4o Chambre C
ARRÊT AU FOND
DU 13 NOVEMBRE 2008
No 2008 / 388
Rôle No 07 / 16221
S. A. R. L. LE COMMERCE
C /
Nelly X... épouse Y...
réf
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Grande Instance de NICE en date du 03 Octobre 2007 enregistré au répertoire général sous le no 04 / 00058.
APPELANTE
S. A. R. L. LE COMMERCE, société au capital de 50 000 francs agissant poursuites et diligences de son représentant légal en exercice, domicilié en cette qualité audit siège sis et dont le représentant légal est madame Laura Z...,
demeurant Restaurant... "-...
représentée par la SCP DE SAINT FERREOL-TOUBOUL, avoués à la Cour,
assistée de Maître Jean-Marc SZEPETOWSKI, avocat au barreau de NICE
INTIMEE
Madame Nelly X... épouse Y...
née le 06 Septembre 1931 à NICE (06000),
demeurant...
représentée par la SCP LATIL-PENARROYA-LATIL-ALLIGIER, avoués à la Cour,
assistée de Maître Sophie CHAS, avocat au barreau de NICE
*- *- *- *- *
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 01 Octobre 2008 en audience publique. Conformément à l'article 785 du Code de Procédure Civile, Madame Brigitte BERNARD, Président, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Madame Brigitte BERNARD, Président
Madame France-Marie BRAIZAT, Président de chambre faisant fonction de Conseiller
Monsieur Michel NAGET, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Marie-Christine RAGGINI.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 13 Novembre 2008.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 13 Novembre 2008,
Signé par Madame Brigitte BERNARD, Président et Madame Marie-Christine RAGGINI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
Par acte sous seing privé du 6 octobre 1986, Nelly Y... a donné à bail à la SARL LE COMMERCE un local à usage de commerce de restauration et activités annexe sis... (Alpes-Maritimes) moyennant un loyer annuel de 55. 000F, soit 8. 384, 70 Euros.
Le bail a été renouvelé en 1995 moyennant un loyer annuel de 11. 891, 02 Euros.
Par acte du 10 mars 2004, Nelly Y... a fait délivrer à sa locataire un congé avec offre de renouvellement et augmentation du loyer à un montant annuel de 35. 000 Euros. Par courrier du 9 avril 2004, la locataire a accepté le principe du renouvellement tout en contestant le montant du loyer du nouveau bail.
Par acte du 5 janvier 2005, Nelly Y... a assigné la SARL LE COMMERCE devant le Tribunal de Grande Instance de Nice.
Par jugement du 27 juin 2005, le Juge des Loyers Commerciaux de Nice a :
- constaté l'accord des parties sur le principe du renouvellement du bail mais leur désaccord sur le montant du loyer renouvelé,
- Avant Dire Droit, ordonné une expertise confiée à M. C....
Le rapport d'expertise a été déposé le 10 juillet 2006.
La SARL LE COMMERCE a soulevé l'irrecevabilité de la procédure pour défaut de saisine préalable de la commission départementale de cq ² onciliation, subsidiairement, a contesté le rapport d'expertise et s'est opposée au déplafonnement du loyer.
Par jugement du 3 octobre 2007, le Juge des Loyers Commerciaux du Tribunal de Grande Instance de NICE a :
- écarté la fin de non-recevoir tirée du défaut de saisine préalable de la Commission Départementale de Conciliation,
- homologué le rapport d'expertise de M. C... quant à la modification notable des facteurs locaux de commercialité et à la valeur locative, sauf en ce qui concerne l'absence de prise en considération par celui-ci de la mise à la charge de la locataire de la taxe foncière,
- dit qu'il y a lieu à déplafonnement du loyer sur renouvellement,
- fixé le loyer sur renouvellement à la somme de 31. 886 Euros par an, à compter du 1er octobre 2004, Hors Charges et Hors Taxes, toutes les autres charges et conditions du bail demeurant inchangées,
- condamné la SARL LE COMMERCE à verser à Nelly Y... une indemnité de 1. 000 Euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile,
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,
- condamné la SARL LE COMMERCE aux dépens, en ce compris les frais d'expertise.
Par acte du 4 octobre 2007, la SARL LE COMMERCE a fait appel de ce jugement.
