COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE 14e Chambre
ARRÊT AU FOND DU 14 AVRIL 2009
N° 2009
Rôle N° 07 / 10860
Antoine X...
C /
SNCM CPCAM DES BOUCHES DU RHONE FIVA
DRASS
Grosse délivrée à : Me Jean Paul TEISSONNIERE, avocat au barreau de PARIS
Me Florence MONTERET-AMAR, avocat au barreau de PARIS
CPCAM DES BOUCHES DU RHÔNE
FIVA
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de BOUCHES DU RHONE en date du 19 Juin 2007, enregistré au répertoire général sous le n° 20401970.
APPELANT
Monsieur Antoine X..., demeurant...
représenté par Me Jean Paul TEISSONNIERE, avocat au barreau de PARIS
INTIMÉES
SNCM, demeurant 61, Boulevard des Dames-BP 1963-13226 MARSEILLE CEDEX 02
représentée par Me Florence MONTERET-AMAR, avocat au barreau de PARIS
CPCAM DES BOUCHES DU RHONE, demeurant 8 Rue Jules moulet-13281 MARSEILLE CEDEX 6
représentée par Mme Martine MAUREL en vertu d'un pouvoir spécial
FIVA, demeurant TOUR GALLIENI 2-36 Avenue Général de Gaulle-93175 BAGNOLET CEDEX
représenté par M. Michael CROS (Autre) en vertu d'un pouvoir spécial
PARTIE (S) INTERVENANTE (S)
DRASS, demeurant 23-25 Rue Borde-13285 MARSEILLE CEDEX 08
non comparant
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 03 Mars 2009 en audience publique devant la Cour composée de :
Monsieur Daniel DUCHEMIN, Président Madame Martine MATHIEU-GALLI, Conseiller Monsieur Jean-Luc CABAUSSEL, Conseiller
qui en ont délibéré
Greffier lors des débats : Monsieur Kamel BENKHIRA.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 07 Avril 2009, prorogé au 14 avril 2009.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 14 Avril 2009
Signé par Monsieur Daniel DUCHEMIN, Président et Monsieur Kamel BENKHIRA, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Procédure et prétentions des parties
Par jugement en date du 19 juin 2007 le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale des Bouches du Rhône a, débouté Antoine X... de ses demandes relatives à la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur, la Société Nationale Maritime Corse Méditerranée (SNCM), dans l'atteinte de la maladie professionnelle dont il a été victime pendant la période au cours de laquelle il a travaillé pour le compte de celui-ci, de 1959 à 1992.
Antoine X... a relevé appel de cette décision.
Au fond, pour solliciter l'infirmation de la décision, il expose que pendant toute sa carrière, il a été exposé aux poussières d'amiante sur les postes de travail qu'il occupait, il en est résulté l'apparition en 2001 d'épaississements pleuraux justifiant sa demande qui s'appuie sur la violation de l'obligation générale de sécurité imposant à l'employeur d'avoir conscience du risque pour les salariés du fait de l'exposition aux poussières d'amiante et donc de prendre les mesures adéquates.
Il maintient l'ensemble de ses prétentions initiales fondées sur cette reconnaissance, entraînant à titre de conséquences indemnitaires : la majoration au maximum de la rente, laquelle suivra l'évolution de l'IPP et une indemnisation de son préjudice extra patrimonial à hauteur de 75 000 euros outre le versement d'une somme de 1 600 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
La SNCM soulève l'irrecevabilité de l'appel faute pour l'appelant d'avoir souscrit aux obligations exigibles lors de la déclaration d'appel. Signée pour ordre sans qu'il soit démontré que le signataire soit avocat ou ait reçu un mandat spécial pour y procéder.
Sur cet incident, le Conseil de Antoine X... fait valoir qu'il a personnellement signé la déclaration d'appel en cause en tant qu'avocat exerçant au sein du cabinet et pour avoir personnellement reçu l'appelant.
Sur le fond la société entend faire dire qu'elle n'a commis aucune faute à l'encontre de Antoine X... et sollicite la confirmation du jugement en se fondant sur l'absence de conscience du danger encourru par les salariés en tant qu'employeur simple utilisateur de l'amiante et en l'état des connaissances de l'époque considérée.
A titre subsidiaire, elle sollicite la réduction du montant des sommes demandées à la somme de 6 000 euros.
Enfin elle sollicite la condamnation de Antoine X... au versement de la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure civile.
La Caisse Primaire Centrale d'Assurance Maladie des Bouches du Rhône s'en remet sur le mérite de l'action en reconnaissance de la faute inexcusable et rappelle qu'en cas de condamnation, les sommes avancées doivent faire l'objet d'un remboursement par l'employeur reconnu responsable.
La DRASS régulièrement avisée ne comparaît pas.
