COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
1o Chambre B
ARRÊT AU FOND
DU 04 DÉCEMBRE 2008
FG
No 2008 / 711
Rôle No 07 / 20133
VILLE DE CANNES
C /
SA CALYON
Grosse délivrée
le :
à :
réf
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Grande Instance de GRASSE en date du 12 Juin 2007 enregistré au répertoire général sous le no 06 / 361.
APPELANTE
LA VILLE DE CANNES
représentée par son maire en exercice
Hôtel de Ville- BP140-06400 CANNES
représentée par la SCP BOISSONNET-ROUSSEAU, avoués à la Cour,
plaidant par Me Denis DEL RIO, avocat au barreau de NICE
INTIMÉE
LA SA CALYON
venant aux droits de la Société BANQUE INDOSUEZ
dont le siège est 9 quai du Président Paul Doumer-
92920 PARIS LA DEFENSE CEDEX
représentée par la SCP LIBERAS-BUVAT-MICHOTEY, avoués à la Cour
plaidant par Me Manuelle CUGNET avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 30 Octobre 2008 en audience publique. Conformément à l'article 785 du Code de Procédure Civile, Monsieur François GROSJEAN, président, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Monsieur François GROSJEAN, Président
Madame Martine ZENATI, Conseiller
Monsieur Hugues FOURNIER, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Sylvie MASSOT.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 04 Décembre 2008.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 04 Décembre 2008,
Signé par Monsieur François GROSJEAN, Président et Madame Sylvie MASSOT, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS,
Un permis de construire avait été accordé le 12 novembre 1987 par le maire de Cannes à la société COGIM pour l'édification d'une résidence de tourisme quartier La Croisette à Cannes. Ce terrain a été vendu à la SCI de La Reine qui a obtenu le transfert du permis, a fait démolir l'ancien hôtel qui se trouvait là et fait construire la résidence.
La SCI de La Reine ne remboursant pas les emprunts contractés auprès de la Banque INDOSUEZ, celle-ci a fait vendre le bien immobilier aux enchères sur saisie immobilière. Ce bien ne trouvant pas acquéreur, c'est elle-même qui en a été déclarée adjudicataire et s'en est ainsi retrouvée propriétaire en 1992.
Le bien immobilier ne trouvant pas preneur en tant que résidence de tourisme, la société Banque INDOSUEZ a alors mandaté la société COGIM aux fins d'obtenir un nouveau permis de construire qui permettrait de transformer ce bien en immeuble d'habitation afin de pouvoir le revendre. Or si le plan d'occupation des sols de la Ville de Cannes autorisait un coefficient d'occupation des sols de 3, 5 en zone La Croisette pour des résidences de tourisme, ce coefficient n'était que de 2, 5 en cette zone pour les immeubles d'habitation. La transformation supposait que le maire de Cannes autorise un dépassement de ce coefficient.
Cette transformation fut en définitive autorisée par arrêté municipal du 20 janvier 1994 moyennant paiement à la Ville de Cannes d'une taxe de surdensité, pour dépassement du coefficient d'occupation des sols, d'un montant de 22. 470. 000 francs (3. 425. 529, 40 €). Le préfet des Alpes maritimes ne déféra pas cet arrêté devant la juridiction administrative.
Par la suite le maire de Cannes, M. Michel X... fut déclaré coupable de corruption passive pour avoir sollicité et agréé des dons de la société COGIM pour accorder cette autorisation et à ce montant de taxe. Il fut condamné pénalement et civilement pour ce par arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence du 1er décembre 2004. M. X..., ancien maire de Cannes, fut condamné solidairement avec trois autres personnes à payer 2. 624. 257 € à la Ville de Cannes à titre de dommages et intérêts pour préjudice matériel causé de ce fait à la commune.
Le 9 janvier 2006, la commune de Cannes a fait assigner la société CALYON, venant aux droits de la société Banque INDOSUEZ, devant le tribunal de grande instance de Grasse aux fins de la voir condamner, sur le fondement de l'article 1382 du code civil, subsidiairement de l'article 1371 du code civil, à lui payer la somme de 2. 654. 257 € à dommages et intérêts pour préjudice matériel correspondant à un manque à gagner au titre de la taxe de surdensité, 50. 000 € pour préjudice moral et 50. 000 € pour préjudice matériel en raison des procédures judiciaires nécessaires pour se faire reconnaître comme victime.
La société CALYON a conclu à l'irrecevabilité de cette action.
