COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
15o Chambre A
ARRÊT AU FOND
DU 21 MARS 2008
No 2008/
Rôle No 07/04776
SCI ZANORO
C/
Monsieur le PROCUREUR GENERAL
Grosse délivrée
le :
à : BLANC
PROCUREUR GENERAL
réf
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Grande Instance de NICE en date du 12 Mars 2007 enregistré au répertoire général sous le no 06/4252.
APPELANTE
SCI ZANORO, prise en la personne de son gérant en exercice domicilié Villa Kismet - 5 Boulevard de la Turbie - 06240 BEAUSOLEIL
représentée par la SCP BLANC AMSELLEM-MIMRAN CHERFILS, avoués à la Cour,
assistée de Me Olivier FASSIO, avocat au barreau de NICE
INTIME
Monsieur le PROCUREUR GENERAL,
en ses bureaux sis Cour d'Appel, Palais de Justice - Place de Verdun - 13100 AIX EN PROVENCE
représenté par M. Bertrand CHARPENTIER, Avocat Général, entendu en ses réquisitions
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 785,786 et 910 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 08 Février 2008, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Denis JARDEL, Président, chargé du rapport, qui a fait un rapport oral à l'audience, avant les plaidoiries.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Denis JARDEL, Président
Monsieur Christian COUCHET, Conseiller
Monsieur Olivier BRUE, Conseiller
Greffier lors des débats : Madame Véronique DEVOGELAERE.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 21 Mars 2008.
MINISTERE PUBLIC :
Auquel l'affaire a été régulièrement communiquée
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 21 Mars 2008,
Signé par Monsieur Denis JARDEL, Président et Madame Véronique DEVOGELAERE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :
Autorisé par ordonnance du juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Nice du 12 mai 2006, le Procureur de la République près le tribunal de grande instance de Nice a fait inscrire le 3 juillet 2006 une hypothèque provisoire sur le bien immobilier dénommé "Villa Kismet" à Beausoleil appartenant à la SCI ZANORO en exécution d'une commission rogatoire délivrée par le Tribunal de Milan dans le cadre d'une enquête sur l'infraction de blanchiment résultant du réemploi d'activités illicites pouvant être reprochées à Giampietro Y..., inscription dénoncée le 4 juillet 2006 à la SCI ZANORO.
Par acte du 24 juillet 2006, la SCI ZANORO a fait assigner le Procureur de la République près le tribunal de grande instance de Nice devant le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Nice pour faire rapporter l'ordonnance du 12 mai 2006, supprimer l'hypothèque prise le 3 juillet 2006 et faire condamner l'Etat français aux dépens.
Par jugement du 12 mars 2007, le juge de l'exécution a débouté la SCI ZANORO de l'ensemble de ses demandes et l'a condamnée aux dépens.
Il a constaté que le Parquet de Nice a été saisi conformément aux règles de procédure italiennes et aux textes conventionnels ratifiés par la France et l'Italie relatifs à l'entraide judiciaire internationale, que conformément à l'article 11 de la convention de Strasbourg relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime, l'Etat requis est tenu d'ordonner les mesures conservatoires sollicitées par l'Etat requérant, obligation rappelée par l'article 9 de la loi du 13 mai 1996, et que ces deux textes réglementent précisément et exclusivement les causes de refus pouvant être opposées à l'autorité judiciaire étrangère requérante et qu'il lui appartenait d'obtenir des juridictions la mainlevée de la saisie conservatoire.
Par déclaration du 19 mars 2007, la SCI ZANORO a interjeté appel de cette décision.
Dans ses conclusions récapitulatives du 21 décembre 2007, la SCI ZANORO demande à la Cour de réformer le jugement, d'ordonner la rétractation de l'ordonnance du 12 mai 2006 et la mainlevée de l'hypothèque prise le 3 juillet 2006 et sa radiation et de condamner l'Etat français aux dépens.
Elle fait valoir qu'aucune procédure au fond n'a été engagée avant le 4 août 2006 en violation de l'article 215 du décret du 31 juillet 1992, qu'elle est une entité juridique distincte de Monsieur
Y...
et de ses associés, et que la créance dont se prévalent l'entité italienne et le Ministère Public n'est pas fondée en son principe, la décision du 26 avril 2005 émanant de la juridiction italienne ne concernant que Monsieur Y..., alors qu'aucune procédure civile ou pénale n'est intentée à son encontre et qu'elle n'a pas été en mesure d'intervenir aux débats, que l'acquisition de l'immeuble a été faite sans l'intervention de Monsieur Y... , que le fait que celui-ci ait fait procéder à des travaux d'aménagement de la villa ne peut lui être reproché, celui-ci bénéficiant d'une convention d'occupation, et qu'il n'occupe plus la villa depuis 2001.
