COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
10e Chambre
ARRÊT AU FOND
DU 15 JUIN 2011
N°2011/283
Rôle N° 10/01241
FONDS DE GARANTIE DES VICTIMES DES ACTES DE TERRORISME ET D'AUTRES INFRACTIONS
C/
[U] [Z]
[M] [A]
[P] [Z]
[B] [O] [A]
Grosse délivrée
le :
à :
Décision déférée à la Cour :
Décision rendue le 22 Décembre 2009 par la Commission d'Indemnisation des Victimes d'Infractions Pénales près le Tribunal de Grande Instance de NICE, enregistrée au répertoire général sous le n° 08/185.
APPELANT
FONDS DE GARANTIE DES VICTIMES DES ACTES DE TERRORISME ET D'AUTRES INFRACTIONS, géré par le Fonds de Garantie des Assurances Obligatoires de Dommages 'FGAO', dont le siège social est sis [Adresse 6], pris en la personne de son Directeur Générarl élisant domicile en sa délégation de [Adresse 9]
représenté par la SCP BLANC CHERFILS, avoués à la Cour,
assisté de la SCP ALIAS P. - BOULAN M. - CAGNOL P. - MENESTRIER L., avocats au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
INTIMES
Monsieur [U] [Z]
né le [Date naissance 3] 1989 à [Localité 8]/PORTUGAL, demeurant C/O Mme [M] [A] - [Adresse 12]
représenté par la SCP SIDER, avoués à la Cour,
ayant Me Jean Philippe PAZZANO, avocat au barreau de NICE
Madame [M] [A]
née le [Date naissance 1] 1972 à [Localité 13] / [Localité 7], demeurant [Adresse 11]
représentée par la SCP SIDER, avoués à la Cour,
ayant Me Jean Philippe PAZZANO, avocat au barreau de NICE
Mademoiselle [P] [Z]
née le [Date naissance 4] 1994 à [Localité 10], demeurant C/O Madame [A] - [Adresse 12]
représentée par la SCP SIDER, avoués à la Cour,
ayant Me Jean Philippe PAZZANO, avocat au barreau de NICE
Madame [B] [O] [A]
née le [Date naissance 2] 1959 à [Localité 7] /, demeurant [Adresse 5]
représentée par la SCP SIDER, avoués à la Cour,
ayant Me Jean Philippe PAZZANO, avocat au barreau de NICE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 11 Mai 2011 en audience publique. Conformément à l'article 785 du Code de Procédure Civile, Madame Patricia TOURNIER, Conseiller, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Mme Brigitte VANNIER, Présidente
Madame Laure BOURREL, Conseiller
Madame Patricia TOURNIER, Conseiller
qui en ont délibéré
Greffier lors des débats : Madame Geneviève JAUFFRES.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 15 Juin 2011..
MINISTERE PUBLIC :
Auquel l'affaire a été régulièrement communiquée.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 15 Juin 2011.
Signé par Mme Brigitte VANNIER, Présidente et Madame Geneviève JAUFFRES, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Exposé du litige :
Le 22 juin 2008 à [Localité 10], monsieur [U] [Z], né le [Date naissance 3] 1989, a été victime de violences volontaires qui ont entraîné des plaies cutanées au visage et une plaie du globe oculaire gauche.
Par requête déposée le 31 octobre 2008, monsieur [U] [Z], madame [M] [A], mère de la victime, mesdemoiselles [T] [A] [Y] et [P] [Z], soeurs de la victime, monsieur [H] [A] [Y], oncle de la victime, madame [B] [O] [A], grand-mère de la victime, ont sollicité de la commission d'indemnisation des victimes d'infractions pénales près le tribunal de grande instance de Nice, dite Civi, au visa des articles 706-3, 706-5-1 et 706-6 du code de procédure pénale, l'octroi d'une provision à valoir sur leurs préjudices moraux respectifs ainsi que concernant monsieur [U] [Z] l'octroi d'une provision à valoir sur la réparation de son préjudice corporel.