SUR CE
Sur la recevabilité de l'appel
Attendu qu'il n'est pas discuté que la déclaration d'appel comporte la mention P / 0, signifiant que les avocats associés TEISSONNIERE, TOPALOFF et LAFFORGUE n'ont pas eux mêmes signé la déclaration d'appel,
Que cependant il ressort des explications, non contestées, données par l'avocate présente à l'audience et membre du cabinet TEISSONNIERE TOPALOFF LAFFORGUE, que celle-ci a personnellement signé cette déclaration après avoir reçu le client du cabinet,
Que lorsque l'acte d'appel émane d'un cabinet d'avocat mais que la signature est précédée de la mention P / O il convient de rechercher si la personne signataire avait la qualité d'avocat,
Qu'en l'espèce cette qualité n'est pas déniée au signataire,
Que l'appel sera déclaré recevable, tout en faisant observer que les règles relatives aux déclarations d'appel conditionnent la régularité de la procédure et ne sauraient faire l'objet d'approximations induisant un doute sur cette régularité ;
Sur le fond
Attendu que les éléments constants relatifs au faits en cause sont les suivants :
- Antoine X... né le 31 janvier 1937 a été employé par la SNCM sur différents navires de la flotte de la SNCM en qualité d'ouvrier serrurier-ajusteur de 1959 à fin 1978 puis à compter du 1er janvier 1979 il a été affecté au service général de la division technique (service pointage), en qualité d'employé et de chef d'équipe jusqu'en 1992.- Il a fait une déclaration de maladie professionnelle le 09 décembre 2001 en visant la maladie inscrite au tableau n° 30 caractérisée par des épaississements pleuraux mis en évidence par une première constatation médicale en date du 29 septembre 1998,- La maladie a été reconnue et prise en charge à titre professionnel le 29 avril 2002 avec l'attribution d'un taux d'IPP de 18 %.- Antoine X... a saisi le Tribunal des affaires de sécurité sociale le 13 mai 2004.
Sur la faute inexcusable
Attendu que l'employeur est tenu en vertu du contrat de travail le liant à son salarié d'une obligation de sécurité de résultat en ce qui concerne la santé et la sécurité de ses salariés du fait des produits fabriqués ou utilisés par l'entreprise,
Que le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver,
Attendu que Antoine X... à qui revient la charge de cette preuve soutient :- qu'en raison de son activité d'entretien de matériels il était directement et massivement exposé à l'amiante, notamment par l'obligation d'intervenir directement et habituellement, dans un environnement amianté,- Que l'entreprise n'a pas pris les mesures adéquates visant à éviter le risque, dont la connaissance était avérée à partir d'un ensemble de dispositions réglementaires antérieures puis postérieures à 1977 lesquelles étaient étayées par une information de l'employeur qui ne pouvait les ignorer en raison du type d'activité qu'il développait ;
Sur le risque amiante
Attendu que les parties apparaissent ne pas discuter que la période d'exposition au risque amiante est constituée de 1962 à fin 1978, dès lors que les fonctions exercées postérieurement n'étaient pas de nature à l'exposer à ce risque et qu'il ressort de la déclaration de maladie que la période d'exposition reconnue a débuté à cette époque et non en 1959,
Que par ailleurs, la SNCM ne conteste pas avoir mis en oeuvre des matériaux à base d'amiante ou contenant ce produit,
Que sans être autrement démentie, la société fait valoir et justifie par la production d'un document émanant de la Commission de Recours Amiable en 1988, à propos d'une affaire de même nature, et de factures de sous-traitance, qu'à bord des navires de la compagnie, les travaux de maintenance portant notamment sur les chaudières, le calorifugeage était exécuté par des sociétés spécialisées sous-traitantes,
Que Antoine X... produit deux attestations (Y..., Z...), faisant état d'activités en contradiction avec le fait précédemment admis mais qui n'impliquent toutefois pas qu'elles aient pu avoir lieu, sans cependant les circonstancier en ce qui concerne les périodes en cause et le type d'activité précise exercée par chacun en fonction de sa qualification,
Que toutefois les affirmations selon laquelle des interventions auraient eu lieu sur des chaudières, doivent nécessairement recevoir un tempérament en ce que à partir de 1970, seul un navire de la flotte aurait été encore équipé d'une chaudière, (le VILLE DE MARSEILLE) et qu'aucun élément ne permet de retenir que Antoine X... aurait exercé des travaux à bord de cette unité,
Que par ailleurs en fonction de sa qualification, des tempéraments apportés précédemment (sous-traitance, chaudières) la preuve d'une exposition habituelle autre qu'occasionnelle doit être rapportée,
Que le simple fait que les navires de la compagnie contiennent dans leur structure le produit incriminé de manière estimée importante, sous forme de structures isolantes, de calorifugeages ne suffit pas à rapporter la preuve demandée en ce qu'il doit être nécessairement différencié le fait d'effectuer des travaux de maintenance portant sur des éléments obligatoirement amiantés à l'époque (calorifugeage de tuyauteries par exemple) et des travaux d'entretien divers,
Qu'il résulte seulement de ces attestations la mise en évidence du contact avec l'amiante et que les explications données par les deux témoins, peu circonstanciées éventuellement en contradiction avec d'autres faits ne suffisent pas à caractériser une exposition au risque autre qu'occasionnelle,
