détriment du paiement des impositions sur le revenu. Elle estime être créancière d'une somme variant de 121 341 euros à 153 414 euros.
Elle soutient que la cour doit se placer à la date du jugement entrepris pour apprécier la disparité dans les conditions de vie respectives des époux, relève que le mari ne produit pas de pièces sur son patrimoine immobilier ni sur ses revenus locatifs, et que le patrimoine de celui-ci est d'une valeur de 1 100 000 euros ; elle ajoute que le partage du patrimoine indivis est sans incidence sur l'appréciation de la disparité ; actuellement elle perçoit une retraite de 3 440 euros, son mari exercerait toujours son activité de psychiatre libéral ; il serait en outre salarié de la Croix Rouge et il bénéficiera de revenus fonciers importants à partir de 2018. Elle ajoute avoir assumé les enfants tout en exerçant son activité professionnelle.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la recevabilité de l'appel
L'appel interjeté dans le délai légal, sera déclaré recevable.
Au fond
Force est de constater que le principe du divorce n'est pas remis en cause par les parties. La cour confirmera donc le jugement déféré de ce chef.
Sur la prestation compensatoire
La prestation compensatoire que l'un des époux peut être tenu de verser à l'autre, est destinée à compenser, autant que possible, la disparité que la rupture du mariage crée dans les conditions de vie respectives des parties. Elle est fixée selon les besoins de l'époux à qui elle est versée et les ressources de l'autre, en tenant compte de la situation au moment du divorce et de l'évolution de celle-ci dans un avenir prévisible.
Elle est versée en capital mais, à titre exceptionnel, le juge peut la fixer sous forme de rente viagère, si l'âge ou l'état de santé du créancier ne lui permet pas de subvenir à ses besoins.
Pour en déterminer le montant, le juge prend en considération notamment :
-la durée du mariage,
-l'âge et l'état de santé des époux,
-leur qualification et leur situation professionnelles,
-les conséquences des choix professionnels faits par l'un des époux pendant la durée de la vie commune pour l'éducation des enfants et du temps qu'il faudra encore y consacrer, ou pour favoriser la carrière du conjoint au détriment de la sienne,
- le patrimoine estimé ou prévisible des époux, tant en capital qu'en revenu après la liquidation du régime matrimonial,
-leurs droits existants ou prévisibles,
-leur situation respective en matière de pension, de retraite.
À titre liminaire, il y lieu de préciser que l'arrêt de la cour de cassation, dont fait état l'appelant au soutien de sa demande, en date du 15/12/2010, concerne un appel expressément limité dans la déclaration faite au greffe, ce qui n'est pas le cas de l'espèce. En raison du caractère général du présent appel, la cour doit se placer à la date de l'arrêt pour apprécier la situation des parties. Il est en effet de jurisprudence constante que dans ce cas, le divorce n'acquiert force de chose jugée qu'au jour de l'arrêt confirmatif, la cour demeurant saisie de l'intégralité du litige jusqu'à cette date, nonobstant l'état des dernières conclusions (Cass.1ere civ. 05 mars 2008, Cass. 1ere civ. 06 octobre 2010).
[G] [Y] et [O] [R] sont respectivement âgés de 63 ans et de 62 ans. Ils sont tous deux médecins, spécialisés en psychiatrie, l'épouse étant actuellement à la retraite. Madame [Y] a toujours travaillé à plein temps en milieu hospitalier tandis que son mari exerçait à titre libéral. Le couple a eu trois enfants aujourd'hui âgés de 34 ans, 29 ans et 26 ans. Ces enfants ont tous poursuivi des études supérieures.