Par ses dernières conclusions signifiées le 16 septembre 2008, et auxquelles il est renvoyé, la SARL LE COMMERCE demande à la Cour :
- de réformer le jugement,
- de déclarer irrecevable la procédure et, à titre subsidiaire, de débouter l'intimée de sa demande tendant à obtenir le déplafonnement du loyer du bail renouvelé,
- de juger que ce dernier sera fixé en application des indices, soit à la somme de 14. 896 Euros,
A titre subsidiaire :
- de juger que la valeur locative ne saurait excéder la somme de 25. 991, 83 Euros,
- de condamner la bailleresse au paiement de la somme de 2. 000 Euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile et aux dépens.
A l'appui de ses demandes, l'appelante soulève l'irrecevabilité de la procédure pour défaut de saisine de la Commission Départementale de Conciliation, conformément à l'article L. 145-34 du Code de Commerce, d'ordre public selon elle.
Par ailleurs, concernant les motifs de déplafonnement retenus par l'expert, elle relève que les travaux effectués dans les locaux l'ont été en 1994, soit avant la conclusion du bail de 1995, et qu'ils ne peuvent être perçus que comme de simples travaux de rénovation. Les facteurs locaux de commercialité n'auraient pas non plus évolués de façon notable selon l'appelante. Elle précise notamment que l'installation de la terrasse est accordée par la Mairie, à titre précaire et révocable, et moyennant une redevance, qu'elle ne ferait pas partie du fonds de commerce et ne serait pas retenue par la jurisprudence comme motif de déplafonnement.
Elle demande un loyer de 14. 896 Euros par an, Hors Charges et, en cas de déplafonnement, de 25. 991, 83 Euros maximum.
Par ses dernières écritures signifiées le 7 août 2008, et auxquelles il est renvoyé, Nelly Y... demande à la Cour :
- de confirmer le jugement en toutes ses dispositions,
- de condamner la SARL LE COMMERCE au paiement de la somme de 2. 000 Euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile et aux dépens.
A l'appui de ses demandes, la bailleresse invoque une interprétation erronée de la décision du 30 juin 2004, et le caractère facultatif de la saisine de la Commission Départementale de Conciliation.
Elle s'appuie sur les conclusions expertales concernant le déplafonnement du loyer et le montant de ce dernier.
L'instruction de l'affaire a été déclarée close le 24 septembre 2008.
Sur ce, la Cour,
Considérant que la recevabilité de l'appel n'est pas critiquée.
Sur le défaut de saisine de la Commission Départementale de Conciliation :
Considérant que c'est par des motifs pertinents, que la Cour adopte, que le Juge des Loyers Commerciaux a dit qu'en l'état de la jurisprudence actuelle de la Cour de Cassation, la saisine de la Commission Départementale de Conciliation préalablement à la saisine du Juge des Loyers Commerciaux, en matière de renouvellement de bail commercial et de fixation du loyer renouvelé, était facultative et qu'en l'espèce, le défaut de saisine de cette Commission ne rendait pas irrecevable, la demande de fixation de la valeur locative des loyers commerciaux, sis... (06) au 1er octobre 2004, présentée par Nelly Y... devant le premier juge.
Que le jugement entrepris sera confirmé de ce chef.
Sur le déplafonnement :
Considérant que conformément aux dispositions de l'article L 145-34 du Code de Commerce, le montant du loyer du bail renouvelé ne peut être augmenté au-delà de la variation indicielle que, si au cours du bail expiré, est intervenue une modification notable des éléments mentionnés aux articles 23-1 à 23-4 du Décret du 30 septembre 1953.
Que le déplafonnement exige la réunion de trois conditions :
- la modification doit être notable :
- elle doit affecter l'un des éléments définis aux articles 23-1 à 23-4 du Décret, mais elle peut affecter un seul de ces éléments,
- la modification doit être intervenue au cours du bail expiré,
- qu'il appartient au bailleur qui sollicite le déplafonnement d'en rapporter la preuve.
Considérant que Nelly Y... invoque, d'une part, la modification notable des caractéristiques des lieux loués pendant la période de référence, soit entre le 1er octobre 1995 et le 1er octobre 2004.
Que la bailleresse excipe aussi d'une modification des facteurs locaux de commercialité ; que la modification doit, aux termes d'une jurisprudence constante de la Cour de Cassation, avoir une incidence certaine et directe sur le commerce considéré pour qu'elle puisse justifier le déplafonnement.
Considérant que les locaux loués à la SARL LE COMMERCE, sont situés dans un immeuble d'angle,...
... et....
Considérant que dans le bail à renouveler du 2 août 1996, les locaux loués sont désignés
ainsi :
" un immeuble élevé d'un étage, composé au sous-sol d'une cave, au rez de chaussée d'une salle de restaurant, d'une cuisine, WC, et d'une grande cour, à l'étage d'un appartement comprenant 3 pièces (une grande et deux petites) une cuisine et débarras, couloir et deux WC (hommes et dames) ".
