COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
10o Chambre
ARRÊT AU FOND
DU 28 JANVIER 2009
No 2009 /
Rôle No 07 / 15957
André X...
C /
Danielle Y...
MUTUELLES ASSURANCES ARTISANALES DE FRANCE MAAF
CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DES ALPES MARITIMES
Grosse délivrée
le :
à :
réf
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Grande Instance de DRAGUIGNAN en date du 16 Août 2007 enregistré au répertoire général sous le no 04 / 959.
APPELANT
Monsieur André X...
né le 04 Septembre 1965 à BRUAY EN ARTOIS (62700), demeurant...
représenté par la SCP GIACOMETTI-DESOMBRE, avoués à la Cour,
assisté de Me Henry HUERTAS, avocat au barreau de NICE substitué par Me Jean-Pierre MIR, avocat au barreau de NICE
INTIMÉES
Madame Danielle Y...
demeurant...
représentée par la SCP SIDER, avoués à la Cour,
assistée de Me Olivia DUFLOT, avocat au barreau d'AIX EN PROVENCE
MUTUELLES ASSURANCES ARTISANALES DE FRANCE MAAF, prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège, Chaban de Chauray-79081 NIORT CEDEX 9
représentée par la SCP SIDER, avoués à la Cour,
assistée de Me Olivia DUFLOT, avocat au barreau d'AIX EN PROVENCE
CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DES ALPES MARITIMES, prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège, 48 Rue Roi Robert Comte de Provence-Bâtiment le Picasso-06100 NICE
défaillante
*- *- *- *- *
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 10 Décembre 2008 en audience publique. Conformément à l'article 785 du Code de Procédure Civile, Madame Joëlle SAUVAGE, Présidente a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Madame Joëlle SAUVAGE, Présidente
Madame Bernadette KERHARO-CHALUMEAU, Conseiller
Monsieur Benjamin RAJBAUT, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Geneviève JAUFFRES.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 28 Janvier 2009.
ARRÊT
Réputé contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 28 Janvier 2009,
Signé par Madame Joëlle SAUVAGE, Présidente et Madame Geneviève JAUFFRES, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
Vu le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Draguignan le 16 août 2007
Vu l'appel de M. André X... en date du 1er octobre 2007
Vu les conclusions de cet appelant en date du 3 octobre 2008
Vu les conclusions de Mme Y... et de la MAAF assurances en date du 23 octobre 2008
Vu l'assignation de la CPAM des Alpes-Maritimes et le titre définitif de créance de cette caisse en date du 21 novembre 2008
Vu l'ordonnance de clôture en date du 20 novembre 2008
***
Victime le 25 mai 1996 à Saint-Tropez d'un accident de la circulation impliquant le véhicule automobile conduit par Mme Y..., assurée à la MAAF, M. X... demande la réparation de son préjudice corporel consécutif au traumatisme cervical subi lors de l'accident et constitué, selon l'appelant, par des séquelles invalidantes au niveau de l'épaule gauche et du cou.
Le jugement déféré l'a débouté de ses demandes après avoir relevé l'absence de lésions pouvant expliquer les séquelles et l'absence de certitude découlant de l'expertise médicale du professeur D... et du E... sur l'imputabilité directe certaine et exclusive à l'accident des séquelles invoquées.
M. X... demande au principal, au visa du rapport d'expertise du Dr F... et d'un rapport critique du rapport du professeur D... et du Dr E..., établi par les docteurs G... et H..., la somme de 432 851, 23 € et subsidiairement la désignation d'un expert.
La MAAF et Mme Y... ont conclu à la confirmation du jugement estimant qu'il existe un doute sérieux sur la réalité des troubles présentés par M. X.... Elles font valoir que le rapport des Drs F... et I... ne peut être homologué eu égard au déroulement anormal de cette expertise, à son insuffisance consacrée par un précédent jugement du 3 février 2005 et à son caractère critiquable au plan médico-légal consacré tant par l'expertise du professeur D... et du Dr E... dont elles demandent l'homologation que par les rapports des médecins experts et conseils de la MAAF, les docteurs J... et K....
