COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
4e Chambre B
ARRÊT AU FOND
DU 28 MARS 2011
N°2011/ 162
Rôle N° 10/04054
SAS [K] [C]
C/
[H] [E] épouse [W]
[N] [E] épouse [V]
Grosse délivrée
le :
à : M° DEBEAURAIN
M° RENOUX-LE GOFF
réf
Dc
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal paritaire des baux ruraux de TOULON en date du 28 Janvier 2010enregistré au répertoire général sous le n° 51/08/1.
APPELANTE
SAS [K] [C], prise en la personne de son Président en exercice, Monsieur [K] [C], domicilié de droit audit siège,
[Adresse 5]
représentée par Me Jean DEBEAURAIN, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE substitué par Me Julien DUMOLIE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
INTIMEES
Madame [H] [E] épouse [W], demeurant [Adresse 4]
Madame [N] [E] épouse [V], demeurant [Adresse 6]
représentées par Me Florence RENOUX LE GOFF, avocat au barreau de TOULON ,domicilée [Adresse 2]
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COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 07 Février 2011 en audience publique devant la Cour composée de :
Monsieur Didier CHALUMEAU, Président
Monsieur Jean-Luc GUERY, Conseiller
Madame Valérie GERARD-MESCLE, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Agnès BUCQUET.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 28 Mars 2011..
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 28 Mars 2011.
Signé par Monsieur Didier CHALUMEAU, Président et Madame Agnès BUCQUET, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
******
Suivant deux conventions à long terme, d'une durée de 31 ans, passées le 23 mars 1979 avec les consorts [E], M. [K] [C] a pris à bail rural des parcelles de vignes sises au Beausset (Var).
Ces baux comportent (article 7) une clause par laquelle, conformément à l'article 832 alinéa 2 du code rural (devenu L.411-38) 'le preneur aura 'la faculté de faire apport de son droit au bail à une société civile d'exploitation agricole ou à un groupement de propriétaires ou d'exploitants, seulement après avoir obtenu l'accord du bailleur et sans préjudice du droit de reprise de ce dernier'.
Par acte reçu le 08 janvier 1989 par Me [T], notaire au Beausset, a été créée une société civile d'Exploitation Agricole dénommée SCEA [K] [C].
Il est produit une photocopie d'un document en date du 29 mars 1990 donnant autorisation à M. [C] d'apporter à la SCEA les baux du 23 mars 1979. Cette autorisation concerne M. [E] [R] et Mme [U] [Z] veuve de M. [O] [E] pour la parcelle AL[Cadastre 1] et M. [E] [R] pour la parcelle AL[Cadastre 3].
Aux termes d'une assemblée générale extraordinaire du 20 mars 2000, la SCEA a été transformée en Société par Actions Simplifiée.
Les hoirs [E], faisant valoir que la preuve de l'accord des bailleurs pour l'apport des baux à la SCEA n'était pas établie et que la transformation de la SCEA en SAS constitue une cession prohibée des baux ruraux, ont saisi le Tribunal paritaire des baux ruraux de Toulon qui, par jugement du 28 janvier 2010, a constaté que la transformation de la SCEA en SAS est constitutive d'une cession de bail rural prohibée et a prononcé la résiliation des baux susvisés.
La SAS [K] [C] a régulièrement relevé appel de cette décision.
Aux termes de ses conclusions déposées à l'audience du 07 février 2011 et développées par son conseil, elle sollicite la réformation du jugement déféré en demandant à la Cour de juger qu'elle est titulaire des baux consentis le 23 mars 1979 et de débouter les consorts [E] de leur demande de résiliation pour une prétendue cession prohibée en soutenant
essentiellement :
- que les autorisations d'apport du 29 mars 1990 sont valides,
- que la SCEA est devenue preneur en titre à compter de ces autorisations,
- que la SCEA pouvant se transformer en SAS sans création d'une nouvelle personne morale,
- que la validité du bail n'est pas affectée par cette transformation,
- que l'apport du bail a été ratifié par l'encaissement des loyers de la SAS par les consorts [E],
- que les consorts [E] ont obtenu de la SAS [C] deux résiliations partielles de bail en 2006 et 2008 par intervention de Mme [C] en qualité de Présidente de la SAS [C].
Aux termes de leurs conclusions déposées à l'audience et développées par leur conseil, les consorts [E] demandent à la Cour de :
- constater que la SAS [C] ne justifie pas de la validité de l'apport des baux à la SCEA [K] [C], ni de l'opposabilité de cet apport au bailleur,
- constater que les transformations de la SCEA [K] [C] en SAS [K] [C] est constitutive d'une cession de bail rural prohibée par la loi,
- confirmer le jugement du Tribunal paritaire des baux ruraux de Toulon en ce qu'il a prononcé la résiliation des baux consentis par les consorts [E] en date du 29 mars 1979 à effet du 1er janvier 1979,
- ordonner l'expulsion de la SAS à compter de la signification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard.