Considérant qu'il résulte de l'expertise judiciaire de Monsieur Jérôme C..., déposée le 10 juillet 2006, que la cour au rez de chaussée a fait l'objet de travaux visant à une transformation en une pièce fermée, prolongeant celle existante et que les WC du rez de chaussée ont été supprimés ; que l'expert conclut à une modification notable des caractéristiques des locaux loués.
Mais considérant que ces améliorations sont antérieures à la date du bail, à renouveler, dans la mesure où elles ont été retenues dans le mémoire de l'expert amiable Monsieur D... du 27 avril 1995, mandaté par Nelly Y... pour obtenir le déplafonnement du loyer du bail du 2 août 1996, et où il est mentionné dans ce bail aux " conditions particulières " que " sans l'accord express du bailleur, une verrière a été édifiée dans la cour intérieure du bâtiment au droit de la cuisine du restaurant.... toutes les réparations de cette verrière seront à la charge du preneur ".
Considérant, par ailleurs, que la suppression des WC au rez de chaussée est concomitante avec l'utilisation du 1er étage à usage commercial, deux WC ayant été créés à cet étage, l'un pour les hommes, l'autre pour les femmes par la transformation d'une salle de bains.
Que là encore, ces travaux et cette utilisation commerciale du 1er étage sont soulignés dans le mémoire de Monsieur D... et ont été pris en compte dans le cadre du premier renouvellement du bail d'origine du 1er octobre 1986, pour déplafonner le loyer, qui a été fixé à la valeur locative dans le bail du 2 août 1996.
Qu'en effet, dans le bail de 1996, la désignation des lieux a été modifiée par la suppression de la salle de bain au 1er étage ; que de plus, l'objet du bail qui était : " commerce de restaurant au rez de chaussée et logement au 1er étage ", dans le bail du 1er octobre 1986, est devenu dans le bail à renouveler du 2 août 1996, " à usage exclusif de commerce de restaurant et activité annexe pour tous les lieux ".
Considérant ainsi que les caractéristiques des locaux loués à la SARL LE COMMERCE
n'ont subi aucune modification notable pendant la période de référence.
Considérant, en revanche, que c'est par des motifs pertinents que la Cour adopte, que le premier juge, suivant l'avis de l'expert judiciaire Monsieur C..., a estimé qu'il y avait eu une modification des facteurs locaux de commercialité pendant la période de référence, ayant eu une incidence directe et certaine sur le commerce de bar-restaurant exploité par la SARL LE COMMERCE.
Que le réaménagement de la Rue ... en zone semi-piétonne en décembre 1998, avec élargissement des trottoirs à 5 mètres 50, mise en place de candélabres désign, implantation d'arbres et réalisation d'un revêtement en granit pour les trottoirs, a été salué, par la presse locale, comme la première entreprise de revitalisation du Centre Ville de Nice, réclamée depuis longtemps par les riverains et les commerçants du quartier.
Que c'est justement, que le premier juge a dit que l'amélioration du standing et que la convivialité de la Rue ... avait éloigné du secteur les marginaux, qui le fréquentaient et que l'agrandissement des trottoirs devant le commerce en cause était un attrait considérable ", " rendant plus aisée la circulation piétonne et plus agréable le séjour des consommateurs sur la terrasse, concédée à la SARL LE COMMERCE depuis avril
1999, par la Ville, à titre provisoire.
Qu'au demeurant, la SARL LE COMMERCE admet que l'élargissement des trottoirs lui a permis d'avoir 9 m ² de terrasse supplémentaire, soit 10 tables supplémentaires et que son Chiffre d'Affaires a augmenté de 50 % de 1999 à 2002 ; que même si cette augmentation n'a pas été entièrement générée par la réfection de la Rue ..., il demeure que cette dernière a manifestement largement compensé la fermeture de la médiathèque et la suppression de quelques places de stationnement.
Que cette terrasse, ainsi agrandie, grâce à l'élargissement des trottoirs de la Rue ... en 1998, était encore, suivant un article de Nice-Loisirs du 27 mai 2004, un élément de notoriété du commerce en cause, " un endroit idéal pour prendre un verre en toute tranquillité ".
Considérant, enfin, que les pièces, produites par l'appelante, relatives à un retour des marginaux dans le secteur et au passage répété de véhicules et d'autobus dans la Rue LAMARTINE, ne concernent pas la période de référence et ne seront donc pas examinées.