***
Aux termes du jugement précédemment rendu le 3 février 2005 par le tribunal de grande instance de Draguignan, l'instauration d'une nouvelle mesure d'expertise a été effectuée en raison de l'existence d'un doute sur la réalité du trouble présenté par M. X..., le tribunal ayant relevé à cet égard l'absence de réponse par le Dr F... aux observations du Dr K... mandaté par la MAAF ainsi qu'un avis médico-légal sur pièce du docteur J... selon lequel seule la possibilité d'un syndrome de conversion a été abordée alors que la simulation peut être envisagée.
L'expertise du Dr F... n'ayant pas été écartée des débats par le tribunal, la cour se trouve donc pour fonder son appréciation en l'état de deux rapports d'expertise judiciaire :
- le rapport du Dr Richard F... en date du 1er septembre 2003 effectué après avis du docteur I... et au vu des observations médico-légales du Dr K... sur le rapport de ce dernier (page 2 / 6 : documents communiqués).
- le rapport du professeur D... et du Dr E... en date du 26 octobre 2005.
Par ailleurs M. X... produit au débat un rapport critique du rapport des Dr D... et E... effectué par le Dr H..., médecin l'ayant assisté lors des deux opérations d'expertise et un courrier adressé par le Dr G..., neurologue, au Dr H... comportant un commentaire documenté.
Les rapports d'expertise judiciaire des Docteur F..., D... et E... relatent l'un et autre l'origine du traumatisme subi par M. X... et la chronologie des constatations médicales l'ayant suivi.
Cette chronologie se présente comme suit :
-25 mai 1996 : percussion par l'arrière du véhicule de M. X... qui déclare avoir ressenti un ébranlement cervical
-29 mai 1996 : certificat du Dr L... constatant une raideur cervicale avec douleur à la mobilisation, contracture des muscles cervicaux, flexion antérieure saccadée et limitée et prescrivant un arrêt de travail sur une période estimée de 8 à 10 jours
-6 juin 1996 : certificat du Dr M... qui note à l'examen une raideur avec contracture cervicale à irradiation dorsale prédominant à droite et prescrit un arrêt de travail complémentaire de 14 jours
-19 juin 1996 : courrier du docteur N..., rhumatologue, au docteur M... indiquant être assez surpris par l'attitude vicieuse présentée par M. X... trois semaines après son traumatisme cervical et justifiant, selon ce praticien, l'imagerie prévue
-16 septembre 1996 : certificat du Dr M... indiquant que M. X... présente une importante contraction musculaire prédominant au niveau du trapèze et des muscles cervicaux et dorsaux gauches, qu'il est encore en arrêt de travail pour une durée d'un mois. Ce certificat précise que les soins sont en cours au centre anti-douleur de l'hôpital Pasteur à NICE.
-25 septembre 1996 : courrier du docteur O..., neurologue à Nice au docteur H... indiquant après examen de M. X... pour sa dystonie de l'épaule gauche que celle-ci intéresse essentiellement le muscle trapèze supérieur, qu'il paraît s'agir d'une dystonie fonctionnelle et suggérant un traitement par la toxine botulique.
Trois injections de ladite toxine ayant été pratiquées entre le mois d'octobre 1996 le mois de mars 1997, il n'y a plus eu d'autres explorations médicales et le traitement actuel est symptomatique, à base d'antalgiques et de décontracturants musculaires, M. X... étant classée en invalidité catégorie II depuis le 28 mai 1999.
Les conclusions de l'expertise du Dr F..., s'appuyant sur l'avis du docteur I... sont les suivantes :
L'examen clinique de M. X... André met en évidence une dystonie cervicale de l'épaule de type conversif entrant dans le cadre d'une névrose post-traumatique. Cette symptomatologie n'ayant cédé en rien avec les nombreux traitements.
Les conclusions du rapport d'expertise des Drs D... et E... sont les suivantes :
L'accident du 25 mai 1985 dont a été victime M. X... a entraîné un ébranlement rachidien cervical sans lésion somatique identifiable.
Sur le plan neurologique, la certitude de la réalité organique du symptôme présenté dans ses suites n'est pas établie et ce symptôme peut relever d'une cause étrangère au traumatisme.