Par jugement en date du 12 juin 2007, le tribunal de grande instance de Grasse a :
vu les dispositions des articles R. 332-1 et suivants du code de l'urbanisme,
vu les dispositions de l'article L. 274 B du livre des procédures fiscales,
vu les dispositions de l'article 384 B de l'annexe II du code général des impôts, de l'article R. 332-5 et de l'article R. 333-6 du code de l'urbanisme,
- déclaré la Ville de Cannes irrecevable à agir à l'encontre de la société CALYON en recouvrement de la participation de 2. 624. 257 € pour dépassement du coefficient d'occupation des sols par le biais d'une action fondée sur les dispositions de l'article 1382 du code civil et a fortiori sur les dispositions de l'article 1371 du code civil,
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,
- condamné la Ville de Cannes à payer à la société CALYON la somme de 3. 000 € sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile,
- débouté la Ville de Cannes de sa demande fondée sur les dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile,
- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,
- condamné la Ville de Cannes aux entiers dépens, avec distraction au profit des avocats de la cause en application des dispositions de l'article 699 du nouveau code de procédure civile.
Par déclaration de la SCP BOISSONNET & ROUSSEAU, avoués, en date du 5 juillet 2007, la Ville de Cannes a relevé appel de ce jugement.
Par ses dernières conclusions, notifiées et déposées le 6 décembre 2007, la Ville de Cannes demande à la cour, au visa des dispositions des articles 1382, 2251 et 2270-1 du code civil, subsidiairement de l'article 1371 du code civil, de :
- infirmer le jugement,
- à titre principal, dire que le Ville de Cannes est parfaitement fondée à engager devant les juridictions civiles une action à l'encontre de la Banque CALYON sur le fondement de la responsabilité civile délictuelle afin d'obtenir réparation de ses préjudices,
- dire que cette action n'est pas prescrite,
- déclarer que par sa faute, la Banque CALYON a engagé sa responsabilité civile délictuelle à l'égard de la Ville de Cannes en considération des préjudices subis,
- condamner la Banque CALYON à payer à la Ville de Cannes les sommes suivantes :
-2. 624. 257 € correspondant à la taxe de surdensité qu'elle aurait du verser à la Ville de Cannes, au titre du préjudice matériel,
-50. 000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral,
-50. 000 € en réparation du préjudice matériel induit par la mise en oeuvre, le financement et l'exécution des procédures judiciaires rendues nécessaires pour faire reconnaître comme victime la Ville de Cannes,
- à titre subsidiaire, par application de l'article 1371 du code civil, faisant application de l'action fondée sur l'enrichissement sans cause,
- condamner la Banque CALYON à payer à la Ville de Cannes la somme de 2. 624. 257 € dont la Banque CALYON a fait l'économie alors que cette somme était due au titre de la taxe de surdensité,
- en tout état de cause, condamner la Banque CALYON à payer à la Ville de Cannes la somme de 3. 500 € au titre des dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, et aux entiers dépens de l'instance, distraits au profit de la SCP BOISSONNET & ROUSSEAU, avoués.
La Ville de Cannes estime que, tant que la procédure judiciaire n'était pas arrivée à son terme, elle ne disposait d'aucun élément lui permettant de soutenir que l'insuffisance de la taxe de surdensité perçue résultait d'une minoration abusive par suite d'une infraction pénale.
La Ville de Cannes rappelle la condamnation prononcée par la cour d'appel d'Aix-en-Provence, chambre correctionnelle, le 1er décembre 2004, confirmant le jugement du 9 juin 2004 du tribunal correctionnel de Grasse. Elle estime qu'avant l'arrêt de la cour d'appel du 1er décembre 2004, elle ne disposait d'aucune base juridique lui permettant de se prévaloir du caractère frauduleux du permis de construire.
Par ses dernières conclusions, notifiées et déposées le 5 février 2008, la société anonyme CALYON, venant aux droits de la société Banque INDOSUEZ, demande à la cour de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, de rejeter les demandes, fins et conclusions de la Ville de Cannes, de condamner la Ville de Cannes à lui payer 15. 000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens, avec distraction au profit de la SCP Pierre LIBERAS Robert BUVAT et Françoise MICHOTEY, avoués.
La société CALYON rappelle que la Ville de Cannes avait, avant la présente action, pris le 5 décembre 2005 un arrêté aux fins de recouvrement sur la société CALYON de la somme de 2. 654. 257 € représentant les sommes restant dues au titre de la redevance pour dépassement de coefficient d'occupation des sols générée par l'arrêté de permis de construire délivré le 20 janvier 1994. Elle précise avoir déféré cet arrêté devant le tribunal administratif de Nice qui, par jugement du 15 mars 2007, en a prononcé l'annulation. La société CALYON estime que la Ville de Cannes essaie par la présente action, de détourner les règles de compétence applicables.
La société CALYON fait observer que la Ville de Cannes a négliger de demander au préfet d'exercer, dans les délais de l'article 274 B du livre des procédures fiscales l'action en recouvrement de la participation et tente de pallier à sa carence par la présente action.
La société CALYON fait remarquer que c'était au préfet et non au maire de Cannes de fixer le montant de la participation au dépassement du coefficient d'occupation des sols et que le maire a outrepassé ses pouvoirs en la fixant lui-même et que c'était au préfet de la liquider, et sous le contrôle du juge administratif.
La société CALYON estime que, même sur le fondement d'une action en responsabilité délictuelle, l'action était prescrite alors que la commune avait connaissance du dommage prétendu dès l'arrêté, le conseil municipal ayant donné un avis favorable à ce montant de taxe.