La situation des parties est actuellement la suivante :
-[G] [Y] est en retraite depuis le 01/10/2007 ; elle a en effet choisi de cesser ses fonctions de chef de service à l'âge de 60 ans, alors qu'elle aurait pu poursuivre son activité jusqu'à l'âge de 65 ans ; il convient d'observer qu'elle a également occupé des fonctions d'expert judicaire pendant six ans, de 1989 à 1995 ; en 2007, elle a perçu une moyenne mensuelle de 5 930 euros, outre 4 829 euros de revenus fonciers ; en 2009, sa retraite était de 3 177,83 euros par mois ; elle perçoit toujours la pension due au titre du devoir de secours, d'un montant mensuel de 5 000 euros mais cette pension prendra fin avec le prononcé du divorce ; il convient de rappeler qu'elle a subi une retenue sur salaire, du mois de mai 1997 au mois de janvier 2006, pour apurer la dette fiscale des époux ; elle a ainsi réglé la somme totale 301 064,94 euros ; [G] [Y] s'acquitte d'un loyer de 795 euros par mois, avances sur charge comprise ; elle ne justifie pas d'autre charges. Elle est en bonne santé.
Avec ses trois s'urs, elle a recueilli la succession de sa mère décédée le [Date décès 2]/2006, qui comprenait notamment six biens immobiliers, dont quatre ont été vendus ; l'actif de cette succession avait été évalué à 740 000 euros, la part de Madame [Y] équivalant à la somme de 185 000 euros. Le certificat d'acquittement des droits de succession produit aux débats mentionne que le montant de chaque part taxée est de 225 366 euros. La vente des quatre biens susvisés lui a procuré la somme de 165 774 euros ; aucun renseignement n'est fourni sur les deux biens immobiliers non vendus, Madame [Y] ne déclare en tout état de cause aucun revenu locatif.
Selon Monsieur [R], l'intimée aurait fait l'acquisition d'un bien immobilier le 22/01/21998 en utilisant son fils comme prête nom; l'acte notarié produit aux débats fait état d'un mandat donné par le fils, âgé de 21 ans, à sa mère pour signer l'acte ; le montant de l'acquisition est de 16 500 francs mais la fiche établie par le conservateur des hypothèques mentionne un prix de 165 000 francs ; il s'agit d'un bien en ruine de 66 m2 ; ces seuls éléments ne permettent pas de déduire comme le fait l'appelant, que Madame [Y] serait la véritable propriétaire du bien qu'elle aurait acquis au moyen d'économies réalisées pendant le mariage.
Rien n'établit d'autre part qu'au cours de sa carrière, [G] [Y] a refusé des promotions pour pouvoir mieux s'occuper des enfants communs, ni même qu'elle les assumait seule, son mari consacrant selon elle, l'essentiel de son temps à son activité professionnelle.
- [O] [R] est toujours en activité ; il réside au domicile conjugal intégralement payé et évalué en 2003 à la somme de 2,1 millions d'euros; depuis 2005, il exerce au travers d'une SELARL dont il déclare posséder 600 parts ; il est également salarié de la Croix Rouge ; selon sa déclaration sur l'honneur en date du 09/03/2011, il a perçu en 2009 un revenu de 69 712 euros au titre des revenus non commerciaux, 29 055 euros au titre de son salaire, soit une moyenne mensuelle totale de 8 230,58 euros, ainsi que des revenus fonciers bruts de 1 101 euros. Il jouit donc de revenus bien supérieurs à ceux de son épouse.