Par décision en date du 22 décembre 2009, la Civi :
- a dit que monsieur [U] [Z] a la qualité de victime au sens de l'article 706-3 du code de procédure pénale suite aux faits du 22 juin 2008 s'étant produits à [Localité 10],
- a dit n'y avoir lieu à exclusion ou réduction de son droit à réparation,
- lui a alloué une indemnité provisionnelle de 15.000 € à valoir sur l'indemnisation définitive de son préjudice,
- a donné acte au Fonds de garantie de ce qu'il admet la recevabilité des demandes formulées par madame [M] [A], mademoiselle [P] [Z], madame [B] [O] [A] quant à la condition de nationalité française ou de séjour régulier,
- a sursi à statuer sur les demandes d'indemnisation des préjudices moraux formulées par les proches de la victime jusqu'au dépôt du rapport d'expertise,
- avant dire droit, a ordonné une expertise médicale de monsieur [U] [Z],
- a ordonné l'exécution provisoire de la décision,
- a réservé les dépens.
Le Fonds de garantie a interjeté appel de cette décision par déclaration déposée au greffe le 21 janvier 2010, en intimant monsieur [U] [Z], madame [M] [A], mademoiselle [P] [Z] et madame [B] [O] [A], dits ci-après consorts [Z].
Aux termes de ses dernières conclusions déposées le 4 mai 2010, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé détaillé des moyens et des prétentions, le Fonds de garantie soutenant notamment que le comportement de monsieur [U] [Z] est à l'origine des faits de violences volontaires dont il a été victime, que la disproportion des violences subies en réaction ne permettent pas d'écarter ce comportement fautif, demande à la Cour de :
- réformer la décision déférée en ce qu'elle a considéré qu'elle ne trouvait pas d'éléments suffisants en la cause pour décider d'une réduction du droit à indemnisation de monsieur [U] [Z],
- dire que le comportement fautif de monsieur [U] [Z] est de nature à limiter d'un tiers son droit à indemnisation en application de l'article 706-3 dernier alinéa du code de procédure pénale,
- dire que les dépens de première instance et d'appel, ces derniers recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile, resteront à la charge du Trésor public.
Par leurs dernières écritures déposées le 11 février 2011, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé détaillé des moyens et des prétentions, les consorts [Z], soutenant notamment que monsieur [U] [Z] a la qualité de victime, que les faits visés qui font l'objet d'une instruction sont susceptibles d'entrer dans le champ d'application des articles 222-9 et 222-10 du code pénal, que rien n'indique que monsieur [U] [Z] ait contribué à l'agression dont il a été victime, demandent à la Cour de :
- confirmer la décision déférée,
- condamner le Fonds de garantie aux dépens d'appel avec application de l'article 699 du code de procédure civile, ainsi qu'au paiement aux concluants, à mademoiselle [T] [A] [Y] et à monsieur [H] [A] [Y], de la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Le Ministère public s'en est rapporté.
La clôture de la procédure est en date du 27 avril 2011.
Motifs :
Il convient de constater que ne sont pas contestées par le Fonds de garantie, l'existence d'une infraction et la qualité de victime de monsieur [U] [Z], et qu'est uniquement en débat l'existence ou non d'une faute de celui-ci susceptible de réduire le montant de la réparation, en application de l'article 706-3 dernier alinéa du code de procédure pénale.
Il résulte de l'enquête de police et des procès-verbaux d'audition réalisés par le juge d'instruction les éléments suivants :
- monsieur [U] [Z] a déclaré lors de son audition le 26 juin 2008 que le 21 juin vers 1 heure du matin, lors de la fête de la musique dans la zone piétonne de [Localité 10], il a remarqué un groupe d'individus dont un garçon qui le regardait de façon à le provoquer, que celui-ci est venu vers lui d'un air agressif en lui demandant pourquoi il le fixait de la sorte, qu'il lui a répondu la même chose, qu'à ce moment là, l'individu lui a assené un violent coup de poing au visage, lui a porté un second coup de poing, qu'il a voulu se défendre et que tout le groupe de cet individu s'est jeté sur lui pour lui porter des coups ;
- monsieur [D] entendu le 22 juin, a déclaré avoir vu un individu de race noire qui portait des lunettes qui clignotaient, en train de se battre avec un jeune homme également de race noire, avoir vu les autres membres du groupe se ruer sur celui-ci, le mettant à terre et le frappant à coups de pieds et coups de casque, être intervenu pour dégager la victime de ses agresseurs à deux reprises, mais que le noir du groupe des agresseurs s'est approché de lui et a porté un coup de poing à la victime sans qu'il puisse l'en empêcher, que la victime s'est défendue en lui portant des coups de poing, que plusieurs individus du groupe ont à nouveau frappé la victime à mains nues, que plusieurs intervenants ont réussi à s'emparer du jeune homme noir faisant partie des agresseurs, que celui-ci s'est saisi d'une coupe à glace en verre se trouvant sur une table et après avoir pris son élan, a porté un coup de coupe au niveau du front de la victime, puis s'est arrêté de frapper ;
- monsieur [I] entendu le 22 juin par les services de police, a indiqué se trouver la veille avec des amis dont monsieur [D], a confirmé les propos de celui-ci, en précisant qu'après qu'il soit intervenu avec lui pour porter assistance à la victime, une trêve a eu lieu, que la victime s'est dirigée vers une ruelle, mais que le groupe l'a rattrapée, qu'ils lui ont porté des coups de pied, de poing, qu'il a réussi à s'écarter mais que l'individu de race noire s'est emparé d'un objet en verre et le lui a jeté en pleine face avec élan ;
- monsieur [V] entendu le 4 juillet par les services de police, a déclaré avoir vu une bagarre entre un jeune de race noire et plusieurs autres individus, avoir reconnu un copain prénommé [U] lorsque celui-ci se dirigeait vers le glacier après que des gens soient venus l'aider et l'ait relevé, avoir constaté qu'alors que [U] arrivait au niveau de la terrasse du glacier, il a saisi une chaise qu'il a soulevé en l'air, qu'il ne sait pas si c'était pour la lancer sur les agresseurs ou pour se défendre, qu'ensuite un des jeunes de la bande lui a donné un violent coup de poing, que sous le choc, [U] a reculé, puis qu'un autre jeune qui faisait partie du groupe lui a donné un coup avec une bouteille en verre qui se trouvait sur une table, que [U] est alors tombé ;
- monsieur [J] entendu le 2 juillet par les services de police, a déclaré qu'il se promenait en zone piétonne avec monsieur [U] [Z], que celui-ci lui a dit qu'une personne venait de le regarder 'mal', qu'il n'a pas répondu parce qu'il était en train de consulter sa messagerie de téléphone et a continué à marcher, [U] se trouvant un peu en retrait derrière lui, qu'il s'est retourné vers lui et l'a vu discuter avec un jeune de race noire, que la conversation a été brève, qu'il a vu que [U] parlait mais sans entendre ce qu'il se disait, que tous les deux étaient tête à tête prêts à se battre, puis que le noir a fait un geste brusque de la tête comme s'il allait partir, mais qu'en fait il a profité de ce geste pour donner une gifle à [U], qu'à ce moment là, lui-même s'est avancé vers [U] pour voir ce qui se passait, et qu'il a vu plein de jeunes arriver, que tout le monde s'est rué sur [U] qui est tombé, qu'il n'a pu s'approcher, que des clients du glacier se sont approchés pour l'aider et ont réussi à