***
MOTIFS DE LA DECISION
Les consorts [E] soulèvent l'absence de valeur probante de la photocopie des autorisations du 19 mars 1990 d'apport des baux commerciaux à la SCEA, se réservent en cas de production de l'original, de contester l'écriture ou la signature de leurs auteurs et invoquent l'inopposabilité de cette autorisation faute de signification conformément à l'article 1690 du Code civil.
Il n'est pas contesté que le document portant autorisation d'apport des baux à la SCEA a été produit par les consorts [E], qui n'apportent, même s'il s'agit d'une photocopie, aucun élément probant de nature à justifier la procédure de vérification des écritures et signatures prévues par l'article 1324 du Code civil, de sorte que la contestation de la validité des autorisations ne peut prospérer.
Les intimés se prévalent vainement de l'article 1690 du Code civil dans la mesure où les formalités de l'article 1690 du Code civil ne sont pas exigées dans le cas où, comme en l'espèce, le bailleur (savoir [R] [E] et [Z] [U] veuve [E] pour la parcelle AL15, [R] [E] pour la parcelle AL9) ont été parties à l'acte sous seing privé du 29 mars 1990, valant autorisation de cession.
La transformation de la SCEA [K] [C] en SAS [K] [C] le 20 mars 2000 emporte selon l'appelante une simple transformation de la forme de la personne morale, de sorte qu'il n'y a pas cession du bail dont celle-ci est déjà titulaire.
L'appelante soutient également que l'article L.411-38 du code rural n'est pas applicable en l'absence de cession du bail à une société commerciale. L'article L.411-38 dispose que 'le preneur ne peut faire apport de son droit au bail à une société civile d'exploitation agricole ou à un groupement de propriétaires ou d'exploitants qu'avec l'agrément personnel du bailleur...'.
Ces dispositions d'ordre public dérogatoires au principe de prohibition de toute cession de bail rural édicté par l'article L.411-35 du Code civil ne visent l'apport qu'à une société civile ou à un groupement de producteurs et ne prévoient pas une telle faculté à une société commerciale. Certes, un bail rural peut être transféré à une société commerciale mais, comme le relèvent justement les intimés, dans une telle situation, il convient de résilier le bail en cours et de conclure un nouveau bail au profit de la société.
S'il est de jurisprudence constante que la transformation d'une société civile d'exploitation en une autre forme de société civile d'exploitation (EARL ou GAEC) ne dissimule pas une cession prohibée, il ne peut en aller de même pour la transformation d'une société civile en société commerciale réalisée après l'apport du bail.
L'article L.411-38 du code rural constitue en effet une dérogation aux dispositions plus générales de l'article L.411-35 , en faveur de la cession du bail à des sociétés civiles d'exploitation .
Aucune dérogation n'étant prévue en faveur des sociétés commerciales, le fait d'apporter un bail rural à une société civile puis de transformer celle-ci en société commerciale doit être regardé comme un contournement des dispositions d'ordre public des articles L.411-38 et L.411-35 du code rural. La sanction de toute cession prohibée est la nullité de l'apport et la résiliation du bail en application des dispositions d'ordre public des articles L.411-31 II 1er et 2ème du code rural.
La preuve d'une ratification par le bailleur de l'apport à la SAS ne résulte pas des éléments produits.
S'il est communiqué des décomptes de fermages établis par l'intimée (pièces 6, 7 et 8) mentionnant la SAS [K] [C], cette substitution dans l'intitulé de la société en sigle SCEA par SAS ne peut valoir ratification d'une cession prohibée. Il en va de même des correspondances adressées par les intimés à l'appelante sous ce même intitulé.
La SAS n'est pas intervenue en qualité de preneur lors des résiliations partielles de bail accordées dans des actes notariés de 2006 et 2008. En effet, Mme [X] veuve [C] n'est pas intervenue dans ces actes authentiques en qualité de Président de la SAS, mais de personne physique tirant ses droits de la communauté universelle ayant existé avec M. [K] [C].
Ces deux actes ne font à aucun moment mention de la SAS [K] [C] comme titulaire du bail, objet de la résiliation partielle.
Compte tenu de ce qui précède, en l'absence d'agrément par les bailleurs à la cession de bail à la SAS, la résiliation des baux en cause pour cession prohibée doit être confirmée.
La demande d'expulsion de la SAS dont les baux sont résiliés peut être accueillie, mais la nécessité d'une astreinte n'est pas démontrée.
Il sera alloué une indemnité de 2.000 euros aux bailleurs au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour statuant publiquement, contradictoirement, par disposition au greffe ;
Reçoit l'appel, régulier en la forme,
Le dit mal fondé,
Confirme le jugement déféré ayant prononcé la résiliation pour cession prohibée des baux ruraux consentis par les consorts [E] le 23 mars 1979,
Ordonne l'expulsion de la SAS [K] [C],
Condamne la SAS [K] [C] à payer aux consorts [E] la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile,
Rejette toutes prétentions contraires ou plus amples des parties,
Condamne la SAS [K] [C] aux entiers dépens de première instance et d'appel.
LE GREFFIERLE PRESIDENT