COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
1re Chambre B
ARRÊT AU FOND
DU 17 FÉVRIER 2011
MN
N° 2011/98
Rôle N° 10/08109
[D] [L] veuve [E]
[V] [E] épouse [G]
C/
EURL ALEXANDRA
Grosse délivrée
le :
à :
réf
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Grande Instance de TOULON en date du 11 Mars 2010 enregistré au répertoire général sous le n° 10/00370.
APPELANTES
Madame [D] [L] veuve [E]
née le [Date naissance 5] 1918 à [Localité 9], demeurant [Adresse 7]
Madame [V] [E] épouse [G]
née le [Date naissance 6] 1943 à [Localité 10], demeurant [Adresse 4]
Représentées de par la SCP DE SAINT FERREOL-TOUBOUL, avoués à la Cour,
Assistées de Me Pierre ESCLAPEZ, avocat au barreau de TOULON
INTIMÉE
l'EURL ALEXANDRA,
prise en la personne de son représentant légal en exercice
dont le siège est [Adresse 8]
Représentée par la SCP TOLLINCHI PERRET-VIGNERON BARADAT-BUJOLI-TOLLINCHI, avoués à la Cour,
Assistée de Me Henri GAS, avocat au barreau de TOULON
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 12 Janvier 2011 en audience publique. Conformément à l'article 785 du Code de Procédure Civile, monsieur François GROSJEAN, président, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Monsieur François GROSJEAN, Président
Monsieur Michel NAGET, Conseiller
Monsieur Hugues FOURNIER, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Mademoiselle Lugdivine BERTHON.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 17 Février 2011.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 17 Février 2011,
Signé par Monsieur François GROSJEAN, président et Mademoiselle Lugdivine BERTHON, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
Suivant acte sous seing privé du 26 février 2001, Monsieur [W] [E] et son épouse née [L] [D], ainsi que Madame [V] [E] se sont engagés à vendre, moyennant le prix de 1.200.000,00 francs à L'EURL ALEXANDRA, qui de son côté s'est engagée à acquérir, un terrain non viabilisé situé sur le territoire de la commune du [Localité 10], d'une superficie de 3.824 mètres carrés, correspondant aux parcelles désignées sous les désignations cadastrales n° [Cadastre 1], [Cadastre 2] et [Cadastre 3] de la section AB du cadastre de la dite commune.
La vente s'est faite sous la conditions suspensive que l'acquéreur obtienne deux permis de construire ainsi qu'un arrêté de lotissement autorisant la construction de trois maisons d'habitation. De convention expresse, il s'agissait d'une condition stipulée dans l'intérêt exclusif de l'acquéreur, lequel s'engageait à déposer sa demande dans le délai de trois mois. Un 'dépôt de garantie' de 60.000,00 francs a été versé par L'EURL ALEXANDRA, et il était également convenu que l'acte authentique devait être dressé le 30 novembre 2001 au plus tard.
Cependant, les parcelles objet de la vente étaient enclavées, ou ne disposaient pas d'une desserte suffisante. Par un nouvel acte sous seing privé du 2 juin 2001, les parties ont signé un protocole d'accord, aux termes duquel, 'dans le cas où la Mairie imposerait, comme condition indispensable de la délivrance des autorisations administratives précitées, la production d'une attestation donnant le droit de passage permettant l'accès à la propriété' :
-'le vendeur donnait tous pouvoirs à l'acquéreur afin de parvenir, aux frais de l'acquéreur au désenclavement de la propriété de manière à la rendre constructible, et éventuellement, si ... nécessaire, d'entamer toute procédure utile ...'
-'le délai initial prévu dans le compromis ...' se trouvait prorogé jusqu'au terme de la procédure nécessaire pour aboutir à ce désenclavement'.
Une instance engagée devant le Tribunal de Grande Instance de Toulon a abouti, après expertise judiciaire, à un jugement en date du 25 juillet 2005, par lequel une solution de désenclavement a été effectivement trouvée, par un chemin de servitude traversant plusieurs parcelles voisines. Mais ce jugement a été frappé d'appel, et l'arrêt rendu par la section B de la quatrième chambre de la Cour, le 14 janvier 2008, a ordonné, avant dire droit, une nouvelle mesure d'expertise.
