COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
10o Chambre
ARRÊT AU FOND
DU 23 OCTOBRE 2007
No 2007 /
Rôle No 00 / 21440
Christelle X...
Martine Micheline Z... épouse X...
C /
L'ETABLISSEMENT FRANCAIS DU SANG (E. F. S.)
CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DES BOUCHES DU RHONE
MUTUELLE CIPC-CMIC
Grosse délivrée
le :
à :
réf
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Grande Instance de MARSEILLE en date du 21 Septembre 2000 enregistré au répertoire général sous le no 98 / 10496.
APPELANTES
Mademoiselle Christelle X...
née le 16 Avril 1980 à MARSEILLE (13000), demeurant...-13001 MARSEILLE
représentée par Me Jean-Marie JAUFFRES, avoué à la Cour,
assistée de Me Marie-Anne DONSIMONI, avocat au barreau de MARSEILLE
Madame Martine Micheline Z... épouse X...
née le 17 Octobre 1952 à MARSEILLE (13000), demeurant...-13012 MARSEILLE
représentée par Me Jean-Marie JAUFFRES, avoué à la Cour,
assistée de Me Marie-Anne DONSIMONI, avocat au barreau de MARSEILLE
INTIMES
L'ETABLISSEMENT FRANCAIS DU SANG (E. F. S.)
Etablissement Public de l'Etat, créé au 1er janvier 2000 par la loi no 98 / 545 du 1er juillet 1998 agissant poursuites et diligences de son représentant légal en exercice, domicilié en cette qualité audit siège...-93218 LA PLAINE SAINT DENIS CEDEX
représenté par la SCP BOTTAI-GEREUX-BOULAN, avoués à la Cour,
assisté de la SELARL BAFFERT-FRUCTUS ET ASSOCIES, avocats au barreau de MARSEILLE substituée par Me Julie MOREAU, avocat au barreau de MARSEILLE
CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DES BOUCHES DU RHONE, ASSIGNEE le 30 mars 2001 prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié es qualité au siège...-13006 MARSEILLE
défaillante
MUTUELLE CIPC-CMIC,
ASSIGNEE le 04 avril 2001,
prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié es qualité au siège sis, ...-75882 PARIS CEDEX 17
défaillante
PARTIE INTERVENANTE
AXA FRANCE IARD Entreprise régie par le Code des Assurances, inscrite au RCS de PARIS sous le No 722 057 460, prise en la personne de son PDG en exercice, domicilié en cette qualité au siège social sis ...75009. PARIS
représentée par la SCP BLANC-AMSELLEM-MIMRAN-CHERFILS pour Avoués
assistée de la SCP WILSON-DAUMAS-BERGE-ROSSI (ASS), avocat au barreau de MARSEILLE substitué par Me GEELHAAR, avocat au barreau de MARSEILLE
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 11 Septembre 2007 en audience publique. Conformément à l'article 785 du Nouveau Code de Procédure Civile, Monsieur Benjamin RAJBAUT, Conseiller a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Madame Joëlle SAUVAGE, Présidente
Madame Bernadette KERHARO-CHALUMEAU, Conseiller
Monsieur Benjamin RAJBAUT, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Geneviève JAUFFRES.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 23 Octobre 2007.
ARRÊT
Réputé contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 23 Octobre 2007,
Signé par Madame Joëlle SAUVAGE, Présidente et Madame Geneviève JAUFFRES, greffière auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
Vu l'arrêt avant dire droit en date du 4 mai 2004
Vu les conclusions de Mesdames X... en date du 9 août 2007
Vu les conclusions de l'Etablissement français du sang (EFS) en date du 29 août 2007
Vu l'ordonnance de clôture en date du 11 septembre 2007
***
Sur l'action en réparation de Mesdames X... suite au décès le 5 avril 1993 de M. Alain X..., atteint d'une cirrhose du foie imputée par celles-ci à des transfusions sanguines intervenues les 10 janvier 1980 et 7 janvier 1981 lors d'interventions chirurgicales à c œ ur ouvert, la Cour a rendu un arrêt commettant le professeur D... afin de dire si les divers examens n'ayant pas été soumis à l'expertise effectuée précédemment par le professeur E... sont de nature à modifier ses termes.
Les appelantes formulent différentes demandes indemnitaires, arguant sur la base de l'expertise du professeur D..., que le délai de l'évolution de l'affection hépatique est compatible avec une élévation constante des transaminases à partir du 8 mars 1982 et que cette même augmentation, observée sur un seul bilan en janvier 1980, suivie d'une normalisation spontanée à distance de l'intervention, n'est pas significative de l'existence, avant les transfusions litigieuses, d'une hépatite C, M. X..., sujet cardiaque prenant à l'époque une médication pouvant provoquer des perturbations hépatiques.