Qu'alors que l'exposition au risque aurait cessé en 1978, la production d'une troisième attestation (A...) portant sur une période postérieure apparaît non pertinente en ce qu'elle ne démontre pas que Antoine X... ait pu être directement et habituellement au contact de l'amiante durant cette période ;
Et attendu que la question de l'exposition du salarié au risque amiante a pour effet d'établir, sans être toutefois exclusif d'autres éléments, l'existence ou le niveau de conscience du danger que l'employeur aurait dû avoir et conditionne les mesures de prévention que celui-ci était tenu de prendre,
Que la discussion de ce chef impose ainsi que les travaux exécutés soient de ceux susceptibles d'exposer au risque de manière habituelle, ce qui en l'espèce n'est pas établi Antoine X... n'ayant à aucun moment rapporté la preuve qu'il ait effectué de manière habituelle des travaux de ce type (calorifugeage notamment),
Qu'enfin, le fait que la Caisse ait pu prendre en charge la maladie professionnelle relève de sa seule responsabilité mais ne saurait impliquer une automaticité entre la prise en charge de la maladie et la faute inexcusable ;
Sur la conscience du danger
Attendu, en fonction de ce qui vient d'être dit, qu'il doit être considéré :
- Attendu au surplus qu'il doit être considéré :
Tout d'abord, qu'il ne peut être présumé, que compte tenu de l'importance de l'entreprise, de son activité dans un milieu où l'amiante est présente, elle ait dû, ou aurait dû, avoir conscience des dangers de l'amiante avant 1977, l'affirmation en cause devant être confortée par des éléments objectifs internes (CHSCT, Médecine du travail, etc.) ou externes (notes, rapports, etc.) démontrant la réalité d'une information,
Par ailleurs, que la Cour ne peut déduire à partir des seules considérations générales tirées de l'énoncé des divers rapports scientifiques classiquement cités dans ce type de procédure, alors même que le débat scientifique n'est pas clos, ou du rappel de diverses réglementations antérieures à 1977, la preuve exigible de la nécessaire conscience du danger pour cette entreprise, cette conscience devant être caractérisée par des éléments objectifs, et implique la démonstration de manquements, principe déjà admis en droit interne et confirmé par la Cour de Justice des Communautés Européennes (Arrêt C-127 / 05 du 14 juin 2007), Qu'ainsi compte de leur spécificité, l'ensemble ou partie de ces divers rapports scientifiques a pu échapper à des entreprises simples utilisatrices non soumises au décrets de 1950 et 1951,
Ensuite, que la société SCNM ne produisant pas et ne fabriquant pas d'amiante, sa spécialisation industrielle ne la conduisait à utiliser l'amiante que de manière accessoire, en l'occurrence au niveau de la chaufferie, à une certaine époque, d'ailleurs non déterminée,
Que jusqu'en 1977, dans le cadre général d'une exposition continue et permanente au risque, la réglementation en vigueur ne présentait aucune restriction particulière d'emploi de l'amiante pour les travaux effectués qui d'une manière générale n'étaient pas rattachés aux activités visées au tableau n° 30 résultant des décrets de 1945 et de 1951,
Enfin, que le fait que l'Etat n'ait pas pris une réglementation contraignante avant le premier décret de 1977, demeure étranger au débat en ce que l'absence d'infraction aux règles pouvant être retenue à l'époque antérieure ne constitue pas, par elle même, une cause exonératoire de l'obligation générale de sécurité en ce qu'une entreprise pouvait avoir une connaissance ou une conscience du risque amiante indépendamment de l'absence de réglementation applicable aux entreprises uniquement utilisatrices de l'amiante ;
Attendu enfin qu'il importe de relever que le cadre de la recherche de la faute inexcusable de l'employeur doit nécessairement se distinguer de celui de l'indemnisation,
Que la loi du 23 décembre 2000, en instaurant en son article 53, un fond dédié à l'indemnisation facilitée, notamment, des travailleurs victimes de l'amiante, a entendu rendre la saisine de celui-ci exclusive de toute démonstration exigible, propre au contentieux de la responsabilité,
Que le choix du contentieux général par le salarié, emporte ainsi un ensemble de conséquences et en particulier la rigueur d'une démonstration répondant à l'application commune de dispositions générales relatives à la responsabilité encourrue au titre de la faute inexcusable et dont l'effet, en dehors de la reconnaissance de celle-ci sera d'attribuer une indemnisation dont le caractère est seulement complémentaire ;
Attendu en conséquence, qu'en l'absence de démonstration reposant sur des éléments attachés à la situation d'espèce, concernant l'exposition au risque et la conscience que la SNCM a dû ou aurait dû avoir du danger existant en relation avec une exposition à l'amiante, il convient de confirmer la décision et de dire que la faute inexcusable reprochée à la SNCM n'est pas établie ;
Attendu que les circonstances de l'espèce ne justifient pas qu'il soit fait droit à la demande d'indemnité au titre de l'article 700 du Code de procédure civile présentée par la SNCM ;
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Statuant en audience publique par arrêt contradictoire en matière de sécurité sociale,
Déclare recevable l'appel de Antoine X...,
Confirme le jugement en toutes ses dispositions,
Rejette toute autre demande y compris au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.