Sur le plan psychiatrique, aucun élément ne permet de trancher entre un trouble conversif (dans lequel les symptômes physiques observés ne sont pas volontaires) et une simulation (qui implique une production volontaire de symptôme). Aucun de ces troubles ne saurait cependant être imputable de façon directe, certaine et exclusive au traumatisme : le premier parce qu'il suppose un terrain préalable (une personnalité pathologique), le second parce qu'il consiste en la recherche consciente de bénéfices.
Les critères d'imputabilité médicale ne sont pas remplis et nous ne retenons aucune séquelle médicale imputable de façon directe, certaine et exclusive à cet accident.
Au regard de ces éléments de discussion la cour doit relever l'existence d'une concomitance entre le traumatisme cervical et rachidien subi lors de l'accident du 25 mai 1996 et l'apparition, dans les suites immédiates de celui-ci, de la raideur cervicale et de la contracture des muscles cervicaux.
À cet égard, les deux expertises judiciaires relatent le courrier du Dr N... en date du 19 juin 1996 relevant l'attitude vicieuse de la tête de M. X... et une impressionnante contracture paravertébrale.
La dystonie cervicale de l'épaule a bien été constatée par les deux expertises et cliniquement décrite : ainsi M. X... présente une ascension de l'épaule gauche affleurant l'oreille par contraction des trapèzes et ne s'atténuant qu'en position allongée (décubitus).
L'examen expertal du Dr F... décrit à la palpation une contracture bilatérale au niveau des sous épineuses gauche et droite, une limitation importante des mouvements de l'épaule, douloureux, avec majoration vers la gauche, les muscles étant extrêmement saillants et contracturés, la flexion extension de la tête et sa rotation vers la gauche étant impossibles.
Le docteur I... a relevé la filiation médicale continue entre le traumatisme cervical et le tableau clinique témoignant d'une relation directe et certaine avec l'accident en cause et a indiqué que cette relation n'est sans doute pas exclusive mais qu'il ne peut en rapporter la preuve au plan médico-légal en l'absence d'état névrotique patent antérieur. À cet égard, le médecin évoque la possibilité d'une " prédisposition latente dont l'objectivation est impossible ".
En droit, ces constatations sont suffisantes pour retenir l'installation chez M. X... d'une dystonie cervicale au décours du traumatisme subi le 25 mai 1996 même si aucune explication ne peut être actuellement scientifiquement décrite sur les mécanismes et l'origine de ce type de dystonie.
La thèse d'une simulation soutenue par la MAAF n'apparaît confortée ni par les constatations et examens expertaux ni par les investigations des enquêteurs de la MAAF, le fait que M. X... puisse conduire sa voiture ayant bien été mentionné dans les rapports médicaux et les remarques des enquêteurs sur les mouvements de la tête de l'intéressé à cette occasion n'étant pas déterminantes pour conclure à l'existence de troubles factices.
En conséquence le jugement déféré sera réformé en ce qu'il a débouté M. X....
Relativement aux préjudices, les conclusions du rapport d'expertise du Dr F... sont les suivantes :
- la durée de l'ITT est de six mois suivie d'une ITP de 50 % les six mois suivants.
- cette dystonie musculaire de conversion entraîne une réduction importante des mouvements de la tête et de l'épaule gauche.
- un taux d'IPP de 25 % est justifié.
- la dystonie ne permet pas de reprendre l'emploi antérieur de manutentionnaire, une réadaptation professionnelle est possible, notamment dans l'informatique.
- l'état de la victime ne nécessite pas la présence d'une tierce personne.
- la date de consolidation peut être fixée aux 25 mai 1997, soit à un an après l'accident.
- le pretium doloris est assez important.
- le préjudice esthétique est modéré.
- le préjudice sexuel est nul.
- les répercussions fonctionnelles de la dystonie entraînent une diminution des plaisirs de la vie, le préjudice d'agrément est léger.
- A près de cinq ans du traumatisme nous suivons encore l'avis sapiteur du docteur I... pour dire que l'état de la victime n'est pas susceptible de modification significative.