Constatant l'enlisement de cette instance, les parties ont conclu, entre temps, et le 12 mai 2006, un nouveau protocole d'accord, dans lequel il était dit :
'Mesdames [E] et [G] et Mademoiselle [U] ès qualités conviennent de proroger les termes de la convention signée le 26 février 2001... jusqu'à :
- l'aboutissement de la procédure,
- l'obtention des autorisations administratives visées au compromis, ces autorisations devant être purgées de tous recours,
le tout, dans le délai de trois ans de ce jour. Aux termes (sic) de ce délai, une nouvelle réunion aura lieu.'
Par lettre recommandée du 5 août 2009, les dames [E] (Monsieur [W] [E] étant décédé entre temps), ont fait savoir à L'EURL ALEXANDRA qu'elles tenaient la promesse de vente du 26 février 2001 pour caduque, en raison de l'expiration de ce délai de trois ans, sans que les conditions suspensives n'aient été réalisées, l'acte définitif de la vente n'ayant par ailleurs toujours pas été signé.
Les 5 et 12 novembre 2009, L'EURL ALEXANDRA a fait délivrer par huissier aux dames [E] sommation de comparaître par devant Maître [I], notaire à [Localité 9], le 19 novembre 2009, aux fins de 'réitération de l'acte de vente', en précisant que la condition suspensive avait été stipulée à son profit, et qu'elle choisissait d'y renoncer.
Puis, suivant assignation du 22 janvier 2010, elle a introduit, selon la procédure dite 'à jour fixe' devant le Tribunal de Grande Instance de Toulon, une demande dont l'objet était de faire déclarer judiciairement la vente parfaite. Elle sollicitait également la condamnation des dames [E] à lui payer la somme de 70.000,00 euros à titre de dommages-intérêts, et celle de 3.000,00 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Par jugement en date du 11 mars 2010, le Tribunal a accédé à cette demande, et a :
- rejeté les prétentions dames [E] à faire déclarer caduque la promesse de vente en litige, ainsi que leur offre de supporter les frais de la procédure de désenclavement, supportés jusque-là par L'EURL ALEXANDRA;
- dit que son jugement vaudra vente, aux conditions de la promesse de vente du 26 février 2001;
- donné acte à L'EURL ALEXANDRA de sa renonciation aux conditions suspensives,
- condamné les dames [E] à lui payer la somme de 15.000,00 euros à titre de dommages-intérêts, et celle de 1.300,00 euros allouée en application de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens de l'instance.
- ordonné l'exécution provisoire de sa décision.
Madame [D] [L] veuve [E] et Madame [V] [E] épouse [G] ont relevé appel de cette décision, par déclaration reçue au Greffe de la Cour le 28 avril 2010.
Par conclusions du 12 janvier 2011, elles en demandent l'infirmation, et concluent à ce que L'EURL ALEXANDRA soit déboutée de toutes ses prétentions. Elle demande en outre sa condamnation au payement d'une indemnité de 15.000,00 euros, en application de l'article 700 du code de procédure civile.
De son côté, l'intimée a conclu à la confirmation du jugement entrepris, sur l'essentiel, mais a cependant relevé appel incident pour obtenir la somme de 70.000,00 euros à titre de dommages-intérêts, et celle de 3.000,00 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, conformément aux demandes qu'elle avait présentées en première instance, et que le Tribunal n'a admises que partiellement.
M O T I F S
Le jugement entrepris a été rendu au double motif que d'une part, les conditions suspensives ont été stipulées, de convention expresse, au profit de L'EURL ALEXANDRA, ce qui impliquait la possibilité, pour cette dernière, d'y renoncer à tout moment, et que d'autre part, le délai de trois ans fixé par le protocole d'accord du 12 mai 2006, ne comporterait pas d'effet extinctif. Ce sont précisément les deux points sur lesquels les dames [E] critiquent le jugement entrepris.