La société CALYON fait observer que l'action de in rem verso n'a qu'une vocation subsidiaire, à défaut d'autre action.
Sur le fond, la société CALYON estime n'avoir commis aucune faute, n'étant pas impliquée dans les actes de corruption,
Elle considère qu'il n'y a ni préjudice ni lien de causalité, alors que l'arrêté de dépassement de coefficient d'occupation des sols et la participation financière à ce titre étaient illégaux et que la non perception d'une taxe illégale ne saurait constituer un préjudice indemnisable. Elle conteste en tout état de cause le montant allégué.
L'instruction de l'affaire a été déclarée close le 2 octobre 2008.
MOTIFS,
La commune de Cannes soutient à titre principal une action en responsabilité délictuelle, sur le fondement de l'article 1382 du code civil, contre la société CALYON ; elle demande à ce titre la reconnaissance d'une faute de la société Banque INDOSUEZ, aux droits et obligations de laquelle se trouve la société CALYON et la condamnation de cette dernière à lui payer à titre de dommages et intérêts les sommes de 2. 654. 257 € plus 50. 000 € de préjudice matériel plus 50. 000 € de préjudice moral, soit au total 2. 754. 257 €.
A titre subsidiaire, la commune de Cannes présente son action comme une demande, fondée sur l'article 1371 du code civil, pour enrichissement sans cause de la société Banque INDOSUEZ, aux droits et obligations de laquelle se trouve la société CALYON, et la condamnation de celle-ci à lui payer la somme de 2. 624. 257 € dont cette dernière CALYON a fait l'économie au détriment de la commune de Cannes.
La demande principale est soumise à la prescription décennale fixée par l'article 2270-1 du code civil dispose, en sa version applicable au litige, antérieure à la loi du 17 juin 2008, qui dispose que les actions en responsabilité civile extra-contractuelle se prescrivent par dix ans à compter de la manifestation du dommage ou de son aggravation.
Le dommage invoqué par la commune de Cannes consiste en la perte d'un montant de taxe de dépassement du plafond légal de densité pour une construction excédant le coefficient d'occupation des sols correspondant à la différence entre celui qui aurait dû, selon elle, être fixé et celui qui a retenu par le maire par arrêté municipal du 20 janvier 1994.
Lorsque l'arrêté municipal du 20 janvier 1994 a été signé, il l'a été par M. Y..., adjoint, agissant sur délégation du maire et au nom de la commune.
C'est bien la commune, personne morale existant quelque soit la personne physique qui la représente, qui est censée avoir décidé d'un montant de taxe de dépassement du plafond légal de densité.
La commune de Cannes qui a décidé de ce montant et qui estime que ce montant est un dommage, ne peut prétendre l'avoir ignoré.
Cette action est prescrite depuis le 20 janvier 2004.
Au demeurant la commune est responsable de son propre dommage, si dommage il y a.
La demande subsidiaire, au titre l'enrichissement sans cause, ne peut être admise qu'à défaut de toute autre action ouverte au demandeur. Elle ne peut l'être pour suppléer à l'action que la commune ne peut intenter par suite de la prescription.
Au surplus, il convient de relever que la somme principale de 2. 654. 257 € que tente d'obtenir la commune de Cannes par la présente action correspond au montant qu'elle a elle-même fixé en son arrêté du 5 décembre 2005 comme représentant le montant complémentaire du au titre d'un dépassement de coefficient d'occupation des sols généré par son arrêté de permis de construire du 20 janvier 1994.
Par jugement définitif du 15 mars 2007, le tribunal administratif de Nice a estimé que le maire de Cannes n'avait pas compétence pour prendre un tel arrêté, par application de l'article R. 424-1 du code de l'urbanisme, alors qu'il n'était pas établi qu'un arrêté du préfet des Alpes maritimes ait délégué au maire de la commune de Cannes compétence en ce domaine, et a dit que la société CALYON était déchargée de cette redevance de 2. 654. 257 € pour dépassement de coefficient d'occupation des sols mise à sa charge.
Il a été ainsi jugé que la commune ne peut exiger cette somme de la société CALYON.
Cette procédure, atteinte de prescription, et correspondant à obtenir par une voie détournée ce qui a déjà été jugé, est totalement irrecevable
PAR CES MOTIFS,
Statuant par arrêt contradictoire, prononcé publiquement, par mise à disposition au greffe,
Confirme le jugement rendu 12 juin 2007 par le tribunal de grande instance de Grasse,
Y ajoutant,
Condamne la commune de Cannes à payer à la société CALYON la somme de 5. 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles d'appel,
Condamne la commune de Cannes aux dépens et autorise la SCP Pierre LIBERAS Robert BUVAT et Françoise MICHOTEY, avoués, à recouvrer directement sur, par application de l'article 699 du nouveau code de procédure civile, les dépens dont ces avoués affirment avoir fait l'avance sans avoir reçu provision.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT