COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
3e Chambre A
ARRÊT AU FOND
DU 20 MAI 2011
N° 2011/264
Rôle N° 09/22186
[S] [F]
[W] [L] épouse [F]
C/
[Y] [N]
SARL EKO CONCEPT
S.A. MUTUELLE ASSURANCE ARTISANALE DE FRANCE MAAF
Grosse délivrée
le :
à
SCP LATIL
SCP COHEN
SCP SIDER
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Grande Instance de GRASSE en date du
17 Novembre 2009 enregistré au répertoire général sous le n° 07/3307.
APPELANTS
Monsieur [S] [F]
né le [Date naissance 5] 1961 à [Localité 9],
demeurant [Adresse 6]
[Localité 2]
représenté par la SCP LATIL - PENARROYA-LATIL - ALLIGIER, avoués à la Cour,
assisté par Me Martin Koudou DOGO, avocat au barreau de NICE
Madame [W] [L] épouse [F]
née le [Date naissance 4] 1963 à [Localité 9],
demeurant [Adresse 6]
[Localité 2]
représentée par la SCP LATIL - PENARROYA-LATIL - ALLIGIER, avoués à la Cour
assistée par par Me Martin Koudou DOGO, avocat au barreau de NICE
INTIMES
Monsieur [Y] [N]
assigné le 28/05/2010 à Etude d'huissier à la requête de M. et Mme [S] et [W] [F],
demeurant [Adresse 12]
[Adresse 3]
[Localité 1]
représenté par la SCP COHEN - GUEDJ, avoués à la Cour,
assisté par Me Marc GHIOLDI, avocat au barreau de NICE
SARL EKO CONCEPT,
[Adresse 7]
[Adresse 11]
[Localité 1]
représentée par la SCP COHEN - GUEDJ, avoués à la Cour,
assistée par Me Philippe SAMAK, avocat au barreau de NICE
substitué par Me Pasquale CAMINITI, avocat au barreau de NICE
S.A. MUTUELLE ASSURANCE ARTISANALE DE FRANCE MAAF,
immatriculée au RCS de [Localité 8] sous le n° 542 073 580,
[Adresse 10]
[Localité 8]
représentée par la SCP SIDER, avoués à la Cour,
assistée par Me Jean-Rémy DRUJON D'ASTROS, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 31 Mars 2011 en audience publique. Conformément à l'article 785 du Code de Procédure Civile, Monsieur Yves BLANC-SYLVESTRE, Président a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Monsieur Yves BLANC-SYLVESTRE, Président de Chambre
Madame Frédérique BRUEL, Conseiller
Madame Rose-Marie PLAKSINE, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Michèle GOUREL DE SAINT PERN.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 20 Mai 2011.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 20 Mai 2011,
Signé par Monsieur Yves BLANC-SYLVESTRE, Président de Chambre et Monsieur Serge LUCAS, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
Vu le jugement du Tribunal de grande Instance de Grasse en date du 17/11/09 qui a mis hors de cause Monsieur [N] et la MAAF ASSURANCES ; condamné la SARL EKO CONCEPT à payer aux époux [F] la somme de 446.461,56 euros à titre de dommages-intérêts ;
Vu l'appel de cette décision en date du 9/12/09 par les époux [F] et leurs écritures en date du 21/03/11 par lesquelles ils demandent à la cour de dire que les travaux effectués par la SARL EKO avant qu'elle n'abandonne le chantier ont fait l'objet d'une réception tacite ; de dire que la MAAF doit sa garantie à la SARL EKO CONCEPT au titre de la responsabilité décennale ; de la condamner à payer la somme de 395.616 euros pour la réalisation des travaux ; à défaut de prononcer une réception judiciaire et dire que la garantie décennale de la MAAF est acquise pour la somme de 395.616 euros ; de condamner la MAAF à relever et garantir la SARL EKO CONCEPT ; de fixer la totalité des dommages-intérêts à la somme de 341.515,96 euros ; de condamner conjointement la SARL EKO CONCEPT, la MAAF et Monsieur [N] à payer cette somme ; de fixer par ailleurs les autres chefs de préjudice à la somme de 55.640 euros au titre des pénalités de retard, 140.400 euros au titre du préjudice de jouissance, 4.121 euros au titre des impots et taxes, 6.706,43 euros au titre des frais de constats d'huissier, 100.000 euros au titre du préjudice moral et économique ; de constater que l'expert a fixé le surcoût des sommes payées par eux ; de confirmer la décision en ce qu'elle a fixé à la somme de 10.415 euros le surcoût des sommes payées ; de condamner la SARL EKO CONCEPT à leur restituer cette somme ; de condamner Monsieur [N] à leur payer la somme de 24.503,53 euros ; de condamner les intimés solidairement aux frais de l'expertise et aux frais d'huissier ;