Sur le premier point, s'il est bien vrai que la partie en faveur de laquelle une condition a été stipulée, peut bien décider d'y renoncer, et rendre ainsi l'acte parfait, dès sa renonciation, comme si cette condition n'avait jamais existé, faut-il encore que cette renonciation intervienne à l'intérieur des limites fixées dans le temps par la convention.
Or en l'espèce, le protocole d'accord du 12 mai 2006, souscrit dans les circonstances rappelées ci-avant, précisait que 'les termes de la convention signée le 26 février 2001...' étaient prorogés 'jusqu'à l'aboutissement de la procédure' (de désenclavement) et l'obtention des autorisations administratives visées au compromis, ces autorisations devant être purgées de tous recours, le tout, dans le délai de trois ans de ce jour'. Le sens de cette clause est que la prorogation en question devait prendre fin trois ans plus tard, le 12 mai 2009, et qu'il n'était, par conséquent, plus possible de renoncer aux conditions suspensives après cette date.
C'est d'ailleurs par un véritable abus que la société ALEXANDRA a fait attendre sa décision depuis février 2001 jusqu'au mois de novembre 2009, si son intention était réellement de faire son affaire personnelle du désenclavement des parcelles, et de l'obtention des autorisations administratives auxquelles la promesse de vente était suspendue.
En second lieu, il n'est pas possible d'interpréter l'acte du 12 mai 2006, comme prévoyant un délai dépourvu d'effet extinctif.
En effet, il y est question d'une prorogation 'des termes de la convention signée le 26 février 2001", c'est à dire, en fait, des engagements réciproques des parties, jusqu'à l'aboutissement d'une procédure en cours, et jusqu'à l'obtention de permis de construire et d'une autorisation de lotir, 'le tout, dans le délai de trois ans de ce jour', c'est à dire sans pouvoir dépasser la limite de trois ans.
D'autre part, le contexte de l'affaire confirme cette interprétation, puisque, aussi bien, l'acte initial envisageait la signature de l'acte définitif 30 novembre 2001, mais sans préciser de délai pour la réalisation des conditions suspensives, tandis que le protocole du 2 juin 2001 ne fixait plus aucune limite dans le temps, que ce soit pour la réalisation des conditions suspensives ou pour la signature de l'acte. A l'évidence, c'est parce que le procès en désenclavement traînait en longueur que les parties ont décidé qu'il fallait ajouter, à leur convention, une telle limitation qui jusque-là faisait défaut.
Enfin, le fait que les parties aient prévu de se réunir à nouveau 'au terme de ce délai', signifie seulement que les parties s'étaient réservées la possibilité d'une nouvelle négociation, sur des bases qui ne pourraient plus être celles février 2001, mais cette clause n'implique pas que les engagements pris à cette époque auraient pu subsister au-delà du 12 mai 2009, puisque, précisément, elle affirme le contraire.
Il convient donc d'infirme r le jugement frappé d'appel, et de débouter purement et simplement L'EURL ALEXANDRA de l'ensemble de ses demandes.
Les dépens de première instance et d'appel seront laissés à la charge de L'EURL ALEXANDRA, qui sera, en outre, condamnée au payement d'une indemnité de 2.500,00 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, pour les deux procédure de première instance et d'appel.
Les parties seront enfin déboutées de toutes leurs plus amples demandes.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Statuant en audience publique et par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe,
Déclare Madame [D] [L] veuve [E] et Madame [V] [E] épouse [G] recevable en leur appel du jugement rendu le 11 mars 2010 par le Tribunal de Grande Instance de Toulon.
Y faisant droit,
Infirme le dit jugement en toutes ses dispositions.
Et statuant à nouveau,
Déboute L'EURL ALEXANDRA de toutes ses demandes.
La condamne à payer aux dames [E] la somme de 2.500,00 euros (deux mille cinq cents euros) à titre d'indemnité allouée en application de l'article 700 du code de procédure civile, pour les deux procédure de première instance et d'appel.
La condamne en tous les dépens de première instance et d'appel, dont le recouvrement sera poursuivi conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
LE GREFFIERLE PRÉSIDENT