Durant le mariage il a réalisé plusieurs acquisitions immobilières. Le 17/09/1981, il a ainsi acquis un studio à [Localité 7] pour le prix de 550 000 francs (83 846,96 euros), le 19/01/1988, il a acquis un bien à [Localité 12] pour un montant de 328 900 francs (50 140,48 euros), le 07/07/1988 un bien sur la commune de [Localité 11] pour un montant de 480 000 francs (73 175,53 euros), le 22/12/1998 un appartement à [Localité 7] pour un montant identique, le 22/11/1990 un appartement à [Localité 6] pour un montant de 268 000 francs (40 856,34 euros) et enfin le 28/06/1991 un appartement à [Localité 7] payé 1 230 000 francs (187 512,29 euros); il s'agissait de biens propres financés la plupart au moyen de crédits et loués; trois de ces biens ont été vendus pour la somme totale de 263 000 euros entre 2008 et 2011, le studio acquis en 1981 et l'appartement acquis en 1991, d'une valeur globale initiale de 271 359,25 euros, avaient été cédés en 2006 à la SCI ST CHARLES [R] dont Monsieur [R] possède une part et la SELARL [R] les 999 autres parts ; pour ce faire , cette SCI a contracté un emprunt de 600 000 euros, remboursable par mensualités de 5 737,30 euros jusqu'en 2018; cette dernière vente a permis de désintéresser le Trésor à hauteur de 513 953 euros ; (attestation du 06/02/2006) ;
Monsieur [R] a encore payé au Trésor la somme de 128 752,04 euros en 2007,expliquant que la Société Générale lui a consenti une avance en prenant des garanties sur les biens en cours de vente, ce dont il ne justifie pas ; l'intéressé déclare enfin posséder seulement un studio à [Localité 7] , qu'il évalue à 120 000 euros ; il précise assumer le remboursement de deux prêts personnels, d'un prêt professionnel et du solde de l'emprunt concernant la SCI à laquelle il verse un loyer puisqu'il exerce son activité professionnelle dans ses locaux (loyer 4 000 euros, solde de l'emprunt 1 537,30 euros par mois). Il est incontestable que ce montage permet à l'appelant de conserver in fine les biens immobiliers cédés à la SCI qu'il maitrise.
Monsieur [R] ne produit pas d'élément récent sur ses droits à la retraite. Il justifie de ses charges fixes pour un montant mensuel de 675 euros, mais ne produit pas les tableaux d'amortissement de ses emprunts personnels ce qui aurait permis de vérifier qu'il les rembourse toujours comme il l'affirme dans la déclaration sur l'honneur.
Mariés sous le régime de la séparation des biens, les époux ont toujours disposé de comptes bancaires propres sans jamais ouvrir un compte joint. Ils n'avaient aucun patrimoine propre au moment du mariage.
En décembre 1986, le couple a fait l'acquisition en indivision par moitié d'une villa, l'Orientale, de 250 m2 avec maison de gardien et jardin de 1 200 m2, située à [Localité 7], au prix de 3 millions de francs. Un emprunt immobilier a été souscrit, remboursable par mensualités de 5 230 euros pendant 16 ans, soit jusqu'au 15/01/2003. Le crédit a été soldé en octobre 2001. Jusqu'en 1995, le couple a laissé s'accumuler la dette fiscale du ménage, au profit du remboursement de ce crédit immobilier. En 1995, cette dette était de 371 000 euros. Madame [Y] qui s'est vu attribuer la jouissance gratuite de ce bien, y a résidé jusqu'en décembre 2007. A son départ, Maitre [J], huissier de justice a constaté l'état de mauvais entretien général de la villa, ainsi que l'abandon du jardin qui l'entoure. Ce bien indivis sera partagé par moitié entre les époux sous réserve de leurs créances respectives.
Les époux discutent de leur participation aux charges du ménage pendant le mariage.
La cour relève que mariés sous le régime de la séparation des biens, ils devaient participer à proportion de leurs revenus respectifs et payer leurs charges personnelles comme l'impôt sur le revenu et les crédits personnels. En tout état de cause, il n'appartient pas à la cour de faire les comptes entre les parties comme celles ci semblent vouloir l'y inviter. Elles produisent en effet chacune des relevés de banque censés démontrer qu'elles ont contribué l'une plus que l'autre à l'entretien de la famille et particulièrement des enfants. Or il résulte des pièces au dossier que Monsieur [R] et Madame [Y] ont nécessairement et conformément à leur organisation personnelle, chacun contribué à proportion de leurs facultés respectives qui n'étaient absolument pas identiques.
Concernant la dette fiscale du couple, qui serait à l'origine d'une disparité dans les conditions de vie respectives selon l'intimée, et dont il faut rappeler qu'en application du contrat de mariage, cette charge est purement personnelle à chacun des époux, il convient d'observer que Monsieur [N] avait pour mission, non pas de reconstituer le patrimoine personnel tant mobilier qu'immobilier de Monsieur [R] comme le soutient l'intimée, mais d'établir la charge fiscale personnelle de chaque époux entre 1996 et 2007, en y englobant les pénalités et intérêts de retard occasionnés par le non paiement en temps utile des impôts sur le revenu, et de calculer pour chaque époux le règlement effectif de ces charges fiscales.
L'expert a en premier lieu constaté que les parties entérinaient ses calculs.
Il a ensuite répondu précisément aux questions posées par le conseiller de la mise en état en concluant que, compte tenu de la quote part d'impôt incombant à chacun (19,83 % pour la femme et 80,17% pour le mari) Monsieur [R] était redevable envers Madame [Y] d'une somme variant de 121 341,129 euros à 153 41,26 euros, selon que l'on répartissait ou non les majorations entre les deux époux. Pour aboutir à ces conclusions, l'expert a du nécessairement rechercher les causes de la dette et analyser la gestion des époux en reprenant les opérations antérieures à la période pour laquelle il était mandaté. S'il a porté certaines appréciations personnelles sur l'intérêt des choix du couple, ce que critique Madame [Y], force est de constater qu'il s'agit d'évidences relevées au cours des opérations d'expertise en réponse à la demande de Madame [Y] qui souhaitait voir mettre à la charge intégrale de son mari les majorations encourues. Force est enfin de constater que l'intimée ne demande pas à la cour d'écarter ce rapport mais demande de n'en tirer que les éléments comptables.
Monsieur [N] a logiquement relevé au vu de la situation antérieure, que l'acquisition de la villa indivise l'Orientale, était à l'origine des difficultés des parties et qu'elle avait eu un caractère financièrement anormal en raison de l'exagération du montant du crédit, qui a cependant été finalement intégralement payé. Pour expliquer le montant de la dette fiscale et de la créance finale de Madame [Y], l'expert a du constater en premier lieu que le montant important de ce crédit (2 850 000 francs pour un prix total de 3 000 000 francs) montrait la faible capacité d'épargne préalable des époux, élément qui ne pouvait être ignoré de [G] [Y], le crédit étant d'autre part disproportionné avec les revenus des époux (remboursement de 62 000 euros par an pour un revenu total de 115 000 euros en 1989 par exemple). Il existe donc selon lui une corrélation manifeste entre l'acquisition immobilière et l'apparition de la dette fiscale du ménage.
En effet, alors que la dette fiscale s'élevait à 371 000 euros au 31/12/1995, les remboursements du crédit se sont élevés à 564 840 euros à la même date, ce qui démontre que le ménage a choisi de payer le crédit de préférence aux impôts. L'expert relève à juste titre que compte tenu des éléments financiers existant au moment de l'acquisition, le risque de difficultés était manifestement connu de Monsieur [R] et de Madame [Y]. La cour en tire pour conséquence que le risque a donc fait l'objet d'une décision commune, l'expert considérant que ce choix apparaissait parfaitement logique car, en cas de non paiement du crédit, une saisie immobilière aurait été opérée « tandis qu'avec l'administration fiscale des atermoiements étaient toujours possibles (c'est bien d'ailleurs ce qui s'est produit) ».
L'expert note également que les 16 années de dette fiscale, qu'il a évaluée à 330 000 euros sur la période, ont entrainé des majorations de 15% et des frais PEC qui sont à assimiler à des intérêts de la dette. Il relève que la charge d'intérêts est très faible (2,9% par an) et en tout cas inférieure aux agios normaux (le taux d'intérêt du crédit de la villa est de 11,40%). Il en conclut que Monsieur [R] a évité la saisie de la villa en gérant ses rapports avec la trésorerie qu'il qualifie de « bonne fille, meilleure fille en tout cas que les banques. ».
L'expert relève encore que Madame [Y] n'a jamais réglé sa quote part d'impôts personnels (19,83%) avant les saisies arrêt pratiquées en 1997, et qu'il n'y aurait eu aucune majoration de son chef si elle les avait réglés en temps utile. Il a constaté que l'intéressée n'a formé aucune observation sur ce point, ce qui montre à l'évidence qu'elle a avalisé la politique fiscale du ménage. Il a ajouté que l'intimée n'avait jamais réglé sa quote part du crédit immobilier de 1986 à 1995. Ce choix a nécessairement conduit au non règlement de l'impôt.
Il convient de rappeler que la cour n'a pas compétence pour statuer sur le contentieux fiscal opposant les parties, ni pour faire les comptes entre elles et fixer une quelconque créance de l'un sur l'autre, cette dernière question relevant exclusivement des opérations de liquidation et de partage du régime matrimonial.
Mais il résulte à l'évidence de l'expertise que la femme détient sur son mari, une créance d'un montant minimum de 121 341,129 euros.
Madame [Y] qui allègue l'incurie de son mari, ne démontre pas la négligence de ce dernier qui serait selon elle à l'origine d'une privation de sa capacité d'épargne. Il apparait au contraire, comme l'a relevé l'expert à plusieurs reprises, que le système mis en place par [O] [R], auquel elle a collaboré, lui a profité dans le sens où il lui a permis de préserver sa part dans le bien indivis.
Dans le cadre de la fixation d'une prestation compensatoire, il doit certes être tenu compte du patrimoine de chacun des époux, mais la demande ne peut aboutir à remettre en cause le régime matrimonial librement adopté par les parties en égalisant leur situation. En l'espèce, on doit retenir que le mari détient un appartement de 120 000 euros et que la SCI qu'il maitrise possède un bien immobilier d'une valeur d'au moins 600 000 euros, tandis que la femme détient un capital de 165 774 euros et une part dans deux biens immobiliers recueillis dans la succession de sa propre mère.
Au vu de l'ensemble de ces éléments, il y lieu de retenir que le mari perçoit des revenus bien supérieurs à ceux de son épouse, et que le divorce va nécessairement créer au préjudice de [G] [Y] une diminution de train de vie actuellement compensée par le versement de la pension alimentaire.
Le droit à prestation compensatoire est donc acquis. Compte tenu des éléments financiers précédemment exposés, de l'âge des parties, de la durée du mariage (40 ans) et de la vie commune (33 ans), la cour fixera la prestation compensatoire à la somme de 100 000 euros, de sorte que la décision entreprise sera partiellement infirmée.
Sur les frais irrépétibles et les dépens
Les dépens de la présente instance comprennent notamment les frais d'une expertise comptable onéreuse (32 000 euros). Cette expertise avait été réclamée par [O] [R] dont l'appel n'est que partiellement accueilli mais elle a permis de révéler l'existence d'une créance au profit de Madame [Y]. Ces éléments conduisent donc la cour à partager les dépens d'appel par moitié entre les parties. Aucune considération d'équité ne justifie d'autre part de faire droit à leurs demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Statuant en audience publique, contradictoirement, après débats non publics,
Déclare l'appel recevable,
Confirme la décision entreprise sauf sur le quantum de la prestation compensatoire,
Statuant à nouveau de ce chef,
Condamne [O] [R] à payer à [G] [Y] la somme de 100 000 euros à titre de prestation compensatoire,
Y ajoutant,
Rejette les demandes relatives au contentieux fiscal et aux créances entre époux,
Partage les dépens d'appel par moitié entre les parties,
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,
Autorise les avoués en la cause à recouvrer directement les dépens dont ils ont fait l'avance sans recevoir provision, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Le Greffier,Le Président,