Vu les écritures de la MAAF en date du 23/03/11 par lesquelles elle demande à la cour de confirmer la décision entreprise ; subsidiairement de dire que les désordres retenus par l'expert aux points 3321 et 3322 ainsi que les dommages afférents aux VRD ne correspondent pas aux activités déclarées par la SARL EKO auprès de la MAAF ; de dire que les points 3313, 3314 et 3326 relèvent de la responsabilité exclusive de Monsieur [N] au titre des erreurs de conception ; de dire qu'elle ne doit pas garantie de ces chefs ; de constater que le chiffrage de l'expert n'a pas donné lieu à un débat contradictoire malgré son dire ; de dire qu'elle ne peut garantir le coût des travaux d'achèvement et de reprise des malfaçons qui ne sont pas de nature décennale ; de dire qu'il n'y a pas lieu à retenir le chiffrage de l'expert ; d'ordonner éventuellement une nouvelle expertise ; de dire qu'elle ne doit aucune garantie au titre des pénalités de retard et des préjudices de jouissance ainsi que des préjudices annexes en l'état de l'abandon de chantier ; de constater que EKO CONCEPT ne'a pas répondu aux sommations de communiquer les noms des sous-traitants et de leurs assureurs la privant d'un recours en cas de condamnation ; de dire cette attitude constitutive d'une faute et d'un préjudice ; de condamner EKO CONCEPT à lui payer une somme équivalente au montant de sa condamnation ;
Vu les écritures de la SARL EKO CONCEPT en date du 24/03/11 par lesquelles elle demande à la cour de prononcer la nullité du rapport d'expertise ; subsidiairement de dire que Monsieur [F] a participé à la direction des travaux et à la maîtrise d'oeuvre ; de dire que nombre de désordres qui lui sont imputés sont le fruit d'autres entreprises ; de constater l'intervention d'autres entreprises après la rupture des relations contractuelles fixées en novembre 2004 ; de dire qu'elle ne peut se voir imputer la totalité des désordres mentionnés par l'expert ; de statuer sur l'existence d'une réception tacite et éventuellement de fixer une date de réception judiciaire ; de condamner la MAAF à la relever et garantir de toute condamnation ;
Vu les écritures de Monsieur [N] en date du 4/03/11 par lesquelles il demande à la cour de confirmer la décision entreprise ;
Les époux [F] ont fait édifier un chalet à [Adresse 13] et le 24/02/01 ils ont chargé Monsieur [N], architecte, d'obtenir un permis de construire qui a été délivré sept mois plus tard ; ils ont confié à la SARL EKO CONCEPT, gérée par Monsieur [N], la réalisation de l'essentiel des travaux en deux tranches moyennant le versement de la somme de 136.746,77 euros ; les parties avaient convenu d'un délai de 10 semaines pour la 1ère tranche et de 15 semaines pour la 2ième tranche hors intempérie et fixé à la somme journalière de 38,11 euros le montant des pénalités de retard ;les travaux ont débuté le 10/10/01 ; la 1ère tranche a été achevée le 15/09/02 et la 2ième a débuté 15 jours plus tard ; les travaux ont été arrêtés au mois de novembre 2004 ; les époux [F] ont versé à la SARL EKO CONCEPT la somme de 147.006 euros et ont obtenu la désignation d'un expert en référé ; celui-ci a déposé son rapport le 11/12/06 et a conclu que le chalet était inachevé et qu'il existait des malfaçons graves imputables à la SARL EKO CONCEPT ; le coût des travaux de réfection peut être évalué à la somme de 385.218,48 euros et celui de la reconstruction partielle après réfection du gros-oeuvre à celle de 365.945 euros ;
Les époux [F] font soutenir l'existence d'une réception tacite au mois de décembre 2004 époque de leur prise de possession et en déduisent que la MAAF doit sa garantie ; la MAAF fait soutenir qu'elle ne doit pas sa garantie en l'état d'un immeuble qui n'a pas été réceptionné même tacitement, qui est inachevé, abandonné et affecté de graves malfaçons ; elle ajoute que le chalet est inhabitable et non réceptionnable même judiciairement ; elle ajoute que la SARL EKO CONCEPT n'a pas contracté d'assurance du chef der la construction de maisons individuelles, que donc elle n'est pas assuré au titre de la dommage-ouvrage ou de la garantie d'achèvement ;