éloigner les agresseurs, qu'ils ont ensuite guidé [U] vers le glacier, que cependant les jeunes sont revenus à la charge, et que [U] alors qu'il se trouvait devant la terrasse du glacier, s'est saisi d'une chaise qu'il a levée en l'air, en guise de protection, qu'il a entendu une personne demander à [U] de se calmer et de baisser la chaise, ce qu'il a fait, qu'à ce moment là, il a vu une bouteille arriver sur lui, qu'elle n'a pas été jetée, qu'elle était dans la main d'un des agresseurs, qu'il s'agissait du jeune noir avec lequel [U] avait eu des mots au début de la bagarre, que le noir a donné un violent coup de bouteille sur la tête de [U],
laquelle s'est brisée sous la violence du choc, que [U] s'est mis à saigner et qu'il est tombé, ce qui a mis en fuite les agresseurs ;
il a ajouté que depuis lors, [U] lui a expliqué que la bagarre avait commencé par un regard mal placé, que le noir lui aurait reproché de l'avoir 'mal regardé' ;
- monsieur [K] entendu par le juge d'instruction le 23 août 2008 dans le cadre d'une première comparution, a indiqué avoir croisé le soir de la fête de la musique, un black qui le regardait bizarrement, s'être avancé vers lui, lui avoir demandé pourquoi il le regardait comme ça, avoir constaté qu'il commençait à s'énerver, lui avoir dit 'c'est bon' en levant les mains, comme il avançait vers lui, l'avoir poussé pour le reculer, avoir reçu un coup de poing à l'oeil gauche, être tombé, s'être relevé et s'être défendu en lui mettant au moins deux coups de poing, que ses amis ont voulu s'en mêler, qu'il s'est mis au milieu pour les séparer, que ses copains ont contourné pour le frapper, qu'il a vu un deuxième groupe arriver, qu'il ne voyait pas qui c'était, qu'il s'est approché, a vu la victime qui brandissait une chaise, s'est avancé vers elle, tandis que celle-ci s'avançait vers lui avec la chaise, avoir eu peur et s'être emparé d'une coupe de verre posée sur une table, et l'avoir lancé en direction de la victime sans viser précisément.
Ces diverses déclarations, même si elles comportent des divergences, permettent cependant de retenir que les faits se sont déroulés en deux temps :
un premier échange de coups a eu lieu à la suite des regards échangés entre monsieur [U] [Z] et monsieur [K], puis après que les participants aient été séparés par des tiers, de nouveaux coups ont été portés à monsieur [Z] par plusieurs personnes et monsieur [K] l'a blessé au visage avec une coupe de verre ou une bouteille.
Dès lors, si monsieur [Z] n'a effectivement rien fait pour éviter la confrontation initiale à la suite de l'échange des regards, ce comportement fautif initial ne peut être considéré comme étant en lien de causalité direct avec son dommage final, dans la mesure où l'utilisation de l'objet en verre qui est à l'origine du préjudice dont il sollicite réparation, est intervenue dans un second temps, alors que les protagonistes avaient été séparés et que rien ne justifiait les violences qu'a alors exercées à son encontre monsieur [K].
Aucune réduction du montant de la réparation due à monsieur [Z] n'a en conséquence lieu d'être retenue.
La décision déférée sera confirmée.
Les dépens de l'instance doivent être laissés à la charge du Trésor public en application de l'article R 92 du code de procédure pénale.
L'équité ne justifie pas l'application de l'article 700 du code de procédure civile au profit des consorts [Z] qui ont été intimés, la demande de mademoiselle [T] [A] [Y] et de monsieur [H] [A] [Y] qui ne sont pas partie à l'instance étant par ailleurs irrecevable.
Par ces motifs :
LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement,
Confirme la décision de la commission d'indemnisation des victimes d'infractions pénales près le tribunal de grande instance de Nice en date du 22 décembre 2009 en toutes ses dispositions.
Rejette les demandes du Fonds de garantie.
Dit que les dépens de la présente instance seront supportés par le Trésor public et recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile.
Le greffier Le président
Le Greffier,Le Président,