Dans ses conclusions du 11 décembre 2007, le Procureur Général près la cour d'appel d'Aix en Provence a demandé la confirmation du jugement du 12 mars 2007 et la condamnation de la SCI ZANORO aux dépens.
Il rappelle qu'une décision de séquestre de l'immeuble litigieux a été prise par le tribunal de Milan dans le cadre d'une enquête sur l'infraction de blanchiment résultant du réemploi d'activités illicites pouvant être reprochées à Giampietro Y... et que les autorités judiciaires françaises ont fait l'objet d'une demande d'exécution de cette mesure en raison de la situation du bien en application de la convention du 8 novembre 1990 transposée dans la loi française par la loi 69-392 du 13 mai 1996. Il affirme que cette demande n'est pas contraire à l'ordre public français, ne porte pas sur des faits ayant fait l'objet de poursuites sur le territoire français et a trait à des infractions de droit commun.
Il souligne qu'il ressort des pièces communiquées par les autorités italiennes que Giampietro Y... exerce une activité de "cambiste" auprès des clients de maisons de jeu en Italie du Nord et dans le Sud de la France, remettant du numéraire en échange de chèques, qu'il a exercé cette activité au travers de la société FIM GE SRL, constituée par Giampietro Y... en 2001 dont le capital est détenu par une société fiduciaire dont il est l'ayant droit économique, société FIM GE SRL qui détient 99 des 100 parts du capital de la SCI ZANORO. Il souligne que la décision de la juridiction italienne a été prise après avoir invité les parties intéressées et notamment la SCI ZANORO à intervenir aux débats.
Il fait valoir que le support de la mesure conservatoire critiquée est la décision de la juridiction italienne complétée par l'autorisation du juge de l'exécution, et continue à produire ses effets jusqu'à l'aboutissement de la procédure au fond en Italie, que la décision du tribunal de Milan a été confirmée par la Cour d'appel de Milan, et que le ministère public n'avait pas à introduire une procédure au fond devant la juridiction française, la juridiction française n'ayant pas en outre à apprécier selon l'article 15 de la loi du 13 mai 1996 l'existence d'une créance fondée en son principe.
L'instruction de la procédure a été déclarée close par ordonnance du 8 janvier 2008.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Attendu que la convention relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime du 8 novembre 1990 énonce une obligation d'entraide entre les Etats ayant ratifié la convention, notamment l'obligation pour l'Etat requis d'exécuter les mesures provisoires demandées par l'Etat requérant, énumérant les motifs de refus pouvant être opposés par l'Etat requis ;
Que la loi no96-392 du 13 mai 1996 a transposé cette convention notamment dans ses articles 9 à 16 ; qu'elle énumère à l'article 10 les motifs de refus d'exécuter la mesure demandée et en son article 15 les conditions d'exécution des mesures provisoires ;
Attendu qu'en l'espèce, le tribunal de Milan, par décision du 26 juin 2005, a ordonné la mise sous séquestre de l'immeuble dénommé "Villa Kismet" à Beausoleil" appartenant à la SCI ZANORO dans le cadre d'une enquête pénale sur l'infraction de blanchiment résultant du réemploi d'activités illicites pouvant être reprochées à Giampietro Y... ; que le Parquet de Nice, compétent eu égard à la situation du bien, a été autorisé, par ordonnance du juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Nice du 12 mai 2006, à prendre une hypothèque provisoire sur l'immeuble litigieux, hypothèque provisoire publiée le 3 juillet 2006 et dénoncée à la SCI ZANORO le 4 juillet 2006 ;
Attendu qu'à l'appui de son appel, la SCI ZANORO fait valoir d'une part qu'il appartenait à l'Etat français d'engager une procédure au fond dans un délai d'un mois conformément à l'article 215 du décret du 31 juillet 1992, soit en l'espèce avant le 4 août 2006, et d'autre part que la créance dont se prévaut l'Etat italien n'est pas fondée en son principe ;