La SARL EKO CONCEPT soutient, elle, qu'elle est titulaire d'une police multirisque professionnelle pour les activités de charpentier bois-couvreur-maçon béton armé carreleur-installation et vente de chalet et maîtrise d'oeuvre ; que le contrat ne comporte qu'une page et ne fait nullement référence à des conditions spéciales qui auraient été annexées quoique non signées au contrat général ; elle fait soutenir que les travaux de la tranche 1 ont été réceptionnés car les travaux de la tranche 2 ne sont réalisables qu'après réception de ceux de la tranche 1 ; elle ajoute qu'elle est titulaire de deux attestations d'assurance, l'une au titre de la responsabilité décennale et l'autre au titre de la responsabilité civile ;
La cour constate tout d'abord et au titre de la régularité du rapport d'expertise qu'il est constant que l'expert n'a pas tenu compte dans le cadre de ses conclusions des dires déposés après la date limite fixée aux parties ; qu'ainsi et contrairement à ce que soutenu il n'a pas rompu le principe du contradictoire ni de l'égalité des parties dans le cadre de cette mesure ; cette demande de nullité sera donc rejetée ;
La cour constate ensuite et au titre de la réception des travaux qu'il est constant, et contrairement à ce que soutenu par les époux [F], qu'aucune réception des travaux n'est intervenue et ne peut intervenir que ce soit de manière tacite ou judiciaire ; qu'en effet et tout d'abord il n'y a jamais eu de réception expresse des travaux, qu'il s'agisse de ceux de la 1ère tranche ou de ceux de la 2ième tranche ; par ailleurs le chalet était inhabitable en l'état des constatations faites par les huissiers le 1/07/05 puis le 7/07/05 ; la cour constate aussi que les époux [F] n'ont pas volontairement soldé le marché des travaux entre les mains de la société EKO CONCEPT ; la cour constate aussi que contrairement à ce que soutenu par les époux [F] les désordres n'étaient pas cachés au jour de la prise de possession ainsi d'ailleurs que cela résulte de liste des désordres résultant des PV de constat précités ; l'expert indique à ce propos : 'loin de l'expert l'idée d'inviter le tribunal à fixer une date de réception d'un chalet qui est une maison individuelle comportant un logement et en plus à quelle date ' Comment peut-on imaginer que les époux [F] aient eu, même un seul instant, l'idée de réceptionner cet ouvrage inhabitable et abandonné avant la fin par la société EKO CONCEPT, créée et gérée par Monsieur [N] ; en conséquence la cour confirmera la décision en ce qu'elle a indiqué qu'il n'existait pas de réception des travaux et que seule la responsabilité de nature contractuelle des intervenants pouvait être recherchée ; la cour confirmera aussi la décision en ce qu'elle a mis hors de cause la compagnie d'assurance MAAF intervenant au titre de la responsabilité décennale ;
En ce qui concerne la responsabilité de la SARL EKO CONCEPT la cour relève à la lecture du rapport d'expertise que Monsieur [B] écrit : 'les causes de ce gachis sont imputables à la SARL EKO CONCEPT gérée par Monsieur [N] depuis sa création par suite de méconnaissance des règles de l'art et plus particulièrement celles spécifiques imposées par la construction en altitude, l'absence de plans d'exécution réellement étudiés avec les détails indispensables et les économies réalisées sans se soucier des conséquences prévisibles (étanchéité des murs enterrés, drainage, matériaux constituant le doublage inadaptés et totalement inefficace.) ; l'expert indique par ailleurs : 'ce non-respect des règles de l'art est de nature à porter atteinte à la solidité de l'ouvrage à moyen et long terme ; il présente un risque sérieux d'effondrement en l'état.' ; enfin l'expert précise que la solution la moins onéreuse est la démolition et reconstruction du chalet plutôt que la reprise totale des désordres ;
La cour déboutera la SARL EKO CONCEPT en sa demande à l'encontre des époux [F] et au titre de leur responsabilité dans les désordres par adoption des motifs du 1er juge ;
La cour confirmera aussi la décision en ce qu'elle a retenu la responsabilité de la SARL EKO CONCEPT et l'a condamnée à réparer l'entier préjudice des époux [F] en résultant ;