Considérant qu'il suit que le loyer du bail à renouveler entre les parties, au 1er octobre 2004, sera fixé à la valeur locative.
Considérant que la description des lieux loués par l'expert judiciaire et l'excellente commercialité de leur emplacement au 1er octobre 2004, ne sont pas remises en cause
par l'une des parties.
Considérant que sont également acceptés par les parties la surface totale utile de 212, 97 m ² des locaux loués et les coefficients de pondération, dont l'expert judiciaire a affecté chaque partie des locaux, aboutissant à une surface pondérée de 146, 70 m ².
Considérant, en revanche, que la SARL LE COMMERCE discute le correctif d'ensemble de 1, 15, dont l'expert judiciaire a majoré la surface pondérée, retenant, en définitive, une surface pondérée de 168, 71 m ².
Que c'est avec raison que le premier juge a admis ce correctif d'ensemble de 1, 15, justifié, selon l'expert, par la belle devanture du commerce avec terrasse, par la situation d'angle des locaux dans un secteur à très forte commercialité, par la configuration des locaux propices à leur destination initiale et par le deuxième accès réservé aux service.
Que ce correctif, qui ne peut faire double emploi avec les coefficients de pondération affectant chaque partie des locaux, n'est pas lié à l'accueil de la clientèle, mais est destiné à rendre homogènes les évaluations locales, selon la valeur des emplacements ; que ce correctif de 1, 15 sera donc retenu.
Considérant, quant au choix des éléments de comparaison par l'expert, que c'est, par contre à bon droit, que la SARL LE COMMERCE reproche à l'expert judiciaire et au premier juge de n'avoir pas retenu les 5 éléments de comparaison pertinents, s'agissant de commerces de bar-restaurant, situés..., ayant des superficies analogues à son commerce et de baux renouvelés à une date plus ou moins proche du 1er octobre 2004.
Qu'en effet, rien ne justifie que soient écartés le bail du restaurant-tabac " Le ... ", datant de 2003, soit une valeur locative de 157 euros le m ² par an pour une surface de 75 m ², ni le deuxième bail en renouvellement, en date de 2000, concernant une surface de 52 m ², le commerce faisant l'objet de deux baux, dont l'una été pris comme élément de comparaison par l'expert (surface 97, 40 m ², valeur locative 201 euros le m ² l'an en 1998), soit une valeur locative de 110 euros le m ² l'an ; que si cette dernière valeur est basse, elle n'en est pas moins une valeur pertinente du marché local, et ce, d'autant que les éléments de comparaison, en l'espèce, ne sont pas nombreux.
Considérant que la valeur locative moyenne des 5 éléments de comparaison s'établit à 179, 40 euros le m ² l'an (220 euros + 110 euros + 209 euros + 201 euros + 157 euros / 5) ; que le loyer du bail renouvelé entre les parties au 1er octobre 2004, s'élèvera donc à
179, 40 euros X 168, 71 m ² = 30. 266, 57 euros.
Que sur ce montant, il y a lieu d'appliquer, comme l'a fait le premier juge et pour les mêmes motifs, un abattement forfaitaire de 10 %, correspondant à l'impôt foncier à la charge contractuelle du preneur.
Considérant, en conséquence, que le loyer, sur renouvellement au 1er octobre 2004, sera fixé à 27. 239, 91 euros, arrondis à 27. 240 euros par an, Hors Taxes et Hors Charges.
Considérant qu'il n'est pas inéquitable de laisser à la charge de chacune des parties les frais irrépétibles qu'elles ont exposés en première instance et en appel.
Considérant que les dépens de première instance et d'appel seront laissés à la charge de chacune des parties, les frais de l'expertise judiciaire, ordonnée dans l'intérêt des deux parties, étant partagés par moitié entre elles.
PAR CES MOTIFS :
La Cour,
Statuant en audience publique, contradictoirement,
- Reçoit l'appel,
Au fond,
- Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions non contraires au présent arrêt,
L'infirmant de ces seuls chefs et statuant à nouveau,
- Fixe le loyer, sur renouvellement, des locaux sis... /... et appartenant à Nelly X... épouse Y..., à la somme de 27. 240 euros par an, à compter du 1er octobre 2004, Hors Taxes et Hors Charges,
- Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,
- Partage les frais de l'expertise judiciaire par moitié entre les parties,
- Laisse les dépens de première instance et d'appel à la charge de chacune des parties,
- Admet les avoués concernés au bénéfice de l'article 699 du Code de Procédure Civile.
LE GREFFIER LE PRESIDENT