Attendu que l'article 15 de la loi no96-392 du 13 mai 1996 énonce que l'exécution sur le territoire français d'une mesure conservatoire présentée par une autorité étrangère est ordonnée selon les modalités prévues par le code de procédure civile et par la loi no91-650 du 9 juillet 1991 portant réforme des procédures civiles d'exécution ; que l'article 70 de cette loi prévoit que le créancier qui ne possède pas un titre exécutoire, doit engager une procédure permettant d'obtenir ce titre exécutoire, à peine de caducité de la mesure conservatoire ; que l'article 215 du décret du 31 juillet 1992 pris pour l'application de la loi du 9 juillet 1991 précise qu'il est nécessaire d'introduire une procédure ou d'accomplir les formalités nécessaires à l'obtention d'un titre exécutoire dans le mois qui suit l'exécution de la mesure ; qu'il convient d'appliquer ces textes en tenant compte du contexte international de la procédure ;
Qu'en l'espèce, par sa décision du 26 avril 2005, le Tribunal de Milan a ordonné la mise sous séquestre de l'immeuble dénommé "Villa Kismet" à Beausoleil" avec transmission d'une demande d'assistance judiciaire à l'Etat français et a fixé au 30 septembre 2005 les débats sur la confiscation, invitant notamment la SCI ZANORO à y participer ; qu'il ressort de cette décision qu'avant même la mise en oeuvre de la mesure d'exécution sur le sol français, une procédure tenant à la confiscation de l'immeuble a été engagée devant la juridiction italienne, procédure qui est actuellement en cours devant la Cour de cassation italienne, selon les propres écritures de l'appelante, qui démontre ainsi une connaissance suffisante de cette procédure à laquelle elle a été invitée à participer par le Tribunal de Milan ; qu'ainsi l'action visant à obtenir un titre exécutoire étant antérieure à la mesure provisoire, il convient de considérer qu'il est satisfait aux exigences de l'article 70 de la loi du 9 juillet 1991et de l'article 215 du décret du 31 juillet 1992 pris pour son application ;
Attendu que l'article 15 de la loi no96-392 du 13 mai 1996 énonce que l'exécution sur le territoire français d'une mesure conservatoire présentée par une autorité étrangère est ordonnée dès lors que le propriétaire des biens ne pouvait ignorer l'origine ou l'utilisation frauduleuse ;
qu'en l'espèce, le Tribunal de Milan, dans sa décision du 26 avril 2005, décrit de manière détaillée le comportement de Giampietro Y... depuis 1984, qui a été, à plusieurs reprises, trouvé en possession de fortes sommes d'argent et de chèques bancaires sans indication de lieu et de date d'émission, et poursuivi pour blanchiment, escroquerie, recel et usure, et qui est renvoyé pour jugement devant la juridiction italienne pour les infractions d'appartenance à une association de mafia relative à la commission de crimes financiers, de blanchiment et escroquerie ; qu'elle précise que Giampietro Y... s'est installé dans la "Villa Kismet" au milieu des années 1990, et que la SCI ZANORO, créée le 16 mars 2001 pour acquérir la "Villa Kismet", ce qui a été fait par acte authentique du 30 mai 2001, est détenue à 99 % par la société FIM.GE. Srl, qui est une société fiduciaire dont l'ayant droit économique est Giampietro Y... ; que ces éléments suffisent à établir que la SCI ZANORO, entité juridique distincte de la personne de Giampietro Y... mais contrôlée par lui, ne pouvait ignorer l'origine frauduleuse des fonds ayant servi à l'acquisition de la villa ; que la créance dont se prévaut l'Etat requérant est ainsi fondée en son principe et la complexité des montages tendant à occulter tout lien visible entre la SCI ZANORO et la personne de Giampietro Y... caractérise les circonstances de nature à menacer le recouvrement de cette créance ;
Qu'aucune des causes de refus énumérée par l'article 10 de la loi no96-392 du 13 mai 1996 n'est établie ;
Qu'il convient de confirmer le jugement en toutes ses dispositions ;
PAR CES MOTIFS :
La Cour, statuant publiquement et contradictoirement,
Reçoit l'appel comme régulier en la forme,
Confirme le jugement en toutes ses dispositions,
Condamne la SCI ZANORO à supporter les dépens d'appel qui seront distraits conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
LE GREFFIER, LE PRESIDENT,