En ce qui concerne la responsabilité de Monsieur [N] la cour constate que si au plan des relations contractuelles entre les parties Monsieur [N] avait été chargé du seul dépôt du permis de construire et qu'il a accompli ses obligations contractuelles par l'obtention de celui-ci, il n'en demeure pas moins que Monsieur [N] a entretenu volontairement l'équivoque sur la nature de ses interventions lors de la phase construction du chalet ; qu'en effet et selon les termes mêmes de l'expert, les époux [F] n'ont eu qu'un seul interlocuteur : Monsieur [N] d'abord comme architecte et ensuite comme gérant de la SARL EKO CONCEPT ; la cour constate aussi tout comme l'a fait l'expert que Monsieur [N] a apposé son cachet '[N] architecte' sur la situation de travaux N° 1 conjointement avec celui de la SARL EKO CONCEPT ; il a aussi établi une facture à en-tête EKO CONCEPT mais avec son tampon en qualité d'architecte le 24/10/02 concernant la mission de suivi de chantier pour la réalisation d'un chalet à VALBERG ; il a fait parvenir un calcul de surface pour la commande des carrelages et enfin et surtout il a de manière active effectué les recherches d'entreprise pour la réalisation du chalet indiquant notamment au sujet de la société FORGREEN : 'je vous confirme que cette société qui veut s'implanter dans notre région est prête à faire une grosse remise commerciale pour avoir une première réalisation dans notre région.' ;
La cour dira en conséquence que l'attitude de Monsieur [N], et ce alors même qu'il a par plusieurs courriers indiqué le montant prévisionnel de ses honoraires dans le cadre d'une mission complète d'architecte, a induit les époux [F] en erreur et leur a laissé croire qu'il est intervenu tout au long de la phase de construction en sa qualité également d'architecte ; en conséquence la cour infirmant la décision de ce chef, déclarera Monsieur [N] responsable in solidum avec la SARL EKO CONCEPT des conséquences dommageables de la construction édifiée au profit des époux [F] ;
La cour reprenant l'évaluation faite par le 1er juge au titre des sommes dues condamnera in solidum la SARL EKO CONCEPT et Monsieur [N] à payer aux époux [F] la somme de 446.461,56 euros ;
En ce qui concerne la demande de condamnation de la MAAF à supporter le coût des condamnations au titre des préjudices immatériels la cour rappellera que de tels préjudices ne sont pas garantis dans le cadre d'une police RC ; qu'en effet ils doivent résulter de préjudices matériels objets de la garantie ; il est constant que dans le cas d'espèce les dommages affectant le bâtiment sont exclus de cette garantie ; la cour déboutera donc les époux [F] de ce chef de demande ;
La cour dira que les frais d'huissier entrent dans le cadre des frais irrépétibles ;
Il n'est pas inéquitable de laisser à la MAAF la charge de ses frais irrépétibles ;
Monsieur [N] et la SARL EKO CONCEPT seront condamnés à payer aux époux [F] la somme de 4.000 euros sur la base des dispositions de l'article 700 du CPC ainsi qu'aux entiers dépens de toute l'instance en ce compris les frais d'expertise ;
Par ces motifs,
La Cour
Statuant publiquement, contradictoirement en dernier ressort,
Reçoit les époux [F] en leur appel et le déclare régulier en la forme ;
Rejette toutes demandes de nullité du rapport d'expertise ;
Au fond,
Confirme la décision entreprise en toutes ses dispositions à l'exception de celles concernant Monsieur [N] ;
Infirmant de ce chef et statuant à nouveau,
Condamne Monsieur [N], en sa qualité d'architecte, in solidum avec la SARL EKO CONCEPT à indemniser les époux [F] en leur entier préjudice ;
Condamne in solidum Monsieur [N] et la SARL EKO CONCEPT à payer la somme de 4.000 euros sur la base des dispositions de l'article 700 du CPC aux époux [F] ;
Dit qu'il n'est pas inéquitable de laisser à la MAAF la charge de ses frais irrépétibles ;
Rejette toutes autres demandes ;
Condamne in solidum Monsieur [N] et la SARL EKO CONCEPT aux entiers dépens de toute la procédure en ce compris les frais d'expertise avec application des dispositions de l'article 699 du CPC au profit des avoués en la cause.
LE GREFFIER,LE PRESIDENT,
Y.B.S.