L'EFS a conclu au débouté des appelantes en demandant à la Cour de :
-constater que M. X... présentait déjà les symptômes d'une hépatite virale antérieurement à la réalisation des premières transfusions sanguines
-constater que M. X... a été confronté à d'autres modes de contamination d'origine non transfusionnelle
Sur l'indemnisation des préjudices, l'EFS demande à la Cour de :
Rejeter la demande d'expertise complémentaire qui ne se justifie pas
Subsidiairement ordonner la mesure d'expertise complémentaire aux frais avancés des appelantes
Faire application des principes indemnitaires de droit commun avec les quanta correspondants
Rejeter toute demande d'indemnisation du préjudice spécifique de contamination en l'absence de preuve du caractère évolutif de la maladie
Rejeter toute demande d'indemnisation du préjudice spécifique de contamination qui serait déjà indemnisé au titre des autres postes de préjudice personnel de la victime
Ramener les sommes demandées à des proportions raisonnables
***
Selon l'article 102 de la loi du 4 mars 2002 relatif aux droits des malades et à la qualité du système de santé, en cas de contestation relative à l'imputabilité d'une contamination par le virus de l'hépatite C. antérieure à la date d'entrée en vigueur de la loi, le demandeur apporte des éléments qui permettent de présumer que cette contamination a pour origine une transfusion de produits sanguins labiles ou une injection de médicaments dérivés du sang ; au vu de ces éléments il incombe à la partie défenderesse de prouver que cette transfusion ou cette injection n'est pas à l'origine de la contamination ; le juge fonde sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles et le doute profite aux demandeurs.
Il ressort de l'expertise du professeur E... et du rapport complémentaire du professeur D... que M. Alain X... a subi deux interventions à c œ ur ouvert au début de l'année 1980 et au début de l'année 1981 ayant nécessité des transfusions sanguines, soit au moins 4 culots globulaires en 1980 et en 1981, 4 plasmas décongelés plus 6 culots globulaires, qu'une sérologie d'hépatite C. positive a été découverte pour la première fois le 27 février 1991 et qu'un diagnostic de cirrhose du foie a été porté le 10 mars 1993.
Après avoir relevé qu'en 1980 et en 1981 le sang était fourni par le CRTS de Marseille mais que le virus de l'hépatite C n'ayant été authentifié qu'en 1989 et le tests de dépistage rendus obligatoires à compter de mars 1990, l'expert E... indique qu'il est impossible de retrouver les archives du CRTS antérieures à 1986 et donc impossible de retrouver les donneurs pour identifier leur statut actuel par rapport au virus de l'hépatite C.
Il indique dans ses conclusions que :
-M. X... a bien présenté une hépatite virale chronique C dont l'évolution s'est faite vers une cirrhose du foie qui a été une cause essentielle dans l'évolution péjorative qu'il y a eue après la troisième intervention chirurgicale de 1993 avec défaillance poly-viscérale et en particulier et hépato-rénale. Cette défaillance a entraîné la mort postopératoire du sujet.
-la contamination du patient ne peut être affirmée formellement. Il est probable qu'elle ait résulté des transfusions faites lors des deux premières interventions mais aucune preuve ne peut en être apportée et on doit remarquer que les premières cytolyses observées l'ont été sept ans après la deuxième intervention chirurgicale. Une autre contamination lors des explorations nécessaires depuis 1971 ou contaminations sporadiques entre 1981 et 1989 restent possibles.
Au soutien de son argumentation selon laquelle M. X... présentait des symptômes de l'hépatite virale antérieurement à la réalisation des premières transfusions sanguines l'EFS fait état de l'élévation de ses transaminases à la date du 8 janvier 1980, avant les transfusions.
Sur ce point, il ressort du complément d'expertise du professeur D... 1) que si les premières transaminases anormales sont en pré-opératoires au 8 janvier 1980, le suivi, à distance de la première intervention, montre que celles-ci sont à plusieurs reprises strictement dans les normes, 2) qu'après la deuxième intervention, le 7 janvier 1981, les transaminases sont à nouveau élevées le 8 mars 1982, donc à distance
Après ces constatations, l'expert D... conclut :
-qu'en janvier 1981, la normalisation spontanée des transaminases sur un suivi régulier, est un argument qui lui, peut contrebalancer la préexistence d'une hépatite virale avant janvier 1980 qui se serait spontanément améliorée sauf à considérer que la période de janvier 1981 tombe dans une période de fluctuations vers les valeurs basses des transaminases.