En fonction de ces conclusions médico-légales, de l'âge de M. X... à la date de consolidation, et de sa profession d'employé au magasin Auchan ainsi que des documents produits, la cour dispose des éléments d'appréciation suffisants pour évaluer ses différentes catégories de préjudice de la manière suivante :
I) Préjudices non patrimoniaux :
- ITT-gêne pendant la durée médico-légale retenue par le Dr F... : 5 488, 20 €
- IPP (32 ans à la consolidation) : 53 357, 16 €
- pretium doloris : 18 000 €
- préjudice esthétique lié au positionnement de la tête et de l'épaule : 10 000 €
- préjudice d'agrément défini comme l'atteinte aux activités sportives et de loisir normales mais aussi plus spécifiques, ces dernières n'étant toutefois pas documentées par l'appelant :
10 000 €
II) préjudices patrimoniaux :
Ces postes de préjudice seront évaluées sur la base du salaire perçu par l'intéressé selon son avis d'imposition pour l'année 1995 (83 275 F soit 12 695, 19 € net représentant un salaire mensuel de 1057, 93 €) et en considération de l'inaptitude de M. X... à la reprise de son emploi antérieur de manutentionnaire à Auchan résultant tant des rapports d'expertise du Dr F... et du Dr I... que de la déclaration d'inaptitude de la médecine du travail en date du 20 juin 2002 (Dr Q...) ayant entraîné le licenciement de M. X... le 13 juillet 2002, ce dernier se trouvant actuellement titulaire d'une rente invalidité de la sécurité sociale depuis le 28 mai 1999.
- Perte de gains du 25 mai 1996 au 27 mai 1999 : 1057, 93 € x 36 mois
= 38 039, 84 €
De ce poste de préjudice doivent être déduites les indemnités journalières réglées par la CPAM jusqu'au 27 mai 1999 :
38 039, 84 €-20 766, 72 € = 17 273, 12 €
- Préjudice professionnel :
Il est constitué par la perte de l'emploi et par l'inaptitude au travail en raison de la nature des séquelles entraînant 25 % d'IPP chez ce travailleur manuel.
Il doit être calculé comme suit :
- préjudice professionnel jusqu'à la retraite :
12 695, 19 € x 17, 434 (€ de rente arrêté à 60 ans chez cette victime âgée de 34 ans en 1999, année de la fin de l'indemnisation de la perte de gains) = 221 327, 94 €
- préjudice de retraite :
Le rapport d'expertise de M. R... communiqué aux débats a reconstitué la perte de retraite subie par M. X... à partir de son salaire brut annuel avant l'accident en opérant une reconstitution de carrière. Il a ainsi pu déterminer une perte annuelle sur les pensions de retraite sécurité sociale et de retraite complémentaire du fait de l'accident de 10 105 €, soit après capitalisation d'après le barème TD du Trésor Public à l'âge de 60 ans la somme de 132 104 €.
221 327, 94 € + 132 104 € = 353 431, 94 €
Du préjudice professionnel doivent être déduits le montant des arrérages échus de la pension d'invalidité ainsi que le capital représentatif de cette pension selon le titre de créance de la CPAM des Alpes-Maritimes, soit au total la somme de 244 397, 24 €.
353 431, 94 €-244 397, 24 € = 109 034, 70 €
Total du préjudice :
5 488, 20 € + 53 357, 16 € + 18 000 € + 10 000 € + 10 000 € + 17 173, 12 € + 109 034, 70 € = 223 153, 18 €
Sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile il est équitable d'allouer à M. X... la somme de 3000 €
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Statuant publiquement et par arrêt réputé contradictoire
Réforme le jugement déféré
Et statuant à nouveau
Condamne in solidum madame Y... et la MAAF a payer à M. André X..., en deniers ou quittance, la somme de 222 153, 18 € en réparation de son préjudice consécutif à l'accident de la circulation dont il a été victime le 25 mai 1996 ainsi que la somme de 3000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile
Combats in solidum Madame Y... et la MAAF aux dépens distraits au profit de la SCP GIACOMETTI-DESOMBRE, avoué
Magistrat Rédacteur : Mme KERHARO-CHALUMEAU
Madame JAUFFRESMadame SAUVAGE
GREFFIÈRE, PRÉSIDENTE