-que si l'existence de transaminases élevées en préopératoire le 8 janvier 1980 va à l'encontre d'une contamination transfusionnelle postérieure à cette date, en revanche, cette antériorité des transaminases en 1980 pour une découverte de cirrhose authentifiée en 1993, rend ce délai d'évolution de l'affection hépatique compatible.
-qu'en tenant compte des arguments en faveur d'une hépatite virale C indépendants des transfusions sanguines dont a fait l'objet M. X... et en tenant compte d'autre part, du risque transfusionnel lié à cette époque à cette pratique, la relation de cause à effet entre les produits sanguins qui ont été transfusés chez M. X... et l'hépatite virale C qu'il a présenté ne mérite que le qualificatif de possible.
In fine, cet expert indique qu'il ne semble pas raisonnable de rechercher des arguments allant dans un sens ou dans un autre, en plus de ceux qui sont possédés actuellement par l'examen des différents dossiers.
Ces constatations et conclusions des experts permettent à la Cour de présumer l'origine transfusionnelle de la contamination de M. Alain X.... L'EFS ne rapportant pas la preuve, autrement que par des considérations tirées des statistiques sur les autres facteurs possibles de contamination, il existe en l'espèce un doute devant profiter aux appelantes conformément aux dispositions légales.
Sur l'indemnisation :
S'agissant du préjudice subi par feu M. Alain X..., l'expertise du professeur E... révèle que le syndrome de cytolyse est devenu beaucoup plus important à partir de 1990 et surtout de 1991, qu'un effondrement des fonctions hépatiques avec cytolyse a été constaté après le changement d'une valve cardiaque aortique le 26 mars 1993, le patient étant décédé après huit jours de réanimation.
Il convient, au vu des données expertales de retenir, chez feu M. Alain X..., né en 1950 et porteur d'un retrécissement aortique congénital, opéré pour cette pathologie cardiaque à trois reprises (1980, 1981 et 1993) que la contamination présumée en 1980 ou en 1981 par le virus de l'hépatite C a entraîné une évolution lente de la maladie hépatique, dont le diagnostic a été le 10 mars 1993, époque du changement de sa valve aortique, celui d'une cirrhose.
Cependant l'expert D... note (page 2) que sur le plan hépatique il n'y a pas eu d'examen entre 1981 et 1988 et que le patient était cliniquement bien mais avec des gamma GT augmentés et des problèmes digestifs persistants, que la découverte de la sérologie positive pour le virus de l'hépatite C date de 1990-1991, que le patient était asthénique, avait des nausées, était anxieux.
En ce qui concerne l'ITT / ITP et l'IPP, l'expert E... a précisé : " l'évolution de la maladie s'est faite progressivement jusqu'à la mort le 5 avril 1993. Il n'y a donc pas eu de consolidation. Aucune IPP ne peut donc être fixée. Du fait de sa seule maladie hépatique : hépatite virale chronique C. évoluant vers la cirrhose il n'y a pas eu d'ITT. Une ITT (note de la Cour : en réalité IPP) de 5 % peut être admise entre 1991, date de la sérologie positive et 1993, date du décès, soit 26 mois ".
Au regard de ces éléments médico-légaux, la Cour, écartant la demande d'expertise complémentaire formulée par les appelantes, estime devoir allouer à feu M. Alain X... un " préjudice spécifique de contamination " incluant également les souffrances physiques et morales éprouvées par ce dernier à la suite de sa contamination par le virus de l'hépatite C.
Ce préjudice est fixé par la Cour à la somme de 50 000 €.
Les préjudices moraux de chacune des appelantes doivent être évalués à la somme demandée de 15 000 €.
Il est équitable de fixer à 2000 € la somme devant être allouée sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Statuant publiquement et par arrêt réputé contradictoire
Infirme le jugement déféré
Et statuant à nouveau
Condamne l'EFS à payer :
-à Mme Martine X... la somme de 50 000 € au titre du préjudice spécifique de contamination subi par feu M. Alain X...
-à Mme Martine X... la somme de 15 000 € au titre de son préjudice moral
-à Mlle Christelle X... la somme de 15 000 € au titre de son préjudice moral
Rejette la demande d'expertise complémentaire
Condamne l'EFS a payer à Mme Martine X... et à Mlle Christelle X... la somme de 2000 € au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile
Condamne l'EFS aux dépens distraits au profit de Me JAUFFRES, avoué
Magistrat Rédacteur : Mme KERHARO-CHALUMEAU
Madame JAUFFRES Madame SAUVAGE
GREFFIÈRE, PRÉSIDENTE